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Analyse de l'exemple (11):

L’anaphore pronominale, au moyen du pronom de 3ème personne ILS, est textuellement prise dans un parallélisme entre : « Les propriétaires de chiens de 1re ou 2e catégorie doivent être… » et « En outre, ils doivent être… ». D’un point de vue textuel, cette construction, fondée sur la répétition des deux verbes et sur le pronom de 3ème personne, indique quel est le thème en vigueur. Comme le montre Kleiber (1994 : 110-111), le pronom ILS est le signal d’une continuité thématique, de la maintenance du thème en vigueur dans la phrase précédente. Or, à la fin de P1, une continuité référentielle relie bien le possessif LEUR au thème-topique « les propriétaires », seuls susceptible de se voir délivrer un « permis de détention de chiens ». La tête nominale présente la particularité d’enchaîner deux modificateurs successifs d’un nom, introduits par la préposition DE ; chaque fois, l’extension du nom est restreinte par le groupe prépositionnel postposé : « Les propriétaires < DE chiens < DE 1re ou 2e catégorie ». En d’autres termes l’information ne concerne pas tous les propriétaires et pas les propriétaires de n’importe quelle espèce canine. Est-ce cette double récursivité qui a troublé le rédacteur de cet arrêté communal qui a extrait l’ensemble prépositionnel déterminant « chiens de 1re ou 2e catégorie » à la place du déterminé « les propriétaires » et de la relation de possession que le complément de nom induit ?

L’interprétation la plus intuitive et naturelle de ILS est donc guidée dans le sens d’une reprise de la tête nominale humaine et non pas du complément déterminatif « des chiens de 1re ou 2e catégorie ». C’est cette interprétation linguistiquement guidée qui prête à se moquer du journal qui a publié (11). Dans l’univers étrange de (11), les propriétaires de chiens seraient, par la loi, dans l’obligation d’être eux-mêmes tenus en laisse… par leur animal de compagnie. Bien sûr, des facteurs cognitifs interviennent dans l’interprétation avec pour tâche de résoudre les problèmes de cohérence et de plausibilité, en fonction de nos connaissances du monde et d’un principe d’économie cognitive. Le contenu de la phrase-hôte du pronom doit être en accord avec le référent choisi et, s’il n’en va pas ainsi : « le référent recruté est éliminé et c’est un autre candidat qui se trouve appelé » (Kleiber 1994 : 108). C’est bien ce qui se passe ici : le rétablissement du « bon référent » repose sur la recherche de la pertinence (cohérence isotopique) du lien entre ils et en laisse. Tout le regard satirique du Canard Enchaîné consiste à jouer sur ce conflit entre contraintes textuelles et facteurs cognitifs fondant l’interprétation du pronom sur le contenu du texte et le savoir extralinguistique présumé partagé (Kleiber 1994 : 108). L’interprétation sur le modèle du sketch de Raymond Devos : « Mon chien, c’est quelqu’un » est trop coûteuse en termes cognitifs et le contexte discursif ne guide pas l’interprétation dans le sens générique du récit fantastique. Le genre légal de l’information municipale est détourné par le journal satirique qui transforme (11) en perle du discours administratif, relevant alors du genre de l’histoire drôle.