Période (Note terminologique)

A. Berrendonner,
(06-2017)

Pour citer cette notice:
Berrendonner (A.), 2021, "Période (Note terminologique)", in Encyclopédie grammaticale du français
en ligne: http://encyclogram.fr


1. Origine.

Le terme de période (περίοδος λέξις) a été introduit par Aristote [Rhétorique, III, 1409b] pour désigner un certain type d’unité discursive qui (i) va jusqu’à un terme (τετελειωμένη), (ii) comprend des divisions (διηρημένη), et (iii) est aisée à prononcer d’une seule haleine (εὐανάπνευστος).


2. Les rhétoriques des 16e-18e siècles.

2.1. Les grammairiens et rhétoriciens de l’âge classique ont hérité de la notion aristotélicienne, tout en interprétant à leur façon ses trois composantes.

- La propriété de clôture (i) a été assimilée à la complétude sémantique :

PERIODE, en termes de Grammaire, est une petite étenduë de discours qui contient un sens parfait. [Furetière, Dictionnaire universel, 1708]

- La propriété de complexité (ii) a été conçue comme l’assemblage de plusieurs membres liés par des rapports de « dépendance ». Mais ces dépendances ne sont pas davantage décrites, sinon comme des relations nécessaires à la complétude sémantique. On leur attribue en général pour termes des propositions (au sens logico-sémantique de jugements prédicatifs) :

La période est un assemblage de propositions liées entre elles par des conjonctions, qui toutes ensemble font un sens fini. [Du Marsais, Principes de grammaire]

Les parties qui composent la Période sont de deux sortes, le Membre et la Section. Le Membre est une proposition qui renferme en elle-même un certain sens, mais un sens imparfait, suspendu, & dépendant des autres parties de la Période. […] La Section est une partie du Membre […] qui seroit un Membre si elle était seule, mais qui, étant associée à d’autres parties […], concourt unanimement avec elles à former ce qu’on appelle le Membre. [Rhétorique des demoiselles, 1766 : 138]

- Quant à la troisième propriété, elle a été réinterprétée en termes normatifs, d’une part comme une limitation de longueur, et d’autre part comme une exigence d’harmonie rythmique (une période doit avoir du « nombre ») :

Une vraie période ne doit avoir ni moins de deux membres, ni plus de quatre. [Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné…, s.e. Période]

Toutes les grâces, toutes les beautés de la Période sont renfermées dans le nombre, qui n’est rien autre chose qu’une certaine harmonie douce & majestueuse qui charme l’oreille, & qui résulte du choix judicieux et de l’heureux arrangement des termes. [] Il faut que la période soit d’une juste longueur ; si elle est trop courte, elle sera peu susceptible d’harmonie ; […] si elle est trop longue, l’esprit aura peine à l’embrasser toute entière avec plaisir. [Rhétorique des demoiselles, 1766 : 149]

Cette exigence d’harmonie « pour l’oreille » est révélatrice d’une conception des discours comme productions oratoires plutôt qu’écrites.

2.2. Dans la pratique, l’usage que les grammairiens classiques font du terme de période montre qu’il recouvre des réalités diverses.

• Il semble d’une part que la notion de période ait été un précurseur de celle de phrase, dans son acception technique moderne. Certains auteurs admettent en effet l’existence de périodes à un seul membre, formées d’une proposition verbale canonique. Vaugelas et l’Académie semblent identifier période et domaine de connexité syntaxique. Et l’on assigne au point final la fonction de borner les périodes [Chervel 1977 : 130] :

La période simple est celle qui n’a qu’un membre, comme La vertu seule est la vraie noblesse : c’est ce qu’on appelle autrement proposition. [Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné…, s.e. Période]

Qui, relatif, est incapable de commencer une periode, ny d’avoir jamais un point devant luy, mais tousjours une virgule, tellement qu’il le faut joindre à la periode précedente. [Vaugelas, Remarques…]

Le point simple […] doit être mis après une période ou une proposition composée. [Beauzée, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné…, s.e. Ponctuation]

Les fragments pris pour exemples sont le plus souvent ce que l’on appelle aujourd’hui des phrases complexes, comprenant des enchâssements. Celles-ci contiennent en outre des structures de liste qui leur confèrent un rythme remarquable. Ex.

(1)  Si vous ne trouvez aucune manière de gagner honteuse, vous qui êtes d’un rang pour lequel il n’y en a point d’honnête ; si tous les jours c’est quelque fourberie nouvelle, quelque traité frauduleux, quelque tour de fripon, quelque vol ; si vous pillez & les alliés & le trésor public ; si vous mendiez des testaments qui vous soient favorables, ou si même vous en fabriquez ; dites-moi, sont-ce là des signes d’opulence ou d’indigence ? [D’Olivet, cité par Beauzée, Encyclopédie…, s.e. ponctuation]

• Toutefois, on trouve aussi rangées au nombre des périodes des suites d’énoncés syntaxiquement indépendants. Ex.

(2)  Il vient une nouvelle, on en rapporte les circonstances les plus marquées, elle passe dans la bouche de tout le monde, ceux qui en doivent être les mieux instruits la croyent & la répandent, j’agis sur cela ; je ne crois pas être blâmable. [Buffier, cité par Beauzée, ibid.]

(3)  Turenne est mort ; la victoire s’arrête ; la fortune chancelle ; tout le camp demeure immobile. [Fléchier, cité par Du Marsais, Principes de grammaire]

On doit en conclure que la notion classique de période recouvre une catégorie hétérogène et floue, rassemblant toutes sortes de séquences composées de plusieurs propositions, quelle qu’en soit la structure syntaxique. Avec le développement des grammaires de phrase, elle est tombée en désuétude, sauf dans les manuels de stylistique littéraire.


3. Les modèles prosodiques actuels.

Le terme de période a repris du service dans certaines théories du discours récentes, qui en font un usage sans rapport avec l’acception classique. Il sert à désigner deux types d’unités différentes, mais également délimitées par la prosodie.

3.1. Certains auteurs [Hazaël-Massieux 1983 ; Groupe de Fribourg 2012] donnent ce nom à des segments de discours oraux caractérisés par leur autonomie prosodique. Celle-ci est assurée par la présence d’un contour intonatif terminal valant comme marque de clôture. Ex.

(4)  [Si vous faites ça] [il n’aura qu’à tendre le bras] [et vous vous ferez embrocher]

tracé de la F0

Les groupes G1 et G2, qui se terminent sur un pic de hauteur, ne sont pas des segments prosodiquement autonomes, aptes à constituer isolément une gesticulation énonciative complète. Leurs contours intonatifs impliquent la cooccurrence d’une suite. En revanche, le groupement [G1+G2+G3] constitue une totalité prosodique autonome, close par son contour final descendant. Le terme de période désigne les unités d’intégration prosodique de ce type. (Elles coïncident avec ce que d’autres appellent des paragraphes oraux.)

3.2. Une autre approche [Lacheret-Dujour & Victorri 2002 ; Lacheret-Dujour 2003, Avanzi 2012] consiste à diviser les textes oraux sur la base de proéminences intonatives qui sont le produit quantifié de plusieurs facteurs (écarts positifs ou négatifs par rapport à la fréquence moyenne, amplitude des sauts de fréquence, présence d’une pause plus ou moins longue). Il existe donc des proéminences de divers degrés. Elles délimitent des unités de discours et marquent des regroupements hiérarchiques entre elles. Les unités dont la proéminence terminale dépasse un certain seuil sont appelées périodes. Si cette proéminence comporte en outre un écart négatif (= contours descendants), elles sont dites macro-périodes En (4) p. ex., la proéminence finale de G1 est de degré supérieur à celle de G2, ce qui reflète une division en deux périodes, formant ensemble une macro-période : [G1 + [G2+G3]].

3.3. Entre ces deux conceptions, la différence est surtout d’ordre terminologique. Il y a accord sur la hiérarchisation des unités prosodiques, seul change le rang de cette hiérarchie auquel est donné le nom de période.


Références

Avanzi (M.), 2012, L’interface prosodie/syntaxe en français. Dislocations, incises et asyndètes, Bruxelles, P. Lang.

Groupe de Fribourg, 2012, Grammaire de la période, Berne, P.Lang.

Chervel (A.), 1977, Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits français… Histoire de la grammaire scolaire, Paris, Payot.

Hazaël-Massieux (M.-C.), 1983, « Le rôle de l’intonation dans la définition et la structuration de l’unité de discours », BSL, tome 78, fasc. 1, 99-160

Lacheret-Dujour (A.) & Victorri (B.), 2002, « La période intonative comme unité d’analyse pour l’étude du français parlé : modélisation prosodique et enjeux linguistiques », Verbum XXIV n° 1-2, 55-72.

Lacheret-Dujour (A.), 2003, La prosodie des circonstants en français parlé, Paris-Leuven, Peeters.

 

 

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