L'opposition [massif]-[comptable]

T. Vermote,
 >Page pers.     P. Lauwers
(03-2016)

Pour citer cette notice:
Vermote (T.) & Lauwers (P.), 2016, "L'opposition [massif]/[comptable]", in Encyclopédie grammaticale du français,
en ligne: encyclogram.fr
DOI: https://nakala.fr/10.34847/nkl.4f309c7l

 


1. Découpage du domaine



1.1. Définition et délimitation.

À l’intuition, l’opposition massif (désormais M) / comptable (désormais C), qui remonte à Jespersen (1913: 114-125; 1924: 188-211 ; cf. Lasersohn 2011 pour quelques autres références anciennes), n’est pas difficile à cerner. Il semblerait qu’il existe, en français, deux types de noms (ou de syntagmes nominaux, cf. 1.3.), et ces deux types de noms se distinguent par le marquage morphosyntaxique dont ils s’accommodent (types de déterminants, variation en nombre) et par le fait qu’ils renvoient respectivement à des référents ‘comptables’ (trois enfants, une voiture) et ‘massifs’ (puisqu’on a dit que leurs référents typiques se présentaient ‘en masse’ : de l’eau, de l’air, du beurre). Précisons cette première approximation.

1.1.1. Caractérisation formelle

La définition formelle, basée sur des critères distributionnels, est tout à fait consensuelle (Gillon 1999: 51). Il existe une distinction entre SN massifs et SN comptables, facile à identifier via un ensemble de marques morphosyntaxiques (cf. Allan 1980 pour l’anglais ; Doetjes 1997, 2001), notamment la présence (C) ou non (M) du pluriel et la combinatoire avec une série de contextes syntagmatiques (notamment de déterminants) à orientation comptable ou massive.

Les déterminants sensibles à l’opposition

Les déterminants ont déjà été listés souvent (pour différentes langues, du reste), comme par exemple dans Nicolas (2002a: chapitre 1, 1. a.), où on retrouve ceux du français. Ainsi, dans les premiers, les comptables, nous retrouvons : l’article indéfini un(e) (une voiture), les numéraux (deux voitures, cent voitures), les déterminants singuliers tels que aucun(e) et chaque (chaque voiture), les déterminants pluriels tels que plusieurs et certain(e)s et les constructions quantificatrices telles que un grand nombre de ou des milliers de (des milliers de voitures). Dans les seconds, les massifs, nous retrouvons essentiellement l’article partitif (du beurre) et la locution déterminative un peu de (un peu de beurre) (Hilgert 2014).

En plus de ces deux séries de déterminants, il en existe aussi qui en eux-mêmes ne sont ni comptables, ni massifs, mais signalent néanmoins le comptable en combinaison avec un nom au pluriel (graphique et/ou marqué par les liaisons ou l’accord du verbe), et le massif avec un nom au singulier. Ceux-ci ‘cumulent’ donc deux possibilités d’emploi et comme, en plus, ils se combinent ainsi exclusivement avec des noms dont la référence vérifie le critère sémantique de cumulativité (cf. 1.1.2.), Vermote (2014b) a proposé de les appeler ‘déterminants cumulatifs’. Il s’agit principalement de locutions de quantification telles que peu de, beaucoup de, trop de, combien de (beaucoup de voitures, trop de beurre). D’autre part, il semblerait que certaines constructions du type Dét N de N imposent la même condition de cumulativité : comparons par exemple un sac de billes (pluriel, comptable) à un sac de sable (singulier, massif). Les noms qui imposent cette condition sont déjà mentionnés par Nicolas (2002a: note 5) et étudiés plus abondamment par Grinevald (2004), qui les appelle ‘termes de mesure’. Ceux-ci constituent une classe ouverte qui inclut des noms désignant des mesures conventionnelles (kilo, litre), des contenants (verre, boîte), des formes (tranche) ou des arrangements (pile, tas). En français (tout comme en anglais), tous ces noms ne se combinent, à l’instar des déterminants cumulatifs, qu’avec des éléments dont la référence est cumulative, comme le remarque aussi Doetjes (2012).

Enfin, il convient de distinguer une quatrième catégorie de déterminants, ceux qui sont aveugles à la distinction. Ainsi en est-il de tous les articles et déterminants définis singuliers, comme le/la, ce/cette, mon/ma, etc. (la voiture, le beurre ; ma voiture, mon beurre), qui effectuent une saisie externe sur le référent et renvoient ainsi à des totalités et non à des partitions. Nous les appellerons ici les ‘déterminants neutres’. Cela ne signifie pas nécessairement que leur présence neutralise la distinction – puisque celle-ci peut réapparaitre plus loin au travers de la reprise pronominale, comme l’a montré Galmiche (1989: 65) – mais seulement qu’elle ne permet pas de l’identifier :

Le sang avait coulé, il y en avait par terre.
*Le livre était tombé, il y en avait par terre.

Notons au passage que les exemples ci-dessus nous permettent en outre d’identifier la reprise pronominale comme un autre critère morphosyntaxique permettant de signaler un emploi massif ou comptable : à l’instar des déterminants cumulatifs, la reprise avec en n’est possible que pour un emploi pluriel comptable, ou un emploi singulier massif.

L’opposition en nombre

Au trait [+comptable] est associé aussi l’opposition en nombre. Ainsi, un mot comptable connaît à la fois un emploi au singulier (une pomme, la pomme) et au pluriel (des pommes, les pommes, etc.). Sur le plan de la dénotation, le pluriel renvoie à une sommation des référents dénotés par le singulier : des pommes = une pomme + une pomme + une pomme + … Les noms (ou SN) associés au trait [+ massif], par contre, n’acceptent pas le pluriel : *sangs (en dehors de certaines lexies figées). C’est dans ce sens que l’on peut dire que le massif est la catégorie du « non nombre » (Pottier 1974: 214).

Si à première vue le pluriel est donc un révélateur de dénombrabilité (ou de comptabilité), l’on ne saurait cependant s’y fier aveuglément, car certains noms qui exhibent les atours formels du pluriel (les oreillons, de bonnes manières, des épinards) ne sont pas pour autant des noms comptables, comme le montre l’impossibilité de les combiner avec certains déterminants indéfinis associés au trait [+ comptable], ce qui pose le problème de la délimitation des catégories du massif et du comptable (cf. 1.1.3.1.) : *Pierre a eu trois/plusieurs oreillons ; *Ma fille a déjà trois/plusieurs bonnes manières ; *quatre épinards, *chaque épinard(s)). Plus précisément, il a été observé que les déterminants du pluriel n’étaient pas équivalents quant à la mesure dans laquelle ils marquaient l’individualisation référentielle (et ainsi la comptabilité), et qu’ils pouvaient être classés le long d’une échelle allant de l’indéfini des, marquant la sommation sans profiler du tout d’individus, jusqu’aux numéraux (deux, trois, quatre) responsables d’une individualisation forte – en passant par quelques (collectivisant, voir Gréa 2008), plusieurs, et divers, par ordre croissant de profilage des individus [voir Bosveld-De Smet 2000 et Lauwers 2014]. C’est ce rapport à l’individualisation qui explique que l’on puisse dire sans peine des épinards ou quelques épinards, et beaucoup moins facilement ?plusieurs épinards, et pas du tout *quatre épinards (hors réinterprétation sémantique). L’exemple célèbre des épinards montre que ces noms se combinent parfois avec les déterminants du massif : un peu d’épinards (Doetjes 2001, Hilgert 2014), ce qui suggère une affinité du nom pluriel avec le domaine massif (d’où la dénomination courante de « pluriel massif » ; « plural mass »), tout en rappelant aussi la thèse du des « article partitif pluriel », dont Leeman (2004: 136-149) offre une excellente mise au point. Dans tous ces cas, on a affaire à des pluriels lexicalisés (cf. « lexical plurals », Acquaviva 2008), qui illustrent que l’opposition comptable/non comptable est moins tranchée qu’il n’y parait à première vue (cf. aussi 1.1.3.1.).

En somme, l’on formulera donc le critère morphosyntaxique du nombre avec quelque précaution : lorsqu’il est grammatical, c’est-à-dire lorsqu’il alterne avec un singulier correspondant, le pluriel est bel et bien caractéristique du comptable. Lorsqu’il est lexicalisé, par contre, il peut aller de pair avec un déficit, voire même l’absence de dénombrabilité, au point d’être la marque du massif pluriel (voir e.a. McCawley 1975, Ojeda 2005).

Vu la relative indépendance entre les traits massif-comptable et le nombre, l’on comprend la position de Wilmet (2007: §§152-153), qui dissocie l’opposition singulier-pluriel de l’opposition massif-comptable, en parlant respectivement d’une opposition continu-discontinu et massif-numératif, faisant écho à la double distinction établie par Damourette & Pichon (1911-1927 [1950]) : blocalité (continue/discontinue) vs. putation (massive/numérative) (voir Gréa 2014, pour une discussion).

Ajoutons qu’il conviendra d’user de la même précaution au sujet des noms qui semblent être invariablement singuliers, une condition apparemment nécessaire pour identifier le massif (à l’exception des cas de massif pluriel, donc), mais pas suffisante. Ainsi, si l’on regarde les exemples de noms sans pluriel que donne le Bon Usage (Grevisse & Goosse 2011: §507), l’on n’aura pas tôt fait de les qualifier tous de massifs, sans distinction (le Nord vs. *du Nord ; le boire et le manger ; *du boire).

1.1.2. Caractérisation sémantique

Pour saisir la sémantique de l’opposition, il convient d’écarter aussitôt la dimension purement ontologique à laquelle la terminologie traditionnelle fait erronément écho (cf. 1.3 ; 3.2.1.) et qui ne saurait fournir la clé d’une définition proprement linguistique (sémantique) du sens associé aux concepts de comptable et de massif. Il suffit de quelques exemples pour s’en convaincre. Ainsi, si l’on adoptait une vision strictement ontologique, l’on ne pourrait expliquer pourquoi du riz (ou m.m. du gravier) n’est pas comptable, malgré la présence visible de grains – qui se présentent comme des individus homogènes, (Kleiber 1997: 333-334), à « faible saillance référentielle (Joosten 2006) –, ou encore, pourquoi V. Giscard d’Estaing vend du mobilier quand il met aux enchères les 400 meubles de son château (que l’on espère dûment comptés). Voilà que le monde linguistique (la langue) n’est pas nécessairement structuré comme le monde (perceptible).

Pour capter le « sens » de l’opposition, c’est-à-dire l’ensemble des propriétés descriptives linguistiquement pertinentes associées au signifiant et auxquelles le référent doit répondre pour que le N (massif ou comptable) puisse être appliqué à ce référent, une multitude de dichotomies sémantiques ont été proposées : ‘discontinu-discret vs. continu-non discret’, ‘comptable-dénombrable vs. non comptable-non dénombrable’, ‘hétérogène vs. homogène’, opposition directement liée à la relation partie-tout (voir Jackendoff 1991, Kleiber 1997, i.a.), ‘borné-avec limites vs. non borné-sans limites’ (Langacker 1987, Taylor 2002), ‘discret vs. compact vs. dense’ (proposée par Culioli 1999, cf. aussi références antérieures), ‘atomique vs. non atomique’ (voir Rothstein 2010, pour une approche critique). Ces dichotomies se recoupent en partie, mais pas complètement et bon nombre d’entre elles se heurtent à des contre-exemples (Nicolas 2002a ; Vassiliadou 2014).

Dans le cas du domaine comptable, les intuitions sur le sujet pointent vers des référents individualisés et ne posent pas de réels problèmes : effectivement, tous les noms incontestablement comptables désignent des individus. Or, c’est pour le massif – qui se définit d’abord négativement, comme le non-comptable – que le bât blesse : le défi majeur, dans la traduction en termes proprement sémantiques de notre distinction, est qu’elle doit pouvoir s’appliquer à tous les noms à usage massif. Cela n’est pas évident dans la mesure où de nombreux (S)N massifs renvoient à des référents individualisés sur le plan ontologique, transcendant ainsi l’opposition référentielle entre singulier et pluriel, au point de devenir en quelque sorte une expression transnumérale (Meisterfeld 1998; voir Corbett 2000: 10 pour une discussion). Dans les tentatives de décrire les propriétés sémantiques de la catégorie morphosyntaxique du massif, deux critères sémantico-référentiels ont joué un rôle de premier plan : celui de « référence cumulative », et celui de « référence distributive » (la combinaison des deux étant parfois appelée « référence homogène »). Si certains auteurs ont noté qu’ils n’étaient utiles que pour traiter des noms concrets (cf. Joosten 2003), d’autres (Van de Velde 1996 et Nicolas 2002a: chapitre 2, 2. c.) ont néanmoins exploré l’application métaphorique de la notion d’homogénéité aux abstraits. Comme toutes ces notions ont été longuement débattues dans la littérature, nous nous y attarderons un peu plus, tout en rappelant les contre-exemples auxquels elles se heurtent.

La référence cumulative

Le premier critère suggéré pour décrire le sémantisme du massif est celui de référence « cumulative » : un N réfère de manière cumulative si et seulement si pour deux éléments pouvant être désignés par N, leur somme peut également être désignée par N. Proposé initialement par Quine (1960: 90-91), il a été repris et commenté abondamment par ses successeurs (voir par exemple Bunt 1979, Roeper 1983, Moltmann 1997). Ainsi, si on a de l’eau dans une tasse, et de l’eau dans un verre, la somme de ce qui est contenu dans ces deux récipients, c’est aussi de l’eau : eau serait ainsi un nom à référence cumulative. D’autre part, si on a un sac dans sa main gauche, et un sac dans sa main droite, la somme de ce qu’on transporte n’est pas un sac, mais bien deux sacs (ou des sacs) : le nom sac, quant à lui, ne réfère donc pas de manière cumulative. On voit ici déjà une première complication du test dans son application au français : si le critère est formulé en termes de N, son applicabilité ne peut être contrôlée qu’au travers de SN : dans notre premier exemple, c’est bien le syntagme de l’eau qui réfère cumulativement, et non le N eau. Le critère a cependant été formulé en premier en anglais, où l’emploi nu d’un nom (i.c. water) correspond à peu près à notre usage avec le partitif.

Le critère de « cumulativité » s’applique aussi sans problème aux noms de collections : s’il y a du mobilier dans la chambre de Marie, et du mobilier dans celle de Jean, alors ensemble, les deux chambres contiennent aussi du mobilier. Il a néanmoins été remis en doute comme critère de reconnaissance du massif, en ce qu’il ne s’applique pas seulement aux noms à usage massif, mais également aux noms au pluriel (ou, du moins, aux SN pluriels indéfinis). Par exemple, si des voitures roulent sur l’autoroute en direction de Gand, et que, dans l’autre sens, des voitures sont bloqués dans les bouchons en direction de Bruxelles, la somme de ces véhicules occupant la E40, ce sont aussi des voitures. Les conséquences à tirer de cette observation varient : si pour Mufwene (1981) cela signifie que les noms pluriels indéfinis sont en réalité bien des termes massifs, pour Gillon (1999) c’est la preuve de l’inutilité et de l’inaptitude totale du test (conclusion trop pessimiste, sans doute, car il n’en reste pas moins vrai que seuls les noms qui ont été appelés massifs peuvent référer de manière cumulative dans leur emploi au singulier).

La référence distributive

Le second critère traditionnel évoqué pour décrire la nature de la référence massive est celui de la « distributivité » ou « divisibilité » référentielle : un (S)N réfère de manière distributive si et seulement s’il peut s’appliquer à toute partie de ce à quoi il s’applique. Ainsi, si on a de l’eau dans une bouteille et que l’on en verse la moitié dans un verre et l’autre moitié dans un autre, on a toujours « de l’eau ». Ce critère a été mis en avant par Cheng (1973: 286-287), en réponse à Quine, qui lui-même se refusait à le considérer comme définitoire du massif, car « il est des parties d’eau, de sucre ou de mobilier trop petites pour compter comme de l’eau, du sucre ou du mobilier » et qu’en outre, « ce qui est trop petit pour compter comme du mobilier n’est pas trop petit pour compter comme de l’eau ou du sucre » (Quine 1960: 99, notre traduction). Cette observation, que Moltmann (1998) décrit comme « le problème des parties minimales », est celle qui divise jusqu’à ce jour ceux qui se sont intéressés à la question. A la différence du test de référence cumulative, celui de la distributivité pose effectivement un certain nombre de questions délicates.

Premièrement, il y a ce que Quine lui-même observait : si l’on se tourne vers les référents « réels » des N à usage massifs, force est de constater qu’à force de divisions, l’on finira toujours par tomber sur une partie tellement petite que le N ne pourra plus s’y appliquer. Ainsi en est-il très certainement des noms de collections, comme mobilier (la moitié d’une chaise, disons son dossier, ce n’est plus du mobilier), mais aussi des référents les plus emblématiques du massif : même si on ne les voit pas, on sait qu’au niveau moléculaire, une molécule d’eau, c’est encore de l’eau, mais que ce SN ne s’applique plus aux atomes d’hydrogène et à l’atome d’oxygène qui la composent. Pour Quine, mais aussi, par exemple, pour Pelletier (2012), ceci suffit à rendre le critère de référence distributive parfaitement caduc pour décrire le sémantisme du massif. Néanmoins, cette critique présuppose que l’univers sémantique d’une langue devrait refléter exactement le monde extérieur (cf. la vision « objectiviste extrême », cf. 3.2.1). Voilà pourquoi d’autres auteurs, comme Bunt (1979) ou Lønning (1987: 8) ont argumenté qu’il ne fallait pas confondre « faits empiriques » et « faits de langue ». Si l’on sait aujourd’hui que l’eau est constituée d’atomes (qui eux-mêmes ne sont pas de l’eau), il s’agit là d’une connaissance scientifique (acquise plus tard, après l’acquisition du mot), encyclopédique, qui n’a qu’une incidence indirecte sur le sens que nous mettons derrière le mot eau. La manière dont nous percevons son référent, et exprimons cette conception en langue, n’en est pas modifiée fondamentalement par cette connaissance. Dans le même ordre d’idées, le test de divisibilité se heurte aussi à d’autres paradoxes liés à la nature des choses, comme le montrent le fameux exemple du driehoekjesbehang ‘papier peint à motifs triangulaires’ (Landman 2011) ou encore la tarte aux fraises de Kleiber (1997), dont le traitement impose encore quelques précisions – subtiles – à l’application du test de divisibilité (cf. aussi Nicolas 2002a: chap. 3, 1). Celui-ci est une fois de plus mis à mal dès lors que l’on considère que le caractère de divisibilité de la référence est également vrai de certains groupes de noms à usage comptable, décrits par Langacker (1990: 70) ou encore Kleiber (1997: 328-332) comme ayant une « structuration interne homogène ». Il s’agit de noms tels que : chose (Kleiber 1987) ; morceau, tas, partie ; moment, instant, durée ; étendue ; tache, bip, son, flash ; corde, clôture, caillou ; etc. Effectivement, si l’on prélève quelque chose à un morceau, tant ce qu’on obtient que ce qui reste seront à leur tour un morceau ; et la partie d’un son ou d’un bip, c’est aussi un son ou un bip (fussent-ils plus courts) ; de même, si l’on coupe une corde ou un caillou en deux, n’obtient-on pas deux fois une corde ou deux fois un caillou ? Sans entrer dans les détails de l’application du test à ces différents référents, force est de constater qu’ils présentent bel et bien, à l’instar des référents massifs, la propriété de référence distributive. Pour certains auteurs, comme par exemple Gillon (1999), cette particularité est la preuve que la référence distributive est une propriété non pertinente. D’autres, en revanche, sauvent le critère en le précisant. Ainsi, comme le signalent Langacker (1990) ou Kleiber (1997), le test de distributivité (ou de cumulativité, du reste) ne définit pas la nature de la référence massive, mais seulement un de ses aspects : celle de « structuration homogène ». Or, cette homogénéité n’est pas exclusive au massif : certains référents comptables, comme nous venons de le voir, peuvent partager cette caractéristique.

Les limites et les occurrences

Si, en combinaison, les propriétés de référence cumulative et distributive définissent la propriété de « référence homogène » (Bunt 1979, Ter Meulen 1981: 123, Bunt 1985, Moltmann 1997) ou de « structuration homogène » (Langacker 1990, Kleiber 1997), celle-ci ne suffit pas à elle seule à définir le sémantisme du massif, car elle est partagée par certains référents comptables. D’autres critères sémantiques sont donc nécessaires pour distinguer les N massifs des N comptables à référence homogène. C’est ici que la question de la délimitation et des occurrences s’avère utile.

Considérons la situation suivante (adaptée très librement des exemples donnés par Kleiber 1997: 331) : en dégustant un hamburger, on a fait couler de la moutarde sur ses vêtements et il y a à présent une tache de sauce sur sa chemise et une autre sur son pantalon. Tant moutarde que tache ont des référents structurés de manière homogène. Cependant, si l’on peut dans cette situation parler de la moutarde sur ses vêtements, l’on ne pourra pas parler de la tache (il faudra dire les taches). Cette distinction s’explique par une seconde propriété des référents massifs, qui les distingue bel et bien des comptables : celle d’être « dépourvus de limites intrinsèques », décrite abondamment dans la tradition cognitiviste (Langacker 1987, Taylor 2002). Cette propriété se définit le mieux par défaut, c’est-à-dire par opposition au comptable, dont il est dit qu’il fournit, par le sémantisme nominal même, ‘un principe de distinction des individus’ (Strawson 1959), ou un ‘principe individuant intrinsèque’ (Galmiche & Kleiber 1996: 35). Autrement dit, si le référent d’une expression comptable est limité dans un certain domaine (par exemple, dans l’espace), cette limitation est intrinsèque à son sémantisme : elle fait partie du sens de l’expression. Cela signifie que ce qui compte comme une occurrence de voiture est déterminé par le nom voiture lui-même (et est une question de diverses propriétés, entre autres de forme). Par opposition, le référent d’une expression massive n’est pas, quant à lui, pourvu de pareille limitation intrinsèque ; les limites n’apparaissent qu’au travers de son occurrence réelle.

Cette idée a parfois été traduite en termes d’une opposition entre « continu » et « discontinu » : les référents comptables, puisqu’ils possèdent des limites intrinsèques, sont nécessairement discontinus en ce que la catégorisation par le comptable implique l’identification successive d’occurrences délimitées et distinctes. C’est par exemple en ces termes que se trouve formulée la définition de Riegel et al. (2009: 170) : « Les noms comptables renvoient à des segments discontinus de la réalité (pilote, avion, orage) que l’on peut dénombrer (…). Les noms massifs dénotent des substances continues (…). » Cependant, la pertinence de cette terminologie a récemment été remise en question par Kleiber (2011b: 3.2), qui appelle à « remettre les pendules de la continuité à l’heure de la discontinuité en rappelant que toutes les occurrences, massives comme comptables, sont discontinues ou, autrement dit, ont des limites ou ont des bornes ». En effet, prétendre que les référents d’expressions massives seraient strictement continus équivaudrait au paradoxe de leur refuser toute forme d’occurrence. Kleiber (2011b) réexplique dès lors en termes d’occurrences ce que l’on entend par l’absence typiquement massive de bornage intrinsèque : qu’une « situation d’occurrence » donnée ne peut jamais comporter qu’une seule occurrence d’un référent massif, puisque c’est par cette situation même que l’occurrence est créée. L’on en arrive ainsi à une inversion du vocabulaire habituel (Kleiber 2011b: 3.3) : si la structuration interne des référents massifs est homogène, leurs occurrences, elles, varient sans cesse et sont donc « hétérogènes » – à l’inverse des comptables, dont la structuration est plus typiquement hétérogène (sauf pour les exceptions que nous avons évoquées), mais les occurrences homogènes – car répondant à un même principe intrinsèque d’identification.

Le point de vue des occurrences est une nouvelle approche prometteuse, car elle permet de capturer adéquatement la distinction entre référence massive et comptable, y compris pour les noms de collections à usage massif (mobilier, pharmacie, etc.) : si dans un salon se trouvent deux chaises, un sofa et une armoire, il y aura là précisément une occurrence de mobilier. Si on enlève une des chaises et qu’on la remplace par deux tables et un fauteuil, rien ne change : l’on aura toujours dans le salon une seule et unique occurrence de mobilier. Pareille approche nous permet, du reste, de faire sens de la différence entre moutarde et tache évoquée ci-avant : la sauce étalée à deux endroits sur mes vêtements constitue bien deux occurrences de tache (expression comptable, aux bornes intrinsèques), mais une seule et unique occurrence de moutarde (d’où l’obligation d’une référence au singulier : la moutarde sur mes vêtements, et non *les moutardes sur mes vêtements). Cette caractéristique de la référence massive fournit aussi du même coup une explication quant à l’impossibilité de soumettre les référents massifs au dénombrement : celui-ci implique nécessairement un comptage d’occurrences homogènes (c’est-à-dire suffisamment identiques), dans une situation donnée (si quelqu’un dit avoir deux voitures dans le garage, il entend bien sûr « deux occurrences du concept de voiture »), une opération non pertinente pour le massif, puisque le compte total d’occurrences équivaudra toujours strictement à un (hors transfert taxonomique, bien sûr).

En somme, il convient de retenir deux propriétés sémantiques cruciales pour la description de la référence massive : celle de structuration homogène, et celle de non-bornage intrinsèque (traduit en termes d’occurrences). Ces deux propriétés sont reliées : la structuration homogène des référents massifs est une conséquence de cette absence de limites intrinsèques (ce qui en fait une condition nécessaire bien que non suffisante du massif). Ce lien de causalité est mentionné et expliqué par Kleiber (1997) : si un tout présente une structuration interne hétérogène, cela signifie qu’il est constitué de parties distinctes, et donc délimitées, qui elles-mêmes sont des touts, et qui font hériter leurs limites à l’ensemble qu’elles forment. Or, un référent massif n’ayant pas de limites intrinsèques, sa structuration ne peut jamais se concevoir que comme homogène. Ce rapport est crucial pour comprendre que des ensembles d’objets distincts (comme des grains de riz, des meubles, ou même parfois des touristes) puissent être conçus, linguistiquement, en faisant abstraction du niveau des individus : par le biais de la syntaxe massive (du riz, du mobilier, du touriste), la langue se refuse de fournir un principe de distinction intrinsèque d’occurrences et signale ainsi le caractère non borné de ces référents, ce qui oblige qu’on leur prête conceptuellement une structuration homogène, c’est-à-dire dépourvue de parties délimitées et donc d’individus.

1.1.3. Problèmes de découpage et d’inventaire

Si l’on se tourne maintenant vers le lexique du français, muni des critères formels et sémantiques que nous venons de rappeler, l’on constate que les tentatives de découpage et d’inventaire dans le domaine du massif-comptable se heurtent à deux problèmes majeurs :

- Le caractère graduel (et peut-être prototypique) des catégories du massif et du comptable et, partant, l’existence de classes de noms hybrides (et donc moins prototypiques)

- L’impossibilité de dresser un inventaire lexical des noms comptables et massifs en raison de la « flexibilité » de la plupart des noms à l’égard de l’opposition, qui entrent tantôt dans un SN massif, tantôt dans un SN comptable.

1.1.3.1. Une distinction graduelle

Le caractère graduel de l’opposition massif-comptable se manifeste à travers quelques classes de noms qui ne réalisent pas toutes les propriétés associées à l’opposition :

• les N massifs de collection : de la vaisselle, du mobilier
• les N pluriels non dénombrables (ou moins dénombrables) qualifiés parfois de « pluriels massifs » : des épinards

En outre, parmi les autres noms massifs, l’on trouve des noms denses et des noms compacts (Culioli 1973: 84, 1974: 7, 1991, 1999):

• les noms (massifs) denses : du pain, du beurre, de l’eau
• les noms (massifs) compacts : blancheur, vérité, pesanteur ; peste, sida, etc.

Les noms denses dénotent un référent sécable (p.ex. des matières), divisible, alors que les seconds ne sont pas divisibles. C’est dire que ceux-ci s’accommodent mal « d’un quelconque prélèvement », comme l’affirme Boone (1989: 111) à propos de certains noms de maladie. Notons que tous les N de maladie ne sont pas concernés ‒ j’ai une bronchite ; il a de l’asthme (Boone 1998) ‒, pas plus que tous les noms de propriété (?? de la blancheur ; mais de la bonté, de la prudence, cf. Van de Velde 1995). L’on constate que la non-quantification va de pair avec la disparition de la marque emblématique du massif : l’article partitif.

Notons aussi l’existence de « singletons » – des noms à référent (en principe) unique et qui de ce fait font penser à des noms propres – tels que la lune, le soleil, le nord ‒ dont le statut comptable ou massif n’est pas clair.

Regardons maintenant de plus près les noms massifs de collection et les noms pluriels non dénombrables, qui se rattachent à la catégorie des pluriels lexicaux.

D’abord les noms massifs de collection :

Jean vend de la vieille ferraille.
Marie a acheté du mobilier neuf.

Ces noms s’emploient en syntaxe massive, mais désignent néanmoins des objets qui ne sont ni identiques, ni même suffisamment petits pour perdre leur caractère discernable dans un contexte perceptuel normal (contrairement aux molécules d’eau, ou même aux grains de riz ou aux cailloux du gravier). Ceux-ci se sont vu désigner par une terminologie très variée, que nous évoquons ici sans ambition d’exhaustivité : ‘non-taxonomic supercategories’ (Wierzbicka 1988), ‘collective mass nouns’ (Krifka 1991, Doetjes 2012), ‘noms de masse à reference hétérogène’ (Wiederspiel 1992, Kleiber 1997), ‘count-mass nouns’ (Doetjes 1997), ‘mass superordinates’ (Wisniewski et al. 1996), ‘noms massifs collectifs’ ou ‘noms massifs dénotant des collections’ (Nicolas 2002a, Lammert 2010), ‘aggregate terms’ (Huddleston & Pullum 2002), ‘unsorted stuff nouns’ (Müller & Oliveira 2004), ‘object-mass nouns’ (Barner & Snedeker 2005, Bale & Barner 2012), ‘fake mass nouns’ (Chierchia 2010: 110), ‘atomic mass nouns’ (Rothstein 2010, Pires de Oliveira & Rothstein 2011), ‘neat mass nouns’ (Landman 2011). Notons que dans la tradition anglo-saxonne, l’on pourra entendre également (de manière peut-être plus informelle) l’appellation de ‘furniture-nouns’, en référence à furniture ‘mobilier’, le membre possiblement le plus emblématique de la catégorie. Pour ce qui nous concerne, dans ce qui suit, nous reprendrons le terme de ‘nom (massif) de collection’, en référence à la terminologie de Nicolas (2002a) tout en évitant l’appellation non neutre de ‘nom collectif’.

En quoi les noms massifs de collection ne correspondent-ils pas au prototype du nom massif ? Sur le plan morphosyntaxique, rien à signaler : ces noms se comportent comme des noms massifs (du mobilier ; on obtient une lecture taxonomique moyennant un transfert vers le domaine comptable : un mobilier Louis XV). Sur le plan de la dénotation, cependant, on n’a pas de peine à distinguer des individus bien délimités dénombrables : une table, une chaise, une armoire, etc. Du coup, si le test de l’homogénéité cumulative se vérifie (« j’avais déjà du mobilier, j’en ai encore acheté, j’ai maintenant toujours du mobilier »), l’homogénéité divisive se heurte aux limites des meubles individuels, qui se comportent comme des atomes (parties minimales pertinentes) : le dos d’une chaise, ce n’est plus du mobilier. La pertinence linguistique de la persistance d’individus dans la sémantique des noms massifs de collection apparait clairement à travers le comportement des adjectifs dits délimitatifs (Lammert 2010: 195, d’après Kleiber 1997: 333-334 ; Zhang 2013) ou « stubbornly distributive » (Schwarzschild 2011) :

Cette chaise est petite.
*Ce sable est petit.

En fait l'architecture entière est conçue comme recherche du vide. Je suis pas un expert en la matière mais tout le mobilier est petit, fonctionnel, ... (web)

En effet, ces adjectifs qui dénotent la taille, la forme, etc. d’un référent concret « atteignent » encore les pièces individuelles : ce qui est petit, c’est chacun des meubles pris individuellement et pas le volume global du mobilier en question. Sur le plan sémantique, il y a donc toujours un lien très net avec le domaine comptable (Rothstein 2010: 14), comme le suggère d’ailleurs aussi la terminologie utilisée par certains (cf. supra). En somme, les propriétés hybrides de ces noms s’expliquent : il s’agit de collectifs – pour les reflets distributionnels de cette vision ensembliste, voir Lammert (2014) – dont les membres (individus) peuvent être utilisés ensemble dans un certain but, avec une certaine fonctionnalité commune, ce qui en fait des massifs « au second degré », des « superordinates » massifs, ce qui se reflète parfois aussi dans des suffixes dérivationnels (fr. –erie ; angl. –ware ; néerl. –goed).

Si la catégorie des noms massifs de collection cumule des propriétés des deux catégories, donc des massifs et des comptables, les pluriels non dénombrables – correspondant grosso modo aux « pluriels internes » de Guillaume (1944-1945 [1991]) et aux « pluriels lexicaux » d’Acquaviva (2008) – ont perdu un nombre variable de caractéristiques du statut [+ comptable] sans qu’on puisse toujours parler de l’adoption de traits massifs. Le rapprochement avec le massif semble cependant justifié chaque fois que le nom pluriel non dénombrable se combine déjà avec le déterminant complexe un peu de, qui passe pour un révélateur de massivité (Hilgert 2014) : un peu d’épinards, un peu de carottes (Nicolas 2002a: 164, Vermote 2014b). La non-dénombrabilité est susceptible d’être exploitée à différents degrés et de différentes manières, renforçant les analogies conceptuelles entre pluriel et massif signalées dans la littérature, poussant la logique homogénéisante du pluriel jusqu’au bout. Ainsi, Lauwers (2014) a établi quatre types de pluriels lexicaux, qui font écho à des oppositions que l’on retrouve dans le domaine du massif singulier : les N compacts (la peste ~ les oreillons ; Culioli 1973, 1974 ; cf. supra), les N denses (~ du beurre), les N agrégatifs collection, qui rappellent les noms massifs de collection ( ~ du mobilier) et les N pluriels internes (fonts baptismaux). Gréa (2014), de son côté, subsume les deux catégories hybrides du massif de collection et du pluriel interne en proposant un continuum déterminé par le degré de « dépendance des parties au tout » dans le cadre d’une application de la Gestalttheorie.

En somme, tous ces exemples de catégories hybrides ne font que confirmer qu’il convient de distinguer des degrés de massivité/de comptabilité (cf. déjà Allan (1980), Kiss et al. (2014) et Kulkarni et al. (2013)). Cette idée d’un continuum entre massif et comptable ne peut cependant pas être confondue avec celle d’une échelle (continue) de préférence statistique des lexèmes pour la syntaxe massive ou comptable. Cela nous amène au deuxième problème majeur, la versalité de la plupart des noms face à l’opposition massif-comptable.

1.1.3.2. La « versatilité » des noms à l’égard de l’opposition morphosyntaxique

En effet, on a tôt fait de constater la flexibilité de la plupart des noms: contrairement à l’opposition en genre, on ne peut pas enfermer les mots une fois pour toutes dans la classe des massifs ou des comptables, constat qui a été fait dès le départ par Jespersen (1913, 1924). Deux cas de figure peuvent être distingués ici :

(a) Lexèmes appartenant intrinsèquement aux deux catégories à la fois, avec différence de sens [= polysémie ; un veau/du veau ; Kleiber (1999)] ou sans différence de sens majeure (un pain/du pain)

(b) Lexèmes connaissant un emploi marginal dans l’autre catégorie (déclenché en contexte) 

Ces deux cas de figure sont clairement dissociés dans Kleiber (1999), avec en toile de fond le débat sur le poids du lexique face à la grammaire (cf. 3.2.3.). Or, comme l’auteur le suggère en filigrane, l’opposition pourrait bien être beaucoup moins tranchée, avec beaucoup de cas intermédiaires. C’est ce qui est clairement démontré par Vermote (2014b), qui a mis en lumière des rapports de fréquence parfois très variables entre l’emploi massif et comptable des noms – correspondant aussi à des différences d’acceptabilité – même lorsqu’il s’agissait de co-hyponymes relevant du même champ sémantique (en l’occurrence les fruits et les légumes). On peut, certes, établir des « préférences » lexicales, mais celles-ci sont graduelles, chaque nom se caractérisant par une affinité plus ou moins grande avec le pôle massif et le pôle comptable.

Sur la problématique de la flexibilité des noms se greffe encore la notion de transfert (3.1..) qui rend compte d’un certain nombre d’alternances massif-comptable à partir d’un emploi de base (massif ou comptable). Si une telle approche se défend pour expliquer certains emplois marginaux en contexte (comme dans Après le passage du camion, il y avait du chat partout), elle devient problématique si l’emploi obtenu supposément par transfert (ou conversion) s’avère à ce point entériné par l’usage qu’il devient plus fréquent que l’emploi présumé « de base ». Tel est le cas de nombre de noms de boissons (Vermote 2014b: 162) pour lesquels la fréquence de la lecture en portion et/ou la lecture taxonomique dépasse(nt) allègrement celle de la lecture massive (voir 5.3. pour une discussion).


1.2. Cadres théoriques prépondérants

En linguistique générale, la littérature anglo-saxonne a nettement privilégié les approches formalistes, ce qui se traduit par une forte représentation de publications qui s’inscrivent dans une approche essentiellement syntaxique (grammaticale) de la localisation de l’opposition massif-comptable (cf. 3.2.3) ou / et qui traduisent les distinctions sémantiques liées à l’opposition dans une représentation s’inspirant de la logique formelle (cf. 3.2.3.), p.ex. Pelletier (1975) et Pelletier & Schubert (1989), Link (1983) ; Roeper (1983) ; Lønning (1987) ; Krifka (1991) ; Moltmann (1998) ; Bale & Barner (2009) ; Landman (2011), etc. Le courant cognitiviste (Whorf 1956 ; Langacker 1987, 1991 ; Taylor 2002) est nettement moins bien représenté, avec toutefois Wierzbicka (1988) comme prototype. L’opposition massif-comptable a également attiré l’attention des psycholinguistes et des spécialistes de l’acquisition des langues premières, souvent sur fond de discussions théoriques gravitant autour du rôle de la reconnaissance des types d’objet par l’enfant dans son développement proprement linguistique et donc dans la « lexicalisation » de l’opposition. A ce propos, deux hypothèses circulent. Pour certains, la catégorisation morphosyntaxique sert de tremplin au niveau conceptuel. Ainsi, Quine (1960) propose d’approcher la question en termes de « syntactic bootstrapping » : la syntaxe massive vs. comptable aiderait l’enfant à mieux comprendre la distinction entre individus et substances. Cette position a été abondamment critiquée et réfutée (e.a. Soja et al. 1991, Soja 1992). En effet, pour d’autres psycholinguistes, c’est plutôt le niveau conceptuel qui facilite la catégorisation morphosyntaxique subséquente. Ainsi, Macnamara (1982) parle de « semantic bootstrapping » : les catégories sémantiques objet et substances évoluent pour devenir des catégories grammaticales, « before kicking the semantic ladder away ». Des expériences spécifiques ont été menées pour examiner ces deux propositions, et ainsi l’importance des critères sémantiques et formels dans l’acquisition de l’opposition massif-comptable, p.ex. Gathercole (1985), Gordon (1985), Soja et al. (1991), Soja (1992).

La linguistique française a non seulement relayé en partie le courant anglo-saxon de la sémantique formelle [cf. les nombreuses publications de David Nicolas, p.ex. Nicolas (2002a, 2002b, 2008, 2010, 2013) ; Cohen & Zribi-Hertz (2012)], mais se caractérise en outre par de nombreux travaux descriptifs (voir 3.1. pour une présentation plus détaillée) qui s’inscrivent dans le cadre d’une sémantique lexicale qui se veut référentielle et qui, en partie, se laisse inspirer par le cognitivisme : les nombreuses publications de Kleiber (voir 3.1.), notamment Kleiber (2011b, 2013a), Desagulier (2012), Vermote (2014a, 2014b, 2014c), Gréa (2014, pour une application du gestaltisme à la problématique du nombre pluriel et du collectif). De ce fait, la réflexion est étroitement liée à d’autres problématiques qui sont chères à la sémantique lexicale (polysémie, méronymie, hypéronymie, noms collectifs, abstraits, propres, comme le montre l’aperçu sous 3.1., qui est structuré d’après le secteur du lexique que les études en question abordent). Enfin, la distinction massif-comptable a aussi été traitée dans le paradigme constructiviste de Culioli (Culioli 1973, 1974, 1991, 1999 ; Franckel et al. 1989), avec des extensions vers d’autres catégories que les noms (voir 1.4.2.). Enfin, l’on trouve des vues originales dans certaines grammaires de référence, telles que Damourette & Pichon (1911-1927 [1950]) et Wilmet (2007).


1.3. Problèmes terminologiques

Comme très souvent en linguistique, la terminologie usuelle s’avère trompeuse, et cela à plus d’un titre :

• une propriété fondamentalement grammaticale (morphosyntaxique) est désignée par des termes qui renvoient à la dénotation, à la référence (objets comptables vs. massifs)

• la terminologie est asymétrique : comme le montre le label non comptable (ou non dénombrable) le pôle [- comptable] est défini négativement, par opposition au trait [+ comptable]. Si l’on essaie de définir le trait [- comptable] positivement, on constate que le terme en vogue (massif, parfois massique) mobilise un sens qui ne se présente pas comme le complément parfait du pôle comptable (‘quelque chose qui ne peut pas être compté’ n’est pas d’office ‘une masse’).

• Comme les critères du nombre et des déterminants se contredisent parfois (cf. supra), il y a intérêt à dédoubler l’opposition massif-comptable, comme le fait Wilmet par exemple (2007: 139-142), par analogie avec l’opposition élaborée par Damourette & Pichon (1911-1927 [1950]) entre les valeurs respectives de la « blocalité » et de la « putation »: « continu » [= singulier] / « discontinu » [= pluriel]) et « massif » / « numératif ».

• Il n’est pas toujours clair si par nom massif on entend « nom intrinsèquement massif » ou « nom en emploi massif » donc SN massif; c’est ce qui amène Wilmet à dissocier le niveau de la « perception du réel » (« discrète » vs. « dense ») et celui de la « restitution » (« massive » vs. « numérative », i.e. comptable) (cf. Wilmet (2007: 139-142), opposition qui correspond plus ou moins à celle défendue par Kleiber (1999).

Ces observations constituent autant de mises en garde. Dans ce qui suit, nous conserverons cependant les étiquettes « reçues » de massif-comptable, tout en insistant sur leur niveau d’interprétation à chaque fois qu’il y a un risque de confusion.


1.4. Liens avec d'autres catégories

Par similarité avec le domaine nominal, il a aussi été proposé dans la littérature d’appliquer l’opposition massif-comptable (ou un de ses avatars) aux adjectifs, ainsi qu’aux verbes (états et événements, cf. Vendler 1957). Sont pertinentes dans ce cas non pas les propriétés morphosyntaxiques de l’opposition, mais plutôt les aspects sémantiques (critères de cumulativité, de divisibilité, d’homogénéité, et des considérations concernant le bornage ; pour les propriétés sémantiques, lire 3.2.2).

L’opposition massif-comptable et les adjectifs

Pour les adjectifs, les considérations sur le sujet remontent à Quine (1960), qui propose de distinguer entre adjectifs massifs et comptables sur la base du critère de cumulativité. Ainsi est-il possible de distinguer, selon lui, un adjectif tel que rouge, qui répond au critère de référence cumulative (et est ainsi un massif), d’un adjectif tel que sphérique, qui n’y répond pas (et est donc comptable). En effet, si la somme de deux objets rouges se laisse toujours décrire par l’adjectif rouge, ce n’est pas le cas de deux objets sphériques – dont la somme ne sera pas, quant à elle, sphérique.

Comme observé par plusieurs commentateurs (Pelletier 1975: 460-461, Bunt 1985: 16, Kleiber 1989: 269), le critère de Quine est cependant trop limitatif, puisqu’il oblige à placer dans deux catégories différentes les adjectifs léger et lourd (seul le second répondant au critère de cumulativité), alors qu’intuitivement, on les décrirait comme étant du même ordre. Bunt (1985) propose dès lors que pour être massif, un adjectif doive répondre à la fois au critère de cumulativité, et à celui de divisibilité, c’est-à-dire référer de manière homogène – ce qui permet toujours de mettre rouge du côté des massifs, et sphérique ainsi que tant lourd que léger du côté des comptables. Bunt (1985: 203) justifie la pertinence de cette proposition par ce qu’il appelle le « principe de combinaison homogène » (voir aussi Kleiber 1989: 270-271) : que seuls les adjectifs massifs peuvent modifier de manière restrictive les noms massifs (cf. le caractère malformé de *du sable lourd ; la modification d’un nom massif par un adjectif comptable serait possible uniquement en cas de modification collective, générique, ou discrète). Kleiber (1989), quant à lui, qui présente d’abord les propositions de Quine puis de Bunt, plaide contre l’extension de la distinction massif-comptable aux adjectifs. Pour cela, différents arguments sont évoqués, tournant essentiellement autour de l’application des tests de référence homogène : en réalité, ceux-ci ne s’appliquent jamais directement aux adjectifs, mais ne peuvent s’utiliser que par le biais d’un référent nominal – ce qui empêche que l’on appelle homogène la référence de quelque adjectif en lui-même. Dans la foulée, le principe de combinaison homogène de Bunt est réfuté, et remplacé par un « principe de structuration partitive », qui explique les mêmes données distributionnelles en opérant non pas une distinction entre deux types d’adjectifs, mais en imposant sur toute combinaison « adjectif + nom massif » une condition de « structure individuante ». Ainsi, la question du statut massif-comptable des adjectifs est une question débattue, mais néanmoins tranchée par Kleiber (1989) en défaveur d’une extension de l’opposition au domaine adjectival – une position qui, à notre connaissance, n’a pas été réfutée explicitement depuis. Du reste, ou peut-être pour cette raison, la question ne semble plus avoir tracassé les linguistes ces dernières années.

L’opposition massif-comptable et les verbes

Les outils de description sémantique du massif-comptable ont également été appliqués à l’aspect verbal. Ainsi, comme le signale et le discute Khallouqi (2003), l’appareil analytique sémantique de Link (1983), en termes de treillis, appliqué d’abord aux individus, a été récupéré par exemple par Bach (1986) et Krifka (1998), pour la modélisation de la sémantique des événements. Plus précisément, un parallèle est souvent tracé entre la notion aspectuelle de télicité, et la sémantique du massif-comptable (Mourelatos 1978, Borillo 1989, Krifka 1989, Alexiadou 2011 ; voir aussi Franckel et al. 1989 dans un cadre plus culiolien) – les prédicats téliques étant dit apparentés au comptable, les atéliques au massif. Ces derniers semblent en effet référer, d’une certaine façon, de manière homogène : sans entrer dans les subtilités de l’application des tests, si un prédicat atélique est vrai d’un intervalle de temps donné, alors il est également vrai de toute partie méréologique de cet intervalle (cf. divisibilité), de même que s’il est vrai de deux intervalles donnés, alors il sera vrai également de leur somme (cf. cumulativité). Ainsi, les états et les activités « s’inscrivent dans une durée homogène » (Récanati & Récanati 1999: 171). En revanche, parce qu’un prédicat télique implique quant à lui un but, intrinsèque à son sémantisme, ces mêmes tests ne s’appliquent pas : les accomplissements et les achèvements dénotent ainsi « des transitions, c’est-à-dire des changements d’état introduisant une discontinuité, une rupture » (Récanati & Récanati 1999: 171). Cette application commune des traits [±homogène] au domaine nominal et verbal a été examinée en détail par Asnès (2004), qui entend identifier par ce biais les similarités entre quantification et flexion.

Pour finir, concernant le domaine nominal en lui-même, le parallèle entre (a)télicité et référence homogène-hétérogène s’est surtout avéré utile pour discuter le statut massif ou comptable des noms déverbaux. L’observation centrale est ainsi que les noms désignant des états et des activités – atéliques – seraient massifs (de l’amour, du désordre ; de la marche, du travail), tandis que ceux nommant des accomplissements et achèvements – téliques – seraient comptables (la préparation d’un examen, *de la préparation d’un examen ; une apparition, une trouvaille). (Voir Nicolas 2002a pour un examen critique.) En anglais (voir Englehardt 2000 et Borer 2005, i.a.), ceci permet de prédire que les nominalisations en –ing, qui forment des noms à usage massif, ne soient possibles qu’avec les prédicats atéliques, en particulier les activités (the sinking of the ship ‘le naufrage du bateau’ vs. *the arriving of the train ‘l’arrivée du train’, cf. Alexiadou 2011).

 


2. Références bibliographiques importantes


2.1. En linguistique française:

David, J. & Kleiber, G. (eds.). 1989. Termes massifs et termes comptables Klincksieck, Paris. (Recherches Linguistiques 13)

Nicolas, D. 2002a. La distinction entre noms massifs et noms comptables : aspects linguistiques et conceptuels. Leuven, Peeters.

Kleiber, G. (éd.). 2014. Les noms à la croisée du massif et du comptable [Langue française 183].

Vermote, T. 2014. L’opposition massif-comptable: sens et représentation. Etudes de corpus, enquêtes d’acceptabilité et expérience d’amorçage en français et en néerlandais. Université de Gand, thèse de doctorat, ms.

Ces auteurs ont aussi consacré de nombreux articles à la problématique (voir bibliographie). C’est notamment le cas de Georges Kleiber. L’on signalera ici aussi les articles de Galmiche (1986, 1987, 1989), qui sont souvent cités. Enfin, il faut mentionner la synthèse de Flaux & Van de Velde (2000), qui n’est pas consacrée explicitement à l’opposition massif-comptable, mais dans laquelle celle-ci apparait comme une dimension transversale qui est examinée pour toutes les classes de noms.

2.2. En linguistique générale

Pelletier, F.J., 1975, « Non-Singular Reference : Some Preliminaries ». Philosophia 5/4. 451-465. [réimprimé dans Pelletier, F.J., (ed.), 1979, Mass-Terms : some Philosophical Problems, Dordrecht, Reidel, p. 1-14. [Le recueil de 1979 contient aussi une bibliographie.]

Pelletier, F.J. & Schubert, L.K. 1989. "Mass Expressions". In Gabbay, D. & Guenthner, F. (eds), Handbook of Philosophical Logic, Vol. 4. Dordrecht: Reidel, p. 327-407. [version enrichie parue en 2003 dans la deuxième édition de cet ouvrage de référence, vol. 10, pp.. 265-350]

Pelletier est revenu à plusieurs reprises sur la problématique (même tout récemment : Pelletier 2012 ; Kiss et al. 2014).

Allan, K. 1980. "Nouns and Countability". Language 56. 541-567.

Article souvent cité; vue graduelle de la notion de [+ comptable] ; sur l’anglais.

Wierzbicka, A. 1988. “Oats and wheat: mass nouns, iconicity, and human Categorization”. In: The Semantics of Grammar, 499-560.

Borer, H. 2005. “Some stuff: On the Count-Mass Distinction” [= chapitre 4]. In: Structuring sense I: In name only, vol. 1, Oxford, Oxford University Press, p. 86-135.

Référence-clé dans le débat sur la localisation de l’opposition massif-comptable. Adhère à une position grammaticale extrême.

Chierchia, G. 2010. "Mass nouns, vagueness and semantic variation". Synthese 174. 99-149.

Référence-clé pour la réflexion typologique à propos des stratégies mises en œuvre par les langues du monde face à l’opposition massif / comptable.

Barner, D. & Snedeker, J. 2005. "Quantity judgments and individuation: evidence that mass nouns count". Cognition 97. 41-66.

Massam, D. (éd. 2012). Count and Mass Across Languages. Oxford, University Press.

Offre (pour la première fois) un regard typologique sur l’opposition massif-comptable.

Kulkarni,R., Rothstein,S. & Treves, A. 2013. "A Statistical Investigation into the Cross-Linguistic Distribution of Mass and Count Nouns: Morphosyntactic and Semantic Perspectives". Biolinguistics 7. 132-168.

Étude comparative de la distribution de l’opposition massif-comptable sur le lexique de 6 langues différentes. Soutient l’hypothèse de la non-motivation de l’opposition.

 


3. Analyses descriptives.



3.1. Vue d'ensemble

Nous disposons à ce jour de deux descriptions « globales » de l’application de l’opposition massif-comptable au lexique français : Nicolas (2002a) et Vermote (2014b). Elles sont complémentaires dans la mesure où l’analyse de Nicolas ratisse plus large, engageant une réflexion critique (essentiellement sémantique) à la fois sur les noms concrets (« individus matériels »), les expressions nominales référant à des « situations » (activités, événements) et les noms abstraits « intensifs » (cf. Van de Velde 1995). L’étude de Vermote, quant à elle, se limite au domaine des noms concrets, mais travaille davantage en profondeur, offrant une analyse quantifiée systématique de trois champs sémantiques (fruits et légumes ; matériaux ; boissons) faisant apparaitre des différences « inter-items » à l’égard de l’opposition massif-comptable, basées sur leur fréquence d’emploi en corpus et leur taux d’acceptabilité. Dans ces deux travaux, l’on trouvera de nombreux renvois à des études descriptives ‘sectorielles’ que le format de la présente notice ne nous permet pas de traiter en détail. Si l’on essaye d’en dresser un bilan, on peut dire que les études descriptives « sectorielles » ont abouti à deux types de résultats (qui se recoupent en partie).

(i) des profils du comportement morphosyntaxique et de la sémantique de toute une classe sémantique de lexèmes (souvent établis à partir de quelques exemples phares de la classe) et, plus rarement, des profils de (groupes de) lexèmes au sein de ces classes (cf. Kleiber 1999 pour les animaux et la viande qu’on en tire) ;

(ii) une attention toute particulière a été accordée à des schémas de correspondance réguliers entre les sens associés aux emplois massif et comptable de lexèmes (ou des lexèmes types) « flexibles » au sein de ces classes (ce qu’on appelle communément des « transferts » ou conversions).

Comme l’opposition massif-comptable traverse la plupart des classes nominales, les études de type (i) ont souvent été menées dans le cadre d’études consacrées à la typologie nominale : les noms collectifs (Flaux 1999 ; Lammert 2010 ; 2014 ; Mihatsch 2007), les noms abstraits (Van de Velde 1995 ; Beauseroy 2009 ; Nicolas 2010 ; Kleiber 2014d, a), les noms propres (Kleiber 1992), voire même des classes de noms plus spécifiques telles que les noms météorologiques (Paykin 2003), les noms de maladie (Boone 1989, 1998), les noms de lieux (Borillo 1989), ou les noms de couleurs (e.a. Kleiber 2010) et d’odeurs (Kleiber 2011a).


3.2. Transferts.

Mais c’est surtout le phénomène des transferts (ii) qui a mené à une profusion d’études dans lesquelles la problématique du massif et du comptable est au centre de l’intérêt (basées sur l’introspection ou la récolte d’exemples littéraires/oraux) et qui recoupent en partie les secteurs du lexique mentionnés ci-dessus. En ressort la typologie suivante :

Comptable → Massif
• Arbre → bois
• Animal → viande (ou une quelconque « partie utile », comme p.ex. la fourrure : du vison)
• Fruit/légume → substance comestible
• Végétal → essence ou liqueur dérivée de ce végétal, p.ex. de la lavande, de la mirabelle
• Objet → activité liée à cet objet, p.ex. faire du vélo

Massif → Comptable
• Boissons → portion conventionnelle, p.ex. du coca → un coca
• Matériaux → objets (à l’origine ?) fabriqués en ce matériau : p.ex. fer → un fer (à cheval)
• Sentiment → occurrences liées à l’objet du sentiment en question : p.ex. avoir des haines tenaces
• Propriété → acte, geste, parole de X, témoignant de X, p.ex de la méchanceté → des méchancetés

Ces schémas sont loin de capter tous les transferts possibles. Certains d’entre eux, tels que le multiplicateur universel de Galmiche (1987, 1989) ne se laissent pas enfermer dans un champ lexical spécifique (cf. infra) :

• Référent individualisé (humain, animal, objet) → ensemble diffus d’individus : 

Dans cette forêt, on chasse du sanglier.
Cette année, grand-mère a planté de la rose et de la tomate dans son jardin.
Ce libraire est très spécialisé, il ne vend que du livre d’art et du roman policier.

Citons encore les exemples suivants, qui montrent que le phénomène des emplois massifs occasionnels est très difficile à circonscrire :

Laisse-moi donc un peu d’oreiller.
J’ai posé beaucoup de plancher aujourd’hui.

Les mécanismes de transfert se sont vu figurés de façon imagée en termes de machines métaphoriques : le Broyeur Universel, le Multiplicateur Universel ou le Broyeur Qualitatif pour les transferts du comptable au massif, le Trieur Universel et le Conditionneur Universel pour ceux du massif au comptable. Nous les explorons tour à tour dans ce qui suit, tout en montrant leur intérêt et leurs limites.

Du comptable au massif

Le broyeur universel

La manie du machinisme remonte à Pelletier (1975), qui lance le terme de Universal Grinder ‘Broyeur Universel’, qui sera ensuite maintes fois récupéré. Notons que pour Pelletier, le Broyeur est bel et bien une machine littérale (fût-elle imaginaire), capable de broyer n’importe quel objet (dans le sens trivial, matérialiste de la notion) jusqu’à une masse homogène. Il propose de l’inventer pour justifier que n’importe quel référent, désigné habituellement par un nom en syntagme comptable, une fois physiquement broyé, pourra être désigné par ce même nom en syntaxe massive. Ainsi, après son passage entre les lames de la machine infernale, un chapeau deviendrait du chapeau, un livre ne serait plus que du livre, etc. Pour Pelletier, cet exercice d’imagination permet précisément de démontrer que n’importe quel nom est en réalité flexible et que situer l’opposition massif-comptable au niveau du lexique n’est donc pas pertinent. Par la suite, la proposition de Pelletier s’est vu maintes fois critiquée. Ainsi, Galmiche (1989) identifie plusieurs groupes de référents résistant au traitement par le broyage littéral : les noms de mesure (kilo, centimètre), les noms de divisions (classement, paragraphe) et les noms d’événements ponctuels (chute, éclair, clin d’œil). L’on imagine en effet mal comment un centimètre ou un clin d’œil pourraient être soumis à un déchiquetage physique systématique. Yi (2012) formule des critiques similaires, et signale encore comme candidats problématiques au broyage des noms comme trou, vallée, rivière, galet, rocher ou encore goutte d’eau, goutte d’huile et glaçon. Enfin, l’application du broyeur donne lieu à des emplois recherchés qui ne pourraient nullement passer pour des désignations naturelles de la chose en question. Galmiche (1989) observe ainsi qu’un livre broyé, ce serait plutôt du papier que du livre, de même que d’une statue broyée, il ne resterait non pas de la statue, mais bien de la pierre, voire de la caillasse.

L’appellation de « Broyeur Universel » a néanmoins été récupérée précisément dans le contexte d’une approche lexicaliste de l’opposition massif-comptable, pour nommer, de manière plus générale, le dispositif sémantique de transfert du comptable vers le massif, lorsqu’un référent autrement comptable est présenté conceptuellement de manière homogène, c’est-à-dire sous forme d’une substance de quelque nature, dérivée du référent habituel de l’usage comptable. Pour certains auteurs (comme Landman 2011, qui parle d’une opération sémantique de « fission », ou pour Kleiber 1999), ce Broyeur est limité aux emplois réellement créatifs.Pour d’autres, comme par exemple Nunberg & Zaenen (1992), l’appellation de broyage métaphorique s’applique aussi plus largement aux cas où, pour une raison ou pour une autre, un référent comptable devient homogène, sans nécessairement qu’un moulinage particulièrement fin doive être impliqué :

Cette préparation contient du concombre.
Je porte du lapin, car ça fait chic (= de la fourrure de lapin).

Le multiplicateur universel

L’opération sémantique de broyage, même dans cette interprétation large, ne couvre cependant pas encore toutes les possibilités interprétatives de l’emploi massif d’un nom autrement comptable, comme le montrent les exemples suivants, inspirés de Galmiche (1989) :

Cet été, il va y avoir du touriste à Namur.
Il y a de la voiture à perte de vue dans le parking.
Ces skieurs ivres surestiment leurs propres aptitudes : il va y avoir de la chute !
Les investisseurs se sont échangés de la poignée de main tout au long du cocktail.

Dans ces différents cas, l’intégrité physique des référents évoqués n’est nullement mise en péril : les touristes qui arpenteront cet été la Rue de Fer et la Place de l’Ange seront bien en un seul morceau, de même qu’on peut difficilement imaginer que des chutes ou des poignées de main se retrouvent littéralement broyées, de quelque façon que ce soit. Dès lors, pour ces types d’exemples, Galmiche (1989) propose d’introduire, pour le français, le « Multiplicateur Universel » (cf. aussi Cohen & Zribi-Hertz 2012 pour des exemples attestés relevant du français familier). Dans le cas du Multiplicateur, l’homogénéité conceptuelle supposée par l’emploi massif passe par le reniement de l’individu suite non pas à sa destruction, mais à sa sommation indéfinie. Notons par ailleurs que le Multiplicateur ne semble pas aussi « universel » que le Broyeur – comme le montre la comparaison des langues (cf. Lauwers & Vermote 2014) – et que chaque langue présente des contraintes lexicales spécifiques (Nicolas 2002b: 7, Lauwers & Vermote 2014).

Le broyeur qualitatif

Les exemples ci-après illustrent quant à eux un troisième et dernier mécanisme de passage du comptable vers le massif, également propre au français familier, lorsqu’une évaluation qualitative est opérée :

Ça, c’est de la bagnole !
Ça, c’est pas de la baraque de prolos !
Ce nouveau film, c’est de la bombe !

Là encore, il s’agit d’un mécanisme disponible en français, qui est tout sauf universel, comme le montre déjà son absence en néerlandais (Lauwers & Vermote 2014). Desagulier (2012) l’analyse en termes d’une fonction de conversion qualitative – et non quantitative (comme c’est le cas pour les transferts généralement étudiés) – identifiant par la syntaxe massive un sujet avec « l’archétype de la catégorie dénotée par le prédicat nominal ». Ce mécanisme a été appelé parfois « Broyeur Qualitatif », par analogie avec le Broyeur (Quantitatif) évoqué ci-avant (par Kleiber notamment). Notons que si les constructions du type Ce N, c’est du N et, plus encore, Ca, c’est du N permettent bel et bien, le cas échéant, d’employer en syntaxe massive des noms habituellement utilisés comme comptables, elles ne sont pas limitées à ces candidats-là :

Ça, c’est du mobilier de qualité !
Ça, c’est du beurre de ferme !

L’on notera ici l’importance des ‘constructions’, qui montre tout l’intérêt d’un traitement de la question dans le cadre d’une Grammaire des Constructions.

Du massif au comptable

Le trieur universel (et le trieur contextuel)

Le machinisme, auquel nous devons déjà le Broyeur et le Multiplicateur Universels, s’est vu tout aussi productif dans la littérature pour expliciter les effets de sens liés à l’usage comptable d’un nom autrement massif. Considérons d’abord les exemples suivants :

Je ne bois que deux eaux : la Vittel et la Spa.
Ce marchand ne vend que des beurres d’origine française.
Nous vendons différents terreaux naturels et enrichis.
L’on trouve sur cette plage un sable très fin.
Paul entrouvrit la lucarne, et aussitôt un air irrespirable remplit la pièce.

Les emplois de ce type se sont vu désignés comme l’œuvre d’un « Trieur Universel » (Universal Sorter, Bunt 1985: 11) : une machine sémantique fournissant, sur la base d’un référent massif, un référent individualisé en vertu d’une division en ‘sortes’. C’est ce que d’autres ont appelé « l’interprétation taxinomique » (Kleiber 2011b) ou encore la kind reading ‘lecture en types’ (De Belder 2011). Il s’agit d’un mécanisme qu’on retrouve dans un grand nombre de langues (voire même toutes ?), même si le néerlandais, par exemple, y est moins propice (Lauwers & Vermote 2014). Si l’on creuse un peu, l’on verra encore que le mécanisme de triage peut être sous-tendu par deux réalités : soit une distinction encyclopédique (c’est-à-dire objective, ou intersubjective), soit une distinction contextuelle, liée à la situation énonciative. Dans le premier cas, l’application du Trieur aboutit à des SN équivalents du point de vue référentiel à la paraphrase avec sorte(s) de :

Je ne bois que deux sortes d’eau(x) : la Vittel et la Spa.
Nous vendons différentes sortes de terreaux, naturels et enrichis.

D’autre part, le triage peut également avoir pour base une individualisation contextuelle, liée à la situation d’énonciation. Dans ce cas, la paraphrase avec sorte(s) de n’est pas toujours satisfaisante, et le nom nécessite un modificateur, responsable de la différenciation qualitative en contexte :

*L’on trouve sur cette plage un sable.(vs. un sable fin)

L’usage « contextuel » du Trieur s’explique facilement dans le cadre d’une approche occurrentielle de l’opposition massif-comptable (Kleiber 2011b), comme nous l’avons exposée sous 1.1.2. : ce serait l’individualisation linguistique forcée (par l’ajout d’un modificateur) de l’occurrence unique d’un référent massif, dans une situation donnée. Conserver la syntaxe massive dans pareil contexte n’est du reste pas agrammatical :

L’on trouve sur cette plage du sable très fin.

Cependant, il y a une nuance : dans l’exemple avec le partitif, il s’agit d’une partie, éventuellement mais pas nécessairement maximale, du sable de la plage qui serait très fin, tandis qu’avec le déterminant comptable indéfini singulier, seule l’interprétation totale est considérée (L’on trouve sur cette plage un sable très fin ~ Le sable de cette plage est très fin).

Le trieur contextuel ou conditionneur qualitatif

C’est ce même mécanisme de Trieur contextuel que l’on retrouve dans les énoncés impliquant des noms de propriétés, comme dans les exemples suivants que nous empruntons à Kleiber (2014c).

Marie a une patience d’ange.
Paul éprouve une tristesse douce et mélancolique.

Ici, l’alternance avec le partitif n’est pas possible, car la propriété – au travers de la nominalisation – est qualifiée dans son ensemble, sans qu’une qualification partielle soit envisageable (contrairement à notre exemple du sable sur cette plage, dont seule une partie pourrait être très fin). De même, tout emploi autre qu’avec l’article indéfini singulier est exclu (*Marie a deux patiences d’ange), car la modification du nom de propriété (d’ange) dépend autant de l’occurrence support (Marie) que la propriété elle-même (la patience) – rendant l’occurrence de l’ensemble (patience d’ange) obligatoirement unique. Kleiber (2014c), à qui l’on doit cette analyse, parle en la matière de « Conditionneur Qualitatif », par analogie avec le conditionneur quantitatif que nous évoquerons ci-après. Comme ce mécanisme opère en fait une délimitation occurrentielle (= conditionnement) basée sur une distinction qualitative, on pourrait tout aussi bien le prendre par l’autre bout et l’appeler « trieur contextuel » (Vermote 2014b). L’exemple suivant, tiré de Kupferman (2000), est d’ailleurs présenté par Kleiber (2014c) comme exemple parallèle dans le domaine des concrets :

Le lac avait ce jour-là une eau plutôt verdâtre.

Signalons, enfin, que ce traitement occurrentiel expliquerait aussi les restrictions qui pèsent sur le Trieur (y compris contextuel), qui ne s’applique aisément qu’aux noms fondamentalement massifs (Kleiber 2011b: note 21) : si j’ai mangé deux bananes, trois pommes et une orange, peut-on dire que j’ai mangé trois fruits ? Le Trieur est un mécanisme qui récupère les limites occurrentielles contextuelles d’un référent pour en faire, provisoirement, des limites codées par la syntaxe (comptable). Or seuls les référents massifs ont des limites uniquement contextuelles, et non intrinsèques.

Le conditionneur universel

Le Trieur Universel ne couvre pas encore, cependant, l’ensemble des emplois comptables des noms supposés fondamentalement massifs :

Je prendrai deux bières et un coca.
Tante Isabelle nous a offert des chocolats.
Faute de ceinture, Pierre a attaché son pantalon avec une corde.
J’ai noté son nom sur un papier.

Pour expliquer ces emplois, une seconde machine a été identifiée : le conditionneur universel (Galmiche 1989) ou Universal Packer (Bunt 1985), Universal Packager (Jackendoff 1991). Il permet à un nom supposé massif d’être utilisé en syntaxe comptable pour désigner soit une portion conventionnelle, soit un objet typique fait de la matière désignée par son référent habituel. L’on trouve aussi le terme de rule of portioning ‘règle de conditionnement’ dans Copestake & Briscoe (1995), ou l’appellation « fusion » dans Landman (2011), qu’il décrit comme une opération sémantique d’ajout d’un classificateur nul (une bière sous-entend ~un verre de bière). De Belder (2011) parle, quant à elle, de la unit reading ‘lecture en unités’ d’un nom.

Le domaine des noms de boissons, illustré ci-dessus, est le plus célèbre terrain d’application de ce mécanisme, du moins en français et en anglais. Le domaine culinaire est également représenté, avec des noms comme chocolat, ou encore une pizza par rapport à de la pizza etc. (même si dans ce dernier cas, il est contre-intuitif de dire que l’emploi comptable serait dérivé du massif, qui n’est pas l’emploi le plus saillant ; cf. 3.1.). Enfin, on retrouve aussi des exemples à rapprocher du Conditionneur dans le domaine des noms de matériaux (une corde, un papier). Il importe de noter que, par rapport au Trieur, le Conditionneur (en français) se distingue en ce qu’il n’est pas réellement productif, mais se caractérise au contraire par une forte tendance à la conventionnalisation (*un béton vs une brique ; une bière, un petit (vin) blanc, mais pas *un vin pour désigner un verre ; un fer [à cheval], cf. Vermote 2014c, b).

Notons, pour conclure, que la liste des mécanismes n’est pas complète (cf. déjà la liste fournie ci-dessous, au début de ce paragraphe). Pour les noms abstraits, Bale & Barner (2009) mentionnent encore, en passant, deux autres mécanismes mettant en lien selon eux des noms supposés massifs et leur emploi comptable : l’individuation-by-cause ‘individualisation-en-termes-de-cause’ et l’individuation-by-instance ‘individualisation-en-termes-d-exemple’. Pour le premier cas, ils citent l’exemple de fear ‘peur, crainte’ auquel correspondrait le comptable fears, désignant les causes de la peur en question. L’on retrouve des analyses analogues chez Flaux & Van de Velde (2000: 91) et Beauseroy (2009) qui soulignent la multiplicité des objets du sentiment en question (haines, affections, peurs, etc.). Pour le second cas, Bale & Barner (2009) donnent les exemples de thoughts ‘pensées’ à partir du massif thought ‘pensée’, ou encore de judgments ‘jugements’ à partir du massif judgment ‘jugement’. L’on peut mettre ces emplois en parallèle avec les « [acte(s) / geste(s) / parole(s)] de X, ou témoignant de X », X désignant e.a. une propriété ou un sentiment (des bêtises, des colères, etc.) correspondant au pendant massif (Beauseroy 2009).

Comme nous venons de le voir, les mécanismes de transfert posent des problèmes liés à leur champ d’application, qui s’avère plus restreint que ne le laisse supposer le qualificatif « universel » qui leur est sans doute trop librement accordé. En plus, le concept même de « transfert » pose des problèmes théoriques intéressants concernant la localisation de l’opposition massif-comptable dans notre conceptualisation de la langue (M et C sont-ils des  caractéristiques lexicales ou grammaticales ? – cf. 3.2.3), ou encore concernant la nature des contrastes sémantiques qu’elles impliquent (est-ce de la polysémie (Kleiber 1999) ou s’agit-il plutôt de facettes (d’après la définition de Croft & Cruse 2004), c’est-à-dire de nuances qui peuvent se superposer (p.ex. un livre = ‘tome’ et ‘texte’ ; j’ai déchiré le livre vs. j’ai résumé le livre) ?). En outre, si ces schémas de correspondance, avec des applications plus ou moins conventionnalisées selon le cas, sont généralement acceptées, ils donnent parfois lieu à des paradoxes : est-ce qu’une brique – beaucoup moins fréquent que le massif de la brique (Vermote 2014c) – serait vraiment un emploi « dérivé » du nom qui désigne la matière ? Et de la tarte (ou, mutatis mutandis, de la pizza) est-ce une portion prélevée d’une tarte, l’emploi comptable étant l’emploi de base, ou est-ce qu’une tarte est la portion standardisée de la substance tarte ? Et qu’en est-il de couscous ? On voit ici les limites d’une vision stricte en termes de « transferts directionnels universels » : en l’occurrence, les linguistes ne sont pas encore sortis de l’auberge.

Jusqu’ici, il n’a été question que d’études relatives au français contemporain. Pour finir, il reste à dire un mot des études historiques. À notre connaissance, il ne semble pas que l’opposition massif-comptable ait déjà fait l’objet de recherches diachroniques spécifiques. Toutefois, l’opposition comptable/massif n’est pas absente des nombreux travaux diachroniques qui ont examiné l’histoire des déterminants indéfinis, notamment l’émergence de l’article partitif (résultat de la grammaticalisation de la préposition; Carlier 2007) et des formes un (Carlier 2001) et uns (Carlier & Goyens 1998 ; Carlier 2013) – la dernière étant étroitement liée aux pluriels lexicaux (massifs/internes) –, ou encore, les emplois des noms sans article (détermination zéro) en syntaxe libre (Valli 2003). Enfin, les noms massifs de collections jouent également un rôle de premier plan dans le développement de concepts hypéronymiques (Mihatsch 2006).


3.3. Les « grandes » questions de recherche: résultats et modélisations

Dans ce qui suit, nous allons présenter les principales pierres d’achoppement en les articulant autour de trois problématiques centrales:

(1) le lien entre l’opposition linguistique massif-comptable et la réalité ;
(2) la façon dont on a formalisé le corrélat sémantique de l’opposition morphosyntaxique massif-comptable ;
(3) la question de la localisation de l’opposition : lexicale ou grammaticale ?

3.3.1. Première question : quel est le lien entre l’opposition massif-comptable, et la réalité ?

Une première question qui a été posée est celle du lien qu’entretiennent le massif et le comptable, avec d’éventuelles propriétés réelles, ontologiques. L’assignation du massif et du comptable est-elle arbitraire ? C’est la question qui est posée explicitement dans Nicolas (2002a: chapitre 2), qui rappelle les différentes positions sur le sujet. Ainsi, si l’on considère des exemples prototypiques de noms massifs et de noms comptables, tels que eau, sable et or d’une part, et arbre, chat et table de l’autre (nous reprenons ici les exemples de Nicolas 2002a lui-même), l’on ne peut qu’observer que les référents des premiers dénotent des substances que l’on pourrait dire ‘homogènes’, tandis que les seconds ont des référents ‘hétérogènes’ (cf. 1.1.2.). L’on pourrait dès lors supposer que c’est précisément cette distinction ontologique, entre substances homogènes et individus hétérogènes, qui est codée par l’opposition massif-comptable. Or, pareille vision ‘objectiviste extrême’ doit bien vite être abandonnée. A ce sujet, au moins quatre arguments sont avancés systématiquement, parfois seuls, parfois ensemble (cf. Palmer 1971, Mufwene 1984, Gillon 1999, Nicolas 2002a, Joosten 2003):

1) Une même réalité peut être exprimée au travers de la syntaxe massive dans une langue, et comptable dans une autre. C’est le cas célèbre de cheveux, comptable en français, contre hair et haar, massifs en anglais et en néerlandais, de même que la fameuse opposition meuble(s), comptable en français, contre furniture, massif sans contrepartie comptable en anglais ;

2) Au sein d’une même langue, une même réalité peut être dénotée par diverses expressions, dont l’une pourra être massive et l’autre comptable (meubles contre mobilier ; feuilles contre feuillage) ;

3) Alors que les propriétés ontologiques sont supposées stables, certains noms s’utilisent aussi facilement en syntaxe massive qu’en syntaxe comptable (une corde/de la corde, un concombre/du concombre, des chocolats/du chocolat) ;

4) Certains noms à usage habituellement massif dénotent des référents qui sont très clairement non pas des substances homogènes, mais des individus hétérogènes (du mobilier, de la marmaille, de la pharmacie, de la faune, de la marchandise, etc.).

Le fait que les exemples du quatrième point répondent généralement à un terme comptable synonymique (mobilier-meubles, marmaille-enfants, pharmacie-médicaments) nous met sur la voie d’une version modérée de la position ‘objectiviste’ : la syntaxe massive et comptable ne correspond pas directement à une opposition ontologique, mais plutôt à une manière de ‘conceptualiser’ des référents. L’idée derrière cette position est que ce n’est pas le monde réel et ses propriétés qui nourrissent la sémantique, mais bien notre perception et interprétation de ceux-ci – qui impliquent bien souvent une certaine ‘réorganisation du monde’, dans les termes de Martin (1989: 40). Ainsi, l’homogénéité intrinsèque de référents massifs prototypiques, tels que boue, eau ou fer, servirait de modèle pour un schéma cognitif appliqué à son tour à des référents hétérogènes, mais présentés néanmoins de manière homogène au travers de la langue. Pour Whorf (1956), les noms comptables (qu’il appelle ‘individuels’) dénotent des corps que l’on conçoit linguistiquement comme ayant des limites définies, tandis que les noms massifs dénotent des continuums sans limites intrinsèques (cf. 1.1.2.). C’est là la position largement récupérée par la tradition linguistique cognitiviste (Langacker 1987, Taylor 2002). De manière comparable, certains ont exprimé cette idée en termes d’individualisation et de non-individualisation, la conceptualisation exempte d’individus étant alors donnée comme définitoire pour le massif (Quine 1960, Wierzbicka 1988, Wisniewski et al. 1996). Dès lors que la réalité n’est plus le point d’ancrage, mais bien une certaine vision de celle-ci, on peut parler d’une position objectiviste « modérée », qui pour certains (p.ex. Nicolas 2002a: 28-29) n’est toujours pas conciliable avec l’existence de noms à usage massif dénotant des collections d’objets, tels que mobilier. Du coup se pose la question subsidiaire de la motivation : l’application de la syntaxe massive ou comptable à un certain référent est-elle motivée, voire prédictible ou, au contraire, totalement arbitraire ?

Certains chercheurs ont plaidé pour un arbitraire total, dans la tradition bloomfieldienne (voir Bloomfield 1933). Ainsi, si Whorf (1956) donne une définition précise de ce que représente, pour lui, le sens du massif et du comptable (cf. supra), il s’empresse d’ajouter que cette distinction est appliquée de manière largement aléatoire aux items du lexique car, dit-il :

Rather few natural occurrences present themselves as unbounded extents; ‘air’ of course, and often ‘water, rain, snow, sand, rock, dirt, grass’. We do not encounter ‘butter, meat, cloth, iron, glass’, or most ‘materials’ in such kind of manifestation, but in bodies small or large with definite outlines. The distinction is somewhat forced upon our description of events by an unavoidable pattern of language. (Whorf 1956: 141)

‘Relativement peu d’occurrences naturelles se présentent comme des étendues non limitées ; ‘air’, bien entendu, et bien souvent ‘eau, pluie, neige, sable, pierre, boue, herbe’. Nous ne rencontrons pas [cependant] ‘beurre, viande, tissu, fer, verre’ ni la plupart des ‘matériaux’ dans pareilles manifestations, mais bien sous forme de corps petits ou grands, aux contours définis. La distinction est quelque peu imposée à notre description des événements, par un schéma linguistique inévitable.’ (notre traduction)

Dans le même ordre d’idée, Gleason (1969: 224) observe que toute une famille de noms désignant en anglais des types de pantalons (pants, shorts, slacks, etc.) sont pluriels, mais se refuse à expliquer ce schéma par quelque « semantic justification», étant donné que pour lui ces noms dénotent des entités simples, tout comme une veste, par exemple. On trouve des thèses analogues chez Palmer (1971), Ware (1979) et, bien plus récemment, Pelletier (2012: 26).

Il semble cependant que la distinction massif-comptable s’accommode mal d’une position théorique aussi extrême. On en prendra pour preuve que l’on peut bel et bien faire certaines généralisations ontologiques limitées concernant l’expression par le massif ou le comptable de certains référents. Par exemple, tous les noms désignant des matériaux ou des liquides sont à usage massif : de la terre, du bois, du béton ; de l’eau, du jus, de l’huile (voir aussi Nicolas 2002a: note 33). En outre, dans une perspective plus globale, l’étude récente de langues présentant non pas deux classes de noms, mais trois (gallois), voire quatre (dagaare, cf. Grimm 2012b), a permis l’identification de plusieurs classes de « choses » que l’on peut reporter sur une « échelle d’individualisation », une échelle qui est respectée par l’organisation morphosyntaxique (en termes de massif-comptable) dans chacune des langues examinées (voir Clausen et al. 2010). D’ailleurs, malgré l’exception notable des noms de collections ‒ dont on ne saurait cependant surestimer le poids : 0,30% du lexique pour l’anglais (Kiss et al. 2014) ‒, l’association (intuitive) entre syntaxe comptable et individus d’une part, et syntaxe massive et substance d’autre part dans les langues à deux catégories (massif et comptable), n’est pas sans fondement. En plus, malgré de claires différences inter-linguistiques, tout récemment mises en évidence par Kulkarni et al. (2013), il existe aussi entre les langues des similarités indéniables quant au statut massif ou comptable d’équivalents de traduction. Ainsi, les généralisations ontologiques limitées mentionnées ci-avant s’appliquent-elles aussi au néerlandais ou à l’anglais. Plus largement, l’on observe que les langues qui possèdent une opposition entre massif et comptable s’accordent généralement sur les prototypes de chacune des catégories, comme le rappelle Landman (2011: 3) et, plus récemment encore, le noyau de noms comptables qui sont à 100 pour cent comptables dans les 6 langues examinées par Kulkarni et al. (2013).

La position ‘arbitraire’ connait son extrême inverse en l’ouvrage de Wierzbicka (1988), qui se pose en fervente opposante de la thèse de Bloomfield. Elle critique par exemple la position de Whorf (1956), en disant que sa conclusion, erronée selon elle, n’est qu’un avatar de sa propre définition : pour Wierzbicka, le trait définitoire du massif n’est pas l’absence de limites intrinsèques, comme le prétend Whorf (effectivement, toute occurrence réelle d’une substance sera toujours limitée, au moins dans l’espace, voir aussi Kleiber 2011b), mais l’absence – pour une raison ou une autre – d’individus « clairement perceptibles » au niveau des entités dénotées. Elle étoffe son approche d’une analyse hautement raffinée du lexique de l’anglais, dans lequel elle distingue 14 classes formelles (définies donc sur la base de propriétés morphosyntaxiques), toutes associées – de manière totalement motivée, selon elle – à une certaine « signification de classe » (class meaning) (Wierzbicka 1988: 555-560).

Or, tout attrayante que soit l’idée d’une justification sémantique systématique et totale de toute distinction linguistique formelle, la position de Wierzbicka (1988), en étant aussi extrême que celle qu’elle contredit, présente également le flanc à la critique. Force est de constater que les descriptions sémantiques proposées sont post-hoc, et n’ont pas de réel pouvoir de prédiction. Ainsi, les arguments avancés pour justifier le caractère strictement massif de bread ou hair, ou le caractère pluriel de chives tombent à l’eau aussitôt que l’on s’aperçoit qu’ils s’appliquent tout autant aux référents des équivalents français, pain, cheveux, et ciboulette, qui pourtant n’ont pas les mêmes propriétés morphosyntaxiques (pain étant flexible, cheveux comptable et ciboulette massif).

En définitive, dire que l’opposition massif-comptable n’est pas arbitraire ne signifie pas qu’elle doit être entièrement prévisible. Comme le rappelle Lakoff (1987), si la langue n’est ni totalement arbitraire, ni totalement prévisible, elle est généralement motivée. C’est ce que la ‘vision conceptualiste’, interprétée dans le cadre d’une sémantique référentielle (voir les travaux de Kleiber 1994, 1999), permet d’expliquer. Selon qu’un nom s’emploiera comme massif ou comme comptable, la manière dont nous concevrons son référent sera différente – une variation liée à divers facteurs de motivation (de nature ontologique, fonctionnelle, contextuelle). Notons que cette position conceptualiste connaît, bien sûr, ses propres détracteurs, comme Nicolas (2002a: 105), qui constate qu’elle est difficilement falsifiable à défaut d’« observations indépendantes ».

3.3.2. Question 2 : comment formaliser le corrélat sémantique de l’opposition morphosyntaxique massif-comptable ?

Pour définir l’opposition massif-comptable sur le plan sémantique, plusieurs dichotomies ont été proposées (cf. 1.2.), qui chacune posent des problèmes (voir aussi l’aperçu critique dans Nicolas 2002a, Vassiliadou 2014). Ces dichotomies sont également discutées (parfois de manière critique) dans les travaux en sémantique formelle, dont il sera question ici (voir aussi l’aperçu très clair et bien documenté dans Nicolas (2013), paru dans la Stanford Encyclopedia of Philosophy). Le but de ces analyses est de proposer un modèle formel de la dénotation nominale (sous forme de structure mathématique), souvent sur un fond de sémantique vériconditionnelle, visant essentiellement à expliquer les propriétés de quantification du massif et du comptable – y compris, pour ceux qui les acceptent, la cumulativité et la distributivité.

Pour ce qui est du comptable, comme le soulignent Barner & Snedeker (2005) ou Bale & Barner (2009) dans leurs typologies des modélisations, la situation est plutôt consensuelle : un SN comptable dénoterait un « ensemble d’individus » – une hypothèse qui remonte à Quine (1960). Ainsi, dans une perspective où la valeur sémantique d’un énoncé doit correspondre à ses conditions de vérité, l’on pourra affirmer avec raison Ceci est une pomme si l’objet désigné est un individu appartenant à l’ensemble dénoté par le nom pomme. Dans la terminologie mathématique (utilisée par Link 1983, puis abondamment récupérée), l’on dira que toute expression comptable dénote un « sup-demi-treillis avec des parties minimales » (join-semi-lattice with minimal parts) : un ensemble partiellement ordonné (en l’occurrence, par la relation d’inclusion) qui, pour tout sous-ensemble fini non vide, possède un supremum (join). L’on notera que cette vision du comptable, bien que présentée comme relativement consensuelle, implique déjà le présupposé théorique que les N dénotent des ensembles – qui ne font pas forcément l’unanimité, cf. les noms dénotent-ils, ou sont-ils des prédicats ? Puisque c’est néanmoins la vision ensembliste qui a dominé les approches formelles du sémantisme du massif-comptable, nous n’ouvrirons pas le débat ici.

D’autre part, pour ce qui est du massif, trois grandes positions se partagent le terrain théorique, selon que la dénotation massive est dite 1) dépourvue de parties minimales, 2) tantôt pourvue, tantôt dépourvue de parties minimales (sous-spécification), et 3) toujours pourvue de parties minimales. Notons par ailleurs que c’est la première de ces visions – celle du massif comme marqueur de la non-individualisation – que l’on pourrait rapprocher le plus de l’approche cognitiviste-conceptualiste de la question, centrée autour de la notion de « référence homogène ».

L’intuition de Quine (1960) que, contrairement à la dénotation comptable, la dénotation massive serait quant à elle exempte d’individus, est reprise par Link (1983), qui définit la dénotation de toute expression massive en termes d’un « sup-demi-treillis sans parties minimales ». De manière similaire, Roeper (1983) et Lønning (1987) proposent un modèle sémantique basé sur une algèbre de Boole (Boolean algebra, un treillis distributif borné et complémenté), permettant de traiter la quantification comptable et massive dans un même cadre – la première supposant l’existence d’individus, la seconde étant caractérisée par une absence d’individualisation (pas de parties minimales).

Avec Bunt (1985) et Gillon (1999), l’on s’éloigne un peu de cette distinction claire entre dénotations avec et sans individus. Ainsi, pour Bunt (1985), si les comptables dénotent des individus, les massifs, quant à eux, auront tantôt une dénotation avec, tantôt une dénotation sans individus – en fonction des propriétés ontologiques des référents concernés, telles que nous pouvons les observer par une « inspection du monde » (voir Bale & Barner 2009: 219-220). C’est ainsi que se distinguent, par exemple, les dénotations de noms tels qu’espace et mobilier. Cette variation au niveau de la dénotation du massif amène Gillon (1992, 1999) à la qualifier de non spécifiée (unspecified).

Cette vision sera à son tour récupérée par Barner et ses collègues (Barner & Snedeker 2005, 2006, Bale & Barner 2009), et étoffée par les résultats de diverses expériences, concernant entre autres les dual nouns comme stone ‘pierre’ ou rope ‘corde’, qui acceptent avec une égale facilité la syntaxe massive et comptable face à un référent donné. Comme le proposent Barner & Snedeker (2005), tout reviendrait à une seule et unique propriété grammaticale, « +individual », codée par la syntaxe comptable, et lexicalisée dans certains cas (en particulier dans le cas des noms massifs de collections comme furniture ‘mobilier’). Cette vision est formalisé par Bale & Barner (2009), qui présentent un modèle de la quantification massive et comptable en termes de racines nominales (nominal roots) individualisées ou non, et de deux fonctions grammaticales : une fonction comptable projetant les racines non individualisées sur des dénotations individualisées, et une fonction massive projetant une racine individualisée ou non sur une dénotation de même nature (identity function). Les diverses dénotations ainsi obtenues sont décrites sous formes d’ensembles et de demi-treillis, dans la tradition de Link et de sa terminologie.

Ensuite, nous trouvons encore une troisième alternative quant à la description de la dénotation massive : celle que non pas certains, mais bien tous les noms massifs dénoteraient des ensembles d’individus. Ainsi, pour Chierchia (1998), tant les noms massifs que comptables dénotent des sup-demi-treillis avec des parties minimales. En est prise pour preuve, entre autres, la propriété de référence cumulative (voir supra), qui est partagée par le massif et le pluriel. La différence entre les parties minimales du comptable et du massif est donnée en termes de stabilité : si dans le premier cas, elles sont stables et prédéfinies, dans le second elles sont « vagues » (cf. Chierchia 2010). Cette caractérisation du massif n’est cependant pas sans problèmes dans la mesure où elle ne permet pas d’expliquer réellement pourquoi le comptable peut être compté, mais pas le massif (cf. la critique de Landman 2011: 7-15). En outre, dire que des paires comptable-massif quasi synonymiques telles que meubles-mobilier ou, en anglais, carpets-carpeting ‘tapis’ ou curtains-drapery ‘rideaux’ ont la même dénotation n’explique pas encore certaines différences sémantiques que font ressortir des tests tels que la combinaison avec des prédicats réflexifs (Landman 2011).

Dans un cadre différent, Nicolas (2008) propose également de se concentrer, dans la description de la dénotation massive, sur le point commun entre cette dernière et le pluriel. Choisissant de s’éloigner de la traditionnelle logique des prédicats, il décrit la particularité du massif comme étant celle de pouvoir référer à « plusieurs choses en un » (several things at once), ce qu’il invite à définir dans le cadre de la « logique plurielle » (plural logic) que Schein (2006) ou Rayo (2006) ont utilisée pour la description de la dénotation plurielle.

Pour finir, mentionnons encore le modèle proposé par Landman (2011), dans le cadre d’une sémantique nominale nouvelle appelée Iceberg Semantics. Celui-ci conçoit la dénotation des noms comme des « ensembles générés » (generated sets), par des générateurs qui soit se chevauchent (overlapping generators, massif, donnant lieu tantôt à des mess mass nouns, les noms de substance, tantôt à des neat mass nouns, nos noms massifs de collections), soit ne se chevauchent pas (non-overlapping generators, comptable).

3.3.3. Question 3 : Où situer l’opposition massif-comptable dans le système linguistique ?

Dans ce qui précède, il a déjà été question de la versatilité de certains noms à l’égard de l’opposition massif-comptable, ce qui a mené à une remise en cause de la nature lexicale de l’opposition. En outre, comme le lien avec l’ontologie a été problématisé (cf. 2.1. supra), l’approche dite « grammaticale » a encore plus eu le vent en poupe ces dernières années, notamment dans les études anglo-saxonnes. La troisième problématique se résume donc à la question suivante : où peut-on localiser la distinction massif-comptable dans le système linguistique ? Dans la mesure où certains déterminants et autres contextes syntagmatiques sont massifs, et d’autres comptables, il est relativement consensuel d’attribuer au moins aux SN ces propriétés. Mais pourrait-on distinguer aussi deux types de noms, c’est-à-dire donner une pertinence à l’opposition massif-comptable au niveau du lexique ?

Traditionnellement, la réponse est plutôt affirmative : nos intuitions quant à ce que les noms comme eau et farine sont, d’une certaine manière, différents de ceux comme voiture et chaise, sont assez robustes. Dans ce cadre, la flexibilité de certains N, susceptibles d’apparaitre parfois dans une syntaxe ne correspondant pas à leur type profond, a été expliquée en termes de « transferts » (plus ou moins systématiques) ou de « coercition ». Cette position « lexicaliste », s’est néanmoins vu mettre à mal par des auteurs plus récents qui, accentuant la flexibilité avec laquelle l’opposition massif-comptable s’applique au lexique (qui la distinguerait rigoureusement des oppositions « vraiment » lexicales telles le genre formel), ont proposé que massif et comptable n’étaient pas, de fait, des propriétés lexicales, mais plutôt des marques syntaxiques apparaissant uniquement au niveau des syntagmes nominaux – laissant à tous les noms un statut morphosyntaxique sous-déterminé dans le lexique. Nous appellerons ceci la position « grammaticale ».

La vision lexicaliste

L’approche lexicaliste repose essentiellement sur l’observation courante et maintes fois répétée que les locuteurs d’une langue ont, généralement, des intuitions fortes et convergentes quant au statut massif ou comptable de bon nombre de noms. En outre, comme l’observait Galmiche (1989: 65), les effets de l’opposition massif-comptable peuvent s’observer même en l’absence d’un marquage morphosyntaxique explicite, par exemple au travers de la reprise pronominale avec en :

Le sang avait coulé, il y en avait par terre.
*Le livre était tombé, il y en avait par terre.

C’est bien signe que, fondamentalement, il doit y avoir quelque chose qui distinguerait sang de livre, au niveau lexical. Outre Galmiche, parlons encore parmi les lexicalistes de Gillon (1999), qui cite les traits lexicaux [±CT] (countable ‘comptable’) et [±PL] (pluriel) (interagissant pour définir dans le lexique les noms comptables, les massifs, les pluriels massifs, ainsi que les pluriels internes), de Nicolas (2002a), qui identifie deux sous-classes de noms, les fondamentalement massifs, et les fondamentalement comptables, de Cheng et al. (2008), qui plaident explicitement contre une « mass-(or-unmarked)-in-the-lexicon theory » (c’est-à-dire contre la vision grammaticale, évoquée infra), ou encore de Landman (2011) et Zhang (2013), qui décomposent la distinction massif-comptable en deux traits lexicaux, respectivement [±C] et [±N], et [±Numerable] et [±Delimitable]. Il est intéressant de noter que si ces différents modèles supposent tous l’existence de traits lexicaux sous-tendant l’opposition massif-comptable, la teneur plutôt syntaxique ou sémantique de ces traits n’est pas toujours équivalente ni même toujours bien définie (cf. Vermote 2014b: 40).

Si l’idée d’un lexique aux entrées assignées de manière discrète à l’un des deux pôles d’une opposition binaire est toujours très courante, l’on trouve dans la littérature également des propositions plus nuancées. Ainsi, Allan (1980) – qui précisément ne se réclame pas d’une approche lexicaliste, voir ci-dessous – propose de situer l’opposition massif-comptable au niveau du SN, mais d’accorder aux N des « préférences de comptabilité calculables », sur la base des possibilités de combinaison avec une batterie réfléchie d’environnements phrastiques. Or, à mieux y réfléchir, ce genre de préférences calculées – c’est-à-dire l’attirance de chacun des noms pour le massif ou le comptable – apparait en réalité à son tour comme une propriété … lexicale (fût-elle non binaire). Ceci rend la proposition d’Allan (1980) plus lexicaliste qu’elle ne voudrait s’en réclamer.

Quoi qu’il en soit, si la vision lexicaliste de l’opposition massif-comptable a de quoi séduire (malgré son coût théorique évident), il n’en reste pas moins vrai qu’elle doit pouvoir apporter une explication à l’existence d’une certaine flexibilité des noms par rapport à la morphosyntaxe massive et comptable. Sur ce sujet, l’approche lexicaliste avance généralement une solution à deux niveaux : soit, un nom polysémique peut être lexicalisé dans ses deux interprétations, soit son interprétation préférentielle peut se voir détournée au travers de mécanismes de transfert (plus ou moins systématiques). La différence entre les deux cas a essentiellement été décrite en termes d’acceptabilité intuitive. Ainsi, le nom agneau serait un polysème, lexicalisé d’une part comme comptable pour désigner un animal (Cette brebis a donné naissance à deux agneaux) et d’autre part comme massif pour désigner de la viande (On nous a servi de l’agneau et des pommes de terre) – en ce qu’il parait tout aussi naturel dans ses deux emplois (voir Kleiber 1999, Nicolas 2002a). D’autre part, dans l’énoncé suivant, l’emploi massif de chat semble plus créatif :

Après le passage du camion, il y avait du chat sur toute la largeur de la route.

Il reste néanmoins légitime, bien que moins habituel, car associé à un glissement de sens spécifique et prévisible (un « broyage » conceptuel – et aussi littéral, en l’occurrence). Dans la littérature, les différentes possibilités de pareils glissements de sens, associés au passage du comptable au massif ou inversement, ont été généralement décrits à l’aide de machines (cf. 3.1.).

La frontière (cf. Kleiber 1999) entre polysémie lexicalisée et mécanismes de transfert productifs reste un problème : sur quelle base faut-il trancher ? En particulier, le traitement de la flexibilité des co-hyponymes doit nous intriguer. Si l’on a dit qu’agneau était un terme polysémique, l’on dira probablement que kangourou est bien utilisé ci-dessous de manière détournée – car l’on ne saurait supposer, suivant nos intuitions de fréquence et nos connaissances des habitudes culinaires francophones, que pour ce nom, l’usage massif soit lexicalisé.

Lors de mon récent voyage en Australie, j’ai mangé du kangourou.

En outre, parler de transfert suppose bien sûr que certains usages reflètent des emplois de base, et que d’autres soient dérivés. Or, la question des critères à mettre en œuvre pour distinguer l’emploi de base et l’emploi dérivé n’a guère été problématisée. Sur ce point, c’est surtout l’intuition et le bon sens qui ont régné, mais on ne trouve guère de réflexion sur ce qui a guidé cette intuition. En filigrane, deux critères semblent jouer : i) l’intuition d’une différence de fréquence, d’acceptabilité, voire même de saillance (le premier emploi qui, hors contexte, vient à l’esprit) ; ii) le respect d’une certaine « logique » sémantique en termes de schémas de dérivation métonymiques (l’arbre → le bois de l’arbre ; la substance > la portion conventionnelle de la substance ; etc.) que l’on croit être valable au sein d’un champ sémantique, indépendamment d’éventuelles différences inter-items. Sur ce point, il nous manque des données empiriques plus précises (voir cependant Vermote 2014b), ainsi qu’une réflexion sur la validité des arguments offerts par ces différents types de mesures.

La vision grammaticale

À la vision lexicaliste répond une vision grammaticale qui sous-détermine l’opposition dans le lexique, en ne la faisant apparaitre qu’au niveau de la grammaire, c’est-à-dire au niveau de SN. Pour les tenants d’une vision grammaticale, il n’existe ainsi ni noms principalement massifs, ni noms principalement comptables.

Dans la littérature récente, cette vision est particulièrement associée à l’ouvrage de Borer (2005, dans le prolongement de Sharvy 1978, qui a été une importante source d'inspiration). Pour elle, toutes les racines nominales, dans toutes les langues, sont dépourvues de marquage massif-comptable. Le raisonnement qui sous-tend cette hypothèse est comme suit : ne sont considérés comme lexicaux que les traits syntaxiques invariables, qui ne peuvent être outrepassés ou ignorés – or, le massif-comptable fait défaut à cette définition stricte. Dans ce cadre, la lecture massive des noms est par ailleurs identifiée comme l’interprétation par défaut, en ce qu’elle implique une référence dénuée d’une structure de division (dividing structure), qui quant à elle est représentée par le biais d’une tête fonctionnelle Div° (exprimée par exemple par le pluriel, ou l’article indéfini a ‘un(e)’), apparaissant uniquement en SN. Ce modèle a été repris (et complété) par De Belder (2011) et Bale & Barner (2009), par exemple.

L’idée de base sous-tendant la position grammaticale, notamment que l’opposition massif-comptable ne se situe qu’au niveau des syntagmes nominaux (et non des noms), permettant dès lors une flexibilité absolue du lexème, n’est pas nouvelle. Ainsi, les structuralistes américains ont souvent insisté sur la même idée. Gleason (1965 : 136) par exemple, donne en guise d’illustration le célèbre exemple de Johnny, la termite, qui mange du livre, mais pas de l’étagère : Johnny is very choosy about his food. He will eat book, but he won’t touch shelf. C’est aussi dans ce contexte qu’interviennent Pelletier (1975) et son Broyeur Universel (littéral). On trouve des vues analogues chez Weinreich (1966) et Parsons (1970). Dans la littérature en français, on retrouve la même thèse aussi tôt que dans Damourette & Pichon (1911-1927 [1950]: 414), dont le passage sur le sujet a été très souvent cité.

Parmi d’autres versions de la vision grammaticale, caractérisées donc par l’absence de marquage lexical de l’opposition massif-comptable, il y a encore l’approche de Desagulier (2012), qui s’inscrit dans la Grammaire des Constructions. Dans pareille approche, le trait massif-comptable est situé à un niveau de complexité structurelle plus élevé encore que le seul SN, puisqu’il se voit prédit par la construction dans laquelle le nom apparait, une approche particulièrement utile, il est vrai, pour traiter des cas comme Ce livre, c’est de la bombe ou Ça, c’est du livre de grande qualité !

Pour finir, nous devrons mentionner encore Pelletier (2012), dont la particularité est qu’il propose une seconde opposition massif-comptable, différente de la première, qui serait quant à elle sémantique, et pour lesquels la grande majorité des noms ne sont pas sous‑déterminés mais au contraire sur-spécifiés, en ce qu’ils possèdent les deux traits, ce qu’il traduit ensuite dans un langage de logique formelle. Cette proposition est dans le prolongement de Pelletier (1975), où il était déjà avancé que tout référent nominal comptable, parce qu’immanquablement candidat au traitement du Broyeur Universel, se devait d’être codé sémantiquement à la fois comme hétérogène et comme homogène.

En somme, le nœud du problème réside dans le traitement des noms qui permettent les deux syntaxes. Si l’approche lexicaliste, en qualifiant les noms de massifs ou de comptables directement dans le lexique, doit pouvoir expliquer (par des mécanismes de transfert) l’existence d’emplois dérivés outrepassant le trait lexical, l’approche grammaticale peut se passer de tout cet arsenal : la flexibilité est built-in, c’est-à-dire qu’elle fait partie intégrante du système, ce qui est plus intéressant du point de vue de la parcimonie. Toutefois, contre Pelletier (2012), il faut avouer que la grande marge de créativité qui est possible dans l’usage massif ou comptable va souvent de pair avec un sentiment de « hardiesse » ou d’étrangeté (cf. déjà Damourette & Pichon 1911-1927 [1950]) – qui se refléterait sans doute dans un temps de lecture plus long en cas d’usages moins fréquents, comme c’est souvent le cas de lectures « coercées » (Lauwers & Willems 2011). En outre, cette créativité demande le concours de certains adjuvants contextuels (cf. Kleiber 1999). C’est là aussi quelque chose que la théorie linguistique sur le sujet doit pouvoir expliquer. D’ailleurs, il existe bien d’autres oppositions caractérisées par une certaine flexibilité qui ne les rend pas pour autant caduques. Ainsi, en dépit des emplois comme noms communs de noms propres (Paul est un César), il n’en reste pas moins que, fondamentalement, l’opposition lexicale entre noms communs et noms propres reste pertinente. De même, si on peut dire, avec quelque poésie, Ce matin, le soleil sourit, le statut fondamentalement inanimé de soleil n’est pas pour autant nié, pas plus que l’opposition sémantique fondamentale animé-inanimé (M. Fasciolo, c.p.).

Or, la tradition grammaticale de l’opposition massif-comptable n’a pas toujours été aveugle à pareilles distinctions intuitives et inter-subjectivement partagées. De Belder (2011) propose néanmoins de les reléguer en dehors du système linguistique, en les expliquant à partir de nos connaissances encyclopédiques : en essence si, hors contexte, ?les quatre eaux nous parait un syntagme curieux, c’est seulement parce que nous ne connaissons pas de référent à quoi le rattacher. Si un tel référent nous était connu, l’énoncé n’aurait plus rien de problématique. Cependant, cette solution n’est pas convaincante, car elle ne permet pas d’expliquer pourquoi l’emploi intuitivement le plus naturel de raisin (du raisin, massif) différerait de celui de groseille (des groseilles, comptable). A moins que ce que De Belder (2011) appelle « connaissances encyclopédiques » ne concerne pas les référents, mais bien l’usage des mots qui les désignent ? Dans ce cas, on commence déjà à se rapprocher d’une vision lexicaliste, et la question réapparait de la nature précise de cette connaissance, et de sa représentation dans … le lexique.

On le voit, la délicate question de la localisation et donc de la modélisation de l’opposition est en partie tributaire

(i) de la conception plus ou moins étroite que l’on a de la linguistique et de la sémantique (par rapport à l’extralinguistique, le « pragmatique ») ;

(ii) de la vision que l’on a du lexique.

En outre, elle semble aussi dépendre de la « granularité » des instruments de mesure mis en œuvre pour étudier la question et le « poids » que l’on attribue aux « résidus » de l’approche choisie. Récemment, Vermote (2014b) a proposé un compromis, s’inspirant de la littérature psycholinguistique, notamment du modèle du lexique (dit « à activation ») proposé par Levelt et al. (1999). Ce compromis allie une approche fondamentalement lexicaliste, mais souple, car non binaire (qui fait écho aux profils distributionnels de chaque nom), à la dimension contextuelle qui est capable d’activer plus ou moins fortement la facette massive ou comptable de la forme en question. Le modèle est fondé sur un outillage empirique très fin et adhère à une vision maximaliste de la sémantique/linguistique.

 


4. Etudes contrastives et typologiques.


Très longtemps, le débat (théorique) sur l’opposition massif-comptable est resté enfermé dans l’étude de quelques langues individuelles bien connues, et la démonstration des idées reposaient sur quelques exemples-types bien choisis et récurrents. Récemment, cependant, on salue une certaine ouverture typologique (voir notamment le volume coordonné par Massam 2012)

• vers les langues qui n’ont pas le marquage obligatoire du nombre telles les langues à classificateurs (Doetjes 1997, Cheng et al. 2008, Zhang 2013 et plusieurs contributions dans Massam 2012)

• vers des langues encore plus « exotiques » comme le dagaare (Grimm 2012b), l’ojibwe [algonquin] (Mathieu 2012), le karitiana (Müller et al. 2006), le yudja ()tupi) (e.a. Lima 2010 et le Kuikuro (Franchetto et al. 2013) 

• vers des langues comme le portugais brésilien qui présentent des phénomènes assez particuliers tels que les noms nus à référence comptable (e.a. Wall 2013).

En outre, le nombre de contributions à vocation comparative basées sur de solides recherches empiriques va augmentant, comme le montrent Clausen et al. (2010) et Kulkarni et al. (2013). De même, Kiss et al. (2014) annoncent l’application de leur lexique de référence à d’autres langues que l’anglais.

Ce vent nouveau qui souffle sur l’opposition massif-comptable contribue à une meilleure compréhension de la diversité typologique à ce propos. Nous nous limiterons ici à une synthèse des principales observations :

(1)     Au-delà des différences locales entre des langues apparentées telles que le français et l’anglais (l’on pourra comparer les critères distributionnels d’Allan 1980 pour l’anglais et de Vermote 2014a pour le français), les langues du monde peuvent se ranger grosso modo en trois catégories typologiques majeures pour ce qui est de leur manière d’appréhender l’opposition massif-comptable (Chierchia 2010, Pelletier 2012) : les langues qui imposent le marquage du nombre sur les noms (comme l’ensemble des langues indo-européennes couramment étudiées), les langues à classificateurs (comme le mandarin ou le japonais) et les langues qui n’ont ni marquage obligatoire du nombre, ni classificateurs (comme le yudja, cf. Lima 2010).

(2)     Indépendamment du type d’expression de l’opposition massif-comptable, il est bien connu que les langues (même très proches) ne distribuent pas l’opposition de la même manière sur le lexique, comme nous l’avons signalé à plusieurs reprises. Or, aujourd’hui, comme en témoigne i.a. le travail de Grimm (2012a, 2013), l’ouverture de la réflexion à des langues présentant non pas deux classes de noms, mais trois (ex. le gallois), voire quatre (ex. le dagaare, cf. Grimm 2012b, Clausen et al. 2010), a permis d’identifier, au moins de manière provisoire, une « échelle d’individualisation » des référents, qui permet de prédire en partie l’organisation morphosyntaxique des noms en termes de massif-comptable dans différentes langues (voir aussi point 3.2.1 supra).

(3)     Pour finir, la comparaison des langues a révélé des restrictions spécifiques à chaque langue pour ce qui est des transferts (évoquées notamment pour l’anglais par Nunberg & Zaenen 1992, ou pour le français par Nicolas 2002a, b ; voir 3.1. et 6.1.2.). Ainsi, par exemple, le mécanisme du Multiplicateur Universel (Galmiche 1989), responsable d’énoncés en français comme Ce libraire spécialisé ne vend que du livre d’art et du roman policier, ne connait-il une application que très restreinte en néerlandais ou en anglais (où il est limité aux noms d’animaux qui font l’objet de la chasse ou de la pêche, cf. Nicolas 2002b:7 pour l’anglais), tandis que celui du Broyeur Qualitatif (appellation que nous empruntons à Kleiber, c.p.) qui est à l’œuvre dans Ça c’est de la bagnole de qualité ! (Desagulier 2012) n’est pas disponible du tout en néerlandais (Lauwers & Vermote 2014). D’autre part, pour les transferts disponibles, chaque langue semble avoir ses propres restrictions. Par exemple, à l’instar du français, l’anglais peut utiliser sur le mode massif les noms de plantes pour désigner une essence en parfumerie (some lavender, ‘de la lavande’), mais pas une huile en cuisine, tandis que, comme l’observe Kleiber (1999: 108), le français permet d’utiliser les noms de fruits sur le mode massif pour désigner des liqueurs (de la mirabelle), mais pas pour désigner des jus (?j’ai bu de l’orange) – sauf emplois hautement contextualisés comme Vous préférez de l’orange, ou du pamplemousse? qui serait prononcé en présence de deux bouteilles (Alain Berrendonner, c.p.).

 


5. Les données.



5.1. Nature.

Jusqu’ici, les études sur le massif-comptable (voir les études présentées en 3.1.) ont essentiellement été basées sur les intuitions – parfois très fines – du chercheur (ou de quelques locuteurs natifs), souvent à partir des mêmes exemples devenus canoniques (le chat écrasé, le vin ou la bière, etc.). Le courant « usage-based », avec son arsenal de grands corpus digitalisés et de recherches outillées, ne s’est manifesté que tout récemment dans le domaine du massif-comptable. Ce n’est en effet que depuis quelques années que l’on s’est lancé dans des études empiriques à large échelle, impliquant la récolte systématique et massive de données comparatives à l’échelle de l’ensemble du lexique et impliquant plusieurs langues à la fois (s’appuyant tantôt sur des corpus, tantôt sur des questionnaires): Katz & Zamparelli (2012) ; Kulkarni et al. (2013) ; Kiss et al. (2014). Comme ce genre de recherches lexicales nécessitent de très grands corpus, les quelques études existantes se sont surtout servies de corpus web et de Frantext (Desagulier 2012 ; Vermote 2014c, a, b ; Lauwers & Vermote 2014 ; Lauwers 2014). Ces premières études quantitatives ont déjà abouti à quelques constats intéressants :

• des disparités entre faits de fréquence et suppositions traditionnelles quant aux emplois « de base » vs. « transférés » de certains noms (Vermote 2014b) ;

• les variations inter-items à l’égard de l’opposition massif-comptable (préférences lexicales, possibilités de certains emplois) au sein d’un même champ sémantique (Vermote 2014b) ;

• la stabilité « translinguistique » réduite du lien entre type de référent (ontologie) et catégorisation en langue (Kulkarni et al. 2013) ;

• le caractère graduel de l’opposition massif-comptable et sa répartition sur le lexique (Kulkarni et al. 2013, Kiss et al. 2014).


5.2. Variations.

Pour l’instant, on ignore tout sur la dimension sociolinguistique – notamment diatopique – de la question. De même, la dimension diachronique (par exemple, les éventuels va-et-vient entre massif et comptable) est restée à l’ombre (sauf pour les hyperonymes, Mihatsch 2006, 2007), la recherche diachronique s’étant intéressée uniquement à la question des déterminants, cf. 3.1. N’empêche que certains usages marqués – « hardiesses » selon l’expression de Galmiche (1989 : 70), qui « peuvent être considérées comme gauches ou maladroites » – ont été rattachés à des registres particuliers. Ainsi, Cohen & Zribi-Hertz (2012) qualifient les emplois massifs de noms humains (dans lesquels on a observé l’action du Multiplicateur Universel) de familiers :

il y a de la meuf à donf, il y a du keum, trouver du beau gosse, il y a du père de famille, du papy, du jeune ado prometteur (exemples réunis par Cohen & Zribi-Hertz 2012)

De même pour les noms inanimés :

vendre du vélo électrique, trouver du beau faire-part, il y a de la chanson dans l’air, demander de la boucle d’oreilles, de la guitare à la pelle (Cohen & Zribi-Hertz 2012) ; il y a de la gifle dans l’air (Galmiche 1987 : 53 ; 1989 : 70)

Les pluriels lexicaux, quant à eux, sont parfois associés à un certain archaïsme, ce qui n’a rien de surprenant, étant donné leur caractère lexicalisé et relativement idiosyncratique. Ainsi, nombre de ces mots sont vieillis ou littéraires et dès lors peu fréquents (les relevailles, les limbes, les ténèbres, les entrailles), tendent parfois au figement (couper les vivres à quelqu’un) et passent en partie pour des latinismes. Qui plus est, certaines de ces formes plurielles représentent une morphologie ancienne (cieux, aïeux, voire même yeux etc., voir Damourette & Pichon 1911-1927 [1950]: §353-354 ; Curat 1988 ; Gréa 2014) qui s’oppose à la morphologie ‘moderne’ d’un homonyme non lexicalisé (ciel/ciels ; aïeul vs aïeuls). Il n’empêche qu’il s’agit d’un phénomène dont l’impact sur le lexique contemporain ne peut pas être sous-estimé (cf. Gréa 2014 ; Lauwers 2014).


5.3. Evaluation des données et de leur comparabilité.

Si on adopte pour un instant un point de vue épistémologique, l’on doit constater que la faible mobilisation de techniques quantitatives a en partie déterminé la forme qu’a prise la réflexion théorique à propos de l’opposition massif-comptable :

• la réflexion s’est cantonnée à certains champs sémantiques (p.ex. animal/viande), mais l’on ignore si l’on peut établir des régularités dans d’autres secteurs du lexique aussi ; il nous manque une étude « tous champs sémantiques confondus », comme on vient d’en entamer une pour l’anglais (Kiss et al. 2014) ;

• la réflexion se limite le plus souvent aux représentants lexicaux emblématiques du champ ou de la catégorie (lapin, veau ; chêne, etc.), laissant dans l’ombre les autres lexèmes qui ne présentent cependant pas toujours le même profil distributionnel (cf. Vermote 2014b) ;

• à défaut de mesures quantifiées (que ce soit en termes de fréquence ou de taux d’acceptabilité), la réflexion sur le massif-comptable est trop souvent menée en termes d’oppositions binaires : le mot est soit massif, soit comptable (ou les deux à la fois), ou encore, la massivité/comptabilité est appréhendée sous l’angle d’une opposition tranchée entre ce qui lexical et ce qui est contextuel. Il est assez pénible de constater que la foisonnante réflexion théorique que l’on trouve dans la littérature anglo-saxonne concernant la localisation de l’opposition massif-comptable (lexique ou grammaire) n’a guère pris en compte des données de fréquence ou des échelles d’acceptabilité plus fines, contrôlées auprès d’un grand nombre de locuteurs (Kulkarni et al. 2013 montrent ici la voie à suivre) ;

• beaucoup d’encre a coulé à propos d’exemples qui sont, certes, acceptables, mais seulement au prix d’un coût cognitif supplémentaire (cf. Kleiber 1999). Ces exemples ne sont cependant guère attestés en dehors des publications sur le massif-comptable (cf. les conclusions de Djalali et al. 2011, à propos de l’anglais). On pense ici notamment aux célèbres victimes du Broyeur Universel.

Il reste à étendre l’application des approches résolument empiriques, telles que les études de corpus (cf. déjà 5.1.) et de les compléter par d’autres méthodes d’investigation très axées sur l’empirique, telles que des expériences (psycholinguistiques ; à l’instar de Barner & Snedeker 2005) donnant lieu à des mesures précises en termes de temps de lecture (et donc de traitement cognitif), ainsi que des enquêtes d’acceptabilité impliquant un grand nombre de locuteurs natifs et menées (idéalement) dans un design quasi-expérimental (cf. Vermote 2014b). La combinaison de méthodes permettra aussi de vérifier l’impact de la fréquence d’emploi sur la représentation de l’opposition massif-comptable en langue (cf. Vermote 2014b) et de mesurer l’influence du contexte. En effet, l’utilisation de nouvelles techniques empiriques pose aussi un certain nombre de questions méthodologiques intéressantes. Ainsi, jusqu’à quel point la fréquence peut-elle servir d’étalon pour édifier des théories sur le massif-comptable ? C’est que la fréquence est influencée par certains facteurs liés à l’usage du référent (puisqu’on ne mange pas de viande de chat en France, la fréquence de du chat sera forcément plus basse). Il s’ensuit que des contrastes de fréquence très prononcés entre emploi massif et comptable d’un item lexical ne donnent pas toujours lieu à des contrastes aussi marqués sur le plan de l’acceptabilité, même si les corrélations sont indéniables (Vermote 2014b). En outre, peut-on se limiter à évaluer des noms hors contexte (cf. Kulkarni et al. 2013) ou, par contre, faut-il toujours les évaluer en contexte, tout en sachant que certains contextes rendent l’interprétation minoritaire (en général massive) très naturelle (Vermote 2014b)?

 


6. Bilan.



6.1. Interprétations incontestées et contestées

De ce qui précède, il apparait que certains concepts sont désormais incontestés : la définition morphosyntaxique de l’opposition (1.1.1.), la flexibilité en ce qui concerne son application aux items lexicaux (3.2.3.) et les préférences assez tranchées de la plupart des items, les schémas de correspondances appelés transferts (3.1.), conversions, etc. qui la structurent. D’autres, comme l’objectivisme radical ou l’arbitraire complet (3.2.1.) ont été contestés et ne semblent plus acceptables de nos jours. Or, malgré l’abondante littérature consacrée au sujet, il apparait surtout que de nombreuses questions théoriques sont encore en débat :

• la question de l’inhérence des traits et donc de la localisation de l’opposition (grammaire, lexique ou les deux ?) (3.2.3.)

• la question de l’interface avec la réalité (3.2.1.), même si l’on s’accorde de plus en plus à accepter une interprétation conceptualiste incorporant ce que Kleiber (2014d: 7) appelle les « affordances » des choses, force est de constater qu’une telle approche reste difficile à falsifier, à défaut d’arguments indépendants, étrangers à la démonstration purement linguistique. Les avis divergent notamment sur le poids à attribuer aux caractéristiques ontologiques (perceptibles) dans (les tendances de) la représentation linguistique

• pour la définition sémantique de l’opposition plusieurs dichotomies se disputent le marché (1.1.2. ; 3.2.2.) ; en outre, la formalisation pose encore problème, notamment pour le massif, comme le montrent certaines définitions qui sont aux antipodes les unes des autres (3.2.2.)

• la question de la primauté du massif (Borer 2005) comme option par défaut, qui, notamment pour le français (qui dispose d’un article partitif), reste contre-intuitive

• la part de la polysémie (systématique), des facettes (Croft & Cruse 2004) ou encore de la métonymie intégrée (Kleiber 1999), ou, formulé autrement, la part respective du sens (sémantique, donc non pragmatique) inhérent et de la coercition, c’est-à-dire de l’enrichissement du sens sous l’effet de la pression exercée par le contexte, notamment par les déterminants (Kleiber 2014d: 13)


6.2. Études à faire

En plus de ces questions théoriques de fond (6.2.), plusieurs points empiriques n’ont pas encore été résolus pour le français (ainsi que pour d’autres langues) et appellent un examen systématique. L’aperçu qui suit s’inspire en partie de l’état de la question établi par Kleiber (2014d), en introduction au numéro thématique paru dans Langue française :

• les limites des machines et le traitement que chacune des langues leur réserve

• le rôle des classes sémantiques supérieures (les condiments, les boissons, les substances comestibles, etc.) dans la légitimation et la restriction des transferts, dans le sillage de Vermote (2014b)

• la question des noms de collections massifs (mobilier, joaillerie, vaisselle)

• l’origine du trait massif-comptable des noms superordonnés (cf. Kleiber 2014d: 10)

• les dimensions responsables de la massivité dans des classes de noms moins étudiées, notamment dans le domaine abstrait, dans le sillage des travaux de Van de Velde (1995, 2000), de Flaux & Van de Velde (2000) et de Kleiber (sur les noms de couleurs, etc. ; voir 3.1.) ; l’on relèvera à ce propos notamment l’éventuelle prise en compte de processus métaphoriques (Kleiber 2014d: 9)

• la question du pluriel et de la dénombrabilité, et notamment la question des pluriels lexicaux (massifs et autres).

• les propriétés des déterminants qui les prédestinent au rôle de marqueur de la comptabilité/massivité. Par exemple, si un semble associé à un certain degré de « comptabilité », les noms qui s’y associent ne peuvent pas toujours être dénombrés (une patience d’ange vs. *des patiences d’ange) (Kleiber 2014d: 14)

En outre, si l’opposition massif-comptable est sans aucun doute l’un des grands classiques en linguistique française, force est de constater que, malgré cette considérable activité descriptive et malgré le grand nombre d’analyses très fines, le domaine du massif et du comptable pourrait encore tirer profit de recherches outillées sur de grands corpus pour élargir la base empirique de la réflexion théorique :

• des études distributionnelles transversales – basées sur des corpus ou des enquêtes –, parcourant l’ensemble du lexique, dépassant ainsi le traditionnel cloisonnement en champs sémantiques ; ce type de recherche est d’autant plus faisable en français que les environnements comptables et massifs sont facilement identifiables par des recherches (semi-)automatiques de corpus (Vermote 2014b)

• des études quantifiées mettant en carte le profil distributionnel de chaque item lexical, y compris les membres moins prototypiques des champs sémantiques examinés, ce qui permettrait de tester les généralisations proposées dans la littérature au-delà des représentants prototypiques

• des études prenant systématiquement en compte les indices contextuels qui favorisent/déclenchent e.a. les interprétations statistiquement marginales. Ainsi on pourrait préciser le rôle et l’impact des « adjuvants contextuels » dans les lectures ‘broyées’ (Kleiber 1999 ; cf. déjà Galmiche 1989: 75), ou, plus précisément, mesurer l’impact de certains contextes phrastiques privilégiant des emplois marqués, tels que les opérateurs existentiels (Flaux 1999 ; il y a de la forêt entre…), des contextes exclamatifs (Desagulier 2012) ou des circonstants mettant en relief l’étendue du référent (du X partout / à longueur de journée). De cette manière, on pourrait par exemple examiner en détail la façon dont certains contextes parviennent à activer certains effets de sens associés à l’emploi massif (Vermote 2014b). Il n’est pas non plus exclu que la problématique aboutisse à l’identification de certaines constructions « massifiantes », comme l’a montré Desagulier (2012) pour les emplois massifs de noms dans les contextes exclamatifs (Ça, c’est de la voiture !).

Si de telles études ne vont pas nécessairement révolutionner le champ du massif et du comptable ou chambouler les acquis dûment établis, elles permettront de reconsidérer avec plus de précision les questions traditionnelles liées à la distribution de l’opposition massif-comptable sur le lexique (et notamment la question de la polysémie et des facettes), au problème de la portée des transferts et, surtout, à celui de la « localisation » théorique de l’opposition.

 


7. Annexe: liste des ouvrages cités.


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