>Page pers. Denis Apothéloz
(03-2021)
Pour citer cette notice:
Apothéloz (D.), 2021, "Les temps verbaux", in Encyclopédie grammaticale du français,
en ligne: encyclogram.fr
DOI ; https://nakala.fr/10.34847/nkl.c93em866
1. Avant-propos.
Cette notice, consacrée aux temps composés, va de pair avec une autre notice qui porte sur les temps simples. La numérotation des paragraphes leur est commune, ainsi que le contenu des sections 2, 5 et 6.
Ces deux notices, quoique consultables séparément, forment un tout qui a pour objectif de dresser l’état actuel des connaissances concernant les temps verbaux du français, du point de vue de leur fonctionnement et de leurs propriétés sémantiques au sens large. Ce travail ne traite que les temps de l’indicatif, le subjonctif faisant l’objet d’une notice spécifique. La morphologie n’y est abordée que très marginalement, par exemple dans le cas des temps composés pour montrer que leur sémantique est – au moins partiellement – morphologiquement motivée.
Trois parties composent la présente notice.
– La première (§ 2) est un exposé général sur la notion de temps verbal et la représentation du temps dans la langue et le discours. Nous y présentons également un ensemble de concepts, un « modèle » dont la connaissance est indispensable pour la compréhension de la suite. Cette partie se termine par une liste de quelques références jugées particulièrement importantes dans le domaine.
– La deuxième partie (§ 4) est une présentation systématique des temps composés, en incluant dans cette catégorie les périphrases formées avec aller au Présent ou à l’Imparfait (il va pleuvoir, il allait pleuvoir), désignées ici comme des temps « prospectifs ». Chaque présentation d’un temps verbal est suivie d’une liste de monographies et numéros de revues consacrés à ce temps. Cette partie se termine par une brève conclusion.
– La troisième partie (§ 6) est exclusivement bibliographique. Elle comporte trois listes de travaux : une liste de travaux contrastifs ou typologiques, la liste complète des travaux cités dans les deux notices, et une liste de numéros de revues consacrés à l’aspectologie et à la sémantique verbale.
Une partie des exemples discutés ici a été obtenue grâce à la base de données textuelles FRANTEXT, hébergée au laboratoire ATILF à Nancy (https://www.frantext.fr/) [Note 1]
2. Temps, aspect et temps verbaux
En français, le mot « temps » est polysémique. Mis à part le temps des météorologues, qui ne nous intéresse pas ici, il désigne aussi bien la dimension temporelle (le temps que mesurent les horloges, le temps que les physiciens introduisent dans leurs équations), qu’un ensemble de formes grammaticales (les temps verbaux, comme l’Imparfait ou le Passé composé). Beaucoup de langues possèdent des mots différents pour désigner ces deux réalités. Il en va ainsi de l’allemand, qui désigne par Zeit la dimension temporelle et par Tempus les temps verbaux, ou de l’anglais (respectivement time et tense). En français, certains linguistes utilisent, à la suite de Damourette et Pichon (1911-1936), l’expression de « tiroir verbal », ou simplement de « tiroir », pour désigner les temps verbaux. On utilisera ici indifféremment les expressions de « temps verbal » ou de « temps grammatical ».
Ce n’est bien sûr pas un hasard si le mot temps est utilisé pour désigner, par métonymie, les temps verbaux. Les ressources grammaticales que recouvre la notion de temps verbal ont toujours été spontanément associées à l’expression de la dimension temporelle, qu’il s’agisse de localisation temporelle ou d’expression de la durée. Néanmoins, comme on va le voir, cette association est parfois contestée.
Afin d’éviter certaines confusions, par exemple entre le présent comme moment de l’énonciation et le Présent comme temps grammatical, nous écrirons systématiquement les noms des temps verbaux avec une initiale capitale (majuscule), comme l’a fait Weinrich (1973) dans son ouvrage sur le temps.
2.1. La notion de temps verbal
La notion de temps verbal est plus complexe qu’il n’y paraît. De façon générale et en première approximation, s’agissant du français, on peut considérer que les temps verbaux sont l’expression de la localisation temporelle des procès par des moyens grammaticaux (VS lexicaux), autrement dit par des morphèmes liés [Note 2] . Ces morphèmes sont appelés « grammèmes ». Nous utiliserons nous-mêmes ici des expressions comme « grammème d’Imparfait », « grammème de Futur », « grammème de Passé composé », etc. Comme tout morphème, un grammème de temps verbal associe une forme et une signification.
Un temps verbal ne se rencontre donc jamais seul ; il n’est observable qu’en association avec un verbe. Ce point est particulièrement important lorsqu’on se donne pour objectif d’étudier la signification des temps verbaux. Nous ne sommes jamais mis en présence de formes comme –ait ([ɛ]) ou –i– ([j]), grammèmes de l’Imparfait (3e, 4e et 5e pers.), mais seulement de formes comme il mangeait, nous dormions ou vous pensiez. Or, ces verbes possèdent eux-mêmes leurs propres caractéristiques temporelles et aspectuelles, qui s’associent à celles du grammème et interagissent avec elles de façon complexe [Note 3] . Il en résulte que le verbe lexical est le premier élément formant le contexte du grammème de temps verbal. L’étude de la signification des temps verbaux suppose donc un effort d’abstraction et une certaine prudence méthodologique.
En morphologie flexionnelle du français, l’une des particularités des grammèmes est qu’il est souvent difficile voire impossible de les singulariser matériellement. Cela tient à deux phénomènes : d’une part au fait que certaines formes amalgament plusieurs grammèmes sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un segment phonologique propre (de la même manière que du amalgame de et le) ; d’autre part, au fait que la morphologie verbale présente de nombreuses allomorphies. Il en va ainsi par exemple dans une forme comme [iʁjɔ̃](irions). Mais le système des temps verbaux n’en permet pas moins de distinguer, dans cette forme, un lexème (le verbe aller), et deux grammèmes, l’un de Conditionnel et l’autre de 1ère pers. du pluriel. Une analyse possible de cette forme est la suivante : [i-] est un allomorphe du radical d’aller, plus précisément une forme supplétive, [-ʁj-] est le grammème de Conditionnel, et [-ɔ̃] est le grammème de 1ère pers. du pluriel [Note 4].
On associe généralement les temps verbaux à deux fonctions principales : la localisation temporelle des procès et la représentation de ceux-ci (au sens de « donner une certaine représentation »). La première fonction correspond à ce qu’on appelle en général le « temps », la seconde à l’« aspect ».
2.2. La localisation temporelle et la notion d’époque
La définition des temps verbaux par la fonction de localisation temporelle, bien que généralement acceptée, a donné lieu à diverses controverses, voire à une mise en cause plus ou moins radicale. Si cette mise en cause peut s’expliquer pour certaines langues, en ce qui concerne le français elle prête davantage à discussion et paraît aller contre l’intuition, du moins dans sa version la plus radicale. On se limitera ici à quelques considérations générales. Pour une discussion de cette question, voir par exemple : Barceló et Bres (2006, en particulier les chapitres sur l’Imparfait et le Présent), ainsi que Vetters (1996, 2017).
La conception selon laquelle l’une des fonctions des temps verbaux est la localisation temporelle va généralement de pair avec l’observation que les temps verbaux, du moins certains d’entre eux, ont un fonctionnement déictique et localisent par conséquent le procès que désigne le verbe par rapport au moment de l’énonciation. Il en découle logiquement trois époques, selon que le procès est localisé comme concomitant de l’énonciation (présent), antérieur à l’énonciation (passé) ou postérieur à celle-ci (futur). Cette conception, qui remonte au moins à Aristote, suppose que les notions de « passé », « présent » et « futur » font partie de la signification en langue des temps verbaux. C’est précisément cette idée que certains linguistes ont mise en cause. Un argument fréquemment évoqué est que la plupart des temps verbaux ont des emplois dans lesquels la localisation temporelle du procès n’est (apparemment) pas en accord avec le temps verbal choisi. Il peut ainsi y avoir :
– utilisation d’un temps réputé passé pour désigner un procès apparemment présent (1) ou à venir (2) :
(1) a. À ce propos, je voulais vous demander s’il convient d’ouvrir un nouveau dossier, car il vient d’arriver une lettre qui n’est pas de vos correspondants habituels. (M. Aymé, 2002)
b. Pauvre Mercier. Si tu savais comment mes sœurs parlent de toi... quand elles en parlent. (A. Gavalda, 1999)
(2) a. J’ai terminé dans cinq minutes.
b. Il eut un sourire lamentable, un de ces sourires dont on voile les plus horribles souffrances, mais il répondit d’un ton caressant et navré : – « Si tu étais bien gentille nous resterions tous les deux. » Elle fit « non » de la tête sans ouvrir la bouche. (G. de Maupassant, 1891)
– utilisation d’un temps réputé présent pour désigner un procès apparemment passé (3) ou à venir (4) :
(3) a. Son enfance va être on ne peut plus alsacienne, je veux dire étrangement divisée. Dès l’âge de sept ans, il mène une triple vie. Son père l’appelle Joseph (en français). Son maître prononce Yôsef (en allemand). (J. Egen, 1979)
b. Tandis que je me pavanais dans cette idée, j’entendis peu loin de moi un certain cliquetis que je crus reconnaître ; j’écoute : le même bruit se répète et se multiplie. Surpris et curieux je me lève, je perce à travers un fourré de broussailles du côté d’où venait le bruit, et dans une combe à vingt pas du lieu même où je croyais être parvenu premier j’aperçois une manufacture de bas. (J.-J. Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, 7e Promenade)
(4) a. Nous faisons nos paquets, et nous partons demain sans savoir si nous trouverons un gîte à La Châtre. (G. Sand, 1871)
b. Il y a des élections législatives et régionales dimanche prochain. (J.-L. Lagarce, 2007)
– utilisation d’un temps réputé futur pour désigner un procès apparemment passé (5) ou présent (6) :
(5) a. Il est à remarquer en outre que le Languedoc, les Cévennes, âpres régions où le protestantisme trouvera plus tard ses pasteurs du désert, furent le foyer de la secte albigeoise. Elle se développa, avec la tolérance de la féodalité locale, jusqu’au jour où la croisade fut prêchée à travers la France [...]. (J. Bainville, 1924)
b. Puisque je suis là, autant en profiter. Je ne me serai au moins pas déplacé pour rien. (J.L. Benoziglio, 1980)
(6) a. On chante là-bas. Qui est-ce ? Allons ! Ce sera quelque laboureur qui fait route vers son travail. (L. de Vega, 1957).
b. Victoire quitta Luna-Park. Derrière son genou, le long du mollet, un filet de sang. Elle se sera écorchée, pensa Raymond. (B. Poirot-Delpèche, 1984)
De tels exemples soulèvent au moins deux questions. La première est évidemment celle de la valeur temporelle des temps verbaux, plus exactement la question de savoir si leur signification comporte en langue des informations d’époque stables telles que « passé », « présent » ou « futur ». La seconde question, non moins complexe, est celle de savoir ce que localisent ou peuvent localiser au juste les temps verbaux (leur incidence, leur portée). Cette seconde question sera abordée plus loin et nous conduira à modifier la définition selon laquelle l’une des fonctions des temps verbaux est de localiser des procès dans le temps.
Revenons à la valeur d’époque. Cette valeur a tout particulièrement été discutée à propos du Présent et de l’Imparfait. Les arguments avancés sont principalement de deux types : morphologiques et sémantiques.
L’argument morphologique a été utilisé pour le Présent. Ce temps verbal a en effet la particularité formelle de n’être signalé par aucun grammème. Une expression comme nous mangeons ne comporte formellement que deux sources d’informations (deux morphèmes) : mange, qui représente le lexème verbal, et le suffixe flexionnel –ons, qui réplique l’information fournie par le pronom nous et représente la catégorie grammaticale « 1ère pers. du pl. ». Mais aucun grammème ne représente le temps verbal dans nous mangeons. Cette observation a conduit certains linguistes à considérer que ce qu’on appelle le Présent est en réalité un temps verbal neutre en terme d’époque (e.g. Serbat 1980, 1988, Touratier 1996, Mellet 2000). Ainsi, selon Serbat, les temps verbaux de l’indicatif dénotent certes l’époque du procès, « mais seulement aux formes autres que le présent » (1980 : 39, italiques de l’auteur). La morphologie apporterait ici un début d’explication aux emplois non-présents (passés et futurs) de ce temps verbal (ex. 3 et 4 ci-dessus). On a reproché à cette explication d’omettre de prendre en considération la possibilité d’un morphème à signifiant zéro. Une position quelque peu différente, proposée par Wilmet (1997), considère que le Présent localise les procès désignés comme concomitants d’un « repère de l’actualité », ce repère étant manipulable et pouvant ou non coïncider avec le moment de l’énonciation. On y reviendra.
Les arguments sémantiques ont surtout été utilisés pour l’Imparfait. Ainsi, Damourette et Pichon (1911-1936, tome 5, §1726 et suiv.) et, à leur suite, Coseriu (1980), Le Goffic (1986, 1995), Vetters (2001) et d’autres, voient dans l’Imparfait un temps verbal exprimant essentiellement l’inactuel. Par « inactuel », il faut comprendre ici le fait d’indiquer que le procès désigné se situe dans un univers disjoint de l’univers des interlocuteurs, soit qu’il n’ait pas cours au moment de l’énonciation (non-présent), soit qu’il se situe dans un autre univers – univers hypothétique, imaginaire ou contrefactuel. Cette propriété de l’Imparfait expliquerait les emplois traditionnellement qualifiés de « modaux », donc des exemples comme (1b) et (2b) ci-dessus, ou encore comme (7) :
(7) La pauvre rosse qui le traînait n’en pouvait plus ; [...] des frissons couraient sur sa peau fumante et baignée de sueur. Un effort de plus, et elle tombait morte ; déjà une goutte de sang perlait dans ses naseaux largement dilatés [...]. (T. Gauthier, 1863)
Selon cette conception, l’Imparfait serait donc apte à signifier aussi bien un univers fictif en rupture avec l’univers actuel, que le passé proprement dit. La valeur temporelle « passé » ne lui serait pas première, elle ne serait sélectionnée ou ne se manifesterait que dans certains contextes.
2.3. L’analyse des temps verbaux : notions fondamentales
2.3.1. Généralités
Pour décrire le fonctionnement des temps verbaux avec un minimum de rigueur, il est indispensable de commencer par mettre en place un certain nombre de concepts descriptifs. Ceux qui sont exposés ici sont proches de ceux présentés dans la notice “L’Aspect” et puisent à plusieurs sources. Pour l’essentiel, ces concepts concernent deux types d’expressions : le grammème de temps verbal, d’abord, en tant qu’expression du temps et de l’aspect ; le lexème verbal, ensuite, en tant qu’expression du procès.
Un grammème de temps verbal fonctionne à la manière d’un opérateur, dont l’opérande est le lexème verbal : il construit une expression fournissant, à propos du procès dénoté par le verbe, un certain nombre d’informations permettant de l’« actualiser » dans un acte de désignation. À cet égard on peut comparer une forme verbale conjuguée à une expression nominale, c’est-à-dire à un nom déterminé par un grammème-article : l’élément lexical apporte sa « dénotation », c’est-à-dire, s’agissant de verbes ou d’expressions verbales, une signification permettant de sélectionner un type de procès ; et l’élément grammatical (le grammème) apporte à ce procès les informations temporelles et aspectuelles qui transforment l’expression verbale en une forme apte à désigner, dans un énoncé, une ou plusieurs instance(s) de ce procès.
Examinons successivement ces deux points.
2.3.2. Schéma général d’un procès type
Il est commode, pour décrire le fonctionnement et la signification des formes verbales conjuguées, d’avoir recours à un schéma général consistant à distinguer, dans tout procès, cinq phases (Dik 1989). Ce schéma est représenté dans la Figure 1 (il est repris de la notice “L’Aspect”).
Figure 1. – Les cinq phases d’un procès type
Le procès proprement dit correspond à la partie centrale du schéma (phase processive). À gauche et à droite de la phase processive sont représentées respectivement la phase qui précède et celle qui suit le procès (respectivement : phase pré-processive, ou préparatoire, et phase post-processive, ou résultative). On distingue encore, à l’intérieur de la phase processive, les phases initiale, médiane et finale. La nécessité de prendre en compte ces différentes phases, et notamment celle qui précède et celle qui suit le procès, apparaîtra plus loin.
Ce schéma doit être regardé comme très général et donc nécessairement approximatif. Nous verrons que lorsqu’il s’agit de décrire certains types de verbes ou expressions verbales, il peut se révéler insuffisant voire partiellement erroné. On pourrait également lui reprocher d’être naïvement référentialiste et de reproduire une conception du procès qui relève du sens commun. Néanmoins, son utilité dans la description des phénomènes aspectuels s’avère suffisamment grande pour que nous en fassions l’un de nos instruments de travail.
2.3.3. Les paramètres S, E, R de Reichenbach (1947) et la notion d’aspect
Nous utiliserons dans ce qui suit un modèle qui emprunte à Reichenbach (1947) certains paramètres descriptifs et s’inspire également des apports de Gosselin (1996) à ce modèle. Ces paramètres sont les suivants :
– S (chez Reichenbach : Speech) [Note 5] . Il s’agit de l’intervalle temporel occupé par l’énonciation de l’énoncé. Ce paramètre permet de rendre compte du fonctionnement déictique des temps verbaux, du moins de certains d’entre eux, et donc de la distinction des trois époques : passé, présent et futur. Dans les schémas temporels que nous aurons à construire (chronogrammes), il sera noté, sous sa forme complète, [S1–S2] [Note 6].
– E (chez Reichenbach : Event). Il s’agit de l’intervalle temporel correspondant au procès que dénote le lexème verbal compte tenu de sa signification (et indépendamment du grammème de temps verbal). Sous sa forme complète, on le notera [E1–E2].
– R (chez Reichenbach : Reference). Ce paramètre représente l’intervalle temporel que désigne la forme verbale conjuguée, l’intervalle auquel elle « réfère ». Sous sa forme complète, il sera noté [R1–R2] [Note 7].
Souvent mal comprise et source de nombreux malentendus, la distinction entre E et R est à la fois subtile et cruciale. C’est elle qui permet de rendre compte du fait qu’une forme verbale conjuguée peut fort bien désigner une portion de temps qui ne correspond pas à celle qu’occupe le procès signifié par le lexème verbal. En un mot, elle rend compte de la notion d’aspect. Un exemple permettra de comprendre l’intérêt de cette distinction [Note 8].
Soit l’énoncé quand je suis entré, il mangeait. Quel effet produit l’Imparfait dans cet exemple, relativement au procès signifié par le verbe manger ? L’effet est le suivant : contrairement à ce que produirait une forme comme il mangea, il mangeait donne une représentation du procès qui n’est pas complète. Ce que montre temporellement il mangeait, c’est un procès en cours, dont une portion temporelle est déjà advenue, et dont une autre portion doit encore advenir. Autrement dit, l’intervalle temporel R auquel réfère la forme il mangeait, l’intervalle qu’elle désigne, est inclus dans l’intervalle temporel E signifié par le lexème verbal (ce que nous noterons : R⊂E). Il est important de voir que ce phénomène est indépendant du fait que le procès soit localisé dans le passé. En utilisant la terminologie introduite dans la Figure 1, on peut dire que il mangea donne à voir l’intégralité de la phase processive (phase initiale + phase médiane + phase finale, donc R=E), tandis que il mangeait n’en donne à voir que la phase médiane. La distinction de E et de R permet ainsi de rendre compte d’une propriété d’un temps verbal, en l’occurrence l’Imparfait. On dira que il mangeait, comme il mangea, ont en commun de produire une visée aspectuelle processive ; mais ces deux formes diffèrent par le fait que cette visée est de surcroît imperfective pour le premier (on dit aussi « sécante »), perfective pour le second (on dit aussi « globale »).
Nous ajouterons à S, E et R un quatrième paramètre, noté « e », conçu lui aussi comme un intervalle. Sous sa forme complète, il sera donc noté [e1–e2]. Ce quatrième élément nous sera utile dans la description des deux types majeurs de formes composées : les temps composés au sens traditionnel du terme (Passé composé, Plus-que-parfait, etc.) et les temps prospectifs (type il va pleuvoir, il allait pleuvoir). Ces deux types de formes verbales présentent en effet la particularité de pouvoir référer non seulement au procès proprement dit (phase processive), mais également à la phase post-processive (temps composés) ou à la phase pré-processive (temps prospectifs). Pour rendre compte de cette propriété, tout en continuant à distinguer référence temporelle (R) et signification du lexème verbal (E), il convient donc d’« élargir » la signification du lexème aussi bien du côté de la phase pré-processive que du côté de la phase post-processive. C’est à quoi sert l’intervalle [e1–e2].
Ces paramètres étant posés, il est maintenant possible d’envisager différentes relations temporelles entre eux. Les relations suivantes nous seront particulièrement utiles (Tableau1) :
Relation | Notation |
---|---|
Coïncidence temporelle entre X et Y | X=Y |
Inclusion temporelle de X dans Y | X⊂Y |
Coïncidence ou inclusion entre X et Y (neutralisation de la distinction =/⊂) |
X⊆Y |
Antériorité de X relativement à Y | X |
Les relations temporelles entre R et E peuvent être de l’un des
5 types signalés dans le Tableau 2. Ces relations définissent quatre
visées aspectuelles : perfectivité (R=E), imperfectivité (R⊂E), prospectivité (R
Relation entre R et E | Signification aspectuelle |
---|---|
R=E | aspect perfectif (« global ») |
R⊂E | aspect imperfectif (« sécant », « inaccompli ») |
R⊆E | sous-détermination entre aspect perfectif et imperfectif |
Raspect prospectif |
|
Easpect résultatif (« accompli ») |
|
Dans l’un ou l’autre des cas R
Relation entre R et e | Signification aspectuelle |
---|---|
R=e | aspect perfectif (sur la phase pré- ou post-processive) |
R⊂e | aspect imperfectif (sur la phase pré- ou post-processive) |
R⊆e | sous-détermination |
Au total, cette conceptualisation aboutit aux possibilités représentées dans la Figure 2. En-dessous de chaque type sont donnés quelques exemples de temps verbaux correspondants.
Figure 2. – Visée aspectuelle de quelques temps verbaux du français.
Ce schéma donne une représentation simplifiée des temps prospectifs et n’inclut pas les Conditionnels.
Certains temps verbaux sont aspectuellement polysémiques (ou neutralisent une opposition aspectuelle), et figurent à deux endroits dans ce schéma. Il s’agit des temps composés (Passé antérieur excepté) et du Futur.
2.3.4. Perfectivité et imperfectivité
Ces deux visées aspectuelles sont fréquemment appelées également « aspect global » et « aspect sécant ». Quelles sont les principales conséquences de cette distinction, et à quels domaines s’applique-t-elle ?
Représenter un intervalle selon une visée perfective a comme première conséquence que le cours interne de cet intervalle est inaccessible. Ainsi, quand il s’agit par exemple de la phase processive (R=E), la visée perfective ne produit pas, comme on pourrait le penser, et comme on le dit parfois, un parcours interne complet du procès signifié par le verbe (qui s’opposerait à un parcours interne partiel), mais plutôt une saisie unitaire du procès, ce qui est tout à fait différent. Cette saisie a parfois été assimilée à un point temporel [Note 9], mais le terme même de « point » a donné lieu à de tels malentendus – notamment en didactique – qu’il est préférable de l’éviter. La perfectivité n’empêche en effet pas la durée (voir des exemples comme : Louis xiv régna 54 ans). En revanche, elle peut produire dans certains contextes des effets particuliers.
En contexte narratif, c’est-à-dire quand la référence temporelle progresse à chaque nouvel énoncé, la perfectivité peut produire, avec les verbes non transitionnels (verbes d’activité et d’état), un effet de contraction sur la phase initiale. On observe ce phénomène sur certains Passés simples (temps verbal typiquement perfectif), comme dans l’exemple suivant :
(8) [Depuis un moment, Frédéric II entend un bruit curieux dans un arbre] Frédéric II était derrière ce buisson depuis peut-être une demi-minute, bouche ouverte et l’œil rond, quand le bruit ressembla à celui que ferait quelque chose, ou quelqu’un, ou une bête, un serpent qui glisserait contre des branches, de l’écorce [...]. (J. Giono, 1947)
Dans le moment narratif qui suit immédiatement cet extrait, le bruit désigné continue à ressembler à celui que ferait un serpent. D’autres procès peuvent suivre, tandis que cette ressemblance perdure. À cause du type de verbe, il n’est pas possible dans ce contexte de maintenir l’idée selon laquelle cette ressemblance serait saisie de façon globale, si « global » signifie que le terme du procès est inclus dans la référence. Tout se passe comme si ressembler signifiait dans ce contexte ‘commencer à ressembler’ (effet inchoatif). Si le verbe est interprété ainsi, alors le Passé simple conserve son caractère global, donc perfectif. Nous verrons plus loin quelles sont les conséquences de ce phénomène pour les temps composés, quand c’est l’état résultant qui fait l’objet d’une visée perfective (R=e).
Une autre conséquence, repérée depuis longtemps mais parfois présentée elle aussi de façon caricaturale, est la propension des formes verbales perfectives à faire temporellement progresser la référence temporelle. D’où leur utilisation prototypique dans la narration. Depuis quelques années, le terme de « propulsivité » est apparu pour désigner cette propriété (Johanson 2000). Il s’agit cependant d’une propriété nullement systématique, comme beaucoup l’ont noté [Note 10] et comme nous le verrons plus loin. Cette propulsivité, quand elle se présente, signifie que le procès désigné est donné comme postérieur à un procès ou un repère précédemment mentionné. Nous reviendrons également sur cette question dans la section sur les temps composés.
L’imperfectivité, par contraste avec ce qui précède, donne une représentation n’incluant ni la borne initiale ni la borne terminale de l’intervalle désigné. Il en résulte que ces deux bornes n’ont pas le même statut de réalité. Tandis que la borne initiale est présupposée exister (on ne peut référer à un procès en cours sans présupposer que son commencement est advenu), la borne terminale demeure quant à elle incertaine, de sorte que s’il s’agit d’un procès télique (cf. § 2.4. infra), il n’est pas possible de déterminer s’il est allé jusqu’à son terme. La conséquence de ces deux propriétés est que l’imperfectivité est inapte à faire progresser la référence temporelle, qu’elle est en quelque sorte « anti-propulsive ». Lorsqu’un procès est donné avec une visée imperfective, il ne modifie en général pas la référence temporelle antérieure [Note 11].
D’autres conséquences de ces deux visées aspectuelles seront développées plus loin, notamment dans la section consacrée aux temps composés (§ 4).
2.3.5. La localisation temporelle et la notion de repère (r0, r1)
Qu’il s’agisse des temps verbaux ou d’expressions adverbiales, les expressions localisant un procès dans le temps le font nécessairement selon l’un des trois modes suivants :
– La localisation dite absolue. – Ce type de localisation n’est possible qu’avec un seul type d’expressions : celles qui utilisent le système calendaire-chronométrique. Il s’agit d’expressions comme : le 1er septembre 2021, le 18 juin 40, le 21 juillet 1969 à 2h56 UTC. « Absolu » vise à signifier ici qu’il n’est besoin d’aucune autre connaissance temporelle pour interpréter ces expressions. En ce sens, ce qualificatif est abusif, car ces expressions sont ininterprétables sans la connaissance du système calendaire-chronométrique. Nous continuerons néanmoins à l’utiliser.
En français, aucun temps verbal ne fonctionne de cette façon. Cependant, les linguistes utilisent encore souvent l’expression de temps absolus pour désigner les temps verbaux purement déictiques comme le Présent et le Futur, notion qu’ils opposent à celle de temps relatif. On doit cette terminologie à Girard (1747), mais la distinction des deux types de temps qu’elle désigne se trouve déjà dans la Grammaire de Port-Royal (Arnauld & Lancelot 1660) [Note 12]. Le texte de Girard est le suivant :
Lorsqu’ils [les temps verbaux] représentent le temps de l’événement par la seule comparaison avec celui où l’on parle, ils sont temps absolus : lorsqu’ils le représentent par une double comparaison, faite non seulement avec le temps de la parole mais encore avec celui de quelqu’autre événement, ils sont temps relatifs. (Girard, 1747, tome 2, p. 25)
En fait, une forme verbale conjuguée ne reçoit sa référence temporelle que par rapport à un repère. Un repère est un moment dont la localisation temporelle est supposée connue et qui est utilisé pour localiser un procès ou un autre moment [Note 13]. Selon le type de repère, on distingue deux modes de localisation :
– La localisation déictique. – Il y a localisation déictique quand le repère utilisé n’est autre que le moment de l’énonciation, autrement dit S (qualifié parfois d’origo temporelle). Des adverbiaux comme (9) identifient leur site temporel (leur date) de façon typiquement déictique :
(9) hier,
aujourd’hui,
demain,
il y a trois jours,
dans trois jours
Du côté des temps verbaux, et comme indiqué plus haut, les temps réputés passés (Imparfait, Passé simple, Plus-que-parfait, par ex.) ou futurs (Futur simple et Futur antérieur), de même que le Présent, ont un fonctionnement déictique. La connaissance de S est en quelque sorte un allant-de-soi de tout acte de communication. Ce premier repère sera désormais noté r0.
– La localisation anaphorique. – Il y a localisation anaphorique quand le repère utilisé est un moment dont la localisation temporelle est supposée connue, non pas au même titre que S, mais parce qu’elle est fournie par le contexte et est susceptible d’être mémorisée. Les expressions adverbiales listées en (10), homologues de celles de (9), identifient leur date de façon typiquement anaphorique :
(10) la veille,
ce jour-là,
le lendemain,
trois jours plus tôt,
trois jours plus tard
Contrairement au cas précédent, le repère nécessaire pour interpréter ces adverbiaux n’est pas un allant-de-soi. Il doit être connu, par exemple par mémorisation d’une information apportée antérieurement. Il peut arriver que cette information doive être inférée, ou encore qu’elle soit fournie par le contexte mais après l’expression. « Anaphorique » inclut donc ici le mécanisme de la cataphore. Les repères anaphoriques seront désormais notés r1. Les repères seront considérés comme des points, non comme des intervalles.
Relativement à la distinction entre déixis et anaphore, il existe trois types de temps verbaux : des temps purement déictiques, des temps purement anaphoriques, et des temps qui associent les deux modes de localisation et qui sont donc anadéictiques.
Comme exemple de temps verbal purement anaphorique, on peut mentionner le Participe présent. En effet, cette forme n’est pas apte à elle seule à localiser le procès qu’elle dénote. Elle hérite cette information du verbe principal. Ce mécanisme d’héritage n’est autre qu’un mécanisme anaphorique.
(11) a. Trouvant l’endroit agréable, il décida de s’y installer.
b. Trouvant l’endroit agréable, il décide de s’y installer.
c. Trouvant l’endroit agréable, il décidera de s’y installer.
Comme exemple de temps verbal anadéictique, on peut mentionner le Plus-que-parfait. En effet, d’une part en tant que temps du passé, indiquant donc que la référence temporelle est antérieure à S, le Plus-que-parfait comporte une dimension déictique. Mais d’autre part, il comporte également une dimension anaphorique : il indique que le procès désigné est antérieur à un repère lui-même localisé dans le passé (ce repère pouvant être fourni par un autre procès). Ce second fonctionnement relève de l’anaphore [Note 14].
2.3.6. De la nécessité de distinguer S de r0
Bien que le moment de l’énonciation (S) serve la plupart du temps, et par défaut, d’origo temporel, il est utile de distinguer S de son utilisation comme repère. L’intérêt de cette distinction apparaît lorsqu’il s’agit de rendre compte de certains phénomènes de transposition temporelle. Pour faire voir de quoi il s’agit, examinons l’exemple suivant.
(12) La gauche recueille les lauriers d’une union longuement et difficilement acquise. Sur l’ensemble des villes de plus de 30000 habitants, elle recueillait à l’heure où nous écrivons environ 52% des voix. (Le Progrès, 14.03.1977. In : Kerbrat-Orecchioni 1980 : 61).
Dans cet extrait, l’énonciateur-journaliste utilise un Imparfait dans un contexte où l’on attendrait un Présent : le procès désigné par cet Imparfait est localisé au moyen de l’expression adverbiale à l’heure où nous écrivons (expression qui comporte elle-même un Présent). L’explication qu’on peut donner est que cet Imparfait anticipe le moment où l’article sera lu ; il revient à « se mettre à la place » du futur lecteur, pour qui l’actualité de l’énonciateur-journaliste sera forcément du passé au moment où il prendra connaissance de l’article. Il y a donc ici, sur cette forme verbale, projection du repère r0 sur le moment de la lecture (le moment de l’écriture devenant ipso facto du passé). À l’écrit, cette anticipation du temps de la lecture se rencontre sporadiquement, notamment dans la correspondance épistolaire. Les grammaires latines lui ont donné le nom de « passé épistolaire ». Voici un exemple forgé de séquence formulée selon cette logique temporelle, où le Présent et les deux temps du passé (Imparfait et Passé composé) adoptent le point de vue temporel du lecteur :
(13) En me lisant, tu dois penser que j’étais de très mauvaise humeur quand j’ai écrit cette lettre. (Avec cette lettre désignant la lettre où figure cette séquence)
Ces transpositions temporelles montrent que le repère r0, en tant que déterminant le choix des temps verbaux et de certains adverbiaux temporels, ne doit pas être considéré comme une contrainte incontournable. Il est certes par défaut (et la plupart du temps) localisé dans S ; mais son placement est avant tout une construction du discours, autrement dit un paramètre susceptible de diverses manipulations [Note 15].
2.4. Terminologie utilisée pour l’aspect lexical
[Note 16]
On aura souvent recours, dans cette notice, à des termes permettant de caractériser l’aspect lexical, c’est-à-dire les propriétés aspectuelles des lexèmes verbaux ou des expressions verbales. Cette section donne un aperçu de la terminologie utilisée. Elle ne vise donc pas du tout à faire le point sur l’état des connaissances dans le domaine de l’aspect lexical.
Transitionnalité :
Tout d’abord, on distingue entre les verbes transitionnels et
les verbes non transitionnels.
Sont typiquement transitionnels des verbes
comme : s’endormir, arriver, réparer, construire.
Sont typiquement non transitionnels des verbes comme :
heurter, éternuer, travailler, préférer.
La notion de transition peut être décrite sommairement comme un changement d’état impliquant un terme naturel (Martin 1988). Soit, en reprenant les exemples ci-dessus et en nous limitant à des gloses forcément sommaires :
– s’endormir : | ‘passer de l’état de veille à l’état de sommeil’ |
– arriver : | ‘passer de l’état consistant à ne pas être en un certain lieu, à l’état consistant à se trouver dans ce lieu’ |
– réparer : | ‘faire passer de l’état consistant à ne pas pouvoir fonctionner à l’état consistant à pouvoir fonctionner’ |
– construire : | ‘faire passer de l’état consistant à ne pas exister à l’état consistant à exister’. |
On analyse parfois ce type de verbe en opposant contenu « présupposé » et contenu « asserté » (e.g. Vet 1980). Il s’est endormi présuppose ‘il était réveillé’ et asserte ‘il dort’.
Durativité :
On distingue également entre verbes duratifs et non duratifs
(ou instantanés). Parmi les exemples ci-dessus, les verbes non duratifs sont
représentés par : s'endormir, arriver, heurter, éternuer.
Et les verbes duratifs par : réparer, construire, travailler, préférer
Depuis Garey (1957), on utilise le terme de télicité (verbe télique vs atélique) comme équivalent de « transitionnalité ». Cependant beaucoup d’auteurs limitent la télicité aux verbes transitionnels duratifs. Pour ces auteurs (e.g. Comrie 1976), seuls réparer et construire parmi les verbes ci-dessus sont considérés comme téliques. Entendus ainsi, les verbes téliques présentent la particularité d’être compatibles avec les expressions en « en + durée » : réparer une fenêtre en quelques minutes, construire une maison en six mois [Note 17].
Dynamicité :
On distingue également entre les verbes n’impliquant pas de dynamique interne (verbes statifs, ou d’état) de ceux impliquant une dynamique interne (tous les autres types). Parmi les 4 exemples de verbes duratifs ci-dessus, seul le dernier est non-dynamique. Sont dépourvus de dynamicité : préférer, habiter, être assis, craindre
Un critère généralement donné pour distinguer les verbes statifs des autres verbes est la non-compatibilité – du moins la difficile compatibilité – des verbes statifs avec la périphrase être en train de. Cf. il est en train de courir vs *il est en train de préférer le chocolat. Cette périphrase nécessite en effet deux propriétés : la durée et la dynamicité, cette dernière étant absente des verbes d’état.
Vendler (1957) a distingué quatre types de verbes, qu’il a appelés : accomplissements (transitionnels duratifs), achèvements (transitionnels non-duratifs), activités (non transitionnels duratifs) et états (non transitionnels, duratifs et non dynamiques). On ajoute en général à cette liste les verbes ponctuels, ou points (Moens & Steedman 1988), qui sont non transitionnels, non duratifs et néanmoins dynamiques [Note 18]. Les deux verbes suivants sont des points : heurter, éternuer.
Si l’on traite les propriétés ci-dessus comme des composants sémantiques minimaux (traits sémantiques), on peut alors décrire ces cinq types comme suit :
accomplissement | [+transitionnel] | [+duratif] | [+dynamique] | réparer, construire |
achèvement | [+transitionnel] | [–duratif] | [+dynamique] | s'endormir, arriver |
activité | [–transitionnel] | [+duratif] | [+dynamique] | travailler, courir |
état | [–transitionnel] | [+duratif] | [–dynamique] | habiter, préférer |
point | [–transitionnel] | [–duratif] | [+dynamique] | heurter, éternuer |
Incrémentativité :
Il existe par ailleurs une famille de verbes présentant des points communs d’une part avec les verbes d’accomplissement, d’autre part avec les verbes d’activité. Avec les verbes d’accomplissement, ils partagent le fait d’être [+dynamique] et [+duratif] ; avec les verbes d’activité, le fait que cette dynamicité ne débouche pas sur une transition d’état. Ils sont donc [+dynamique] et [–transitionnel], comme les points, mais [+duratif]. Il s’agit de verbes comme les suivants : vieillir, jaunir, grandir, élargir, (s')améliorer, mûrir, faciliter.
On peut les caractériser comme suit : ils désignent l’augmentation ou la diminution du taux auquel est évaluée la possession d’une certaine propriété, la possession d’une certaine dimension. Dans les exemples ci-dessus : l’âge (vieillir), une couleur (jaunir), la grandeur (grandir), la largeur (élargir), la qualité ((s’)améliorer), la maturité (mûrir), la difficulté (faciliter). La plupart de ces verbes sont morphologiquement dérivés d’adjectifs gradables. Nous les qualifierons d’incrémentatifs, appellation empruntée à Bertinetto (1986) [Note 19]. Contrairement aux verbes d’accomplissement, les verbes incrémentatifs ne débouchent pas sur une transition. Le taux auquel est évaluée la possession de la propriété concernée peut toujours être plus élevé ou moins élevé.
Cependant, certains verbes incrémentatifs oscillent entre deux, voire trois types aspectuels. Un verbe comme (s’)améliorer est en principe toujours incrémentatif et n’implique pas de transition, sa base morphologique (meilleur) n’étant pas une notion absolue. Mais il en va différemment de verbes comme jaunir ou faciliter, qui peuvent signifier aussi bien ‘devenir plus jaune’, ‘rendre plus facile’, que ‘devenir jaune’, ‘rendre facile’ (comme qualités absolues). Dans le premier cas, ce sont des verbes incrémentatifs au sens défini ci-dessus (donc non transitionnels) ; dans le second, des verbes transitionnels. Cette variation sémantique est héritée de la base adjectivale : facile peut être interprété comme gradable ou comme non-gradable, et il en va de même des adjectifs de couleur.
Si l’on s’en tient aux traits sémantiques retenus ci-dessus, les verbes incrémentatifs ont donc les mêmes propriétés que les verbes d’activités de Vendler : ils sont [–transitionnel], [+duratif] et [+dynamique]. Etant donné qu’ils s’en distinguent par l’idée de changement, de transformation, nous ajouterons ce trait pour les intégrer dans la typologie. On obtient alors les six types suivants :
accomplissement | [+transitionnel] | [+duratif] | [+dynamique] | [+transformatif] | réparer, construire |
achèvement | [+transitionnel] | [–duratif] | [+dynamique] | [+transformatif] | s'endormir, arriver |
activité | [–transitionnel] | [+duratif] | [+dynamique] | [–transformatif] | travailler, courir |
état | [–transitionnel] | [+duratif] | [–dynamique] | [–transformatif] | habiter, préférer |
point | [–transitionnel] | [–duratif] | [+dynamique] | [–transformatif] | heurter, éternuer |
incrémentatif | [–transitionnel] | [+duratif] | [+dynamique] | [+transformatif] | vieillir, (s')améliorer |
Précisons que les exemples donnés dans ce tableau le sont en vertu d’une signification considérée intuitivement comme première. Il faut toutefois avoir conscience que la polysémie verbale peut concerner spécifiquement l’aspect lexical, comme on vient de le voir avec les verbes incrémentatifs. Par exemple, le verbe se taire, considéré généralement comme pouvant signifier ‘ne pas parler’ ou ‘cesser de parler’, a une polysémie typiquement explicable par l’aspect : signifiant ‘ne pas parler’, c’est un verbe d’état (éventuellement d’activité) ; signifiant ‘cesser de parler’, c’est un verbe d’achèvement.
2.5. La notion d’emploi
2.5.1. Position du problème
Tout le monde s’accorde pour reconnaître que les temps verbaux peuvent être associés, en discours, à une multitude de significations ou de fonctions différentes : temporelles et aspectuelles, cela va de soi, mais aussi modales, médiatives, pragmatiques, voire textuelles. Les travaux se revendiquant d’une approche TAM (Temps, Aspect, Modalité), ou plus récemment TAME (Temps, Aspect, Modalité, Évidentialité) visent précisément à prendre en compte cette polyfonctionnalité des temps verbaux (cf. Dahl 1985, Tournadre 2004).
Par ailleurs, en sémantique verbale peut-être davantage que dans d’autres domaines de la sémantique, il est particulièrement difficile de dissocier, dans les significations produites, celles qui doivent être spécifiquement attribuées au grammème de temps verbal et celles qui résultent d’une combinaison entre l’apport du grammème et l’apport de certains éléments de son contexte, à commencer par le lexème verbal [Note 20] . Depuis longtemps, l’habitude s’est installée consistant à recourir à des notions comme celles d’emploi ou d’effet de sens, notions auxquelles on oppose souvent une signification réputée « de base », sans que ces notions soient réellement approfondies [Note 21]. Il en résulte parfois, notamment dans certaines publications à finalité typologique et/ou didactique, une prolifération non contrôlée d’« emplois » et d’« effets » – prolifération que l’ambition d’installer de nouvelles étiquettes dans la communauté des linguistes ne peut qu’encourager. Or, le risque existe d’attribuer au grammème de temps verbal des propriétés qui sont en réalité celles de son environnement, comme l’ont noté plusieurs auteurs (e.g. Vetters 2011). On ne peut malheureusement que constater que, en dépit de sa pertinence, cette remarque est en réalité assez peu prise en compte.
Il n’est pas possible ici d’aborder cette problématique de façon approfondie [Note 22]. Mais il peut être utile de passer en revue quelques mécanismes généraux permettant de mieux comprendre l’apparente polysémie des temps verbaux.
La position que nous adopterons consiste à considérer, par hypothèse, que les grammèmes des temps verbaux du français ont une signification qui se limite à de l’information aspectuelle et temporelle, celle-là même dont la description nécessite l’appareil conceptuel développé plus haut. Cette information sera considérée comme constituant leur « carte » sémantique au plan de la langue. Dès lors, l’objectif de la présente section est de mettre au jour quelques mécanismes susceptibles d’expliquer comment d’autres significations peuvent advenir lors de l’actualisation du grammème, autrement dit lors de sa combinaison avec un lexème verbal et plus généralement de sa mise en contexte, lorsque la langue devient discours.
2.5.2. Quelques mécanismes de la polysémie verbale
On distinguera cinq mécanismes susceptibles d’engendrer, à partir des informations aspectuo-temporelles portées par le grammème de temps verbal, des significations au moins partiellement différentes et/ou plus ou moins spécifiques :
– l’interaction entre grammème et lexème verbal
– la sous-détermination référentielle
– la transposition temporelle
– la modification de la portée du grammème de temps verbal
– l’absence d’ancrage d’un paramètre du temps verbal
À ces mécanismes, il convient d’ajouter un phénomène très général, transversal, que nous désignerons par le terme de « phraséologisation ».
2.5.2.1. Interaction entre grammème et verbe
Vendler (1957) déjà avait noté que les temps verbaux de l’anglais interagissaient avec la signification du verbe, et que cette interaction pouvait se traduire par une modification de l’interprétation de celui-ci. Très généralement, ce phénomène peut être caractérisé comme le résultat de l’interaction entre les propriétés du grammème de temps verbal et celles du lexème verbal. En voici quelques exemples :
Le premier concerne l’Imparfait lorsque ce temps verbal opère sur un verbe désignant un procès instantané et transitionnel, par exemple le verbe sortir. La combinaison de l’imperfectivité du temps verbal et des propriétés aspectuelles du verbe peut produire une modification de la signification de ce dernier, par absorption de la phase pré-processive : le verbe ne désigne plus alors la phase transitionnelle seulement, en principe sans durée dans le cas de sortir, mais un intervalle plus large incluant la phase pré-processive (la préparation de la sortie). On observe typiquement ce phénomène dans la formulation suivante :
(14) Il sortait lorsque le téléphone a sonné.
(≈ ‘il s’apprêtait à sortir...’, ‘il était sur le point de sortir...’)
Dans (14), le verbe sortir ne désigne pas seulement la transition stricto sensu ; il y ajoute un intervalle qui relève de la phase pré-processive. Cette extension sémantique du signifié verbal est la conséquence de la difficile compatibilité entre l’imperfectivité du grammème d’Imparfait (impliquant une certaine durée) et l’instantanéité du procès que dénote le verbe [Note 23].
Le second exemple, déjà évoqué plus haut, concerne le Passé simple, et plus généralement les temps verbaux perfectifs. Lorsqu’ils opèrent sur un verbe non transitionnel duratif (activités et états de Vendler), ces grammèmes tendent en effet à produire une signification inchoative, comme dans l’exemple suivant :
(15) Alors il dansa. [...] Il se laissa envahir par la musique,
par le rythme. L’alcool coulait dans ses veines. (roman internet, 2009)
(≈ ‘il se mit à danser’)
Avec quelques verbes, ce phénomène s’est lexicalisé et a produit de la polysémie verbale. On l’a vu plus haut avec le verbe se taire et les deux significations : ‘ne pas parler’ (non transitionnel et duratif), et ‘cesser de parler’ (transitionnel et non duratif).
On observe par ailleurs le fait suivant concernant ce verbe : sans que l’autre signification soit exclue, c’est précisément la première qui est préférentiellement sélectionnée avec l’Imparfait, et la seconde avec le Passé simple :
(16) Il se taisait. (‘il ne parlait pas’)
Il se tut. (‘il cessa de parler’)
2.5.2.2. Sous-détermination référentielle
Ce phénomène concerne spécifiquement les temps composés. Il est proche du précédent dans la mesure où il s’agit également de l’interaction entre le grammème et le lexème verbal. Il s’en distingue cependant par le fait que, quoique également sensible au type aspectuel du verbe, il peut se produire avec tous les verbes, de sorte qu’on le considère en général comme une propriété des grammèmes des temps composés.
Ces temps verbaux ont en effet pour caractéristique de pouvoir référer aussi bien au procès proprement dit (à la phase processive) qu’à ses conséquences, à ce que Guillaume (1929) appelait sa « séquelle », bref à la phase post-processive, ou résultative ; de sorte qu’il est commun d’opposer des emplois processifs, comme dans (17), et des emplois résultatifs, comme dans (18) :
(17) Il s’est réveillé il y a une heure.
(18) Regarde : il s’est réveillé (≈ ‘il est réveillé’, ‘il ne dort plus’)
À strictement parler, il ne s’agit pas ici de deux significations du Passé composé, mais plutôt de deux actualisations différentes des potentialités référentielles de ce temps verbal : dans (17), le contexte, avec l’adverbial il y a une heure, sélectionne la phase processive ; tandis que dans (18), avec l’impératif regarde, il sélectionne la phase post-processive.
2.5.2.3. Transposition temporelle
Il s’agit de l’opération consistant à déplacer un repère associé au temps verbal. La plus commune est le déplacement de r0, repère réglant le choix des expressions de la déixis temporelle, donc celui des temps verbaux. Ce repère, situé par défaut dans l’intervalle d’énonciation, peut être déplacé (on dit parfois « projeté ») dans le futur ou dans le passé. Il en résulte une modification corrélative dans le choix des temps verbaux.
Le déplacement de r0 dans le passé a pour conséquences une utilisation du Présent pour désigner des procès passés, et donc du Futur pour désigner des procès ultérieurs à ces derniers. C’est ce qui se produit quand le Présent est utilisé comme temps conducteur de la narration dans le passé (fictive ou non), transposition connue sous l’appellation de Présent « narratif » ou « historique ». Cette transposition est illustrée par les exemples (3a-b) supra.
Le déplacement de r0 dans le futur produit des conséquences inverses. Le Présent est alors utilisé pour désigner des procès futurs, les autres temps verbaux s’accordant avec cette convention (le moment de l’énonciation devient du passé, etc.). Une exploitation de cette transposition est celle où r0 est associé à la temporalité de la réception, le locuteur adoptant le point de vue temporel du destinataire. Cette manœuvre n’est pertinente que lorsque l’intervalle temporel entre le moment de la production et celui de la réception est relativement long, par exemple dans la correspondance épistolaire (voir exemple (13) supra). On pourrait regarder cette transposition comme un fait d’empathie temporelle. Mais il serait peu utile de créer un emploi spécifique pour en rendre compte, et de parler par exemple d’« Imparfait épistolaire ». L’Imparfait de (13) n’est pas plus épistolaire ici que le Présent ou le Passé composé. Ces « emplois » ne sont que la conséquence de la transposition de r0 sur le moment de la réception. L’appellation même de « passé épistolaire » n’est pas non plus des plus heureuses, car elle ne prend en considération que la temporalité précédant le moment de la réception. Or dans cet exemple, on pourrait aussi bien parler de présent (l’époque) épistolaire.
Ces transpositions peuvent à leur tour déboucher sur des exploitations pragmatiques. Ainsi, c’est un fait bien connu que parler du présent en faisant comme si l’on parlait du passé (i.e. en projetant momentanément r0 dans le futur) ou comme si l’on parlait du futur (i.e. en projetant momentanément r0 dans le passé) est un procédé permettant d’atténuer l’expression de certains actes langagiers, en particulier les actes directifs (requêtes, questions). Les Imparfaits ou les Futurs dits « de politesse », comme (19)-(20), en sont une illustration.
(19) A: euh:: (.) j’voulais vous d’mander aut’chose [pour] euh: le règlement des
B: [oui]
A: cours y a-t-il possibilité d’régler en plusieurs fois ou faut faire qu’un seul chèque
(in Traverso 1999, 52) [Note 24]
(20) J’ai posé un paquet sous la banquette, dit Berthier, je vous demanderai d’y faire attention. (M. Aymé, 1933)
Parce que ces emplois concernent un petit nombre de verbes, les formulations qui en résultent sont pratiquement lexicalisées.
2.5.2.4. Modification de la portée du grammème de temps verbal
On considère généralement qu’un temps verbal a pour fonction de localiser dans le temps le procès signifié par le verbe, et de donner une certaine représentation de la temporalité interne de ce procès. La première partie de cette définition rend compte de la fonction de localisation, la seconde de l’aspect. Cette conception implique que le grammème porte sur le procès signifié par le verbe, que ce dernier en constitue l’incidence.
Cependant, dans certains cas le temps verbal échappe à cette caractérisation et paraît opérer sur un autre objet que le procès signifié par le verbe. Soit l’exemple suivant :
(21) Paul se levait tôt le matin depuis quelques mois.
Compte tenu du type de procès désigné (procès transitionnel, conçu en principe comme non duratif) et de la durée signifiée par l’adverbial (depuis quelques mois), cet exemple ne peut être interprété que comme signifiant la répétition de ce même procès durant l’intervalle borné par l’adverbial (≈ ‘Paul avait l’habitude de se lever tôt le matin depuis quelques mois’). Par ailleurs, nous avons vu plus haut que l’une des caractéristiques de l’Imparfait est de donner du procès une représentation incomplète (imperfective), excluant les bornes initiale et finale (R⊂E). Comment, dès lors, expliquer dans (21) le fonctionnement de ce temps verbal ? Il ne peut manifestement pas porter sur chaque procès considéré individuellement, la répétition impliquant l’accomplissement complet de chaque occurrence du procès. L’explication la plus vraisemblable est la suivante (Gosselin 2005) : dans cet exemple, le grammème d’Imparfait porte non pas sur chaque occurrence du procès signifié par se lever, mais sur une séquence de plusieurs occurrences de ce procès [Note 25] . Autrement dit, c’est la séquence elle-même, formée de la répétition de ce procès, qui est représentée comme située dans le passé et avec une visée aspectuelle imperfective, donc comme ayant commencé avant l’intervalle désigné par le temps verbal, et se poursuivant après cet intervalle.
Il en résulte que les emplois de l’Imparfait que l’on qualifie d’« itératifs » ou d’« habituels » s’expliquent techniquement par la variation que subit la portée du grammème d’Imparfait : dans notre notation, l’élément E ne correspond plus à un procès singulier, mais à une séquence itérative. Nous aurons l’occasion de voir que beaucoup d’autres significations produites par les temps verbaux peuvent être expliquées par une analyse de la portée du grammème.
2.5.2.5. Absence d’ancrage d’un paramètre du temps verbal
Lorsqu’un temps verbal est actualisé en discours, les paramètres définis plus haut (S, R, E, les repères) s’ancrent dans une certaine représentation. Toutes sortes de conséquences sémantiques, toutes sortes de faits d’interprétation peuvent être déclenchés par cet ancrage selon la façon dont il est réalisé. Ainsi, dans l’exemple examiné précédemment, où ce sont tous les paramètres qui sont concernés, E est une séquence de procès et non un procès singulier. Il peut arriver cependant qu’un paramètre se trouve sans ancrage, c’est-à-dire ne trouve dans le contexte aucune information lui permettant de recevoir sa valeur temporelle. Cette absence d’ancrage est potentiellement génératrice de significations particulières.
Cette situation se rencontre par exemple avec le Futur antérieur. Dans ses emplois les plus fréquents, ce temps verbal réfère à un intervalle temporel localisé dans le futur, et cet intervalle correspond à la phase post-processive (résultative) du procès (Patard 2019) :
(22) J’aurai terminé dans vingt minutes.
Ce temps verbal a également des emplois processifs. Dans ce cas le procès n’est pas obligatoirement localisé dans le futur, mais il est toujours considéré à partir d’un repère qui, lui, est localisé dans le futur :
(23) a. Il rentrera tard demain soir. Auparavant, il aura participé à sa dernière réunion de travail.
b. Dimanche prochain, j’aurai fait votre connaissance il y a très exactement dix ans.
Dans (23a), le procès désigné par le verbe est situé dans le futur, et est antérieur (cf. auparavant) à un repère dont l’ancrage temporel est assuré par demain soir. Dans (23b), le procès est situé dans le passé. Le caractère futur est néanmoins motivé par le fait que ce procès est considéré à partir d’un repère localisé dans le futur, repère dont l’ancrage temporel est assuré par l’expression dimanche prochain.
Il en va différemment dans l’exemple suivant :
(24) – Il se passe..., il se passe... que j’ai perdu mon portefeuille. – Bah ! dit Agustin, soucieux de rendre service et de calmer son voisin, vous l’aurez oublié chez vous, voilà tout. (J. d’Ormesson, 1986)
Comme dans (23b), le Futur antérieur de (24) localise le procès dans le passé. Mais dans cet extrait, aucune expression ne permet d’ancrer dans l’avenir le repère du Futur antérieur. Or, on constate que cette absence d’ancrage est associée ici à une signification particulière : ce Futur antérieur confère à l’énoncé une valeur d’hypothèse, hypothèse qui est présentée comme susceptible d’expliquer l’absence d’un certain portefeuille [Note 26]. On qualifie habituellement de « conjectural » ou d’« épistémique » cet emploi. Cette signification particulière est due précisément à l’absence d’ancrage du repère impliqué par ce temps verbal. (Dans la section consacrée au Futur antérieur, nous verrons comment il est possible de rendre compte de ce problème, en utilisant les différents paramètres présentés plus haut.)
2.5.2.6. Phraséologisation et fonctionnement indiciel
C’est une dimension rarement mentionnée à propos des temps verbaux, et dont les conséquences sont pourtant importantes. Les approches qui recourent à des notions comme celle de coercion (H. de Swart) ou de résolution de conflit (L. Gosselin), si elles expliquent de façon convaincante l’émergence de certaines significations ou de certains effets sémantiques, omettent généralement d’indiquer que ces significations et effets sont pour la plupart fortement conventionnalisés et donc mémorisés dans les savoir-faire grammaticaux des sujets parlants. Un exemple comme (21) ci-dessus, où l’Imparfait doit être interprété comme exprimant une habitude et non un procès singulier, ne fait en réalité que réaliser un type de signification – l’habitualité – par ailleurs tout à fait routinier et préexistant dans la grammaire des sujets parlants. En fait, cette formulation comporte un faisceau de marqueurs qui contribuent à l’expression de l’habitualité et sont fréquemment associés à cette valeur : le grammème d’Imparfait, la signification du verbe se lever, dont l’instantanéité a une compatibilité faible avec l’imperfectivité, et l’expression depuis quelques mois, impliquant un intervalle temporel relativement long. On dira que le temps verbal est associé ici à une formation phraséologique. La même remarque pourrait être faite à propos des Imparfaits et Futurs à fonction atténuative (ex. 19-20), du Futur antérieur conjectural (ex. 24), et de beaucoup d’autres « emplois ».
Par l’expression de « formation phraséologique », on entend donc l’existence de relations de solidarités d’intensité variable entre certains marqueurs, en raison de leur co-présence fréquente et plus ou moins systématique dans l’expression d’une fonction sémantique ou pragmatique particulière. Une même formation phraséologique peut associer (et associe généralement) des marqueurs appartenant à des niveaux très variés : grammèmes, lexèmes, constructions syntaxiques, fonctions pragmatiques, etc. [Note 27] Les schémas généraux qui en résultent présentent une certaine variation interne, qui peut être importante. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible d’en rendre compte avec la notion de figement – en dépit d’une certaine parenté entre les deux phénomènes. Il n’en demeure pas moins que ces formations, en raison de leur statut dans le savoir-faire langagier des sujets parlants, fonctionnent à la manière de macro-signes discontinus.
À regarder la façon dont est utilisée la notion d’emploi dans la littérature sur les temps verbaux, on s’aperçoit d’ailleurs que l’un des facteurs vraisemblablement décisifs est précisément la phraséologisation : sont prioritairement identifiés et reconnus comme des emplois les cas où le temps verbal contribue, dans le contexte d’une formation phraséologique, à l’expression d’une signification particulière ou à l’accomplissement d’une fonction pragmatique spécifique. L’erreur consiste malheureusement souvent à attribuer au seul grammème de temps verbal ces significations ou fonctions pragmatiques !
Par rapport à la notion d’emploi, et de façon plus générale par rapport à l’idée même de « polysémie » s’agissant des temps verbaux, deux enseignements peuvent être tirés de ce phénomène de phraséologisation.
En premier lieu, les significations correspondant à ces emplois ne sont pas produites par le seul grammème de temps verbal, de sorte que c’est en réalité un abus de langage que de parler, par exemple, de Présent futural, d’Imparfait d’habitude, de Futur épistémique, de Présent gnomique, de Conditionnel évidentiel, etc. Les significations que décrivent ces appellations ne sont pas associées à un grammème de temps verbal, mais à un faisceau de marqueurs dont le temps verbal n’est qu’un élément. En second lieu, ces significations ne peuvent pas non plus être convenablement décrites si on les regarde seulement comme des spécifications contextuelles d’une valeur de base (valeur considérée alors en général comme sous-déterminée) [Note 28] . Les concevoir ainsi reviendrait à voir en elles des phénomènes sémantiques purement contingents, faisant à chaque fois l’objet d’un calcul. Or, le principe même de toute formation phraséologique est précisément de court-circuiter le calcul de la signification, celle-ci étant codée à un niveau supérieur. C’est ce niveau que nous avons voulu désigner en parlant de macro-signe discontinu.
Un fait un peu particulier, qu’il n’est pas habituel de caractériser comme phraséologique, est le fonctionnement indiciel de certains temps verbaux. Le Passé simple, par exemple, a aujourd’hui un statut tel qu’il évoque automatiquement et quasi exclusivement le registre narratif (ce qui n’a pas toujours été le cas) ; le Conditionnel dans Il y aurait de l’eau sur Mars évoque par lui-même la presse, et même plus particulièrement les titres de presse (d’où l’appellation de Conditionnel « journalistique ») ; certains emplois du Futur antérieur semblent également particulièrement fréquents dans la presse (Ciszewska-Jankowska 2019) et produisent le même type d’association, etc. Ces phénomènes, qui relèvent de la connotation, bien que vraisemblablement assez marginaux, n’en contribuent pas moins, comme les formations phraséologiques, à renforcer l’impression d’« emplois ». Ils ne relèvent pas à strictement parler de la phraséologie, mais dans la mesure où ils émergent suite à des faits de cooccurrence, on peut néanmoins les rattacher à la phraséologie au sens large.
2.6. Références bibliographiques importantes
Barceló Gérard J., Bres Jacques (2006). Les temps verbaux de l’indicatif en français. Paris : Ophrys.
Beauzée Nicolas (1765). Article Tems. In : Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Tome 16. Neufchastel : Chez Samuel Faulche, 96–117.
Comrie Bernard (1976). Aspect. An introduction in the study of verbal aspect and related problems. Cambridge (UK) : Cambridge University Press.
Comrie Bernard (1985). Tense. Cambridge (UK) : Cambridge University Press.
Garey Howard B. (1957). Verbal aspect in French. Language 33, no 2, 91-110.
Gosselin Laurent (1996). Sémantique de la temporalité en français. Un modèle calculatoire et cognitif du temps et de l’aspect. Louvain-la-Neuve : Duculot.
Gosselin Laurent (2021). Aspect et formes verbales en français. Paris : Garnier.
Guillaume Gustave (1929). Temps et verbe. Théorie des aspects, des modes et des temps. Paris : Honoré Champion.
Imbs Paul (1960). L’emploi des temps verbaux en français moderne. Paris : Klincksieck.
Koschmieder Erwin (1929/1996). Zeitbezug und Sprache. Ein Beitrag zur Aspekt- und Tempusfrage. Leipzig/Berlin: B.G. Teubner. – Trad. française : Les rapports temporels fondamentaux et leur expression linguistique. Contribution à la question de l’aspect et du temps. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 1996.
Reichenbach Hans (1947). The tenses of verbs. In: H. Reichenbach, Elements of symbolic logic, § 51. London : The Macmillan Company.
Vendler Zeno (1957). Verbs and time. The Philosophocal Review LXVI, 143-160. Réédité dans : Z. Vendler, Linguistics in Philosophy. Ithaca, New York : Cornell University Press, 1967, 97-121.
Vet Co (1980). Temps, aspect et adverbes de temps en français contemporain. Genève : Droz.
Vetters Carl (1996). Temps, aspect et narration. Amsterdam : Rodopi.
Weinrich Harald (1973). Le temps. Le récit et le commentaire. Paris : Éd. du Seuil. Trad. de : Tempus : Besprochene und erzählte Welt. Stuttgart: Kohlhammer Verlag.
4. Description des temps composés
4.1. Spécificités des temps composés
Au plan morphologique, les grammèmes des temps composés sont parfois décrits comme des morphèmes à signifiant discontinu. Ainsi, Touratier (2002) analyse le Passé composé de (nous) avons chanté comme un morphème formé de deux segments : av-, représentant le Présent d’avoir auxiliaire, et ‑é, représentant le participe passé : soit un morphème discontinu av...é. Cette analyse suppose que les temps composés du français ne sont pas compositionnels.
Cependant, en matière de compositionnalité du sens, il est souvent difficile de distinguer entre les expressions compositionnelles et celles qui ne le sont pas. Cela est dû au fait que la compositionnalité est une propriété gradable. S’agissant des temps composés, un certain nombre d’observations conduisent à leur attribuer, contrairement à Touratier, un taux élevé de compositionnalité. C’est du moins la position que nous adopterons ici, avec d’autres linguistes (e.g. Kilani-Schoch & Dressler 2004, Gosselin 2017).
Au plan sémantique, les temps composés se caractérisent en effet par un certain nombre de propriétés qui sont indiscutablement le reflet de leur composition morphologique. La plus importante est la possibilité qu’ils offrent de référer, selon les circonstances, à deux phases distinctes du procès signifié par le verbe : la phase processive et la phase post-processive (ou résultative, ou état résultant). Pour cette raison, on leur donne parfois l’appellation générale de « parfaits » [Note 29]. Dans ce mécanisme, les composants morphologiques du temps composé fonctionnent de la façon suivante (cf. Waugh 1987, Gosselin 1996) :
– l’auxiliaire (être ou avoir) représente la phase résultative du procès, et son grammème (Présent, Imparfait, Futur, Conditionnel, Passé simple) indique la localisation temporelle de cette phase ainsi que la visée aspectuelle avec laquelle elle est représentée (perfective ou imperfective) ;
– le participe passé représente le verbe lexical, c’est-à-dire le procès proprement dit, la phase processive.
Ce fonctionnement permet de déduire, par exemple, que la phase résultative d’un Passé composé est localisée dans le présent et représentée avec la visée aspectuelle du Présent (imperfective), tandis que la phase processive de ce temps verbal est localisée dans le passé ; que la phase résultative d’un Plus-que-parfait est localisée dans le passé et représentée avec la visée aspectuelle de l’Imparfait (imperfective), et que sa phase processive est elle aussi localisée dans le passé, mais antérieurement à la phase résultative ; ou encore, que la phase résultative d’un Passé antérieur est localisée dans le passé et représentée avec la visée aspectuelle du Passé simple (perfective) ; etc.
Indépendamment de toute considération d’époque, ce mécanisme conduit à deux interprétations majeures des temps composés : l’interprétation résultative, dans laquelle la référence temporelle porte sur la phase post-processive ; et l’interprétation processive, dans laquelle la référence temporelle porte sur la phase processive (cf. Schéma 1, section 2.3.3.). La tradition grammaticale, notamment dans les études romanes, a coutume d’appeler « accompli » et « inaccompli » ces deux interprétations, mais nous n’utiliserons pas ici cette terminologie, en raison des confusions qu’elle engendre [Note 30].
Cette description amène à considérer les temps composés comme sous-déterminés par rapport à ces deux interprétations, et à attribuer au contexte une fonction de discrimination. Comme nous le verrons, certains contextes, ou certains types de procès, ne permettent d’ailleurs pas toujours d’opérer cette discrimination.
4.2. Le Passé composé
4.2.1. Avertissement
Plusieurs problèmes développés dans cette section concernent non seulement le Passé composé, mais aussi les autres temps composés, en particulier le Plus-que-Parfait, le Futur antérieur et le Conditionnel passé. Pour limiter les redites, certains points, dans les sections consacrées à ces temps verbaux, feront seulement l’objet d’un bref rappel et d’un renvoi à la section sur le Passé composé.
4.2.2. Passé composé processif vs résultatif
En terme de phase, le Passé composé a la possibilité de désigner, selon le contexte dans lequel il est utilisé, soit la phase processive d’un procès localisé dans l’époque passée, soit la phase résultative de ce procès, cette phase étant alors localisée dans le présent. Voyons ceci avec la forme s’est arrêté :
(1) Son cœur s’est arrêté dans la nuit, a dit le médecin, il n’a pas souffert. (C. Fellous, 2001)
(2) Ma montre s’est arrêtée. J’ai oublié de la remonter. Un instant, je vous prie de m’excuser. Oui, c’est démodé, j’ai une montre qui ne se remonte pas toute seule. (Y. Navarre, 1988)
Dans (1), le Passé composé désigne le procès consistant à s’arrêter, le moment même où le cœur a cessé de battre. C’est sa référence temporelle. Ce moment est localisé dans le passé et sa localisation est spécifiée (dans la nuit). Dans (2), en revanche, cette même forme désigne non pas le moment où la montre s’est arrêtée, mais l’état présent de non-fonctionnement dans lequel elle se trouve. Cet état est la conséquence du procès consistant à s’arrêter, son résultat, et c’est à ce résultat que la forme verbale réfère. Guillaume (1929) appelait « séquelle » ce résultat.
Pour désigner ces deux variétés, nous utiliserons respectivement les qualificatifs de processif et de résultatif : le Passé composé de (1) a une interprétation processive, et celui de (2) une interprétation résultative. Par ailleurs le premier réfère au passé, le second au présent. Ces deux interprétations diffèrent donc sur deux points : l’aspect et le temps. De nombreux auteurs ont noté qu’en interprétation résultative, le Passé composé peut être localisé au moyen de l’adverbe maintenant [Note 31].
La distinction de ces deux interprétations ne doit pas être regardée comme absolue. Il faut plutôt la concevoir comme une différence de mise en relief, de « saillance » : un Passé composé interprété processivement met en saillance la phase processive (mais n’occulte pas pour autant la phase post-processive) ; et, réciproquement, un Passé composé interprété comme résultatif met en saillance la phase post-processive (sans occulter pour autant la phase processive) [Note 32]. Cette solidarité entre les deux phases provient du fait qu’elles entretiennent un lien de cause à effet.
Diachroniquement, on admet en général que le Passé composé a pour origine une construction attributive (« attribut de l’objet »), analogue à des formulations comme celles ci-dessous :
(3) Pourquoi voit-on des taches quand on a les yeux fermés ?
(Ça m’intéresse, 3.9.2020)
Oztral a son ordi cramé. (Forum internet, 2010)
Monsieur Castaner est en voiture, il a sa ceinture attachée
[...]. (FranceInfo, 5.10.2017)
Cette hypothèse revient à considérer que la signification résultative est diachroniquement première [Note 33]. Dans les exemples (3), avoir est un verbe lexical, et non pas un auxiliaire. Il régit un complément (les yeux, son ordi, sa ceinture). L’agent responsable de l’état désigné par le participe n’est pas astreint à coïncider avec le référent du sujet du verbe avoir (l’agent qui a cramé l’ordinateur n’est pas nécessairement l’individu désigné par « Oztral », etc.) [Note 34].
Pour rendre compte des interprétations résultatives du Passé composé, on peut, en suivant les suggestions de Gosselin (2017), considérer que la notion de procès (le E de Reichenbach) doit être élargie à l’après-procès. Cela revient à dire qu’il y a, d’une part le procès stricto sensu, qui correspond dans l’exemple de s’arrêter au moment où cesse le fonctionnement ou le déplacement (la phase processive proprement dite) ; et d’autre part, le résultat que produit ce procès, l’état de non-fonctionnement ou d’arrêt (la phase post-processive). On retrouve ces deux éléments dans la glose suivante, qu’on peut considérer comme une description analytique de la signification de ce verbe :
s’arrêter : ‘passer de l’état de fonctionnement à l’état de non-fonctionnement, ou de l’activité de déplacement à l’état d’immobilité’
On réservera E pour noter la phase processive, et on notera e (intervalle [e1–e2]) la phase post-processive. La prise en compte de ce dernier intervalle n’est nécessaire que pour la description de l’interprétation résultative. Si l’on ne considère que ces deux éléments, on obtient le schéma général ci-dessous, qu’on va retrouver avec tous les temps composés au sens habituel du terme.
Figure 11: Les intervalles [E1-E2] et [e1-e2]
dans le chronogramme des temps composés
Concernant le Passé composé, le moment de l’énonciation (S) se trouve quelque part dans l’intervalle [e1–e2]. Selon que la référence temporelle met en évidence E ou e, la forme verbale est interprétée comme un passé processif ou comme un présent résultatif.
Dans des formes d’expression plus ou moins abrégées, l’auxiliaire du Passé composé peut être omis. Mais cette sténographie se fait presque toujours sur des formes à interprétation processive. Voir cet extrait du Journal de Delacroix :
(4) 5 février. – M. Baudelaire venu comme je me
mettais à reprendre une petite figure de femme à l’orientale, couchée sur un
sofa, entreprise pour Thomas, de la rue du Bac. Il m’a parlé des
difficultés qu’éprouve Daumier à finir.
Il a sauté à Proudhon qu’il admire et qu’il dit l’idole du peuple. Ses
vues me paraissent des plus modernes et tout à fait dans le progrès.
Continué la petite figure après son départ et repris les Femmes
d’Alger. (E. Delacroix, Journal, 5 févr. 1849)
Tous les Passés composés de cet extrait sont processifs, que l’auxiliaire soit ou non élidé, et que cette élision s’accompagne ou non de celle du sujet grammatical.
Utilisé comme qualificatif, le participe passé est susceptible lui aussi de deux interprétations. L’indication Mis en bouteille à la propriété, sur l’étiquette d’une bouteille de vin, est processive (c’est l’opération de mise en bouteille qui est localisée géographiquement) ; Réservé, sur une table de restaurant, est résultatif.
4.2.3. La notion de métalepse
Le couple d’exemples ci-dessus concerne un verbe (s’arrêter) avec lequel le contraste entre les deux interprétations, processive et résultative, est particulièrement net. Cela tient au fait que ce verbe désigne un procès transitionnel. Les verbes transitionnels produisent en effet un état résultant spécifique, dont le contenu est impliqué par la signification du verbe. Cet état est donc lexicalement prédéfini [Note 35] . Ainsi les verbes transitionnels suivants, au Passé composé, impliquent les états résultants indiqués après le signe ≈ :
(5) il s’est arrêté ≈ ‘il ne se déplace plus’,
‘il ne fonctionne plus’, ‘il est arrêté’
il s’est réveillé ≈ ‘il est réveillé’, ‘il ne dort plus’
il s’est endormi ≈ ‘il dort’
il est arrivé ≈ ‘il est là’, ‘il est à destination’
il est parti ≈ ‘il n’est pas/plus là’
etc.
Observons que pour formuler ces états résultants, on a utilisé ci-dessus une autre expression verbale conjuguée au Présent.
Ces équivalences ou quasi-équivalences indiquent qu’avec ce type de verbe, l’emploi du Passé composé pour signifier l’état résultant s’apparente à une métonymie temporelle, ou métalepse : au lieu de désigner l’état résultant de façon directe (par ex. en produisant : nous sommes à destination), on désigne le procès qui est à l’origine de cet état, en signifiant qu’il y a eu arrivée. On peut donc considérer qu’avec une certaine classe de verbes, l’usage du Passé composé pour désigner l’état résultant relève d’une figure [Note 36]. Parler ici de « figure » laisse entendre que le procédé peut être plus ou moins automatique, plus ou mois figé, plus ou moins « lexicalisé ». Nous verrons plus loin l’intérêt de cette analyse.
Le Passé composé de l’exemple suivant est très caractéristique de cet emploi métaleptique. Il s’agit de la description d’une photo (ce détail est important) montrant des personnes assises dans une automobile. La mère du descripteur est assise à l’avant, sa tante à l’arrière.
(6) Derrière elle [ma mère], ma tante, qui a aujourd’hui soixante-quinze ans [...]. Elle s’est mise discrètement à l’arrière. Elle sourit. (A. Duperey, 1992, description d’une photo)
Elle s’est mise à l’arrière est clairement donné ici pour ‘elle est à l’arrière’, description de ce que voit l’observateur. Cet exemple montre bien les liens qu’il est possible d’établir, par inférence, dans un sens ou dans l’autre, entre le contenu des phases processive et résultative. L’adverbe discrètement incite certes à interpréter ce Passé composé comme processif. Et, d’une certaine manière, il l’est. Mais la phase processive ne peut avoir été évoquée que dans le but de décrire, par métalepse, la place occupée par la tante sur la représentation qu’en donne la photographie.
Ce fonctionnement n’est pas propre au Passé composé, c’est une propriété des temps composés en général. On le retrouve donc – moyennant les transpositions temporelles qui conviennent – avec le Plus-que-parfait et le Futur antérieur.
4.2.4. Résultativité sémantique et résultativité pragmatique
Mais qu’en est-il des verbes non-transitionnels, comme pleurer, rester, dormir (verbes d’activité et d’état, dans la terminologie de Vendler) ? Contrairement aux verbes transitionnels, ils n’impliquent aucun état résultant prédéfini lexicalement. On est dès lors amené à se demander si, conjugués au Passé composé, ces verbes admettent néanmoins une interprétation résultative ; et, si oui, quel est le contenu de l’état résultant qu’ils produisent.
Examinons quelques exemples en procédant par couples, comme plus haut :
(7) Françoise, tu te souviens quand je suis arrivé à Paris je t’ai prise sur mes genoux et tu as eu peur, alors tu as pleuré. (F. Milewski, 2009)
(8) Elle se relève. Elle a pleuré, son visage est bouffi de larmes, de mauvais sommeil, de fatigue [...] (A.-M. Garat, 2010)
(9) Il était neuf heures du soir. Ce soir-là, nous sommes restés assis tranquillement, Dionnet et moi, échangeant nos impressions respectives [...]. (P. Manœuvre, 1985)
(10) Vous l’avez dit, partons ; ne restons pas ici davantage : nous n’y sommes restés déjà que trop longtemps. (J. Sandeau, 1848)
(11) Il a bu une bouteille de vin, puis s’est couché, et a dormi dix heures. (V. Hugo, 1885)
(12) Monseigneur a bien dormi ? demandèrent les compagnons sans se retourner. (H. Vincenot, 1972)
Ces couples ressemblent beaucoup à (1)-(2). En effet :
– le Passé composé du premier exemple de chaque couple fonctionne comme un temps du passé, avec parfois une localisation temporelle explicite (alors, ce soir-là) ou une indication fermée [Note 37] de durée (dix heures) ; la séquence où il se trouve est de type narratif ; le verbe y désigne la phase processive ;
– le Passé composé du second exemple de chaque couple vise à dire quelque chose du moment de l’énonciation, et l’énoncé où il se trouve concerne ce moment ; le verbe y désigne la phase résultative.
Cependant le contenu de ce résultat, de cette phase post-processive, demeure vague, allusif, dépendant des circonstances dans lesquelles l’énoncé est produit. Il est néanmoins souvent possible de le formuler au moyen d’une expression verbale au Présent, comme nous l’avons fait plus haut :
– l’exemple (8), elle a pleuré, est difficile à reformuler au Présent ; mais, compte tenu de ce qui suit ce verbe, il ne fait pas de doute que cette formulation est une allusion aux traces de pleurs actuellement visibles sur le visage ;
– dans (10), nous n’y sommes restés déjà que trop longtemps équivaut à peu près à ‘nous y sommes depuis déjà trop longtemps’, contenu inférable de la situation décrite ;
– dans (12), Monseigneur a bien dormi ? vise peut-être à signifier ‘Monseigneur est bien reposé ?’.
Peut-on évoquer ici la figure de la métalepse ? Probablement oui. Mais, comme on sait, la notion même de figure prête à de multiples discussions. Quoi qu’il en soit, c’est évidemment quand le verbe est transitionnel, comme dans les exemples (1)-(2), que la lexicalisation de la métalepse est la plus importante.
On peut néanmoins conclure de ces exemples que, quel que soit le verbe ou l’expression verbale, le Passé composé est toujours apte à produire, dans certains contextes, une interprétation de présent résultatif [Note 38] . Parfois, le contenu de l’état résultant est impliqué par le lexème verbal (verbes transitionnels), parfois non (autres types de verbes). Guillaume (1929 : 21-22) considérait que la séquelle (i.e. l’état résultant) était, selon le verbe, « plus ou moins imagée » et que, s’agissant d’un verbe comme marcher (non-transitionnel), elle se résumait à de la temporalité pure, dépourvue de contenu. Mais cela n’est vrai que d’une forme verbale pure. En situation, cette temporalité est presque toujours rendue signifiante, « remplie » par des contenus variés, calculés à partir de divers indices situationnels et connaissances empiriques. Dire d’un individu qu’il a bien dormi, si l’on a effectivement la connaissance préalable qu’il a bien dormi, ce peut être une manière indirecte de faire savoir que l’individu en question devrait maintenant être particulièrement frais et dispos (et de suggérer d’en tirer telle ou telle conclusion). Et, si l’on ne sait rien du sommeil de l’individu en question mais que l’on constate qu’il a l’air frais et dispos, dire il a bien dormi peut être une manière indirecte de faire savoir qu’on en infère qu’il a probablement bien dormi [Note 39].
Ces analyses conduisent à distinguer deux types de résultativités :
– une résultativité sémantique, prédéfinie par la signification du verbe et qui ne concerne par conséquent qu’une sous-classe de verbes : les verbes transitionnels (accomplissements et achèvements) auxquels on peut ajouter les verbes incrémentatifs. En ce cas, le contenu de l’état résultant est impliqué par la signification du verbe (‘être dans l’état de sommeil’ est impliqué par s’endormir, etc.) ;
– une résultativité pragmatique (ou indirecte), qui relève exclusivement de processus interprétatifs, donc inférentiels, susceptible de concerner tous les types de verbes. En ce cas, le contenu de l’état résultant est un construit interprétatif. Les verbes non-transitionnels (activités, états, points), pour les raisons données plus haut, ne peuvent produire que ce type de résultativité [Note 40].
Il y a donc deux catégories de verbes (ou expressions verbales), si l’on considère le type de résultativité qu’ils peuvent produire :
– ceux qui sont transitionnels ou incrémentatifs, qui peuvent, selon les circonstances, produire deux types de résultativités (sémantique et pragmatique) ;
– ceux qui ne sont ni transitionnels ni incrémentatifs, qui ne peuvent produire que de la résultativité pragmatique.
4.2.5. « Il y a + durée » vs « depuis + durée »
Certains adverbiaux sélectionnent une interprétation processive, ou au contraire résultative des temps composés. C’est notamment le cas du couple « il y a + durée » et « depuis + durée ». Le premier sélectionne l’interprétation processive, le second l’interprétation résultative. Ainsi, la forme il s’est endormi est processive dans le premier exemple, résultative dans le second exemple ci-dessous :
(13) a. Il s’est endormi il y a plusieurs minutes.
b. Il s’est endormi depuis plusieurs minutes.
L’expression « il y a + durée » vise à localiser temporellement le procès et induit une interprétation processive du Passé composé. Pour localiser le procès, elle indique la durée écoulée entre le procès proprement dit (l’endormissement) et un repère ultérieur, correspondant ici au moment de l’énonciation. (13a) répond ainsi à la question Quand s’est-il endormi ? L’expression utilise donc cette durée pour localiser le procès par rapport au repère. Notons que (13a) peut être énoncé aussi bien si l’individu dont il est question dort que s’il est (déjà) réveillé.
En revanche, l’expression « depuis + durée » vise à évaluer la durée de l’état résultant et induit une interprétation résultative du Passé composé. Elle indique la durée écoulée entre le début de la phase post-processive (le début du sommeil) et le moment de l’énonciation. (13b) répond ainsi à la question Depuis combien de temps est-il endormi ? Le procès est donc localisé indirectement, par l’intermédiaire de la durée de l’état résultant. Contrairement à (13a), (13b) ne peut être énoncé que si l’individu dont il est question est en train de dormir.
Il en résulte que l’intervalle que forme cette durée n’est pas du même type dans les deux cas. Avec « il y a + durée », cet intervalle est du temps pur, vide de tout contenu. Mais avec « depuis + durée », cet intervalle est occupé par la phase post-processive (ici, l’état consistant à être endormi) [Note 41].
Une conséquence de cette différence est que les verbes non transitionnels, parce qu’ils n’impliquent aucun état résultant particulier, sont peu compatibles avec l’adverbial « depuis + durée ». Ils sont en revanche tout à fait compatibles avec « il y a + durée ». Comparer :
(14) a. Il a heurté le trottoir depuis dix minutes.
b. Il a heurté le trottoir il y a dix minutes.
(14a) produit une configuration aspectuo-temporelle très peu vraisemblable.
Ces observations valent pour les temps composés en général, à l’exception du Passé antérieur, qui n’a pas d’interprétation processive.
4.2.6. Possible continuité des interprétations processive et résultative
Parmi les états résultants, une distinction supplémentaire peut être faite : celle entre états permanents et états temporaires. L’intérêt de cette distinction est le suivant. Quand un verbe produit un état résultant qu’on se représente ordinairement comme permanent, la différence entre interprétation processive et résultative perd de sa prégnance. En effet, référer au procès proprement dit, donc mettre en saillance le passé, n’empêche pas l’état résultant d’être encore valide au moment de l’énonciation. Comparons les deux exemples suivants :
(15) Dès qu’il nous a vus, le patron a ouvert la porte blindée qui donnait sur la cour où deux hommes m’attendaient, assis sur les fûts de bière. (S. Chalandon, 2011)
(16) Le dimanche 20 octobre, le jardin « Le Miroir » à La Roche, a ouvert ses portes et proposé des animations dans le cadre de l’événement Scènes d’automne. (letelegramme.fr, 25.10.2019. Ouvrir ses portes est interprété ici comme une ouverture « inaugurale »)
Ces deux exemples sont clairement processifs. Mais le verbe ouvrir tel qu’il est utilisé dans (15) ne pourrait produire qu’un état résultant des plus temporaires, de sorte que, même s’il ne s’agit pas d’un texte de fiction mais d’une situation réelle et récente, il est peu probable que la porte en question puisse être considérée comme encore ouverte au moment de l’énonciation. En revanche, ce même verbe dans (16) vise à informer de deux choses : d’abord, de l’ouverture même du jardin en question, ouverture explicitement localisée dans le passé (le dimanche 20 octobre) – ce en quoi ce Passé composé est indiscutablement processif ; ensuite, du fait que, pour les lecteurs du journal, au moment où ils prennent connaissance de cette information, ce jardin doit être considéré comme ouvert. Ce Passé composé produit donc une référence « continue » entre procès et résultat : en dépit de la présence d’une expression de localisation temporelle, son interprétation est processive et résultative, ou processive sans exclure un élargissement à la phase résultative [Note 42]. Cela tient au fait que nous nous représentons cet état résultant, certes non pas comme permanent au sens littéral et absolu du terme, mais comme ayant une durée relativement longue. Suffisamment longue pour que, dans l’intervalle temporel où le journal est susceptible d’être lu, l’existence de cet état puisse être considérée comme certaine.
4.2.7. Visée aspectuelle sur E et e
Examinons maintenant les propriétés aspectuelles de ces deux variétés de Passé composé.
Quand il est processif, le Passé composé partage un point commun avec le Passé simple : sa référence temporelle coïncide avec l’intervalle du procès (R=E). En d’autres termes, le Passé composé interprété processivement est perfectif et représente l’intégralité de cette phase.
Dans certaines conditions (verbes non-transitionnels duratifs), il peut également, comme le Passé simple, produire un effet inchoatif, conséquence de la perfectivité (cf. notice sur les temps simples, § 3.4.3.1.). Pour le montrer, on peut reprendre certains exemples de Passés simples donnés plus haut et les transposer au Passé composé :
(17) En s’attablant, elle a tiré sa jupe sous son séant, joint les genoux, rapproché ses coudes de ses flancs en effaçant les omoplates et a ressemblé à une jeune fille. (Colette, 1944, ex. modifié)
(18) L’alcool lui endormait doucement les sens. Et il voulait les réveiller à nouveau pour le reste de la nuit. Alors il a dansé. Encore et encore. Il s’est laissé envahir par la musique, par le rythme. L’alcool coulait dans ses veines. (roman internet, 2009, ex. transformé)
Les relations temporelles caractérisant le Passé composé processif sont donc les suivantes :
– r0⊂S
– R
– R=E
L’état résultant n’étant pas concerné, il n’est pas nécessaire d’introduire ici l’intervalle [e1–e2]. Le chronogramme se présente donc comme suit :
Figure 12 : Chronogramme du Passé composé processif
Quand il est résultatif, le Passé composé porte sa référence dans [e1–e2], phase post-processive de E. Toutefois, il ne donne pas à voir l’intégralité de cette phase ; il ne réfère qu’à la portion de celle-ci qui est concomitante de l’intervalle d’énonciation. C’est précisément en cela que le Passé composé résultatif est un temps du présent. La borne initiale, et a fortiori la borne terminale de [e1–e2], sont hors du champ de la référence. Le Passé composé résultatif réfère donc à la phase post-processive avec une visée imperfective (R⊂e). Il doit cette propriété au fait que son auxiliaire est au Présent. Si l’on dit à propos d’un individu qu’il est sorti, avec l’intention de faire savoir que ‘il est absent’, on signifie qu’au moment où l’on s’exprime l’individu en question est absent, mais on ne réfère pas à la totalité de l’intervalle durant lequel cet individu est absent. On ne s’exprime que sur ce qui vaut pour l’intervalle d’énonciation S. La visée aspectuelle sur la phase post-processive est donc bien imperfective. Les relations temporelles caractérisant le Passé composé résultatif sont donc les suivantes :
– r0⊂S Le chronogramme du Passé composé résultatif se présente donc
comme suit :
La non-inclusion, dans R, de la borne initiale e1 de
la phase post-processive implique que la localisation du procès (E) demeure
indéfinie. La seule information calculable est que ce procès se situe dans le
passé. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Passé composé a longtemps été
appelé « passé indéfini », par opposition au « passé
défini », i.e. le Passé simple. L’habitualité est fondamentalement imperfective (cf. la notice sur les temps simples, § 3.1.3.3.
et 3.2.3.2.). Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le Passé composé
résultatif, qui est imperfectif, puisse être associé à l’expression de
l’habitualité. Les formes verbales de la séquence ci-dessous sont toutes
« habituelles » et résultatives : (19) En général, le matin vers 8h, Martin a pris son
petit déjeuner, s’est rasé, a fait sa toilette et est prêt à se
mettre au travail. Quand il est processif, le Passé composé se rencontre dans deux
types de contextes, qu’il n’est d’ailleurs pas toujours aisé de discriminer : Dans le premier cas, il est souvent utilisé « en
chaîne », à la manière d’un Passé simple ; dans le second, il est
souvent utilisé de façon isolée. Mais cette corrélation est loin d’être
absolue. Le Passé composé narratif est celui dont A. Camus est l’un des
premiers à avoir généralisé l’emploi dans son roman L’Étranger
[Note 43], dont
voici un extrait : (20) Nous sommes restés silencieux assez longtemps. Le
directeur s’est levé et a regardé par la fenêtre de son bureau. À
un moment, il a observé : « Voilà déjà le curé de Marengo. Il
est en avance. » Il m’a prévenu qu’il faudrait au moins trois
quarts d’heure de marche pour aller à l’église qui est au village même. Nous sommes
descendus. Devant le bâtiment, il y avait le curé et deux enfants de chœur.
(A. Camus, 1942) Employé ainsi, le Passé composé a un fonctionnement proche du
Passé simple. Benveniste (1959) appelait « aoriste de discours » cet
emploi du Passé composé
[Note 44].
Dans le français du xxie
siècle, c’est surtout dans cet emploi que les deux temps verbaux se trouvent en
situation de concurrence. Cela dit, la plupart des linguistes considèrent que,
contrairement au Passé simple, le Passé composé employé comme temps narratif
conserve un lien avec l’énonciation (e.g. Revaz 1996, Barbazan 2007,
Bres 2010). Il faut cependant relativiser le caractère innovant des Passés
composés du texte de Camus. Dans des textes narratifs ne relevant pas de la
fiction, a fortiori à la 1ère personne, ce temps verbal était
utilisé en français classique déjà. En témoigne ce long extrait trouvé dans la
correspondance de Jean Racine, où l’auteur raconte à son fils une crise
d’étouffement dont sa fille Fanchon a été victime : (21) Je vous assure que vous auriez encore pensé plus
sérieusement que vous ne faites sur l’incertitude de la mort et sur le peu de
cas qu’on doit faire de la vie si vous aviez vu le triste spectacle que nous
venons de voir votre mere et moi cette après-dînée. La pauvre Fanchon s’étoit
plainte de beaucoup de maux de tête tout le matin ; on a été obligé
après le dîner de la faire mettre sur son lit ; et sur les trois heures,
comme je prenois mon livre pour aller à vêpres, j’ai demandé de ses
nouvelles. Votre mere, qui la venoit de quitter, m’a dit qu’elle lui
trouvoit un peu de fievre. J’ai été pour lui tâter le pouls ; je l’ai
trouvée renversée sur son lit sans la moindre connoissance, le visage tout
bouffi, avec une quantité horrible d’eaux qui l’étouffoient et faisoient un
bruit effroyable dans sa gorge ; enfin une vraie apoplexie. J’ai fait un
grand cri, et je l’ai prise entre mes bras ; mais sa tête et tout
son corps n’étoient plus que comme un linge mouillé : un moment plus tard
elle étoit morte. Votre mere est venue tout éperdue, et lui a jeté
quelques poignées de sel dans la bouche ; on l’a baignée d’esprit
de vin et de vinaigre ; mais elle a été plus d’une grande
demi-heure entre nos bras dans le même état, et nous n’attendions que le moment
qu’elle alloit étouffer. Nous avons vite envoyé chez M. Maréchal,
il n’y étoit point. A la fin, à force de la tourmenter, et de lui faire avaler
par force tantôt du vin, tantôt du sel, elle a vomi une quantité
épouvantable d’eaux qui lui étoient tombées du cerveau dans la poitrine ;
elle a pourtant été deux heures entieres sans revenir à elle, et
il n’y a qu’une heure à peu près que la connoissance lui est revenue.
Elle m’a entendu dire à votre mere que j’allois vous écrire ; elle
m’a prié de vous faire bien ses compliments : c’est en quelque
sorte la premiere marque de connoissance qu’elle nous a donnée. Je vous
assure que vous auriez été aussi ému que nous l’avons tous été.
Madelon en est encore tout effrayée, et a bien pleuré sa sœur,
qu’elle croyoit morte. (J. Racine, extrait d’une lettre à son fils, 31 mars
1698) Or, le fonctionnement du Passé composé dans les deux exemples
ci-dessus est différent de celui qu’on observe dans l’extrait suivant : (22) Lacordaire, naturaliste français, a recueilli dans
le cours de trois voyages qu’il a faits dans l’Amérique du Sud, environ
deux mille espèces de coléoptères, dont plus de la moitié sont nouvelles. Il a
séjourné au Brésil, à Monte-Vidéo, à Buénos-Ayres, dans l’intérieur des
provinces de la république de la Plata et au Chili ; son mémoire sur les
habitudes des insectes coléoptères [...] est plein d’intérêt. (G.L. Duvernoy,
1832) Il n’est nullement question, dans cette séquence, de narration,
et les informations données ne suivent pas une chronologie événementielle.
L’ordre des formes verbales y est régi par des intentions qui sont avant tout
informatives et argumentatives. Ce texte obéit à une pertinence qui n’est pas
chronologique mais informationnelle : il s’agit de rapporter certains
faits susceptibles de constituer un portrait scientifique. On entend ici par
« fait » un procès (événement, état, etc.) dont l’advenue est
présentée comme valide au moment de l’énonciation (dans le cas du Passé
composé). Un fait suppose donc toujours un sujet de conscience. Ce point est essentiel. Un fait, au sens où nous l’entendons
ici, n’est pas particulièrement « objectif » et n’a pas de rapport
direct avec la « réalité ». Il est du domaine des représentations. La
différence apparaît clairement quand on prédique d’un fait le concept de
nouveauté. Dire d’un fait qu’il est « nouveau », c’est signifier non
pas qu’il vient d’advenir, mais qu’il vient d’être porté à la
connaissance d’un sujet de conscience (cf. Van de Velde 2006)
[Note 45]. Autres exemples d’énoncés factuels au Passé composé : (23) – Vous avez ici un caissier qui s’appelle Tremblet, je
suppose ? (24) Qu’est-ce que tu as fait dimanche ? Les énoncés factuels ont pour enjeu la question de savoir si le
procès est ou non advenu. Les exemples (24) montrent que beaucoup de questions
que nous formulons quotidiennement au moyen du Passé composé, à propos d’un
passé récent ou moins récent, sont des questions factuelles. Dans ces énoncés,
il est parfois difficile d’évaluer la saillance respective du composant
processif et du composant résultatif
[Note 46]. Une variante de la factualité est celle que quelques linguistes
nomment « passé d’expérience » (Franckel 1989, Vet 1992). Cette
appellation a son origine dans celle de « parfait d’expérience »
forgée par Zandvoort (1932) pour décrire certains emplois du Present perfect
et du Past perfect anglais
[Note 47].
Nous n’utiliserons pas ici l’appellation de passé d’expérience, car le
Plus-que-parfait et certaines formes surcomposées ont également des emplois de
ce type – qui sont par conséquent aussi des « passés d’expérience ».
Nous parlerons donc plutôt d’un Passé composé d’expérience, ou d’un Passé
composé à valeur de parfait d’expérience. Voici quelques exemples de ce type de Passé composé : (25) Quelqu’une d’entre vous a-t-elle eu ces
jours-ci de semblables songes ? (H. de Montherlant, 1954) (26) J’ai rarement aperçu quelqu’un de
plus comique que le vieux Bob se promenant, dans le soleil éblouissant d’un
printemps du midi, avec un chapeau haut de forme noir [...]. (G. Leroux, 1908) (27) Jamais, de ma vie, un client ne m’a fait
autant enrager que celui-là... (G. Simenon, 1946) À la différence des exemples factuels (22)-(24), ces Passés
composés ne désignent pas un procès singulier. Ils ne désignent pas non plus un
procès habituel. Les énoncés où ils figurent assertent (ou réfutent, ou
interrogent sur...) l’existence, dans le passé, d’un type de procès, le nombre
d’occurrences de celui-ci étant non pertinent. Cette signification particulière
peut être restituée au moyen de la glose il est arrivé (une fois au moins)
que/de : (25’) Est-il arrivé à quelqu’une d’entre vous d’avoir ces
jours-ci de semblables songes ? (26’) Il m’est rarement arrivé d’apercevoir quelqu’un de plus
comique que le vieux Bob se promenant... (27’) Jamais, de ma vie, il n’est arrivé qu’un client me fasse
enrager autant que celui-là. Cette prédication d’existence, s’agissant d’un procès, a
conduit McCawley (1971, 1981) à qualifier cet emploi
d’« existentiel »
[Note 48],
appellation reprise depuis par plusieurs auteurs (e.g. Kiparsky 2002,
Karolak 2008a). Dans la glose, l’expression il est arrivé traduit le
composant existentiel, et l’expression une fois au moins traduit le
nombre indéterminé d’occurrences qu’implique le prédicat existentiel. Le composant « une fois au moins » de cette
signification est une valeur par défaut, qui peut donc être précisée. C’est la
raison pour laquelle ce type du Passé composé est très souvent sous la
portée : – d’un adverbe quantifieur de fréquence (comme jamais, rarement,
parfois, souvent) ou quantifieur d’occurrences (comme plusieurs
fois, une fois, six fois) : (28) Je dois dire aussi que, n’étant pas du tout coquette
[...], j’ai rarement eu à lutter contre l’amour dans
l’amitié. (G. Sand, 1855) (29) philippe :
– [...] Il ne vous a jamais parlé de moi ? (30) On a parfois posé la question de
savoir si l’on peut penser sans mots, si la pensée est ou non inséparable du
langage. (E. Borel, 1946) (31) [Il est question de la rédaction d’un roman] Je l’ai
mis en chantier six fois. J’ai déchiré jusqu’à des vingt-cinq
pages d’une envolée superbe. (F. Nourissier, 1975) (32) [...] ce suicide a été tellement inattendu, que mon frère
s’est quelquefois demandé si cet attachement paternel
n’avait pas été un peu plus... plus profond... qu’on ne pensait... (R. Martin
du Gard, 1932) – de l’adverbe déjà, qui fonctionne comme un marqueur de
la valeur de parfait d’expérience et sert à la redoubler, à la confirmer
[Note 49] : (33) Et puis on a tous craché par terre ensemble, tellement
c’était mauvais, ce vinaigre de grand cru. Vite, on a ouvert la romanée-conti.
Vous avez déjà débouché une bouteille pareille ? (G.
Brisac, 1996) Il est intéressant d’observer que ces adverbes portent tous sur
le prédicat existentiel, comme l’indiquent les gloses : ‘il est
rarement arrivé que j’aie à lutter...’ (28), ‘il n’est jamais arrivé
qu’il vous parle de moi ?’ (29), ‘il m’est souvent arrivé
d’entendre votre nom’ (29), etc. Les parfaits d’expérience se rencontrent souvent dans des
formulations où est exprimée une comparaison, notamment quand celle-ci
s’accompagne d’un jugement superlatif, comme l’illustrent les exemples
(25)-(27) et (33) supra. L’idée même de comparaison peut contribuer à
déclencher l’interprétation d’expérience. Par exemple, il suffirait d’enlever
l’adjectif pareille dans (33) pour que, en dépit de la présence de déjà,
la question ait très peu de probabilité d’être interprétée comme un parfait
d’expérience, compte tenu de nos pratiques en ce qui concerne les
bouteilles : (34) Vous avez déjà débouché une bouteille ? Cette formulation s’entend en général comme une question
factuelle simple, visant seulement à s’enquérir si l’interlocuteur a débouché
ou non une bouteille (la question porte alors sur un intervalle temporel très
court). Pour qu’elle puisse s’entendre comme une question factuelle
d’expérience, il faudrait qu’elle s’adresse à quelqu’un dont on soupçonne qu’il
n’a peut-être aucune expérience en matière de débouchage de bouteille. La
question implique en ce cas un intervalle temporel considérablement plus long,
et signifie : ‘vous est-il arrivé une fois dans votre vie de déboucher
une bouteille ?’, ‘avez-vous l’expérience de ce que c’est que de
déboucher une bouteille ?’. La présence d’une expression de
comparaison (l’adjectif pareille) exclut pratiquement ici
l’interprétation factuelle simple (ou résultative). À défaut de spécification, l’intervalle temporel impliqué par
les Passés composés d’expérience, c’est-à-dire l’intervalle dans lequel opère
l’assertion d’existence, s’étend d’un passé non défini jusqu’au moment de
l’énonciation. Mais cet intervalle peut être explicité : c’est exactement
ce que fait l’expression de ma vie dans l’ex. (27). Il peut également
être délimité, comme dans (25) où l’expression ces jours-ci restreint la
portée temporelle de la question. On appellera cet intervalle intervalle de validation
(Desclés 1997). On peut considérer que la résultativité du Passé composé
d’expérience réside dans ce qu’exprime le terme d’« expérience ». En
effet, l’assertion selon laquelle un certain procès est advenu est toujours
produite dans le but de faire savoir qu’il en résulte, au moment de
l’énonciation et pour un sujet de conscience, un acquis, une séquelle, ce que
Desclés & Guentchéva (2003) appellent un état d’expérience,
expression que nous reprendrons à notre compte. Par ce biais, un énoncé d’expérience
au Passé composé est toujours doté d’une certaine actualité. Une séquence entière peut être conçue sur cette logique
d’assertion d’existence et donc d’expérience : (35) J’ai parfois, j’ai souvent,
par malignité, dit d’autrui plus de mal que je ne pensais et, par
lâcheté, dit plus de bien que je ne pensais de beaucoup d’œuvres, livres
ou tableaux, par crainte d’indisposer contre moi leurs auteurs. J’ai parfois
souri à des gens que je ne trouvais pas du tout drôles et feint
de trouver spirituels des propos niais. J’ai feint de m’amuser, parfois,
alors que je m’embêtais à mort et que je n’avais pas la force de m’en aller
parce que l’on me disait : reste encore... J’ai trop souvent
permis à ma raison d’arrêter l’élan de mon cœur. Et, par contre, alors
que mon cœur se taisait, j’ai trop souvent parlé quand
même. J’ai parfois, pour être approuvé, fait des sottises.
Et, par contre, je n’ai pas toujours osé faire ce que je
pensais devoir faire mais savais ne devoir être pas approuvé. (A. Gide, Les
Nouvelles nourritures, 1935) La valeur d’expérience est compatible avec la généricité : (36) Quand tu as découvert une faiblesse en toi, au lieu
de la dissimuler, abrège ton rôle et tes ambages, corrige-toi. (Delacroix, Journal,
8 oct. 1822) Dans une partie de l’espace francophone européen (zone à
substrat occitan et francoprovençal, Suisse romande incluse), la signification
que produit le Passé composé d’expérience est régulièrement exprimée au moyen
du Passé surcomposé (Apothéloz 2009, 2010, Borel 2019). Dans les régions concernées,
un exemple comme (32) pourrait être formulé comme suit : (37) [...] ce suicide a été tellement inattendu, que mon frère
s’est quelquefois eu demandé si cet attachement paternel n’avait
pas été un peu plus... plus profond... qu’on ne pensait... Sur cette même aire géographique, tous les temps surcomposés de
l’indicatif, sauf le Passé antérieur, sont susceptibles d’exprimer le parfait
d’expérience (Apothéloz 2019b)
. > Notice Au total, ces analyses conduisent à distinguer quatre emplois
du Passé composé, soit : – Un Passé composé résultatif L’ordre dans lequel ils sont mentionnés dans cette liste vise à
refléter le poids respectif des phases post-processive et processive :
l’emploi résultatif est celui qui met le plus en saillance la phase post-processive
(l’état résultant). À l’opposé, l’emploi de narration est celui qui met le plus
en saillance la phase processive. Les deux emplois factuels établissent un
certain équilibre entre ces deux phases
[Note 50]. En français du XXIe
siècle, le Passé simple ne concurrence plus le Passé composé que dans sa
fonction narrative. Avec quelques rares verbes, comme faire et être,
il subsiste cependant dans les fonctions factuelle et d’expérience, mais comme
une forme fossile plus ou moins figée. Comme parfait d’expérience, on ne le
rencontre plus guère que dans des formulations exprimant une négation d’advenue
au moyen de l’adverbe jamais, comme dans l’exemple ci-dessous : (38) Yersin commande en France une voiture autochenille
Citroën, la même que « celles qui ont traversé le Sahara ». Parce que
mine de rien, et même si jamais il n’en fit un but, le roi du
caoutchouc et du quinquina engrange les bénéfices. Yersin l’ascétique s’est
taillé tout seul un empire dans l’Empire. (P. Deville, 2012) Ouvrages sur le Passé composé Schaden, Gerhard (2009). Composés et surcomposés : le
« parfait » en français, allemand, anglais et espagnol.
Paris : L’Harmattan. Numéros de revues consacrés au Passé composé ou aux parfaits Cahiers Chronos 6, 2000 : Passé et parfait
(A. Calier, V. Lagae & C. Benninger, éds). Le Plus-que-parfait, comme on peut le déduire de sa
morphologie, hérite d’une partie des propriétés du Passé composé (comme temps
composé) et de l’Imparfait (son auxiliaire porte le grammème d’Imparfait).
Plusieurs des notions exposées dans les sections consacrées à ces temps verbaux
seront donc réutilisées ici sans être toujours réexposées dans le détail. Comme
héritage du Passé composé, on retrouvera par exemple la nécessité d’une phase
post-processive (intervalle [e1–e2]) pour décrire les emplois
résultatifs, ainsi que les emplois factuels. Comme héritage de l’Imparfait on
retrouvera notamment, dans les emplois résultatifs, la visée imperfective
propre à ce temps verbal ainsi que les emplois médiatifs et modaux. Par comparaison avec le Passé composé, la principale différence
caractérisant le Plus-que-parfait est que, au lieu de référer soit au passé
(phase processive) soit au présent (phase résultative), il réfère toujours au
passé, qu’il soit processif ou résultatif. Cette différence, qui pourrait
paraître mineure, a toutefois des conséquences assez importantes pour l’analyse
et l’interprétation des données. En effet, dans le cas du Passé composé,
l’opposition des deux visées aspectuelles (processive VS résultative) est systématiquement doublée d’une opposition
de deux époques (passé VS présent), opposition qui est dotée d’une forte prégnance cognitive et d’une
pertinence toute particulière. Mais avec le Plus-que-parfait, cette opposition
temporelle n’existe plus, si bien que la discrimination des deux
interprétations processive et résultative est plus fragile. Quand le contexte
s’y prête, elle est cependant tout à fait nette. Ainsi, dans (1) le
Plus-que-parfait avait mangé ne peut être interprété que comme désignant
la phase processive (comme tous les Plus-que-parfaits de cet extrait), et dans
(2) la phase résultative : (1) Puis, on était passé dans la pièce d’à
côté : on s’était assis autour d’une table, on avait mangé
des gâteaux onctueux, des mousses, des salades de fruits, bu du
champagne. (H. Bianciotti, 1985) (2) Dix-huit mois venaient de suffire : le ménage des
Roubaud s’était gâté, le mari avait mangé les cinq mille francs
au jeu, la femme en était arrivée à prendre un amant, pour se distraire.
(E. Zola, 1890) Le premier extrait consiste à enchaîner des procès qui se
succèdent, dans une courte séquence narrative, et cet enchaînement est précédé
de puis, qui annonce un contexte de successivité. Le second extrait se présente comme une sorte de description de
l’état dans lequel se trouve le ménage des Roubaud dix-huit mois après certains
événements. Ces Plus-que-parfaits pourraient être remplacés, en changeant le
verbe, par des Imparfaits : le ménage était dégradé, les cinq
mille francs étaient dépensés, la femme avait maintenant un amant...
De même que les Passés composés résultatifs peuvent être reformulés, moyennant
changement de verbe, au Présent, les Plus-que-parfaits résultatifs peuvent être
reformulés, moyennant changement de verbe, à l’Imparfait. Quand il est processif, le Plus-que-parfait réfère à un moment
qui est antérieur à un repère localisé lui-même dans le passé. L’exemple (1) ne
peut se comprendre que comme décrivant une séquence de procès antérieure à d’autres
procès, dont il a été question précédemment dans le même texte (et qui sont ici
« hors-champ »). L’antériorité est tout à fait explicite dans le
texte suivant : (3) Il soupira au souvenir du vieux sacristain, mort depuis
des années, et reprit sa marche vers le plateau. C’est alors qu’il se
rappela soudain que Jacques l’avait prévenu, la veille, qu’on
allait changer d’heure. Il n’avait rien compris à ce que lui avait
expliqué son fils, mais avait annoncé que, de toute façon, le soleil
et lui n’avaient rien à foutre de ce que décidaient les abrutis de Parisiens ! Cet extrait articule deux plans narratifs : un premier
plan, qu’on pourrait qualifier de narration principale, formulé au Passé
simple ; et un second plan, qu’on pourrait qualifier de narration
secondaire, formulé au Plus-que-parfait. La narration secondaire se situe dans
une temporalité antérieure à celle de la narration principale, exactement un
jour avant (la veille). Depuis Genette (1972), on appelle analepses
ces retours en arrière quand, comme ici, ils forment à eux seuls une petite
séquence narrative. L’extrait (1) supra est donc intégralement
analeptique. Il nous faudra donc, pour décrire le Plus-que-parfait, deux
repères : celui localisé dans l’intervalle d’énonciation (r0),
qui caractérise ce temps verbal comme déictique ; et un second repère localisé
dans le passé, r1, qui le caractérise comme temps verbal anaphorique.
Le procès que désigne le Plus-que-parfait processif est antérieur à ce second
repère. r1 est donc déictiquement localisé dans le passé, et sert
lui-même à localiser anaphoriquement (comme antérieur à lui) le site temporel
du procès. Dans (3), le deuxième Passé simple (se rappela) fournit l’ancrage
temporel à r1, et l’expression la veille quantifie
l’antériorité, i.e. indique la distance temporelle entre r1
et le procès. Le Plus-que-parfait résultatif donne parfois lieu à une
séquence décrivant un état du monde, comme dans les trois formes de (2). Mais
il se rencontre très souvent aussi de façon isolée, comme dans la relative de l’exemple
suivant : (4) Le deuxième acte allait commencer, sans Plessetskaïa et
sans sous-titres, lorsque la porte de la petite baignoire où nous nous
étions rassises s’ouvrit sans bruit et, tandis que le grand lustre de
cristal s’éteignait, j’entrevis le visage de notre petit André. (S. Signoret, 1976) Où nous nous étions rassises signifie dans ce contexte ‘où
nous étions rassises’. Compte tenu du type de verbe (transitionnel), on
pourrait évoquer ici la notion de métalepse, comme plus haut à propos du Passé
composé. L’information apportée par le Plus-que-parfait résultatif, dans cet
exemple, a un statut de second plan descriptif tout à fait comparable à un
Imparfait. Quelle que soit son interprétation, le Plus-que-parfait se
caractérise donc par trois « moments ». Soit, de droite à gauche dans
la logique des chronogrammes : – celui de l’énonciation et de r0, qui lui
fournit son repère déictique, Le Plus-que-parfait processif établit donc les relations
temporelles suivantes, et dans cet ordre : – r0⊂S La visée sur la phase processive est donc perfective (R=E).
D’où le chronogramme de la Figure 14 : Le Plus-que-parfait résultatif se caractérise quant à lui par
les relations temporelles suivantes : – r0⊂S La visée sur la phase résultative est donc imperfective (R⊂e).
Il en résulte que la borne e2
de la phase post-processive, n’étant pas incluse dans R, a comme seule
contrainte d’être postérieure à R2. Rien ne l’empêche de déborder
au-delà de S, de sorte qu’aucune époque particulière ne lui est imposée. C’est
ce que note le pointillé dans le chronogramme de la Figure 15 : On sait qu’avec l’Imparfait, la phase processive E peut se
poursuivre dans l’intervalle S de l’énonciation, et au-delà. Il en va de même
avec la phase post-processive du Plus-que-parfait résultatif. Il n’y a rien de
surprenant à cela : c’est même l’une des raisons expliquant l’équivalence,
par voie de reformulation, entre le Plus-que-parfait résultatif et l’Imparfait.
Ce cas de figure est illustré par l’exemple suivant : (5) Il y a un peu plus de deux semaines, Stephen m’a dit
qu’il avait trouvé un billet à bas prix pour les Philippines et qu’il
voulait que je fasse un voyage là-bas pour voir ma famille. (Site de 20minutes,
art. publié en 2017) Tout porte à penser, dans cet exemple, que le résultat de la
« trouvaille » (l’état que décrit la proposition il y avait un
billet à bas prix pour les Philippines) doit être considéré comme encore
valide au moment où l’énoncé est produit. À noter enfin que l’imperfectivité du Plus-que-parfait
résultatif en fait un temps verbal propice à exprimer l’habitualité. Les formes
verbales de l’exemple ci-dessous sont toutes « habituelles » et
résultatives : (6) En général à cette époque, le matin vers 7h, Martin avait
pris son petit déjeuner, s’était rasé, avait fait sa toilette
et s’apprêtait à se mettre au travail. Il est souvent difficile, dans le cas du Plus-que-parfait, de
distinguer les emplois factuels simples des emplois processifs proprement
narratifs. Cela tient au statut particulier des analepses. Les emplois
processifs analeptiques sont presque toujours motivés par des raisons internes
à la narration principale, de sorte que leur caractère narratif s’associe à des
motivations informatives ou argumentatives. L’extrait suivant est un assez bon
candidat pour illustrer la factualité simple du Plus-que-parfait : (7) Le matin, le départ s’était effectué le plus
normalement du monde. Malgré ses prédictions, personne n’était venu le
chercher. Yolande n’avait pas tenté une dernière fois de le
retenir. Elle lui avait même fait des recommandations. Enfin,
comme il l’avait suppliée de l’accompagner, elle lui avait répondu
qu’elle ne voulait pas se conduire de façon grossière avec des gens qui avaient
été si gentils. (E. Bove, 1945) Cet extrait, qui est le début d’un paragraphe, commence par un
énoncé qui, au regard de ce qui suit, a un statut typique d’annonce ou de
synthèse. Les Plus-que-parfait qui suivent ne désignent pas des procès qui se
succèdent chronologiquement, mais des procès qui « élaborent »
l’assertion selon laquelle le départ s’est déroulé le plus normalement du
monde. Ils sont donnés comme des faits. L’adverbe enfin, au milieu de
l’extrait, ne porte pas sur la succession des procès (il n’annonce pas un
« dernier » événement) mais sur la séquence des informations
attestant la normalité du départ ; c’est donc un adverbe d’énonciation
marquant le dernier élément d’une séquence argumentative. Cet exemple a ainsi
beaucoup de points communs avec les Passés simples factuels de l’exemple (27), § 3.4.3.2. de la notice sur les
temps simples. Les Plus-que-parfaits d’expérience sont en revanche aisément
reconnaissables. Leurs affinités avec certains environnements linguistiques
(adverbes de fréquence, déjà existentiel, expressions de la comparaison
superlative, formulation de l’intervalle de validation, etc.) sont exactement
les mêmes que celles du Passé composé d’expérience. Ces différents contextes
sont illustrés dans les exemples suivants : (8) J’avais déjà rencontré dans ma
vie bien des femmes-poupées, bien des femmes-bibelots, mais pas encore des
Cambodgiennes chez elles [...]. (P. Loti, 1912) (9) Un soir, on s’est retrouvés tous ensemble avec Norbert,
Guzman et Boris, comme nous ne l’avions plus fait depuis
longtemps. (S. Osmont, 2012) (10) Pour nous les filles, il n’existait pas non plus
d’« auteurs du programme » de notre sexe. À aucun stade de mes
études, même en licence de lettres, un seul de ces sacrés « auteurs du
programme » n’avait été une femme ! (B. Groult, 2008) (11) Jamais Colombe n’avait entendu quelque chose
d’aussi intime, d’aussi troublant. (T. de Rosnay, 2009) Dans le cas du Passé composé, l’assertion d’existence est
validée dans le présent. C’est donc S (ou r0), qui sert de moment de
validation, qui donne la localisation temporelle de l’état d’expérience
(Desclés & Guentchéva 2003). Ce même repère sert également de borne
terminale de l’intervalle de validation. Avec le Plus-que-parfait d’expérience,
l’assertion d’existence est validée dans le passé. C’est r1 qui sert
de moment de validation et donne la localisation temporelle de l’état
d’expérience. Ce même repère donne également la borne terminale de l’intervalle
de validation. Au total, et en laissant provisoirement de côté les contextes
modaux et médiatifs, on peut donc distinguer, comme avec le Passé composé,
quatre emplois du Plus-que-parfait : – Un Plus-que-parfait résultatif Soit l’exemple suivant : (12) Et avant que le comte pût la retenir, elle avait
franchi d’un bond léger la banquette qui la séparait de son vieux maître,
et s’était assise sur ses talons à côté de lui. Cet exemple, extrait d’une séquence narrative au Passé simple,
est intéressant pour la raison suivante. Le premier paragraphe vise à installer
la représentation d’une situation qu’on peut paraphraser comme suit : ‘avant
que le comte pût la retenir, elle se trouvait de l’autre côté de la
banquette... assise sur ses talons à côté de lui’. Il semble donc que les
deux Plus-que-parfaits doivent être interprétés résultativement. Pourtant, les
procès qu’ils désignent indiquent une certaine progression temporelle : il
y a eu d’abord franchissement de la banquette, puis assoiement sur les talons.
Par rapport au cadre que nous nous sommes fixé, ces Plus-que-parfaits ont donc
un fonctionnement paradoxal : d’une part ils sont résultatifs, mais
d’autre part ils font progresser le cours narratif. En fait, il s’agit ici du même phénomène que celui connu sous
l’appellation d’Imparfait « de rupture ». Comme cette variété d’Imparfaits,
les deux Plus-que-parfaits de (12) sont précédés d’une expression faisant
progresser la temporalité narrative (avant que le comte pût la retenir).
La particularité de cet exemple est qu’il comporte non pas une mais deux formes
ayant ce statut, et que ces formes ne désignent pas le même intervalle temporel
mais deux intervalles qui se succèdent, formant ainsi une micro-narration.
Sortie de son contexte, la séquence au Plus-que-parfait a d’ailleurs toutes les
apparences d’une analepse ordinaire, avec deux temps verbaux processifs : (12’) Elle avait franchi d’un bond léger la banquette qui
la séparait de son vieux maître, et s’était assise sur ses talons à côté
de lui. Une analyse possible de ce phénomène est de considérer qu’il
n’y a pas ici, sémantiquement parlant, deux verbes affectés chacun par un
grammème de Plus-que-parfait, mais un seul grammème en facteur commun de deux
verbes formant un procès complexe, un procès « franchir et s’asseoir ».
Cette mise en facteur commun met les procès désignés par ces deux verbes dans
le même espace temporel. Nous désignerons ce phénomène par le terme
d’« isochronie ». L’ellipse du pronom sujet du deuxième verbe peut
être considérée comme un indice de ce fonctionnement. Cependant l’exemple (12) présente un autre phénomène encore,
lui aussi quelque peu paradoxal : il concerne l’expression d’un bond
léger. Cet adverbial décrit la manière dont le franchissement de la
banquette a été effectué. Il met donc en saillance la phase processive et
devrait logiquement produire une lecture processive du Plus-que-parfait. Ici
encore, il semble que la solution se trouve à nouveau dans une analyse en terme
de portée : dans le procès « franchir et s’asseoir », le
premier procès n’est pas franchir, mais franchir d’un bond léger,
prédicat verbal intégrant une spécification de manière
[Note 51]. La portée
du Plus-que-parfait est donc la suivante : (franchir d’un bond léger et s’asseoir)Pqp De façon générale, quand le procès est déterminé par un
adverbe, la distinction entre interprétation processive et résultative est
parfois difficile. Apothéloz & Combettes (2011) ont observé que les
adverbes signifiant le degré (comme complètement, totalement, sensiblement,
terriblement, légèrement) jouent, vis-à-vis du participe passé,
un rôle analogue à celui qu’ils joueraient devant un adjectif, et incitent donc
souvent à une interprétation résultative du temps verbal : (13) Par-dessus le marché, les disques avaient été entreposés
je ne sais où pendant des années de guerre, et s’étaient terriblement
abîmés... Il manquait une face de l’enregistrement original... (C. Roy,
1979) (14) Entre 14h10 et 14h48 Adam parla. La foule des spectateurs s’était
sensiblement accrue. (J.-M. Le Clezio, 1963) Cette analyse revient, comme dans (12), à intégrer l’adverbe
dans le prédicat verbal et à considérer que le grammème de Plus-que-parfait
opère sur un verbe modifié par une spécification de degré (s’abîmer
terriblement, s’accroître sensiblement). À l’opposé, les adverbes signifiant la durée ou la localisation
temporelle incitent presque toujours à une interprétation processive du
Plus-que-parfait : (15) Il s’était réveillé deux heures plus tôt
[...]. (A. Ivy, 2014) (16) En sortant, la lumière dans les rues avait changé,
presque aussi rapidement que sous le jeu d’orgue d’un théâtre. (J.
Gracq, 1970) Dans (16), l’adverbe joue un rôle décisif pour l’interprétation
aspectuelle de temps verbal. Il en corrige même l’interprétation préalable. En
effet, dans la chronologie de la lecture, le Plus-que-parfait de cet exemple
est d’abord assez spontanément interprété comme résultatif (≈ ‘la
lumière était différente’). C’est ensuite seulement, en raison de l’adverbe
rapidement, que le lecteur comprend que cette interprétation doit être
corrigée en faveur d’une interprétation processive. Il se produit donc, sur ce
Plus-que-parfait, ce qu’on pourrait appeler une syllepse aspectuelle. On
entend par « syllepse » le fait d’actualiser pour une expression
(lexème ou grammème) successivement et dans le même énoncé, sous la pression du
co-texte, deux significations différentes. Ici, ces significations concernent
l’aspect grammatical. Les temps composés se trouvant dans une subordonnée en depuis
que sont en principe toujours interprétés comme résultatifs. Depuis y
ouvre un intervalle temporel dont la borne initiale correspond à e1,
borne initiale de la phase post-processive (qui coïncide par définition avec E2,
borne terminale de E). Compte tenu de ce qui vient d’être dit concernant les
adverbes de localisation temporelle, comme deux heures plus tôt dans
(15), la formulation (17) comporte donc des informations aspectuelles
contradictoires : (17) Depuis qu’il s’était réveillé, deux heures plus
tôt, Jared faisait de son mieux pour se voiler la face. (Collectif, 2015) Alors que la subordonnée confère au temps verbal une
interprétation résultative, l’adverbial deux heures plus tôt, qui vise à
localiser le moment même où le réveil a eu lieu, lui confère une interprétation
processive. Ici encore, le Plus-que-parfait se trouve dans un environnement
propice à une syllepse aspectuelle. Le statut parenthétique de l’adverbial
empêche que se produise une discordance aspectuelle. Dans les analepses, il n’est pas rare que le Plus-que-parfait cède
la place au Passé simple, alors même que les procès désignés continuent à être
internes à la narration secondaire. Ce phénomène est mentionné par Barceló
& Bres (2006), et a donné lieu à quelques études descriptives (Combettes
2008, Apothéloz & Combettes 2016, Apothéloz 2018). En voici un
exemple : (18) Il me dit que les choses avaient mal tourné
là-bas [...]. Sur le coup de sept heures, deux petits gars qu’on avait chargés
de surveiller le dépôt d’armes avaient aperçu trois cyclistes allemands
en casques et mitraillettes en bandoulière [...]. Et les petits gars [...] avaient
lâché deux rafales de mitrailleuse devant eux, au hasard ; aussitôt
les Allemands sautèrent à terre en abandonnant leurs bicyclettes, s’aplatirent
dans le fossé et commencèrent à faire feu. La narration secondaire, qui débute avec le premier
Plus-que-parfait, est en fait du discours indirect, indirect libre à partir de sur
le coup de sept heures. Il s’agit d’une longue séquence dont le temps
verbal principal est, comme il se doit, le Plus-que-parfait. On observe
cependant que ce temps est assez vite abandonné au profit du Passé simple,
alors même qu’on se trouve toujours dans la narration secondaire. Ce n’est
qu’après une longue séquence de Passés simples (de plus de 30 lignes) que le
texte revient au Plus-que-parfait, rappelant ainsi au lecteur que nous sommes
bien toujours à l’intérieur de la narration secondaire. La « résolution » de ces Passés simples, c’est-à-dire
le retour à une situation « normale », peut se faire de deux
manières : – Par un retour au Plus-que-parfait à l’intérieur même de la
narration secondaire, comme c’est le cas dans (18), ce qu’on peut schématiser
comme suit (‘Ps’ = Passé simple, ‘Pqp’ = Plus-que-parfait ; la narration
secondaire est entre parenthèses carrées) : Ps... Ps... [Pqp... Pqp... Ps... Ps... Pqp... Pqp...] Ps... Ps... La séquence de Passés simples forme alors un îlot, qu’on
pourrait comparer à ce qu’on observe avec le Présent dans des narrations par
ailleurs à un temps du passé. – Par un retour à la narration principale sans passage par le
Plus-que-parfait. Le Passé simple se voit alors successivement attribuer deux
espaces temporels différents : celui de la narration secondaire puis celui
de la narration principale, soit schématiquement : Ps... Ps... [Pqp... Pqp... Ps... Ps...] Ps... Ps... Cette seconde résolution est potentiellement génératrice de
malentendus temporels. On observe cependant qu’elle se fait le plus souvent en
douceur, par l’intermédiaire d’Imparfaits et avec divers indices signalant le
retour à la narration principale. Illustration : (19) Il était dix heures du matin. [...] Au
bord de l’allée ombreuse, assis sur un banc de bois, Evariste attendait
Elodie. [...] Pendant toute une semaine, son orgueilleux stoïcisme et sa
timidité, qui devenait sans cesse plus farouche, l’avaient tenu éloigné
d’Elodie. Il lui avait écrit une lettre grave, sombre, ardente, dans
laquelle, exposant les griefs [...], il annonçait sa résolution de ne plus
retourner au magasin d’estampes et montrait à suivre cette résolution plus de
fermeté que n’en pouvait approuver une amante. Dans ce texte, le retour à la narration principale
s’accompagne, d’une part d’un changement de paragraphe, d’autre part d’un
rappel des circonstances dans lesquelles la narration principale a été
abandonnée pour la narration secondaire (Evariste attendant Elodie). La transition Plus-que-parfait → Passé simple
dans les analepses est particulièrement intéressante du double point
de vue de la narratologie et des propriétés des temps verbaux. Du point de vue narratologique, elle soulève par exemple la
question de déterminer dans quelles circonstances, et pourquoi, il y a abandon
du Plus-que-parfait pour le Passé simple à l’intérieur de la narration
secondaire, et comment s’opère le retour au Plus-que-parfait (si un tel retour
a lieu). Dans (19), le contraste Plus-que-parfait vs Passé simple est manifestement exploité pour organiser la séquence
analeptique en deux sous-séquences : l’une, au Plus-que-parfait, centrée
sur le personnage d’Evariste ; l’autre, au Passé simple, centrée sur le
personnage d’Elodie. Du point de vue des propriétés des temps verbaux, l’abandon du
Plus-que-parfait pour le Passé simple peut être une solution pour éviter les
ambiguïtés référentielles du Plus-que-parfait. Rappelons en effet que ce temps
verbal est fondamentalement ambigu et toujours susceptible d’être interprété
soit processivement (auquel cas il y a progression de la narration analeptique,
donc de la référence de la forme verbale par rapport à la référence de la forme
verbale précédente) soit résultativement (auquel cas il y a arrêt de la
narration analeptique, le procès responsable du résultat étant antérieur à la
référence de la forme verbale précédente). Le Passé simple, temps
toujours processif, permet de court-circuiter ce problème et de
« forcer » la progression de la référence temporelle. Notons pour terminer que le contenu des analepses n’est pas
nécessairement narratif. Dans l’exemple (7) supra, répété ci-dessous, la
séquence de Plus-que-parfaits est indiscutablement une analepse, mais la
chronologie des procès, du moins dans la première partie (avant enfin),
est indifférente car il s’agit de Plus-que-parfaits factuels. (7) Le matin, le départ s’était effectué le plus
normalement du monde. Malgré ses prédictions, personne n’était venu le
chercher. Yolande n’avait pas tenté une dernière fois de le
retenir. Elle lui avait même fait des recommandations. Enfin,
comme il l’avait suppliée de l’accompagner, elle lui avait répondu
qu’elle ne voulait pas se conduire de façon grossière avec des gens qui avaient
été si gentils. (E. Bove, 1945) Lorsqu’une narration est menée avec comme temps principal le
Présent, qu’il s’agisse ou non de fiction, il existe deux façons de signifier
un état résultant concomitant du Présent narratif, ou de signifier un procès
antérieur : – la première consiste à conserver la logique de la narration
au Présent et à utiliser un Passé composé, exactement comme on le ferait en
contexte de Présent actuel ; – la seconde consiste à quitter la logique du présent, à
prendre en compte qu’on se situe en réalité dans le passé et utiliser un Plus-que-parfait. L’extrait ci-dessous adopte la première solution. Le Passé
composé y est résultatif (nous sommes descendus trop bas ≈ ‘nous
nous trouvons trop bas’) : (20) [Il s’agit d’un récit, non d’une séquence descriptive] Toutefois, compte tenu du fait qu’il s’agit d’événements
passés, l’auteur aurait également pu utiliser ici un Plus-que-parfait. Il y
aurait alors abandon de la convention instaurée par le Présent narratif : (20’) [...] Les pagayeurs rament mollement. On traverse
de grands espaces [...] le courant devient brusquement si rapide que
tout l’effort des pagayeurs a du mal à le remonter. Car nous étions
descendus trop bas, je ne sais pourquoi ; les pagayeurs semblent
connaître la route, et sans doute la traversée plus en amont est-elle
moins sûre. L’extrait suivant adopte en revanche la seconde solution : (21) Il [le peintre Louis Vigée, père d’Elisabeth Vigée Lebrun]
avait tellement l’amour de son art que cette passion lui donnait de fréquentes
distractions. Je me rappelle qu’un jour, étant tout habillé pour aller dîner en
ville, il sort ; mais en pensant au tableau qu’il avait commencé,
il retourne chez lui, dans l’idée d’y retoucher. Il ôte sa
perruque, met son bonnet de nuit, et ressort, ainsi coiffé, vêtu
d’un habit à brandebourgs dorés, l’épée au côté, etc. Sans un voisin, qui l’avertit
de sa distraction, il courait la ville dans ce costume. (E. Vigée Lebrun, 1835) Le Plus-que-parfait est ici aussi résultatif (le tableau
qu’il avait commencé ≈ ‘le tableau sur lequel il travaillait’).
Dans ce texte, le choix de ce temps verbal est probablement influencé par le
fait que le Présent narratif est lui-même inséré dans une narration utilisant
par ailleurs des temps du passé. L’auteure aurait toutefois pu rester dans la
logique de cet îlot de Présents et désigner ce même état résultant avec un
Passé composé : (21’) Je me rappelle qu’un jour, étant tout habillé pour aller
dîner en ville, il sort ; mais en pensant au tableau qu’il a
commencé, il retourne chez lui, dans l’idée d’y retoucher. Il ôte
sa perruque, met son bonnet de nuit, et ressort, ainsi coiffé,
vêtu d’un habit à brandebourgs dorés, l’épée au côté. Ces deux traitements de la même situation pourraient être
décrits comme suit : – La première solution (ex. 20 et 21’) privilégie une logique
purement grammaticale : le grammème de Présent implique que l’antériorité
ou la résultativité soient exprimées au moyen d’un grammème de Passé composé,
que le Présent soit actuel ou conventionnellement passé. – La seconde solution (20’ et 21) privilégie une logique
référentielle : un procès localisé dans le passé, quel que soit son mode
d’expression, implique que l’antériorité ou la résultativité soient exprimées
au moyen d’un Plus-que-parfait ou d’un Passé antérieur. C’est alors la
localisation « réelle » qui détermine le choix du temps verbal. À noter que ce choix ne dépend pas de la visée aspectuelle. Par
exemple, moyennant une modification mineure, le Plus-que-parfait de Vigée
Lebrun aurait pu être processif : cf. en pensant au tableau qu’il avait
commencé la veille. Il serait intéressant d’étudier quels sont les facteurs
qui déterminent le choix d’une solution « grammaticale » ou d’une
solution « référentielle » dans ce type de situation. Certains usages du Plus-que-parfait peuvent paraître au premier
abord difficiles à expliquer en énonciation de discours, a fortiori de
discours « en situation ». Exemples : (22) – [...] qu’est-ce que je suis venue chercher ? ...ah
! Oui ! Les clefs de mes malles... (Elle va jusqu'à la pointe du piano et
cherche sur la caisse.) Eh ! Ben ? ... ma sacoche ? ... je
l’avais posée là sur le piano ! ... elle est peut-être
tombée ! (G. Feydeau, 1914) (23) – Dis donc ! Tu m’avais pas dit que
t’étais marié, toi ! ... en voilà un petit vicieux ! ... (Elle lui
pince le nez.) (G. Feydeau, 1914 – Elle vient de découvrir qu’il est marié) (24) Francine, à
Henri, qui rentre. – J’avais cru que vous n’arriveriez pas... la
cuisinière ne vous a pas trouvé en bas... (25) – Oui... nous n’avions jamais parlé
de ça ouvertement... je suis heureux, maintenant, de l’avoir fait... (R. Martin
du Gard, 1932) (26) [Question adressée à une personne se trouvant actuellement
à Lausanne] Certains de ces exemples s’expliquent par le caractère
métaleptique que présentent les temps composés quand ils sont utilisés avec
certains verbes pour désigner un état résultant (cf.
§ 4.2.3.). Un Plus-que-parfait peut alors apparaître quasi
mécaniquement dès lors que, pour désigner un état passé, le locuteur choisit
d’évoquer le procès qui est la cause de cet état. L’état passé ancre alors le
repère r1. C’est ce qu’on observe dans (22), où je l’avais posée
sur le piano équivaut à ‘elle était sur le piano’, ainsi que dans
(23), où tu ne m’avais pas dit que équivaut pratiquement à ‘je ne
savais pas que’. L’exemple (24) est différent, en raison de l’aspect lexical du
verbe (croire). Il est remarquable que dans cet exemple, j’avais cru
et je croyais soient quasi indifférenciables sémantiquement. Une
explication de ce phénomène pourrait être la suivante. Croire est un
verbe qui a deux interprétations aspectuelles : une interprétation de
verbe d’état (‘être dans l’état de croyance que’) et une interprétation
inchoative (‘entrer dans l’état de croyance que’)
[Note 52]
. Que croire
puisse avoir une interprétation inchoative est conforté par le fait que ce
verbe a des emplois performatifs, qui sont eux-mêmes par définition inchoatifs.
Cette polysémie conduit à analyser l’exemple de la façon suivante : le
Plus-que-parfait de (24) active une lecture inchoative de croire, qui
ancre r1, et projette sur cette « inchoation » une visée
aspectuelle résultative, le contenu du résultat étant l’état de croyance. Un
Imparfait activerait ici une lecture stative de ce même verbe, lecture qui, par
définition, produit la même signification que celle de l’état résultant de croire
inchoatif. Les Plus-que-parfaits de (25)-(26) sont des parfaits
d’expérience, comme l’indiquent les gloses (≈ ‘il ne nous était
jamais arrivé de parler de ça ouvertement’, ‘vous était-il déjà arrivé
de venir à Lausanne ?’). Il s’agit dans ces formulations d’exprimer un
état d’expérience et de localiser cet état dans le passé, ancrant ainsi r1.
Un Passé composé produirait dans ce contexte une signification qui serait en
contradiction avec la situation dans laquelle les énoncés sont produits. Dans
(25), nous n’avons jamais parlé de ça ouvertement impliquerait que
l’action de « parler de ça ouvertement » n’est jamais advenue dans un
intervalle s’étendant jusqu’au moment de l’énonciation ; or, précisément,
elle vient juste d’advenir (cf. je suis heureux... de l’avoir fait). La
situation est la même dans l’exemple (26), la question s’adressant à quelqu’un
qui se trouve à Lausanne. Dans ces deux exemples, le Plus-que-parfait est donc,
en définitive, tout à fait motivé. Dans les exemples ci-dessus, le repère r1 du
Plus-que-parfait a donc toujours un ancrage temporel. Il arrive toutefois que
l’emploi de ce temps verbal implique un repère r1 pour lequel on
peine à trouver un tel ancrage. Tel est le cas de l’exemple suivant : (27) je vous propose une émission consacrée à la désobéissance
militaire\ avec Hervé Drévillon\. une émission qui avait été diffusée
pour la première fois/. le 2 février 2019\ (France Culture, début de
l’émission « Concordance des temps », 17.08.2019. H. Drévillon est un
historien spécialiste de l’histoire militaire. – ‘/’ et ‘\’ notent
respectivement une intonation montante et descendante, ‘.’ une très courte
pause) On voit mal ici pourquoi le locuteur n’a pas utilisé un Passé
composé. Le Plus-que-parfait contraint l’interprétant à trouver un ancrage pour
le repère passé r1, alors que le contexte ne comporte aucun élément
susceptible de fournir cet ancrage. Ce repère pourrait par exemple correspondre
au moment où le producteur de l’émission a pris la décision de la rediffuser.
C’est du moins ce que suggère une formulation comme : il y a quelques
jours, j’ai décidé de rediffuser cette émission qui avait été diffusée pour la
première fois le 2 février 2019. Le Plus-que-parfait hérite des emplois non strictement
temporels de l’Imparfait. On le rencontre donc en contexte médiatif et dans des
emplois modaux. Voici rapidement et sans commentaire quelques exemples de ces différents
cas de figure : En contexte médiatif – Paroles, pensées ou perceptions rapportées : (28) Il était six heures moins dix, Jean se dit qu’il
était tard. Dans dix minutes le bruit de la drague cesserait. S’il faisait
encore clair, c’est que le printemps était bien arrivé, cette
fois. (M. Duras, 1943-1949) (29) Entendu le 23 novembre 2016, le prévenu expliquait
que des panneaux photovoltaïques avaient été posé sur son toit, à
Vivier-au-Court, mais n’avaient jamais été branchés, et n’avaient
donc jamais fonctionné. Il avait donc fait appel à l’association
et disait avoir été victime d’une escroquerie puisque l’association l’avait
alors dirigé vers un cabinet d’avocats, qui lui avaient demandé 5.000
euros d’honoraires sans même le rencontrer. (Presse Internet, 2018) En emploi modal – À rendement atténuatif : (30) Monsieur, fit-il sur un ton d’une noblesse admirable, j’étais
venu vous demander si vous n’aviez pas quelque commission pour elle [...].
(G. Leroux, 1919) – Conjectural et consécutif (e.g. contrefactuel) : (31) Ce pauvre Briol, si vous aviez vu le mal qu’il se
donnait pour les amuser, c’en était pénible. (M. Duras, 1946) (32) Un peu plus et nous étions arrivés en retard. – Performatif ex post : (33) Toi t’étais le prof, moi l’élève. J’étais arrivé en
retard et tu n’étais pas content. Ouvrages sur le Plus-que-parfait Lhafi Sandra Christine (2012). Zum Plusquamperfekt im
Französischen und Spanischen. Kontrastive Untersuchung aus textlinguistischer
Perspektive. Frankfurt am Main : Peter Lang. Schaden Gerhard (2009). Composés et surcomposés : le
« parfait » en français, allemand, anglais et espagnol.
Paris : L’Harmattan. Comparé au Passé composé et au Plus-que-parfait, le Passé
antérieur se distingue par un certain nombre de particularités : (i) Compte tenu du fait que son auxiliaire porte le grammème de
Passé simple, il est soumis aux mêmes faits de défectivité et d’insécurité
morphologique que ce temps verbal (voir § 3.4.1.
de la notice sur les temps simples), bien que ces faits ne concernent
ici que les auxiliaires avoir et être. À noter également
l’homonymie, à la 3e pers. du sing., avec le Plus-que-parfait du
subjonctif (eut fait / eût fait), source de nombreuses confusions
orthographiques : il n’est pas rare de rencontrer des formes
orthographiées comme dès qu’il eût décidé, y compris dans les écrits les
plus surveillés. (ii) C’est un temps verbal dont les contextes d’occurrence sont
fortement contraints. (iii) Contrairement aux autres temps composés, le Passé
antérieur est fondamentalement un temps résultatif (si ce n’est exclusivement,
cf. infra § 4.4.3.) ;
il exprime comme le Plus-que-parfait un état résultant localisé dans le passé. (iv) Le Passé antérieur est typiquement, au même titre que le
Passé simple, un temps narratif. Il sert certes à désigner un état résultant,
mais cet état, contrairement au Plus-que-parfait, est toujours associé à une
progression de la référence temporelle et, partant, du cours de la narration.
Le temps verbal avec lequel il s’accommode le mieux est donc le Passé simple.
Passé antérieur et Passé simple appartiennent au registre de l’énonciation
historique au sens de Benveniste (1959). (v) Enfin, c’est le seul temps composé de l’indicatif qui n’ait
pas d’emplois de parfait d’expérience. Cela tient au fait qu’il réfère à l’état
résultant avec une visée perfective. On a là une confirmation du rapport qu’il
y a entre l’imperfectivité et la valeur de parfait d’expérience. On rencontre le Passé antérieur dans les contextes suivants
[Note 53] : – Dans des subordonnées introduites par une conjonction ou
expression conjonctive temporelle, comme : quand, lorsque, aussitôt
que, sitôt que, à peine... que, après que, dès que,
etc. ; ou encore dans des relatives circonstancielles dont l’antécédent
est un nom temporel, comme : à l’instant où, au moment où, le
jour où, dès la minute où, etc. (certaines de ces expressions sont
habituellement considérées comme des locutions conjonctives). Toutes ces
formulations ont en commun de signifier un intervalle temporel. (1) Quand chacun eut pris place selon son
rang, le prince, d’une voix nette et douce, s’exprima ainsi : [...]. (A.
Gobineau, 1874) (2) La Madelon, qui n’avait jamais pensé bien sérieusement à
Landry, se mit à y penser beaucoup, aussitôt qu’elle eut renvoyé
la Fadette. (G. Sand, 1849) (3) Pourtant un vendredi soir, Elsa, dès que nous fûmes
arrivés, but coup sur coup quatre verres de gin. (J. Kessel, 1936) (4) Dès la seconde où je l’eus appelé
Fraülein, il tourna vers moi la tête [...]. (J. Giraudoux, 1922) – Sous la portée d’un adverbe quantifiant l’intervalle temporel
entre le procès précédemment évoqué et la référence du Passé antérieur. Cet
adverbe indique presque toujours que cet intervalle a été bref ou plus court
que prévu : bientôt, en quelques minutes, en un instant,
rapidement, vite, etc. Dans ce contexte, vite et rapidement
ne sont donc pas des adverbes de manière (comme dans il court vite, il
a mangé rapidement), mais des adverbes qui évaluent la durée d’un
intervalle. Ils sont donc ici anaphoriques. (5) Pour remédier à cela je me pris à réfléchir, et je priai
Vendredi de les inviter à s’asseoir sur le bord tandis qu’il viendrait avec
moi. J’eus bientôt fabriqué une sorte de civière où nous
les plaçâmes, et sur laquelle, Vendredi et moi, nous les portâmes tous deux.
(D. Defoe, trad. franç. 1836) (6) La mère et Suzanne montèrent à l’arrière de la limousine
et M. Jo, à côté de son chauffeur. Ils eurent vite fait de
rattraper Joseph. (M. Duras, 1950) (7) En trois heures, j’eus visité non
seulement la ville, mais ses environs. (J. Verne, 1864)
[Note 54] – Dans des subordonnées en tant que, tout le temps
que comportant une négation du verbe : (8) Puis elle grimpa dans le lit qui a son tour soupira,
siffla, gondola tant qu’elle n’eut pas trouvé sa position.
(M. Westphal, 2017) – Très rarement, après un complément de localisation
temporelle : (9) Vers deux heures nous eûmes terminé ces
grands préparatifs. (P. Loti, 1882) Le Passé antérieur résultatif produit, selon la même logique
que les autres temps composés, une signification équivalente à celle que
produirait un autre verbe ou une autre expression verbale au Passé simple. Par
exemple : dès que nous fûmes arrivés ≈ dès que nous
fûmes sur place. Nous avons vu que certaines expressions adverbiales peuvent
favoriser une interprétation processive du Passé composé et du
Plus-que-parfait : expressions de localisation temporelle, expressions
quantifiant la durée du procès ou spécifiant la manière dont le procès se
déroule. Or, comme l’a noté Wilmet (1973), on rencontre parfois le Passé
antérieur sous la portée de ce type d’expression, ce qui conduit à douter de la
thèse selon laquelle il serait toujours résultatif. En voici quelques
illustrations : (10) Après que la mise en liberté provisoire de Carbone, de
Spirito et du baron eut été refusée le 10 avril, ce juge fut
obligé, douze jours plus tard, de relâcher les deux premiers. (R. Peyrefitte,
1972. In : Wilmet 1973 : 287) (11) Un soir – quelques jours après que Jean Manzon, ayant
proposé ses services au général de Gaulle, l’eut quitté en claquant
la porte, après une entrevue orageuse – nous regardâmes le monde, déplié
sur une table de pub. (P. Daninos, 1972. In : Wilmet 1973 : 287) (12) Lorsque la jeune femme eut lutté de toute son
énergie nerveuse contre le spectre de Camille, lorsqu’elle eut vécu pendant
plusieurs mois sourdement irritée, révoltée contre ses souffrances, cherchant à
les guérir par les seules volontés de son être, elle éprouva tout d’un coup
une telle lassitude qu’elle plia et fut vaincue. (E. Zola, 1867) Dans le premier exemple, il semble que la datation du refus (le
10 avril) contraigne à interpréter le temps verbal comme processif :
c’est bien le refus proprement dit qui est localisé dans le temps. Le même raisonnement peut être tenu à propos du deuxième
exemple, mais c’est ici un adverbial de manière (en claquant la porte)
qui produit cet effet. Quant au troisième exemple, il cumule plusieurs expressions
incitant également à interpréter les Passés antérieurs comme processifs : un
adverbial de manière (de toute son énergie nerveuse), une expression de
durée (pendant plusieurs mois) ainsi que des attributs détachés (sourdement
irritée, révoltée contre..., cherchant à...) décrivant l’état
psychologique de la personne concernée durant la phase processive du procès. Cependant, il ne fait par ailleurs pas de doute que dans ces
trois exemples, les procès que désignent les verbes de la principale sont
localisés dans la phase post-processive, résultative, des procès signifiés dans
la subordonnée au moyen du Passé antérieur. Ces formulations produisent ainsi un
effet de syllepse aspectuelle semblable à celui observé avec certains
Plus-que-parfaits décrits plus haut (§ 4.3.5.2.). Dans (10), la syllepse conduit à autonomiser le localisateur
temporel le 10 avril et à l’interpréter comme un adverbial
parenthétique. Sur ce point, cet exemple est analogue à l’exemple (17) supra,
dans la section sur le Plus-que-parfait (§ 4.3.5.2.). Dans (11) et (12), une analyse en terme de portée est également
possible. On pourrait considérer que dans (11), le Passé antérieur porte non
pas sur le verbe quitter mais sur l’expression verbale quitter en
claquant la porte, intégrant l’adverbial de manière ; et dans (12),
que le Passé antérieur porte non pas sur les verbes lutter et vivre,
mais sur les expressions verbales lutter de toute son énergie nerveuse
contre le spectre de Camille, et vivre pendant plusieurs mois sourdement
irrité, révolté... Selon cette analyse, les deux Passés antérieurs
désigneraient les premiers instants de l’intervalle consécutif à ces procès
complexes. Cet exemple produirait donc, au total, une représentation identique
à celle que produirait le texte suivant : (13) La jeune femme lutta de toute son énergie nerveuse
contre le spectre de Camille et vécut pendant plusieurs mois sourdement
irritée, révoltée contre ses souffrances, cherchant à les guérir par les seules
volontés de son être. Puis tout d’un coup elle éprouva une telle
lassitude qu’elle plia et fut vaincue. Cette analyse est confortée par le fait que les procès
concernés, étant non-transitionnels, n’ont pas de borne terminale intrinsèque.
Ce qui met fin à leur cours, dans ce texte, c’est seulement l’information
apportée par la principale
[Note 55]. Dans le cas du Passé composé et du Plus-que-parfait, la phase
post-processive est appréhendée avec une visée aspectuelle imperfective, visée
déterminée par le grammème de temps verbal de l’auxiliaire (Présent et
Imparfait). Dans le cas du Passé antérieur, en raison du Passé simple de
l’auxiliaire, la phase post-processive est appréhendée avec une visée
perfective. Quelles en sont les conséquences ? Rappelons que la seule information que donnent le Passé composé
et le Plus-que-parfait concernant la borne terminale e2 de leur
phase post-processive (l’état résultant) est que cette borne est postérieure à
la référence temporelle, donc à R2. Avec le Plus-que-parfait, cette
borne peut donc s’étendre jusqu’au présent de l’énonciation et au-delà, dans
l’époque future. Il n’en va pas de même pour le Passé antérieur. La
représentation perfective de l’état résultant produit par définition une saisie
globale de cet état, avec R=e. Il en résulte trois conséquences
principales : – La première est un effet d’inchoativité. On sait que
les temps verbaux perfectifs, quand ils opèrent sur un procès non transitionnel
duratif (activités et états de Vendler), tendent à produire une interprétation
inchoative de la référence temporelle. C’est ce même effet qu’on observe avec
le Passé antérieur : la représentation perfective de la phase
post-processive s’accompagne d’une contraction de cette phase sur ses premiers
instants. – La seconde conséquence nous renvoie également à la
description du Passé simple : il s’agit de la propulsivité. Elle
est systématique avec le Passé antérieur. Cela signifie que la référence à
l’état résultant implique que cet état succède à une référence temporelle antérieure.
Dès que nous fûmes arrivés peut être glosé par ‘une fois à
destination’, où une fois indique la successivité et présuppose un
procès antérieur. Le Passé antérieur apparaît toujours dans des expressions
temporelles fonctionnant comme des marqueurs de consécution. – La troisième conséquence de la perfectivité est que
l’intervalle post-processif [e1–e2] est entièrement
localisé dans le passé. Cet ensemble de propriétés fait du Passé antérieur,
indépendamment de son archaïsme, un temps typiquement narratif, qui présente un
« état » (l’état résultant) comme s’il s’agissait d’un événement.
C’est ce qui le rend inapte à exprimer le parfait d’expérience. Le parfait
d’expérience suppose par définition une représentation imperfective de l’état
d’expérience. Si l’on reprend la convention qui a été adoptée pour le Passé
simple, consistant à ne pas utiliser S comme paramètre descriptif (pour une
justification, cf. la notice sur les temps
simples, § 3.4.1.), alors on peut caractériser le Passé antérieur
par les relations temporelles suivantes : – r1 D’où le chronogramme de la Figure 16 : Il n’est pas rare de trouver le Passé antérieur dans un
contexte à Passés composés (factuels ou de narration), voire à Présents de
narration : (14) Barack Obama n’est pas intervenu aux côtés
des révoltés syriens en 2011, malgré les demandes d’une partie de son
entourage. Il n’est pas intervenu non
plus en 2013, après que Bachar el-Assad eut gazé une
banlieue de Damas, franchissant la « ligne rouge » de l’ordre
international qui interdit l’usage des armes chimiques. (Le Temps,
22.11.2016. In : Borel, 2019 : 205) (15) Lorsque j’eus enfin achevé les trois
numéros, j’ai eu l’impression de sortir d’une caverne.
(www.urban-comics.com, consulté en oct. 2018. In : Borel, 2019 : 205) Cette association de temps verbaux, que Benveniste (1959)
aurait probablement décrite comme hybride car mêlant « énonciation
historique » et « énonciation de discours », a été repérée
depuis longtemps. Elle a donné lieu à divers commentaires, notamment de la part
de Foulet (1925), Delattre (1950), Beaujot (1980) ou encore Jolivet (1984).
Partant du principe que les associations attendues, « normales »,
sont celle du Passé antérieur et du Passé simple, d’une part, et du Passé
surcomposé et du Passé composé, d’autre part, ces auteurs estiment que le Passé
antérieur occupe ici la place d’un Passé surcomposé. Soit, en modifiant les
exemples ci-dessus : (14’) Il n’est pas intervenu non plus en 2013,
après que Bachar el-Assad a eu gazé une banlieue de Damas. (15’) Lorsque j’ai eu enfin achevé les trois
numéros, j’ai eu l’impression de sortir d’une caverne. Delattre (1950) et Jolivet (1984) ont formulé l’hypothèse que
la stigmatisation normative qui affecte les formes surcomposées pourrait
expliquer une tendance générale à substituer un Passé antérieur au Passé
surcomposé quand il s’agit d’exprimer l’antériorité dans un contexte à Passés
composés. Autrement dit, des formulations comme (14)-(15) attesteraient d’une
tendance, forcément variable selon le locuteur, à éviter le Passé surcomposé.
Borel (2019) a observé de nombreux cas de ce type dans la presse contemporaine,
ce qui confirme cette hypothèse. L’explication paraît d’autant plus plausible
qu’à la stigmatisation normative, les formes surcomposées ajoutent un autre
handicap : la défectivité (notamment avec les verbes pronominaux), et les
phénomènes d’insécurité morphologique qui s’ensuivent. – On mesure ici l’impact
que peuvent avoir les facteurs non strictement linguistiques dans le choix des
temps verbaux ! Il n’existe à notre connaissance aucun ouvrage ni aucun numéro
de revue consacré exclusivement au Passé antérieur français. Le Futur antérieur hérite des propriétés générales des temps
composés ainsi que de celles du Futur. Des temps composés, on retrouve les deux
interprétations processive et résultative, ainsi que la nécessité d’une phase
post-processive [e1–e2] pour décrire les emplois
résultatifs ; du Futur, on retrouve la sous-détermination en ce qui
concerne la distinction entre visée imperfective et perfective, ici sur l’état
résultant. Pour continuer avec les comparaisons générales, on pourrait encore
ajouter que, comme avec le Plus-que-parfait, la distinction des interprétations
processive et résultative y est parfois fragile, notamment quand le temps
verbal double sa valeur aspectuo-temporelle de valeurs modales. Le Futur antérieur peut être processif ou résultatif. Il est
processif dans (1)-(2), résultatif dans (3)-(4)
[Note 56] : (1) Le décret est paru ce dimanche au Journal officiel.
Christian Lambert, nommé préfet de Seine-Saint-Denis par Nicolas Sarkozy en
avril 2010, pourra « faire valoir ses droits à la retraite à compter du 6
juin ». La veille, il aura fêté ses 67 ans. (L’Obs/Rue89,
5 mai 2013) (2) Je t’écrirai ce que j’aurai vu cette après-midi
au Centaure et l’accueil qu’on m’y aura fait (Corresp. Gide-Valéry,
1896. Cette après-midi est interprété ici comme complément de j’aurai
vu, et non de je t’écrirai) (3) Vous savez, ai-je dit, il ne faut pas croire, quand les
choses se seront tassées, ça me ferait vraiment plaisir d’avoir une
liaison avec vous. (J.-P. Manchette, 1976) (4) Quand nous nous réveillerons, il fera grand jour et le
camp sera tout calme. Celles qui sortiront des baraques les premières
s’apercevront que le poste de garde est vide, que les miradors sont vides. Tous
les SS se seront enfuis. Quelques heures plus tard, les avant-gardes
russes seront là. (C. Delbo, 1965) Comme pour les autres temps composés, l’interprétation
processive est favorisée par la présence d’une expression de localisation
temporelle, ainsi que le montrent les deux premiers exemples. Avec le Futur
antérieur, cette expression (par ex. la veille dans (1)) doit indiquer
un moment antérieur à un repère (r1), ce repère étant généralement
fourni par un verbe au Futur ou par une expression de localisation temporelle (le
6 juin dans (1)). Les expressions indiquant la durée ou la manière incitent
également à une interprétation processive. Quant à l’interprétation résultative, elle est en quelque sorte
confirmée par le fait qu’il est possible, moyennant une modification de
l’expression verbale, de remplacer le Futur antérieur par un Futur simple sans
changement notoire de la signification ; ce dernier désigne alors l’état
résultant auquel réfère le verbe au Futur antérieur. Pour (3) : quand
les choses se seront tassées ≈ ‘quand les choses seront
tassées’ ; pour (4) : les SS se seront enfuis
≈ ‘les SS ne seront plus là’
[Note 57]. Dans les quatre exemples ci-dessus, les phases processive et
résultative sont toutes les deux localisées dans le futur. Pourtant, qu’il soit
processif ou résultatif, le Futur antérieur présente la propriété à première
vue paradoxale de pouvoir être utilisé pour désigner un procès localisé dans le
passé. C’est ce qu’on observe dans (5) : (5) Sais-tu dans huit jours combien j’aurai fait de
pages depuis mon retour de pays ? Vingt. Vingt pages en un mois et en
travaillant chaque jour au moins sept heures ! (G. Flaubert, Corresp.,
3 avr. 1852) Ce Futur antérieur est résultatif : Flaubert évalue l’état
d’avancement dans lequel se trouvera, dans huit jours, un certain
manuscrit. L’état résultant auquel réfère le temps verbal est donc situé dans
le futur. Mais le procès conduisant à cet état (faire des pages) est en
cours au moment de l’énonciation et a donc débuté dans le passé ; l’auteur
précise même que dans huit jours, il aura débuté depuis un mois.
Examinons encore l’exemple suivant : (6) Demain, Luc aura remis son travail depuis un
mois, et il n’aura toujours pas les résultats. (Ex. emprunté à Gosselin
1996 : 214) Ici encore, en raison de l’adverbial « depuis + durée », l’exemple ne peut être
interprété que comme résultatif (≈ ‘demain, il y aura un mois que
le travail de Luc est rendu’). Mais le procès proprement dit, c’est-à-dire
la remise du travail, est intégralement localisé dans le passé. On s’aperçoit ainsi que le Futur antérieur n’impose aucune
restriction, en terme d’époque, à la localisation du procès proprement dit. Mais comment se fait-il que l’état résultant puisse être
localisé dans le futur tandis que le procès proprement dit est localisé dans le
passé ? Si l’on considère que l’état résultant débute par définition au
moment même où la phase processive se termine, cela ne paraît pas possible. La
réponse à ce dilemme réside dans le fait suivant : en interprétation
résultative, le Futur antérieur est la plupart du temps imperfectif. Il ne
réfère alors qu’à une portion de la phase post-processive, et c’est cette
portion seulement qui est localisée dans le futur. Elle peut donc avoir débuté
dans le passé. Autrement dit, la représentation temporelle que produit
l’exemple (6) peut être figurée au moyen du chronogramme suivant : Interprété comme résultatif, le
Futur antérieur de (6) réfère à un intervalle localisé dans le futur et
correspondant à demain. L’énoncé indique que cet intervalle est
caractérisé par le fait qu’un certain travail y est dans l’état d’être remis,
et que cet état dure depuis 1 mois. Ce qui est ici localisé dans le futur,
c’est seulement le sous-intervalle [R1–R2] de la phase
post-processive [e1–e2], sous-intervalle correspondant à
la référence temporelle. Notons que dans ce chronogramme, la borne e2
est purement virtuelle, puisque la phase post-processive est, en l’occurrence,
non-annulable
[Note 58]. Soit encore l’exemple suivant, version modifiée de l’exemple
précédent : (7) Demain, Luc aura remis son travail il y a un
mois, et il n’aura toujours pas les résultats. La substitution de il y a un mois à depuis un mois
a pour conséquence de produire une interprétation processive, donc aussi
perfective : il y a coïncidence temporelle de E et de R
[Note 59]
. Dans ce cas, le seul élément futur « motivant » le Futur antérieur est le
repère r1 ancré sur demain. L’exemple (7) correspond donc au
chronogramme suivant : Il est intéressant de noter que dans ce type de formulation,
l’organisation informationnelle de l’énoncé a une certaine influence sur le
choix du temps verbal. Dans (7), un Passé composé à la place du Futur antérieur
est peu probable. Mais il en irait différemment si l’expression il y a un
mois, qui quantifie la distance temporelle entre R et demain, était
focalisée au moyen d’une construction en il y a... que, devenant alors il
y aura un mois que. La formulation (8) est tout à fait banale, et
probablement même plus attendue que (9) : (8) Demain, il y aura un mois que Luc a remis son
travail, et il n’aura toujours pas les résultats. (9) Demain, il y aura un mois que Luc aura remis son
travail, et il n’aura toujours pas les résultats. La seconde solution est celle adoptée dans l’extrait
radiophonique suivant : (10) Il y aura bien a priori une élection présidentielle en
Algérie. Les autorités donnent une date : le 12 décembre prochain. Cela
fera alors huit mois qu’Abdelaziz Bouteflika aura quitté le pouvoir sous
la pression de la contestation populaire. (France Culture, Journal,
16.09.2019, 08h04) Comme les autres temps composés, le Futur antérieur résultatif
hérite de la visée aspectuelle du grammème qui affecte son auxiliaire. Ce
grammème étant le Futur, on doit s’attendre à ce que la visée aspectuelle du
Futur antérieur résultatif soit sous-déterminée, autrement dit imperfective ou
perfective, selon le contexte. Dans l’exemple (6) elle est, comme nous l’avons
vu, nécessairement imperfective. Mais dans les contextes analogues à ceux du
Passé antérieur (cf. supra 4.4.2.),
elle peut être perfective (nous reprenons ici les descriptions de Gosselin 2019 :
39-40). Exemples : (11) – Alors, je peux la récupérer [une auto] (12) En effet, ce n’est pas la nouveauté de Mlle Duchateau qui
captive Mesnard, j’imagine – il en aura bientôt fait le
tour – mais le fait d’être pour elle un être très compliqué, très difficile à
comprendre, et qu’elle mettra des années à déchiffrer. (J. Dutourd, 1967) Dans ces exemples, la référence à la phase résultative est
représentée avec une visée perfective. Cela signifie que la référence
temporelle y est coextensive de l’intervalle post-processif (R=e).
Conséquence : il se produit le même effet qu’avec le Passé antérieur, à
savoir une contraction sur les premiers instants de cet intervalle, phénomène
qui a été décrit plus haut comme de l’inchoativité. Il découle de ce qui précède que le Futur antérieur admet trois
interprétations aspectuo-temporelles : (1) interprétation processive et
perfective, (2) interprétation résultative avec visée imperfective, (3)
interprétation résultative avec visée perfective : (i) Interprétation processive Elle se caractérise par les relations temporelles
suivantes : – r0⊂S D’où le chronogramme de la Figure 19 : Commentaire. – Les intervalles E et R sont
coïncidents (définition de la perfectivité). Leur localisation temporelle a
pour seule contrainte d’être antérieure à r1, repère par définition
postérieur à S. Cet empan de localisation est indiqué par l’ovale et la flèche
en pointillés. Dans les énoncés qui réalisent cette configuration, r1
doit en principe être « motivé », autrement dit trouver un ancrage,
par exemple sous la forme d’une expression de localisation temporelle future
(cf. demain, dans (6)). L’absence d’un tel ancrage entraine des
interprétations particulières de l’expression verbale, comme nous le verrons
plus loin. (ii) Interprétation résultative avec visée imperfective sur
l’état résultant Elle se caractérise par les relations temporelles
suivantes : – r0⊂S D’où le chronogramme de la Figure 20 : Commentaire. – L’intervalle R est déterminé par r1,
repère par définition postérieur à S. R est également postérieur à S. E a pour
seule contrainte d’être antérieur à R. L’intervalle R est inclus dans
l’intervalle e (visée imperfective sur l’état résultant). L’ovale et la flèche
en pointillés indiquent l’empan de localisation de E. (iii) Interprétation résultative avec visée perfective sur
l’état résultant Elle se caractérise par les relations temporelles
suivantes : – r0⊂S D’où le chronogramme de la Figure 21 : Commentaire. – L’intervalle R est déterminé par r1,
repère par définition postérieur à S. R est également postérieur à S. E a pour
seule contrainte d’être antérieur à R. Les intervalles R et e sont coextensifs
(visée perfective sur l’état résultant). La borne E1 a pour seule
contrainte d’être antérieure à E2. La flèche en pointillés indique
l’empan de localisation de E1. Il existe dans la littérature consacrée au Futur antérieur un
grand nombre d’inventaires et d’étiquettes visant à cerner des emplois ou
effets sémantiques plus ou moins spécifiques. Cependant, un examen attentif
montre que certaines de ces étiquettes retiennent des propriétés superficielles
et contingentes, mêlant considérations modales, pragmatiques, psychologiques,
etc. Elles reviennent souvent à attribuer au grammème des propriétés qui sont
en réalité celles de son environnement ou de l’énonciation
[Note 60]
. Pour cette raison nous chercherons ici à limiter au maximum cette prolifération
d’emplois. Comme le Passé composé et le Plus-que-parfait, le Futur
antérieur a des emplois de parfait d’expérience (Ciszewska-Jankowska 2014,
Apothéloz 2019a), que la littérature sur le sujet ignore généralement. En voici
trois exemples : (13) Quant à vous, [...] vous êtes jeune, vous pouvez croire à
quelque chose, dit-elle à l’étudiant. À mon départ de ce monde, j’aurai
eu, comme quelques mourants privilégiés, de religieuses, de sincères
émotions autour de moi ! (H. de Balzac, 1843) (14) Mais si l’on touche à la propriété, il en résultera des
bouleversements immenses qui ne s’accompliront pas sans effusion de sang ;
[...]. Avant qu’un nouveau droit soit sorti de ce chaos, les astres se
seront souvent levés et couchés. (F. de Chateaubriand,
1948) (15) Oh ! elle n’avait rien à me proposer, même pas du panettone.
Venise, elle ne savait pas combien de jours elle y resterait. Du café ? Je
la suivis dans la cuisine. De ma vie je n’aurai mis autant de
sucre dans une petite tasse de café. (H. Bianciotti, 1995) Les affinités avec certains environnements linguistiques
(adverbe de fréquence, expression de la comparaison, formulation de
l’intervalle de validation) sont exactement les mêmes qu’avec le Passé composé
et le Plus-que-parfait, comme le montrent : – l’adverbe souvent dans (14), L’assertion d’advenue et l’état d’expérience sont par
définition localisés dans le futur, et c’est r1 qui leur donne leur
ancrage temporel. Cet ancrage est explicite, quoique de façon assez différente,
dans (13) et (14) (cf. à mon départ de ce monde, avant qu’un nouveau
droit soit sorti de ce chaos) ; il est en revanche non-indiqué dans
(15), où l’assertion d’advenue propre au parfait d’expérience est reportée dans
un avenir non spécifié. Il en résulte des effets médiatifs sur lesquels nous
reviendrons. Ces exemples se prêtent au même type de glose que ceux que nous
avons examinés au Passé composé et au Plus-que-parfait d’expérience : (13’) À mon départ de ce monde, il me sera arrivé, comme
quelques mourants privilégiés, d’avoir de religieuses, de sincères émotions
autour de moi. (14’) Avant qu’un nouveau droit soit sorti de ce chaos, il sera
souvent arrivé que les astres se lèvent et se couchent. (15’) De ma vie il ne me sera (jamais) arrivé de mettre autant
de sucre dans une petite tasse de café. Il s’agit d’emplois dans lesquels le Futur antérieur est
associé à l’expression d’un monde possible ou imaginé, en rupture avec
l’univers de l’actualité. Exemples : (16) Qu’un objet subisse quelque contrainte, qu’il passe entre
des mains administratives, à mes yeux il aura perdu une fraction de ses
charmes. (M. Rheims, 1987) (17) Pour être efficace, cet antibiotique doit être utilisé
régulièrement aux doses prescrites et aussi longtemps que votre médecin vous l’aura
conseillé. (Notice de médicament, 2017) (18) Quiconque aura fourni sciemment des renseignements
inexacts ou incomplets [...] sera puni d’un emprisonnement de un à quatre ans
[...]. (Texte de loi, 1968) (19) – « Es-tu bête, mon pauvre mignon ! » lui
dit sa mère en le secouant et lui essuyant les yeux : « Allons,
mouche-toi, » et elle le moucha : « Quand tu te seras mis
en colère contre un morceau de bois, ça t’avancera bien... » (P. Bourget,
1889) Dans (16)-(18), la situation imaginée n’est pas liée à une
époque : il s’agit d’un discours omnitemporel et générique. Un Passé
composé serait tout à fait possible, mais le Futur antérieur présente
l’avantage de signaler ou de confirmer que l’énonciateur est en train de
raisonner à l’intérieur d’un univers disjoint de l’univers actuel. L’exemple
(19), qui n’est pas omnitemporel et où un Passé composé n’est pas possible,
montre que cet emploi d’univers peut être proche de la contrefactualité. Un cas particulier de cet emploi est celui que nous
qualifierons d’« illustratif », appellation que Bres & Labeau
(2014) utilisent pour un emploi analogue du Présent prospectif. Il s’agit des
cas où le Futur antérieur désigne un procès présenté comme sélectionné en vertu
du fait qu’il est particulièrement significatif, « illustratif » d’un
état de chose (typiquement, du caractère d’une personne, de ses habitudes,
comportements, manies, etc.). L’extrait suivant est tout à fait caractéristique
de cet emploi : (20) [Il est question d’André Gide] Certains emplois du Futur antérieur ont été reconnus depuis
longtemps comme étant associés à l’expression de significations modales. Deux
valeurs sont principalement concernées : la valeur dite « conjecturale »,
et celle dite « de bilan ». Ces deux valeurs ont en commun
d’apparaître quand le repère r1, par définition postérieur à S, ne
trouve pas d’ancrage temporel et que le procès est localisé dans le passé. Futur antérieur de conjecture On l’appelle également « suppositif »,
« conjectural », « épistémique », « de
probabilité » ou encore « évidentiel ». Il a été repéré comme
particulièrement fréquent à partir du xixe
siècle (Patard 2019). Exemples : (21) – Il se passe..., il se passe... que j’ai perdu mon
portefeuille. – Bah ! dit Agustin, soucieux de rendre service et de calmer
son voisin, vous l’aurez oublié chez vous, voilà tout. (J. d’Ormesson,
1986) (22) Victoire quitta Luna-Park. Derrière son genou, le long du
mollet, un filet de sang. Elle se sera écorchée, pensa Raymond. (B.
Poirot-Delpech, 1984) La signification de conjecture est parfois annoncée ou confirmée
par une expression verbale ou adverbiale qui la redouble : (23) – [...] Je lui ai parlé de toi ; elle ne te connaît
pas. (24) Cher monsieur, l’abbé Fenil vous reproche beaucoup de
choses. Comme je crois vous l’avoir dit, il a dû écrire à Besançon, d’où
il aura appris les fâcheuses histoires que vous savez... (E. Zola, 1874) Cette interprétation intervient typiquement dans des contextes
où il s’agit d’apporter une explication à un état de chose préalablement
constaté et plus ou moins surprenant, qui concerne le présent ou un passé
récent. Elle s’appuie donc sur une information préalable : quelqu’un qui
ne retrouve pas son portefeuille (ex. 21), la vision d’une blessure inattendue
(ex. 22), etc. Le Futur antérieur confère alors à l’énoncé où il se trouve une
valeur d’hypothèse expliquant cet état de chose. La production de cet énoncé
présuppose par conséquent des opérations d’inférence
[Note 61]
ainsi qu’une instance prenant en charge ces opérations. Il n’est donc pas surprenant
que, dans la fiction narrative, cet emploi apparaisse souvent dans des mises en
scène de dialogues, comme c’est le cas ci-dessus. L’hypothèse explicative est
alors « attribuée ». Parfois, cet emploi n’est fondé sur aucune information
préalable explicite. Il n’en exprime pas moins l’idée de conjecture. (25) Je t’ai écrit dernièrement un court billet que l’on t’aura
fait parvenir, j’espère, mais peut-être insuffisamment affranchi.
(Corresp. Gide-Valéry, 1895) De nombreux auteurs ont noté que ce Futur antérieur peut être
remplacé, à signification relativement proche, par un Passé composé sous la
portée d’un adverbe épistémique comme probablement ou peut-être : – vous l’aurez oublié chez vous ≈ vous l’avez
peut-être oublié chez vous – elle se sera écorchée ≈ elle s’est
probablement écorchée Dans tous ces exemples, le repère r1 demeure
totalement libre : aucune information, aucun circonstanciel n’indique à
quel moment futur il est ancré. La signification modale de conjecture est la
conséquence de cette absence d’ancrage. Donner cette information reviendrait à
faire disparaître la conjecture, comme le montre cette version modifiée de
(24) : (24’) Comme je crois vous l’avoir dit, il a dû écrire à
Besançon, et d’ici à demain il aura appris les fâcheuses histoires que
vous savez. La proposition au Futur antérieur dans (24’) est pleinement
assertive et a perdu toute signification de conjecture. Futur antérieur de bilan Parfois aussi qualifié de « rétrospectif » ou
d’« expansif », le Futur antérieur de bilan obéit à une logique
voisine de la variante de conjecture. Comme cette dernière, il s’appuie sur une
information préalable. Mais la relation qui le lie à cette information est d’un
autre type. Il ne s’agit pas ici de formuler une hypothèse explicative, mais
une sorte d’évaluation récapitulative. Weinrich (1973 : 74) parle d’une « rétrospection
anticipée ». Cette évaluation porte parfois, non sur un procès unique et
situé dans le présent ou un passé récent, mais sur une classe de procès pouvant
être localisés dans un passé éloigné (ex. 26 ci-dessous). Dans la mesure où le
bilan est localisé dans le futur, cette classe n’est d’ailleurs pas
nécessairement fermée. L’évaluation produite ne se traduit pas – comme avec la
variante de conjecture – par un abaissement du crédit accordé à l’assertion. Le
procès (ou la classe de procès) récapitulé par l’énoncé au Futur antérieur est
plutôt présenté comme « s’écartant de l’ordinaire attendu, méritant ainsi
l’attention du destinataire » (Patard 2019 : 23). Les études de
corpus montrent que cet emploi du Futur antérieur est particulièrement fréquent
dans la presse (pour des études récentes, voir Ciszewska-Jankowska 2019,
Do-Hurinville 2019). (26) Nous savons tous qu’il a fallu 10 ans de gestation
pour le mettre [le Marché commun] complètement en œuvre. Pour le bâtir il aura
fallu un inlassable effort de coopération des Six. (C. de Gaulle, 1966) (27) Puisque je suis là, autant en profiter. Je ne me serai
au moins pas déplacé pour rien. (J.-L. Benoziglio, 1980) On observera que dans (26), le « bilan » intervient à
la faveur d’une reformulation, dont la formulation initiale est au Passé
composé. De façon analogue au Futur antérieur de conjecture, le Futur
antérieur de bilan voit parfois sa signification récapitulative doublée par une
expression adverbiale signifiant précisément le bilan, la récapitulation, comme
finalement, en fin de compte, tout compte fait, en
définitive, une fois de plus, etc. : (28) Des questions subsistent cependant dans cette affaire qui,
en définitive, aura détruit deux familles. (Ouest-France,
01.12.2010) (29) Après avoir étudié la carte, nous choisissons d’avancer le
long de l’île et de prévoir un bivouac vers 17h. Une longue soirée en
perspective que nous aurons, tout compte fait, bien méritée.
(http://www.baikal-lake.org/recits7.html) Il n’est donc pas surprenant que le Futur antérieur de bilan
puisse être remplacé, à signification proche, par un Passé composé accompagné
d’un adverbial de récapitulation, comme le montre cette version modifiée de
l’exemple (27) : (27’) Puisque je suis là, autant en profiter. Finalement
je ne me suis au moins pas déplacé pour rien. Il est parfois difficile de trancher entre les interprétations
conjecturale et de bilan. L’exemple suivant en est une illustration : (30) – [...] C’est qu’ils peuvent lui avoir transmis je ne sais
quelles maladies, ces petits bâtards. Et il faudra aussi faire une enquête. Comme les emplois de conjecture, les emplois de bilan ont un
repère r1 libre de tout ancrage temporel. L’interprétation de bilan s’associe fréquemment à celle de
parfait d’expérience, avec laquelle elle a des affinités évidentes en raison de
son caractère rétrospectif. Il est d’ailleurs frappant de constater que
beaucoup des exemples que donnent les linguistes pour illustrer le Futur
antérieur de bilan sont en fait aussi des parfaits d’expérience. Voici des exemples
combinant les deux interprétations (l’ex. (32) a déjà été donné plus haut) : (31) Une folie, un prurit de japonaiseries. Cette année,
j’aurai dépensé là dedans 30´000 francs : tout l’argent que j’ai gagné, et
parmi tout cet argent, je n’aurai jamais trouvé 40 francs pour
m’acheter une montre en aluminium. (Journal des Goncourt, 29.12.1882) (32) Oh ! elle n’avait rien à me proposer, même pas du panettone.
Venise, elle ne savait pas combien de jours elle y resterait. Du café ? Je
la suivis dans la cuisine. De ma vie je n’aurai mis autant de sucre dans
une petite tasse de café. (H. Bianciotti, 1995) (33) Ah, je te jure... On aura tout vu, tout entendu,
tout subi. (F. Dard, 1975) Pour que cette association soit possible, il est nécessaire que
r1 soit dépourvu d’ancrage. Dès lors que r1 est ancré, la
« futurité » du temps verbal est motivée, et il ne subsiste plus que
la valeur de parfait d’expérience. C’est ce qu’on observe dans l’exemple
suivant, déjà donné plus haut, où r1 est ancré sur l’expression
soulignée : (34) Quant à vous, [...] vous êtes jeune, vous pouvez croire à
quelque chose, dit-elle à l’étudiant. À mon départ de ce monde, j’aurai
eu, comme quelques mourants privilégiés, de religieuses, de sincères
émotions autour de moi ! (H. de Balzac, 1843) Néanmoins, compte tenu du caractère intrinsèquement
rétrospectif du parfait d’expérience, les deux cas sont parfois difficiles à
discriminer, de sorte que beaucoup de linguistes classent des exemples comme
(34) dans la catégorie des Futurs antérieurs de bilan. La différence est que
quand r1 est libre de tout ancrage, le Futur antérieur déclenche une
interprétation médiative (voir ci-dessous), ce qui n’est pas le cas de (34),
qui est à cet égard purement temporel. Le Futur antérieur de bilan a également stabilisé des emplois à
fonction métacommunicative. Il s’agit d’énoncés thématisant, dans le processus
de communication, la réception, et impliquant explicitement le destinataire,
désigné par tu, vous ou on
[Note 62].
Ces Futurs antérieurs ne concernent qu’un très petit nombre de verbes.
Principalement : comprendre, deviner, noter, remarquer,
voir, auxquels il faut encore ajouter des expressions comme il ne
vous aura pas échappé. Exemples : (35) Je suis un homme faible et malchanceux, vous l’aurez
compris assez facilement. (M. Tournier, 1989) (36) Pour commencer, reprit Arnie, si tu as bien examiné mon
compte, tu auras noté que j’ai eu une grosse dépense début
septembre [...]. (S. King, 1984) (37) On aura deviné que le verbe français cuire
descend du latin coquere après avoir subi un certain nombre de
déformations au cours des siècles. (site internet sur le vocabulaire de la
cuisine, 2019) Cet emploi comporte probablement aussi une dimension
atténuative. Revenons à la principale propriété des deux interprétations
modales présentées ci-dessus : l’absence d’ancrage de r1. Une analyse que nous écarterons (et qui a parfois été tenue)
est celle consistant à considérer que dans ces emplois, le Futur antérieur perd
complètement sa « futurité » au profit de significations
exclusivement modales. L’intuition, la compréhension que nous avons des
exemples discutés ci-dessus vont à l’encontre d’une telle analyse. L’explication qui fait aujourd’hui à peu près l’unanimité, par
delà les diverses formulations qu’on en a données, est celle qu’on désigne
souvent par l’expression de « vérification future ». Elle est en fait
assez ancienne et se trouve déjà dans les travaux de A. Tobler (1884), comme
nous l’avons déjà signalé à propos du Futur simple. À propos d’exemples comme
ceux donnés plus haut (variantes de conjecture et de bilan), cet auteur écrit
ce qui suit : « [...] bien qu’il n’y ait guère lieu, pour celui qui parle,
de transporter dans le futur l’action en elle-même, puisqu’elle est déjà
accomplie dans le présent, il lui est pourtant possible, vu sa durée, sa
répétition, ses conséquences, d’en parler au futur antérieur, parce qu’il
s’en remet à l’avenir de porter un jugement définitif sur les faits en question. »
(Tobler 1905, p. 320, trad. d’un article paru en 1884. Les italiques sont les
miennes.) Cette explication revient à dissocier la désignation du procès,
et la validation de la proposition désignant ce procès. Cela signifie qu’en
choisissant un temps du futur, l’énonciateur diffère, en le situant
postérieurement à l’énonciation, le moment où sera acquise la vérité de ce qui
est asserté (vérité qui concerne le passé). Les Futurs antérieurs de conjecture
et de bilan portent leur signification temporelle non pas sur le procès proprement
dit, mais spécifiquement sur sa validation. Cette analyse, en même temps qu’elle reconnaît la futurité du
Futur antérieur (qui ainsi ne devient pas magiquement un temps du passé),
permet également d’expliquer l’apparition des effets modaux observés plus haut.
En différant l’opération de validation, elle rend en effet possibles des
interprétations dans lesquelles l’instance validatrice ne coïnciderait pas avec
l’énonciateur. Cette dissociation de l’énonciateur et de l’instance de
validation ouvre la voie à divers effets interprétatifs, à des
« enrichissements pragmatiques » – pour reprendre l’expression
utilisée par de Saussure & Morency (2012). En dépit de l’anonymat de cette
instance, nous considérerons qu’il s’agit ici d’un cas de médiativité. Rappelons qu’on qualifie de « médiatif » tout effet
sémantique consistant à suggérer qu’une autre instance que l’énonciateur (un
« médiateur ») prend en charge tout ou partie de l’énoncé. La
médiativité des emplois de conjecture et de bilan se manifeste précisément par
le fait que l’énonciateur se désengage, en partie au moins, du rôle
d’asserteur, au profit d’un médiateur anonyme. Incidemment, il est intéressant
de constater qu’on trouve un indice de ce désengagement dans les paraphrases
que les commentateurs donnent parfois de ces Futurs antérieurs. Ainsi,
commentant l’extrait (38), P. Imbs glose l’énoncé au Futur antérieur par (38’),
en attribuant la prise en charge à un « on » anonyme : (38) De grâce, silence, Messieurs, s’écria le président ;
si nous disputons
[Note 63]
encore, il aura été inutile de faire entrer M. Sorel. (Stendhal, 1830.
Cité dans Imbs 1960 : p. 111) (38’) « on s’apercevra que l’introduction de M. Sorel a été
inutile » D’autres emplois du Futur antérieur, non nécessairement modaux,
sont encore plus clairement médiatifs, du fait que le médiateur y est
identifiable. Exemples : (39) Si je vous tue, ce sera avec l’arme de Cercaire. Je
l’appuierai quelque part du côté de votre cœur et vous vous serez entretués
dans un corps à corps un peu brutal. Si vous signez, Cercaire se sera
tout bonnement suicidé. (D. Pennac, 1987) (40) [Mme Cibot s’adresse à deux marchands de tableaux, Rémonencq
et Elis Magus] Dans ces deux extraits, l’énonciateur formule ce qui pourra
être dit ou pensé à la suite d’une certaine machination. Les propos ou pensées
ainsi imaginés sont formulés au Futur antérieur, qui devient ainsi médiatif.
Dans (39), les deux Futurs antérieurs peuvent être glosés comme signifiant
respectivement : ‘on croira que (on dira que) vous vous êtes
entretués...’, et ‘on pensera que (on dira que) Cercaire s’est suicidé’.
Dans le contexte narratif dont sont extraits ces exemples, les médiateurs sont
évidemment identifiables. Dans (40), tous les temps futurs sont de la même
façon médiatifs à partir de Ce sera monsieur Schmucke. Ces séquences
pourraient également être décrites comme du discours indirect libre anticipé. Lorsque le médiateur est identifiable, les propos ou pensées
qui lui sont attribués peuvent l’être avec les modalités de conjecture ou de
bilan. Dans les deux exemples ci-dessus, il s’agit vraisemblablement de
conjectures. Dans l’exemple suivant, il s’agit de bilan : (41) Maurice l’interrompt : Les deux significations modales examinées plus haut ne sont
donc pas des propriétés sémantiques intrinsèques du Futur antérieur. Elles sont
seulement des conséquences interprétatives, certes plus ou moins routinisées
dans certaines pratiques textuelles, mais nécessitant des contextes
informationnels particuliers pour se manifester. Il est remarquable que l’un
des éléments de ces contextes soit une absence : l’absence d’information
permettant de donner à r1 un ancrage temporel. Dans les analyses qui précèdent, il a été fait plusieurs fois
allusion à certaines expressions favorisant l’une ou l’autre des deux
interprétations modales. Ciszewska-Jankowska (2014) a répertorié de façon
minutieuse ces expressions. Bien qu’elle n’utilise pas le terme de
phraséologie, ses observations suggèrent que le grammème de Futur antérieur est
associé, par de fréquentes cooccurrences, à toutes sortes d’expressions avec
lesquelles il constitue des « formations phraséologiques ». Voici
quelques éléments de cette phraséologie : Le Futur antérieur de conjecture apparaît fréquemment dans les
environnements suivants : – en association avec des adverbes
modaux (sans doute, peut-être, probablement) ; En revanche, le Futur antérieur de conjecture est passablement
rare à la 1ère personne. Le Futur antérieur de bilan se trouve quant à lui fréquemment
dans les environnements suivants : – en association avec des adverbes à
signification récapitulative (finalement, en définitive, tout
compte fait, en fin de compte, en somme), Enfin, le Futur antérieur à interprétation de bilan a été
repéré depuis longtemps comme particulièrement fréquent dans la presse,
journaux télévisés et radiophoniques inclus. Il semble avoir alors une affinité
toute particulière avec les « chapeaux » des articles ou des
présentations. Ouvrages sur le Futur antérieur Ciszewska-Jankowska Ewa (2014). Le futur antérieur et ses
emplois. Analyse contextuelle. Katowice : Wydawnictwo Uniwersytetu
Śląskiego. Numéros de revues consacrés au Futur antérieur – Langue française 201, 2019 : Le futur
antérieur (L. Abouda & D.T. Do-Hurinville, éds) Forme composée du Conditionnel, le Conditionnel passé hérite
des propriétés générales des temps composés (c’est un parfait), notamment
aspectuelles, ainsi que de celles du grammème de son auxiliaire. On va donc
retrouver ici les interprétations processive, résultative et d’expérience
présentées dans la section sur le Passé composé, ainsi que l’ultériorité propre
au Conditionnel, avec son repère r1 situé dans le passé
(cf. § 3.5. de la notice sur les temps simples).
On retrouvera également les valeurs modales ainsi que la médiativité. Comme les autres temps composés à auxiliaire avoir ou être
[Note 64], le
Conditionnel passé peut référer à la phase processive ou à la phase
post-processive (résultative) du procès signifié par le verbe : (1) À un autre, j’aurais répondu vertement :
« Et toi, l’ancien, tu pues la vieillesse et la maladie ! » mais
à lui, j’adressai un petit sourire intimidé. (C. Aventin, 1988) (2) Mon cher père, J’aurais déjà depuis longtemps
répondu à la première de vos deux aimables lettres si notre bonne maman
Foucher ne m’en eût détourné par l’assurance que vous ne seriez plus à Nantes
quand ma réponse arriverait. (V Hugo, Corresp., 23.07.1825) (3) Parti tôt le matin de la résidence familiale à Aulon, il
aurait atteint le sommet vers 9h, avant d’entamer la descente sur
un versant escarpé entre le petit et le grand Arbizon. (Le Petit Journal,
2019) (4) Il le pria de considérer qu’il viendrait, lorsqu’il aurait
atteint sa majorité, récupérer ce qui lui appartenait de droit [...]. (J.
Farnel, 2016) La forme en gras est processive dans (1) et (3), résultative
dans (2) et (4). Comme pour les autres temps composés, l’interprétation
processive est favorisée par la présence d’une expression de localisation
temporelle intra-prédicative – dans (3), vers 9h – ou indiquant la durée
ou encore la manière – dans (1), vertement. Quand il est temporel, le
Conditionnel passé processif a sa référence qui est antérieure à celle du
Conditionnel présent, de la même manière que le Passé composé processif est
antérieur au Présent, le Plus-que-parfait processif antérieur à l’Imparfait,
etc. Quant à l’interprétation résultative, elle est, comme avec les
autres temps composés, fréquente dans les subordonnées temporelles (cf. 4) et
systématique avec « depuis + durée »
(cf. 2). Elle produit, selon la même logique, une signification équivalente à
celle que produirait un autre verbe au Conditionnel présent : – j’aurais déjà depuis longtemps répondu à votre lettre
≈ vous auriez déjà depuis longtemps une réponse de ma part à
votre lettre – lorsqu’il aurait atteint sa majorité ≈ lorsqu’il
serait majeur. La distinction des interprétations processive et résultative,
parce qu’elle relève de l’aspect, est indépendante de la présence ou de
l’absence de significations modales ou médiatives. Dans les exemples ci-dessus,
(1) et (2) sont modaux, (3) et (4) médiatifs. Examinons, en ne considérant que les emplois temporels, comment
le Conditionnel passé définit les relations temporelles entre les paramètres S,
R, E, etc., selon qu’il est interprété résultativement ou processivement. En interprétation résultative, la référence du Conditionnel
passé, par définition concomitante de la phase post-processive, est située
ultérieurement à un repère r1 localisé dans le passé (même repère
que le Conditionnel). De plus, par héritage du Conditionnel, sa visée
aspectuelle est sous-déterminée et peut donc, selon le contexte, induire une
représentation imperfective ou perfective de l’état résultant. Dans (2) et (4),
la visée est imperfective. Mais il en va différemment dans l’exemple suivant,
où l’état résultant est représenté avec une visée perfective. (5) J’eusse passé la nuit à l’entendre, mais elle me pria de
monter en m’assurant qu’elle aurait vite fait de me
rejoindre. (A. Lafon, 1912) On reconnaît dans cet exemple l’un des contextes
caractéristiques du Passé antérieur (l’adverbe vite). La perfectivité
s’y accompagne du même effet de contraction sur les premiers instants de l’état
résultant (inchoativité). Ces deux visées du Conditionnel passé résultatif se
caractérisent par les relations temporelles suivantes : En visée perfective, la configuration des relations ci-dessus
implique : – que l’intervalle de la référence R, qui recouvre
intégralement [e1–e2], a pour seule contrainte d’être
postérieur à r1. Sa localisation par rapport à S est donc
libre ; Il en résulte le chronogramme de la Figure 22 : Dans l’exemple (5), la référence est en principe localisée dans
le passé. Elle peut fort bien, en revanche, être localisée dans le futur dans
(6). Dans cet exemple, le procès (la réparation proprement dite) peut avoir débuté
avant r1, repère correspondant ici à il a prétendu. (6) Il a prétendu qu’il aurait vite réparé la
climatisation. En visée imperfective, la configuration des relations ci-dessus
implique : – que l’intervalle de la référence R, qui ne recouvre pas l’intégralité
de [e1–e2], a pour seule contrainte d’être postérieur à r1.
Sa localisation par rapport à S est donc libre ; Il en résulte le chronogramme de la Figure 23 : Dans l’exemple (2), la référence à l’état résultant est
localisée dans le présent (cf. la glose : ‘en ce moment, j’aurais déjà
répondu depuis longtemps...’). Dans (4), elle pourrait être localisée aussi
bien dans le passé, le présent ou le futur. Dans (7), elle est nécessairement localisée
dans le futur : (7) Il a dit que quand demain tu rentreras, il aurait
réparé la climatisation. De plus, rien ne s’oppose dans cet exemple à ce que la
réparation proprement dite soit antérieure, intégralement ou partiellement, à r1,
repère correspondant à il a dit. Comme tous les temps composés interprétés processivement, le
Conditionnel passé processif réfère à la globalité de la phase
processive ; sa visée est donc perfective. Cependant, pour rendre compte
de son antériorité par rapport au Conditionnel présent, il est nécessaire
d’introduire un repère supplémentaire : r2. Les relations
temporelles entre les paramètres sont les suivantes : r0⊂S D’où le chronogramme de la Figure 24 : Étant donné que le couple R-E est localisé relativement à r2
(lui-même étant localisé relativement à r1, donc libre par rapport à
S), rien n’empêche le couple R-E d’être antérieur à r1 ou postérieur
à S. Mis à part S, l’élément qui est obligatoirement postérieur à r1
est seulement r2. Examinons l’exemple (8) : (8) Il a expliqué que le jour de son retour, comme tu serais
toi-même parti dix jours avant, il ne pourrait pas te
rencontrer.
[Note 65] Cette formulation peut être produite adéquatement aussi bien si
la date du départ (que désigne tu serais parti), localisée par dix
jours avant, est antérieure ou postérieure à il a dit (correspondant
à r1), ou même postérieure à S. Le repère r2 correspond
ici à l’adverbial le jour de son retour. Au total, le Conditionnel passé en interprétation d’ultériorité
a sa référence temporelle qui est libre de toute contrainte par rapport à
l’énonciation, qu’il soit en emploi résultatif ou processif. Le Conditionnel passé peut également exprimer le parfait
d’expérience : (9) – Vous, qu’elle dit, j’ai déjà vu votre tête quelque
part. (10) Mon père s’écartait pour rester neutre, redoutant sa
propre vivacité, qui aurait pu aigrir ou blesser son frère. Sa nature
militaire, ouverte et animée, avait bien plus d’analogie avec la mienne ;
il m’aurait donné plus souvent raison ; mais il devait
respecter aussi, dans mon intérêt, l’autorité et la souveraineté de famille.
(A. de Lamartine, 1851) (11) En vertu d’un engagement déshonorant, le Gouvernement qui
fut à Bordeaux avait consenti à livrer nos navires à la discrétion de l’ennemi.
Il n’y a pas le moindre doute que, par principe et par nécessité, l’ennemi les aurait
un jour employés, soit contre l’Angleterre, soit contre notre propre
Empire. Eh bien ! je dis sans ambages qu’il vaut mieux qu’ils aient été
détruits. (C. de Gaulle, 1970) Comme tous les parfaits d’expérience, il présente certaines
affinités avec les adverbes de fréquence, comme souvent, parfois,
jamais, déjà existentiel, ainsi qu’avec la comparaison. La
signification produite est susceptible du même type de glose qu’avec les autres
temps composés en emploi expérientiel. Par exemple, pour (10) : il
m’aurait donné plus souvent raison ≈ ‘il serait arrivé plus
souvent qu’il me donne raison’. Dans (11), un jour, localisateur
indéterminé, renforce l’interprétation de parfait d’expérience (‘à un moment
quelconque, par principe et par nécessité, il serait arrivé que l’ennemi les
emploie...’). Nous reprenons ici le système de classement utilisé pour le
Conditionnel présent, fondé sur trois dimensions : l’ultériorité du passé,
la médiativité et la modalité (pour une explication de ce classement,
voir § 3.5.4. de la notice sur les temps simples).
Concernant le Conditionnel passé les combinaisons sont les mêmes, à
savoir : [ultérieur] Comme avec le Conditionnel présent, une seule combinaison est
impossible : [ultérieur] x [modal]. Ces deux valeurs ne peuvent cohabiter
que si elles sont produites dans un environnement médiatif. L’ultériorité pure se rencontre typiquement quand il y a
anticipation dans le contexte d’une narration passée (prolepse). Le
Conditionnel passé sert alors à exprimer la résultativité relativement au
Conditionnel présent, comme le fait par exemple le Passé composé relativement
au Présent. Dans ce contexte, l’opposition des deux Conditionnels est donc
purement aspectuelle : les deux temps verbaux désignent le même moment, le
Conditionnel passé comme résultat, le Conditionnel présent comme processus. (12) Tous les cadets de la waaldé [sorte d’association]
de mon frère aîné Hammadoun vinrent grossir la nôtre, plus adaptée à leur âge.
Elle prit avec le temps une assez grande importance. Plus tard, vers
1912, quand nous aurions absorbé une association rivale d’un autre
quartier, elle rassemblerait même jusqu’à soixante-dix garçonnets issus
de toutes les couches ethniques et sociales de Bandiagara. (A.H. Bâ, 1991) On observera dans cet extrait deux éléments contextuels tout à
fait significatifs : un adverbial de consécution (plus tard), type
d’expression quasi systématique avec les Conditionnels en prolepse ; et la
subordonnée temporelle (quand nous aurions absorbé...), contexte
caractéristique des temps composés en interprétation résultative. Dans cet
emploi, le repère r1 est ancré sur le dernier procès précédant les
Conditionnels. Comme pour le Conditionnel présent, on peut considérer, avec
Nilsson-Ehle (1943) et beaucoup d’autres à sa suite, que ce Conditionnel passé
est « objectif », car purement temporel et dépourvu de toute
médiativité. Par conséquent, sa référence temporelle est nécessairement
localisée dans le passé, qu’elle tombe sur la phase post-processive ou sur la
phase processive. Sur ce point précis, il s’agit donc d’une exception à ce que
décrivent les chronogrammes ci-dessus. Il s’agit des emplois habituellement appelés
« d’emprunt », « de ouï-dire », « journalistiques »,
« évidentiels », entre autres. Exclusivement médiatifs, ils sont dépourvus
de signification d’ultériorité et indiquent que l’énonciateur communique une
information dont il n’est pas la source. Il s’ensuit une suspension de toute
prise en charge, de toute validation par l’énonciateur de l’assertion
concernée. L’identité du médiateur peut être, ou non, indiquée. Dans l’exemple
suivant, elle l’est seulement de façon vague (cf. selon nos informations). (13) [Contexte : décès suspect d’une patiente dans une
clinique] Le repère r1 est sans ancrage temporel explicite,
comme dans les emplois exclusivement médiatifs du Conditionnel présent.
Pourtant le fait même d’interpréter ce type d’énoncé comme des propos rapportés
revient de fait à associer temporellement r1 et la production de ces
propos. À la différence du type ultérieur pur, l’opposition des deux
Conditionnels a ici des implications en terme d’époque (Martin 1983) :
tandis que le Conditionnel présent y réfère soit au présent (cf. Selon des
témoins, il y aurait de nombreuses victimes), soit au futur (De source
sûre, il annoncerait prochainement sa démission), le Conditionnel passé y
réfère au passé. Nous avons distingué, pour le Conditionnel présent, deux
valeurs modales que nous avons qualifiées de conditionnante et de conditionnée.
Rappelons qu’elles consistent respectivement : – la première, à exprimer une conjecture ou, plus généralement,
à exprimer une réalité tout en signifiant que cette réalité est non validée
dans l’univers considéré, Le Conditionnel passé est apte à exprimer l’une ou l’autre de
ces deux valeurs. Dans l’exemple suivant, le premier est conditionnant, le
second conditionné : (14) Vous auriez prétendu le contraire, je ne vous aurais
pas cru [...]. (M. Revest, 1984) Comme avec la variante purement médiative, le repère r1
est ici sans ancrage temporel. Quand il est conditionné, le Conditionnel passé exprime l’idée
de conséquence possible et inscrit le procès dans un univers précédemment
(parfois ultérieurement) construit, ou dont l’existence est présupposée, et
marque ainsi ce procès comme dépendant de cet univers. Dans les exemples
ci-après, l’expression qui désigne cet univers ou en déclenche la construction
par interprétation et inférence est soulignée. (15) Vous auriez prétendu le contraire, je ne vous aurais
pas cru [...]. (M. Revest, 1984) (16) J’ai connu des bourgeoises qui auraient passé à
leur amant une infidélité auprès d’une duchesse, et qui ne lui
pardonnaient pas d’être poli avec la femme d’un employé, si c’était dans leur
coterie. (C. Sainte-Beuve, 1869) (17) Sans mes yeux qui mettent un obstacle continuel à un
travail suivi, j’aurais terminé mon ouvrage cet hiver. C’est
aujourd’hui le 19 septembre. (B. Constant, Journaux intimes, 19.09.1804) Dans l’exemple suivant, c’est bien cette même valeur de
Conditionnel conditionné qui est réalisée, mais l’information conditionnante
sur laquelle elle s’appuie doit être reconstituée à partir d’indices
préalables, selon un raisonnement du type : compte tenu de ce que je
sais de ta personne (de ce que je viens d’apprendre, etc.), il aurait été
possible que tu vendes des traductions de Mein Kampf... : (18) Toi, tu aurais été du genre à vendre des
traductions de Mein Kampf lors de la seconde guerre mondiale... (Forum
internet, 11.03.2020) C’est encore la même possibilité sous condition qui est
exprimée par j’aurais voulu mourir dans l’exemple suivant : (19) [...] quand Paris fut pris, j’ai senti dans ma propre
chair l’horreur d’être possédée, je me sentais comme une fille forcée, et j’aurais
voulu mourir plutôt que de rentrer dans ma capitale, dans cette ville qui
était la mienne entre toutes et sur laquelle régnaient désormais les capitaines
des armées ennemies... (G. Gennari, 1961) On voit dans (19) la différence avec la signification que
produirait, dans le même contexte, un Plus-que-parfait. Un Plus-que-parfait
présenterait la volonté de mourir comme effective au moment dont il est
question ; le Conditionnel passé, au contraire, la présente seulement
comme une réaction envisagée au cas où un retour à Paris aurait été
obligatoire. Les circonstances étant nécessairement antérieures à la
réaction imaginée, cet exemple met également en évidence le rapport de
filiation sémantique entre la successivité et la conséquence envisagée comme
possibilité
[Note 66]. Quand il est conditionnant, le Conditionnel passé a les mêmes
rendements pragmatiques que le Conditionnel présent : emplois performatifs
ou quasi-performatifs (« pré-ludiques ») analogues à ceux de l’Imparfait
(ex. 20), et emplois atténuatifs (ex. 21) : (20) Toi, tu aurais été très malade, et tu aurais eu
très peur, alors moi, je te soignerais et je te sauverais. (Ex.
modifié) (21) Bonjour tout le monde, L’injonction normative condamnant le Conditionnel présent après
si hypothétique vaut également pour le Conditionnel passé. Mais elle ne
concerne que les conditionnels modaux exprimant une information conditionnante.
Quand ils expriment une information conditionnée, les conditionnels sont
normativement acceptés. (Ci-dessous, le segment apportant l’information
conditionnante est souligné.) (22) De tout cela, la presse n’a fait aucun
écho, reprenant seulement l’intention affirmée par Vigier [...] de créer un tel
mouvement et l’intervention d’Heurgon concernant la solidarité de fait devant
la répression, solidarité que bien évidemment nous ne pouvons pas refuser, même
s’il aurait été préférable de ne pas en définir les modalités.
(P. Mendès-France, 1989) Ces emplois associent, comme avec le Conditionnel présent,
ultériorité et médiativité, et supposent donc un médiateur. Dans l’extrait
suivant, les Conditionnels réfèrent tous au passé et l’opposition entre
Conditionnel présent et Conditionnel passé est purement aspectuelle
[Note 68]
. Le Conditionnel passé est ici clairement résultatif. (23) Il progressa prudemment sous les arbres afin de se
rapprocher de l’endroit où il avait laissé Bella. Sa détermination grandissait
à chaque pas. Personne ne la toucherait. Quand il en aurait terminé
avec cette canaille, il la [Bella] ramènerait chez elle, en sécurité, et
il réglerait le problème avec Tejala, définitivement. (S. McCarty, 2012,
trad. fr.) Dans certains cas, le contexte ne fournit pas suffisamment
d’indices permettant de trancher entre ultériorité pure (Conditionnel passé objectif)
et ultériorité médiative (Conditionnel passé subjectif). Ce problème a déjà été
mentionné à propos du Conditionnel présent. (24) Quelque incomplet que fût son ouvrage, n’était-il pas le
brouillon d’une science dont, plus tard, il aurait approfondi les
mystères, assuré les bases, recherché, déduit et enchaîné
les développements ? (H. de Balzac, 1846) Cet extrait peut être interprété comme intégralement pris en
charge par l’instance narratrice (ultériorité pure). Mais on pourrait également
l’interpréter comme du discours indirect libre, l’instance narratrice relayant
les réflexions du personnage désigné à la 3e personne (ultériorité
médiative). Le fait que l’énoncé soit une question rend la lecture médiative
très vraisemblable. Quoi qu’il en soit, la distinction de ces deux lectures a
des conséquences temporelles importantes, puisque dans le premier cas, les
procès désignés sont nécessairement passés, alors que dans le second cas, ils
pourraient être localisés dans le futur. L’ambiguïté de cet extrait est intéressante car, si l’on en
croit Bres (2012), c’est justement au début du xixe siècle qu’apparaît le Conditionnel objectif
(celui des historiens). Cette combinaison correspond au cas où l’instance énonciatrice
relaie des propos ou des pensées d’un médiateur, et où ces propos ou pensées
comportent une modalité dès leur source. Dans l’exemple ci-dessous, c’est une
information conditionnée qui est exprimée (cf. alors). (25) L’homme s’éloigna du petit groupe et alla frapper aux
portes des habitations et des échoppes les plus proches. [...] Il ignorait si
cela servirait à quelque chose, mais telle était la procédure en cas de crime
avéré. L’enfant avait peut-être été tué la nuit précédente, le coupable aurait
alors depuis longtemps disparu. (J. Westerson, 2013, trad. fr.) L’information conditionnante est fournie par L’enfant avait
peut-être été tué la nuit précédente. Enfin, les trois dimensions distinguées plus haut peuvent être associées
dans un même Conditionnel passé : (26) [...] j’ai pensé aussi qu’Héloïse, si elle avait été là, aurait
eu envie de répondre à la dame : « Tu l’as dit bouffi. » (H.
de Monferrand, 1991) Toutefois, le Conditionnel passé ne peut combiner le composant [ultérieur]
et le composant [modal] que quand la modalité est « rapportée »,
autrement dit quand elle se trouve dans un contexte médiatif, comme c’est le
cas dans l’exemple ci-dessus. Sans contexte médiatif, la combinaison
[ultérieur] x [modal] est impossible, la production de la valeur modale
nécessitant que le repère r1 soit libre de tout ancrage temporel.
Sur ce point, le Conditionnel passé est soumis à la même contrainte que le
Conditionnel présent (voir notice sur les temps
simples, § 3.5.4.6.). Bien qu’il soit dans un état d’obsolescence avancé, si ce n’est
totale, le Plus-que-parfait du subjonctif peut dans certains cas être
substitué, à signification équivalente, au Conditionnel passé. On l’a pour
cette raison affublé du nom de « conditionnel passé 2e
forme ». C’est d’ailleurs à cet emploi qu’il doit sa survivance.
Illustrations : (27) L’eussions-nous fait [abandonner la Syrie et
le Liban], d’ailleurs, qu’une autre puissance eût aussitôt pris
notre place [...]. (C. de Gaulle, 1970) (28) Il eût fallu un artiste hardi et fort, et nous
trouvons à sa place, un peintre obséquieux et timide, qui n’a rien regardé.
(J.-K. Huysmans, 1883) Sauf à modifier la signification, cette substitution n’est toutefois
possible que quand il s’agit de produire soit une signification purement modale
(comme dans les deux exemples ci-dessus), soit une signification associant
médiativité et modalité. Ainsi, le Conditionnel passé de (29) peut être interprété comme
étant purement médiatif ou purement modal : (29) Une infirmière aurait échangé les médicaments. (ex.
13, modifié) [médiatif] [modal], conditionnant : [modal], conditionné : Avec un Plus-que-parfait du subjonctif, seules les deux
interprétations [modal] et [médiatif] x [modal] sont possibles. La première
correspond à (30a), la seconde à (30b). (30a) Une infirmière eût échangé les médicaments, ça
n’aurait étonné personne. (30b) Il a dit que si une infirmière eût échangé les médicaments,
ça n’aurait étonné personne. Par ailleurs, le Plus-que-parfait du subjonctif peut aussi
remplacer le Plus-que-parfait de l’indicatif après si
hypothétique : (31) [...] mais qu’eussions-nous dit, qu’eussions-nous
fait si l’on nous eût démontré que le régime concentrationnaire
était exigé par l’infrastructure ? Il eût fallu mieux connaître
l’U.R.S.S. et le régime de la production [...]. (J.-P. Sartre, 1961) L’appellation de « conditionnel passé 2e
forme » est donc doublement maladroite : d’une part elle confond
valeur sémantique (ou emploi) et morphologie, d’autre part elle ne tient pas
compte des substitutions possibles avec le Plus-que-parfait. Voir sous Conditionnel. Les temps prospectifs sont des expressions utilisant le verbe aller
comme auxiliaire de conjugaison. Ils ont la forme « aller + Vinf ». Mais les séquences ayant
cette forme ne sont pas toutes prospectives. « Aller + Vinf » peut en effet correspondre
au moins à trois réalités grammaticales distinctes, donc homonymes
[Note 69] : (i) Construction infinitive En premier lieu, il peut s’agir d’expressions dans lesquelles aller
a un statut de verbe pleinement lexical et signifie le déplacement. L’Infinitif
est alors le verbe principal d’une proposition infinitive complément du verbe aller : (1) Julie, dit-il, Julie, laisse tomber ton gynéco habituel
et va trouver le docteur Fraenkhel. (D. Pennac, 1995) (2) [...] Je suis allé manger des œufs et des
nouilles rue de Seine et puis je suis allé rue de Trévise, voir la
répétition. (J.-P. Sartre, 1983) (3) Et si le cœur t’en dit, comme je l’espère, tu iras
faire un tour à la campagne, du côté de Saint-Romains, par exemple. (G.
Bernanos, 1935) Dans cette construction, aller peut être conjugué à tous
les temps grammaticaux. L’Infinitif ne peut pas être un verbe impersonnel (falloir,
pleuvoir, etc.)
[Note 70]. (ii) Temps verbal prospectif En second lieu, « aller + Vinf » peut être un temps verbal prospectif, permettant
notamment (mais pas exclusivement, on y reviendra) de désigner la phase
pré-processive du procès signifié par le verbe à l’Infinitif : (4) Il fait froid. On dirait qu’il va neiger. (A.
Robbe-Grillet, 1952) (5) Hector salue, Amanda fait une petite révérence ; il
va parler, la duchesse le coupe. (6) On allait sortir quand quelqu’un a sonné à la
porte cinq fois de suite [...]. (R. Gary, 1975) Aller a ici perdu sa signification de verbe de
déplacement et a un statut d’auxiliaire. Dans cette fonction il ne se rencontre
qu’au Présent et à l’Imparfait. Son statut d’auxiliaire a pour conséquence
qu’il peut s’auxilier lui-même, comme dans (7) : (7) Justement, j’allais aller vous chercher, dit le
gardien [...]. (J.-P. Manchette, 1981) Quand il est au Présent, comme dans (4)-(5), la forme est
connue sous l’appellation de « futur proche » ou de « futur
périphrastique » ; quand il est à l’Imparfait, comme dans (6)-(7), on
l’appelle parfois « imparfait prospectif » (Barceló & Bres 2006)
[Note 71]. Contrairement à ce qu’on observe avec la construction
infinitive, les verbes impersonnels peuvent occuper ici la place de
l’Infinitif : (8) Et maintenant c’est spécialement de la Sainte Vierge
qu’il va s’agir dans ce chapitre. (P. Claudel, 1948) (9) Tel était donc l’affreux sauvage avec lequel il allait
falloir parlementer, composer, ruser peut-être. (G. Duhamel, 1941) Il peut arriver, par manque d’indices contextuels suffisamment
discriminants, qu’une formulation soit ambiguë : la distinction entre
construction infinitive et temps prospectif relève alors d’un choix
interprétatif. C’est ce qui se passe avec la première occurrence de « aller
+ Vinf » dans le texte
suivant : (10) Y a un rayon de soleil tardif sur sa coiffe... et Blanche
sort avec une bassine, elle va éplucher, écosser des légumes.
Elles vont bavarder un peu. Moi j’irai de temps en temps chiper
quelques petits pois pour les manger crus... un régal ! (A. Boudard, 1995) Dans ce texte, elle va éplucher, écosser... peut être
interprété aussi bien comme une construction infinitive (≈ ‘elle
s’en va éplucher, écosser des légumes’), avec aller verbe de
déplacement, que comme un présent prospectif (≈ ‘elle s’apprête à
éplucher, écosser des légumes’). La deuxième forme de cet exemple est quant
à elle clairement prospective, et la troisième est une construction infinitive. (iii) Expression de l’« extraordinaire » Enfin, « aller + Vinf »
peut exprimer ce que Damourette & Pichon (1911-1936 : t. 5,
§ 1652 et suiv.) ont appelé « l’extraordinaire » (on dit aussi
« allure extraordinaire »). Il s’agit de formulations dans lesquelles
le verbe aller n’a pas sa signification lexicale pleine et signifie
l’atteinte ou le franchissement d’une limite. Comme avec la construction
infinitive, il n’y a pas de restriction sur le temps verbal du verbe aller.
Voici quelques exemples de cette « auxiliation de l’extraordinaire »
[Note 72]
, avec un
grammème de Futur, d’Infinitif, d’Imparfait et de Conditionnel sur aller : (11) Personne n’ira commencer à construire sa maison si
le chaman du village n’a pas donné son accord ou si la lune n’y est pas
propice. (https://voyageforum.com/, 2006) (12) Je vous demande un peu comme c’est raisonnable d’aller
penser qu’au bout de douze ans, une femme cesse de vous aimer [...]. (P.-A.
Ponson du Terrail, 1859) (13) Tout redevenait simple. Il y avait les bons et les
méchants. Les méchants, c’étaient ceux qui avaient la bombe atomique et qui
vous interdisaient de venir chez eux si vous n’aimiez pas leur bombe. On n’allait
pas leur dire tout à coup qu’on l’aimait pour avoir un visa. (S.
Signoret, 1976) (14) Nul n’irait prétendre que, faute de preuves
suffisantes, il n’est pas exclu que l’Amérique n’existe pas, et que les dinosaures
n’aient pas disparu puisqu’ils ne sont jamais apparus. (J.-F. Kahn, 2011) Selon Bres & Labeau (2013a), la limite (atteinte ou
franchie) dont il est question concerne les domaines du probable, du pensable,
du souhaitable ou encore de l’acceptable. Il est intéressant de noter que dans cette interprétation, être
peut remplacer aller aux temps composés, exactement comme quand il
s’agit du verbe de déplacement (cf. je suis allé à Lausanne, j’ai été
à Lausanne) : (15) Mais, où diable a-t-il été imaginer que c’était un
apothicaire qui venait d’entrer chez le chevalier ? (Pigault-Lebrun, 1818) Cette équivalence suggère une certaine proximité entre
l’extraordinaire et la construction infinitive. Elle indique que le verbe aller
y est un auxiliaire moins « grammaticalisé » que dans le cas de la
prospectivité. Quant aux verbes impersonnels, ils semblent exclus de la
position de l’Infinitif. Toutefois cette exclusion ne vaut pas pour la
construction « aller jusqu’à + Vinf »,
qui a des propriétés particulières à cet égard (cf. Leeman 2005) : (16) Il est allé jusqu’à neiger en plein mois d’août.
(Exemple forgé. In : Leeman 2005 : 368) Damourette & Pichon notent qu’avec l’extraordinaire, il est
possible d’enlever l’auxiliaire et de reporter son grammème sur le verbe
lexical ; au plan sémantique, seule disparaît alors l’indication propre à
l’extraordinaire (i.e. d’atteinte ou de dépassement d’une limite). En
reprenant les exemples (11)-(14) ci-dessus : (17) Personne n’ira commencer / ne commencera à
construire sa maison si le chamane du village... Je vous demande un peu comme c’est raisonnable d’aller penser
/ de penser qu’au bout de douze ans... On n’allait pas leur dire / ne leur disait pas tout à coup
qu’on l’aimait pour avoir un visa... Nul n’irait prétendre / ne prétendrait que, faute de
preuves suffisantes, il n’est pas exclu que... Cette manipulation n’est en principe pas possible avec les
formes prospectives. Certaines expressions exclamatives, comme va / allez
savoir !, va / allez comprendre ! sont des
formes figées de l’extraordinaire
[Note 73].
Elles constituent un paradigme qui a une petite productivité (allez trouver
mieux !). Compte tenu de l’homonymie signalée plus haut, certaines
formulations sont forcément ambiguës : Et maintenant, allez porter plainte !
peut s’entendre comme une pure injonction (construction infinitive), ou comme
un énoncé exclamatif visant à signifier l’impossibilité de porter plainte
(allure extraordinaire). Dans ce qui suit, seul nous intéresse le temps verbal
prospectif. On appellera « Présent prospectif » les formes
dont le verbe aller est au Présent, et « Passé prospectif »
celles dont le verbe aller est à l’Imparfait. Ces formes seront
considérées ici comme des temps verbaux au sens plein du terme
[Note 74]
. Toutes
deux se caractérisent par le fait de pouvoir référer sélectivement, selon le
contexte, soit à la phase pré-processive (préparatoire) soit à la phase
processive du procès signifié par le verbe à l’Infinitif. À cet égard, elles
ont un fonctionnement symétrique de celui des temps composés. Nous reviendrons
sur cette symétrie. Il s’agit de ce que la tradition grammaticale appelle
« futur proche » ou « prochain », appellation ancienne
puisqu’on la trouve déjà dans la grammaire de Maupas (1625 : 187). Elle
est souvent remplacée par celle, plus neutre, de « futur
périphrastique » ; de nombreux auteurs ont en effet montré que ces
formes verbales ne se limitent pas à la désignation de procès temporellement
proches du moment de l’énonciation (e.g. Damourette & Pichon
1911-1936, Sten 1952, et beaucoup d’autres ensuite
[Note 75]). On
utilise également, à la suite de Damourette & Pichon, la notion d’« ultériorité »
pour qualifier le fonctionnement du Présent et du Passé prospectifs
(« ultérieur du présent », « ultérieur du passé »). La principale caractéristique du Présent prospectif est donc
son aptitude à référer à la phase pré-processive aussi bien qu’à la phase
processive du procès signifié par le verbe à l’Infinitif. Soit les deux couples
d’exemples suivants : (18) Votre enfant va être opéré et avoir une
anesthésie générale [= titre de l’article] (19) Le serial buteur polonais du Bayern Münich Robert
Lewandowski va être opéré de l’aine ce samedi juste après la
rencontre face à Wolfsburg. (Ouest-France, 20.12.2019) (20) Nous allons partir quand Aldo se ravise et dit
[...]. (C. Souchon, 2010) (21) Vendredi 8 octobre. [...] À 17 heures, nous allons
partir à l’attaque de la tranchée de la Vistule. En reviendrai-je ?
(J.F. Mergen, 2019) Dans (18), c’est la phase pré-processive qui est désignée, de
sorte que la forme verbale pourrait être glosée par ‘est sur le point d’être
opéré et d’avoir une anesthésie’. Dans (19), en revanche, la même forme
verbale désigne le procès de l’opération proprement dite (phase processive), et
peut être glosée par ‘sera opéré’ ou ‘subira une opération’.
Cette interprétation est fortement contrainte par l’expression ce samedi,
qui localise l’opération et non la phase qui la précède. Le Présent prospectif
pourrait ici être remplacé par un Futur, ce qui n’est évidemment pas le cas
dans l’exemple précédent. La même double analyse peut être faite des exemples (20)-(21). L’exemple
(20) illustre un contexte typique où les temps prospectifs réfèrent à la phase
pré-processive : la construction dite « subordination inverse ».
On notera que (21), utilisé ici pour exemplifier la référence à la phase
processive, n’exclut pas une interprétation pré-processive : il pourrait être
glosé aussi bien comme signifiant ‘à 17 heures nous partirons à l’attaque’
que ‘à 17 heures nous sommes sur le point de partir à l’attaque’ (ou ‘il
est 17 heures et nous allons partir à l’attaque’). Ces exemples montrent que le Présent prospectif a une valeur de
présent quand il désigne la phase pré-processive (cette phase est concomitante
de l’énonciation), et une valeur de futur quand il désigne la phase processive.
À cet égard, il a un fonctionnement symétrique de celui du Passé composé (Vet
2001) : de même que le Passé composé résultatif saisit une situation
présente par l’intermédiaire du procès qui est la cause de cette situation, de
même le Présent prospectif, quand il désigne la phase préparatoire, saisit une situation
présente par l’intermédiaire du procès dont cette situation est un indice
annonciateur. Et de même que certains Passés composés, pour des raisons tenant
au contexte, sont sous-déterminés par rapport à la distinction résultatif vs processif, de même certains Présent
prospectifs peuvent être sous-déterminés relativement aux deux interprétations pré-processive
vs processive. Il en résulte que dans un enchaînement comme le suivant, le
Passé composé (résultatif), le Présent et le Présent prospectif (interprété
comme désignant la phase pré-processive) réfèrent tous trois au même moment,
qui est concomitant de l’intervalle de l’énonciation. Ils sont
reférentiellement synchrones : (22) Il a dormi, la maison est calme, les invités vont arriver. En interprétation processive, le Présent prospectif est donc en
concurrence avec le Futur. Plusieurs études ont montré qu’il tend depuis
longtemps, dans cette interprétation, à supplanter son concurrent (Desahaies
& Laforge 1981, Jeanjean 1988, Fleury & Branca-Rosoff 2010, Abouda
& Skrovec 2017). L’Infinitif de la séquence « aller + Vinf » peut être un Infinitif
composé (« infinitif passé »), ayant par conséquent une signification
résultative
[Note 76] : (23) ça tombe en plus au moment où je vais avoir fini de
payer les huissiers de cette époque (Blog, 2005) (24) Dans le fond, c’est toujours la même chose : je sais
que je vais lui faire mal, je sais qu’il va me faire mal et on verra à la
fin qui va avoir fait le plus mal à qui. (Site de La Voix de
l’Est, 21.09.2018, Interview d’un boxeur) Compte tenu du fait que l’Infinitif passé signifie la phase
post-processive, le Présent prospectif, de façon parfaitement logique, est
alors apte à référer : – ou bien à la phase signalée par l’auxiliaire, phase précédant
par définition la phase post-processive signifiée par l’Infinitif, comme dans
(23) (je vais avoir fini ≈ ‘je suis sur le point d’avoir
fini’), – ou bien à la phase signalée par l’Infinitif passé, qui est en
l’occurrence la phase post-processive, comme (24) (qui va avoir fait le plus
mal ≈ ‘qui aura fait le plus mal’). Dans cette seconde
éventualité, la forme est en concurrence avec le Futur antérieur résultatif. Ce type de prospectif, assez rare, a été signalé comme étant
plus fréquent en français du Québec (Barceló & Bres 2006, Labeau 2019). Le
second exemple ci-dessus est d’ailleurs extrait d’un journal québécois. Grevisse (1986 : § 790) indique que le verbe s’en
aller a lui aussi des emplois comme auxiliaire de la prospectivité. On ne
les rencontre pratiquement qu’à la 1ère personne du singulier. Une
forme comme (26) est donc extrêmement rare. (25) Tu sais, je crois que je m’en vais faire un soldat
tout à fait épatant. (H. de Montherlant, 1929) (26) – Toi aussi, t’en vas-tu nous promettre
le “bonheur” ? Nous sommes las de promesses. (P. Claudel, 1901) En interprétation pré-processive, l’expression hérite de la
visée aspectuelle du Présent de l’auxiliaire. Cette visée est donc
imperfective. Pour la représenter il nous faudra donc, comme pour les temps
composés mais de façon symétrique, avoir recours à l’intervalle [e1–e2],
notant cette fois-ci la phase pré-processive. Les principales informations à
retenir sont que la référence temporelle coïncide avec l’intervalle
d’énonciation (R=S), et qu’en raison de l’imperfectivité, elle est incluse dans
l’intervalle pré-processif (R⊂e). Le
Présent prospectif en interprétation pré-processive se caractérise par les
propriétés suivantes : – r0⊂S Notons que dans cette interprétation, le Présent prospectif ne
donne aucune indication quant à l’advenue ou la non-advenue de E. Cette
incertitude n’est pas représentée dans le chronogramme. En interprétation processive
[Note 77],
le Présent prospectif a une visée aspectuelle sous-déterminée (R⊆E), dépendant du type de procès concerné et
de divers facteurs contextuels. Dans les exemples (19) et (21) ci-dessus (il
va être opéré ce samedi, à 17h nous allons partir à l’attaque), la
visée aspectuelle sur la phase processive est clairement perfective : on
se représente l’opération comme se déroulant intégralement le jour
indiqué ; et le départ à l’attaque comme ayant entièrement lieu à 17h. Il
en va différemment dans l’exemple ci-dessous, où la visée aspectuelle est
imperfective (il va dormir ≈ il sera en train de dormir) : (27) Dans moins d’une demi-heure il va dormir. Vas-tu
bien le tuer ? (Shakespeare, trad. Y. Bonnefoy, 1997) Si l’on s’en tient aux paramètres pris en considération
jusqu’ici, les propriétés du Présent prospectif en interprétation processive
sont donc identiques à celles du Futur. Soit : Cela ne signifie pas pour autant que Futur et Présent
prospectif soient équivalents lorsqu’il s’agit de désigner un procès à venir. La différence entre ces deux temps verbaux – plus exactement la
différence entre le Futur et les emplois processifs du Présent prospectif –,
est habituellement décrite comme une différence qui concerne la relation avec
l’énonciation. À quelques nuances près, l’analyse vers laquelle convergent la
très grande majorité des travaux est la suivante : tandis que le Futur
représente le procès en rupture avec le moment et les circonstances de
l’énonciation, le Présent prospectif, au contraire, le représente dans une
continuité avec le moment et les circonstances de l’énonciation
[Note 78]
. Franckel
(1984 : 66) considère par exemple que le Présent prospectif construit un
« état actuel » localisé au moment de l’énonciation. Il en résulte
que les deux formes suivantes sont associées à des circonstances
différentes : (28) Tu vas tomber. (29) Tu tomberas. L’énoncé (28) est typiquement produit dans des circonstances où
les causes de la chute mentionnée sont déjà, au moins partiellement, réalisées,
de telle sorte que cette formulation décrit bien un état actuel. En revanche,
(29) pourrait être produit à la suite d’une information dans laquelle la
personne que désigne tu aurait fait état d’un projet plus ou moins
dangereux et susceptible de donner lieu à une chute, les causes de celle-ci
n’étant donc pas encore réalisées. Examinons encore le couple d’exemples suivant : (30) Si j’arrive trop tôt, je vais l’attendre
devant l’entrée principale. (31) Si j’arrive trop tôt, je l’attendrai devant
l’entrée principale. La formulation avec le Présent prospectif pourrait typiquement
être produite dans la situation où le locuteur vient juste d’arriver, ou est en
train d’arriver (j’arrive étant un Présent actuel) et, jugeant cette
arrivée prématurée, en indique les conséquences. La formulation avec le Futur,
quant à elle, pourrait être produite dans la situation où l’arrivée est
clairement localisée dans le futur et où le locuteur n’est donc peut-être pas
encore parti. Un emploi particulièrement fréquent du Présent prospectif est
celui qu’on trouve à la suite d’une expression délimitant ce qu’on pourrait
appeler un « univers de validation ». Le présent prospectif concerne
alors les assertions se situant à l’intérieur de cet univers, il a pour effet
de marquer cette dépendance. Dans les exemples ci-dessous, les expressions
construisant l’univers de validation sont soulignées. (32) Bah il faudrait commencer à retrousser tes manches. Imagine
que ta femme tombe malade, tu vas mourir de faim ou la faire cuisiner
de force ? (Forum internet, 15.04.2018) (33) Mais ouvrez par exemple Balzac : vous allez
trouver de façon continue des exemples de passé simple à la 1ère
et à la 2ème personne. (M. Arrivé, 1997) (34) Si ça se trouve, son père a complètement oublié ce sac, il
est à deux cents bornes d’ici, alors si on attend qu’il revienne ça va
gâcher le séjour du gamin et celui de tout le monde du même coup. (E.
Carrère, 1995) Dans ces formulations, l’univers de validation est représenté
comme concomitant de l’énonciation, et le Présent prospectif manifeste sa
dépendance relativement à cet univers. Une caractéristique de ces Présents
prospectifs est leur indétermination temporelle : ils ne désignent pas un
procès spécifique et temporellement situé. On rencontre très souvent ce type de prospectif dans les
discours à finalité explicative et didactique, surtout si l’objet de
l’explication est lui-même constitué d’un enchaînement d’événements reliés
causalement. L’exemple suivant en est une illustration tout à fait
caractéristique : (35) les océans/ ont deux façons d’absorber du carbone\ la
première/ je viens de vous le dire/ c’est ce qu’on appelle la pompe
chimico-physique/ bon ben le carbone voilà il est transformé en acide/ il est
transformé en carbonate. par réaction chimique/ mais on a aussi eh ben la
biologie marine\ et tout simplement euh ça démarre avec le phytoplancton\
le phytoplancton c’est comme les plantes/. avec la photosynthèse. les petites
algues vont capter du CO2. et faire de la matière organique/
[...] ensuite ça va être mangé par l’isoplancton par des petits poissons
et puis toute la chaîne alimentaire/ et donc tout ça stocke du carbone déjà
dans son corps/. mais euh là où c’est intéressant c’est que. une partie de
cette matière organique/ produite par les océans/ elle va finir par
tomber sur le plancher océanique (France Inter, 01.11.2020. Les signe ‘/’ et
‘\’ notent respectivement une intonation montante et descendante ; le
point indique une courte pause) Il est question dans cet extrait de deux modes d’absorption du
carbone : la pompe chimico-physique et la biologie marine. Dans
l’explication à laquelle donne lieu le second mode d’absorption, le maintien du
Présent prospectif marque la séquence comme étant un développement, une
élaboration du second thème (la biologie marine). Un cas particulier de cet emploi est celui qui a été qualifié
de « caractéristique » (Larreya 2005) ou d’« illustratif »
(Bres & Labeau 2014). Damourette & Pichon (t.5, § 1662) avaient
déjà repéré cet emploi et l’attribuaient au « parler du vulgaire ».
Il s’agit des cas où le Présent prospectif désigne un procès présenté comme
sélectionné parmi d’autres procès en vertu du fait qu’il est particulièrement
significatif, « illustratif » d’un état de chose (typiquement, du
caractère d’une personne, de ses habitudes, comportements, manies, etc.).
Exemples : (36) Je suis perdue car je sais qu’à la fois il tient beaucoup
à moi mais je pense qu’il reste avec moi par confort et qu’il ne veut pas se
l’avouer... [...] Un jour il va me dire de venir chez lui
pour passer un moment ensemble, et 2 jours plus tard moment où je suis
disponible il va être dans une toute autre humeur et me dire
sympathiquement qu’il fait autre chose. (Forum internet, 2014) (37) Par ailleurs, en parlant l’individu peut se tromper sur la
terminaison d’un verbe conjugué, ou il peut « manger » une syllabe
(prononcé un mot de façon incompréhensible). Dans ce cas, il va
répété le mot avec la bonne conjugaison ou la bonne prononciation. Un autre
aspect qui caractérise l’oral spontané est l’oubli. C’est-à-dire que l’individu
ayant abandonné ce qu’il était entrain de dire pour apporter une précision ou
tout simplement parce qu’il y a pensé soudainement, va poursuivre son
énoncé sur un autre sujet ayant oublié ce qu’il disait avant de faire une
« parenthèse ». (Copie d’étudiant, Nancy, 2e année de
licence, 2015, orthographe respectée) Dans le premier texte, le caractère illustratif des
comportements décrits est souligné par le tandem d’expressions un jour... et
deux jours plus tard, expressions qui ouvrent un univers de validation.
Cette même signification est produite par d’autres moyens dans le second
exemple, où le scripteur passe en revue quelques conséquences possibles de
l’expression orale (cf. dans ce cas). C’est précisément ce caractère d’exemples
choisis parmi d’autres qui est marqué par le Présent prospectif. Les procès en question peuvent être effectivement advenus, mais
ce n’est pas en tant que tels qu’ils sont mentionnés (la forme verbale n’est
spécifiquement ni passée ni future), mais en tant que représentatifs d’un
certain état de chose. En voici encore un exemple, où l’on retrouve les mêmes
marqueurs de cette valeur d’illustration. Des événements effectivement advenus
(et bien connus !) sont ici portés au statut d’exemples illustratifs, de
sorte que leur localisation temporelle et leur caractère unique ou répétitif
sont non pertinents : (38) Un jour il va accueillir Kadhafi en grandes
pompes, il va même le laisser installer sa tente dans les jardins
de l’Élysée et un autre jour il va mettre en place la
destruction de son pays et son exécution tel un chien qui a la rage. (20
Minutes, Blog, 2015. Il est question de N. Sarkozy) Le Futur a des emplois identiques, et les exemples (32) à (38)
ci-dessus pourraient tous être formulés au Futur. Cependant, il semble que dans
cet emploi, le Présent prospectif tende tout particulièrement à supplanter le
Futur. Lorsqu’une narration est conduite avec le Présent comme temps
principal, le Présent prospectif peut être utilisé dans des séquences où le
narrateur veut produire l’impression qu’il quitte momentanément le cours normal
de la narration pour anticiper sur la suite de celle-ci (prolepse). C’est cette
manœuvre qu’on observe dans l’extrait suivant de narration biographique : (39) [Un historien de l’art raconte la vie du sculpteur
Jean-Baptiste Carpeaux] Dans ce contexte également, le Présent prospectif est en
concurrence avec le Futur, mais la différence entre les deux temps verbaux est
toujours du même ordre : le Présent prospectif désigne le procès anticipé
comme s’inscrivant dans la continuité par rapport à un repère, ce que ne fait
pas le Futur. Autre contexte à concurrence : le cas où le Présent
prospectif est employé dans des consignes, plus généralement dans des énoncés
directifs au sens de Searle (1982) : (40) [Consignes données par un maître de gymnastique aquatique] Le Passé prospectif n’est autre que la transposition du Présent
prospectif dans le passé, aller portant ici un grammème d’Imparfait.
Comme avec le Présent prospectif, il s’agit de l’une des trois interprétations
grammaticales de la périphrase « aller + Vinf », les deux autres étant la construction infinitive,
comme dans (1), et l’expression de l’extraordinaire, comme dans (2) –
constructions qui ne nous intéressent pas ici (cf.
§ 4.7.1.). (1) Au début, nous allions chercher l’eau au lac de
la Maourine. (A. Dupuy, 1943-45) (2) Elle n’allait tout de même pas s’engager
encore une fois dans un de ces dialogues exaspérants, interminables... (L.
Guilloux, 1935) On l’appelle également « futur proche (ou périphrastique)
dans le passé » ou encore « imparfait prospectif ». Comme le
Conditionnel, il exprime l’ultériorité du passé. Comme le Présent prospectif, le Passé prospectif se caractérise
par l’aptitude à référer, selon le contexte, à la phase pré-processive ou à la
phase processive du procès signifié par le verbe à l’Infinitif. Les deux
couples d’exemples suivants illustrent ces deux interprétations : (3) Le 8 mai 1945, il est arrêté à Alger au moment où il allait
rencontrer le gouverneur général. (Mémoria, 26.08.2012) (4) Le secrétaire américain au Trésor a annoncé lundi que le
président américain Donald Trump allait rencontrer cette semaine
le négociateur en chef chinois Liu He [...]. (La Croix, 29.01.2019) (5) Comme ils entraient, la vieille femme se mit les mains
sur la tête. Elle allait crier. Elle ouvrait déjà la bouche. (J. Giono,
1934) (6) Le ton s’était fait méfiant. Encore un peu et il allait
crier « aux gendarmes ». (M. Rheims, 1987) Dans (3), c’est la phase pré-processive qui est désignée ;
allait rencontrer peut être glosé ici par ‘était sur le point de
rencontrer’. Dans (4), en revanche, la même forme verbale désigne la phase
processive et peut être glosée par ‘rencontrerait’, avec un Conditionnel
à signification d’ultériorité du passé. La même analyse peut être donnée
respectivement de (5), pré-processif (‘était sur le point de crier’) et
de (6), processif (‘crierait’). Le Passé prospectif désignant la phase pré-processive se
rencontre typiquement (mais pas exclusivement) dans trois types de
contextes : – dans des contextes indiquant que la phase processive a été
retardée ou empêchée. Les constructions à « subordination inverse »,
comme (7), servent typiquement à produire ce genre de configuration temporelle
[Note 79] : (7) Il allait refermer la fenêtre lorsqu’il entendit
un bruit sourd. (P. Rambaud, 1997) (8) J’allais faire demi-tour, mais il posa [...] sa
main sur mon épaule, et nous voilà en train de marcher côte à côte [...]. (H.
Bianciotti, 1995) – dans des contextes excluant la phase processive pour des
raisons de cohérence sémantique (voir aussi ex. (5) ci-dessus : Elle
allait crier. Elle ouvrait déjà la bouche) : (9) De deux ans plus âgée [que moi], elle allait avoir
quinze ans et n’avait donc encore aucun atout de jeune femme, tout en ayant
perdu les avantages de l’enfance [...]. (A. Makine, 1995) – dans des énoncés à caractère métadiscursif : le Passé
prospectif sert alors à exprimer une remarque ex-post, par exemple une
prétérition ex post, comme dans les exemples suivants : (10) – Passons maintenant à autre chose, veux-tu ? (11) les difficultés de langage oral elles se euh _ elles
s’organisent je dirais sur une espèce de continuum qui vont des _ d’un retard
de langage reta/ relativement simple _ avec un décalage dans les structures
d’acquisition _ jusqu’à des difficultés nettement plus complexes et plus _ j’allais
dire déviantes mais c’est un petit peu ça quand même _ euh qu’on nomme
certaines fois dysphasies (Corpus OFROM, Univ. de Neuchâtel, 2008. Le signe _
indique une pause) Quand il désigne la phase processive, le Passé prospectif est
essentiellement le temps de l’ultériorité du passé. Il produit en régime
narratif une anticipation dans le cours des événements, comme dans l’extrait
suivant. Dans cette fonction, il commute avec le Futur et le Conditionnel. (12) Après m’être gavée des leçons de Bourg-la-Reine, je
pénétrai dans la Sorbonne comme dans un sanctuaire, pleine de respect pour le
savoir de mes maîtres. Emile Mâle, qui allait bientôt partir
pour diriger l’Ecole française de Rome, nous apprenait à déchiffrer les grands
livres de pierre enseignant aux hommes la leçon de Dieu. (J. Bouissounouse,
1977) Nous avons vu que le Passé composé résultatif, le Présent et le
Présent prospectifs peuvent être référentiellement synchrones. Il en va de même
du trio Plus-que-parfait résultatif, Imparfait et Passé prospectif. Dans
l’extrait ci-après, les trois temps sont référentiellement synchrones. (13) Il contemplait la place, les deux églises jumelles
et l’obélisque. La nuit était tombée, le café allait fermer. (P.
Modiano, 2019) Enfin, comme avec le Présent prospectif, la forme infinitive du
Passé prospectif peut être composée : (14) Il allait avoir fini le tour de la chambrée, il
approchait de la sortie, et le capitaine commençait à respirer [...], quand le
général s’arrêta à l’avant dernier lit [...]. (J. Grave, 1893) (15) Jayden sentait confusément qu’il était en train de perdre
la partie. Que les mots de Paul ne lui offraient aucune ouverture. Que cette
conversation menait à l’impasse et qu’il allait s’être déplacé pour
n’échanger que trois mots d’une banalité affligeante. (D. Bryte, 2017) Le Passé prospectif est pré-processif dans (14), processif dans
(15). Compte tenu de la signification propre à l’Infinitif composé (qui dénote
la phase post-processive), la combinaison produit les deux interprétations
suivantes : – allait avoir fini : phase pré-processive de la
phase post-processive de finir (ce qui est une façon indirecte de
désigner la phase processive de finir) ; Dans (14), allait avoir fini produit ainsi une
signification qu’on peut paraphraser par ‘était sur le point d’avoir fini le
tour de la chambrée’. Dans (15), allait s’être déplacé produit une
signification qu’on peut paraphraser par ‘se serait déplacé’, avec un
Conditionnel passé résultatif. Ce mécanisme montre que les phases se
décomposent elles-mêmes en phases. En interprétation pré-processive, le Passé prospectif hérite de
la visée aspectuelle du grammème d’Imparfait de l’auxiliaire. Cette visée est
donc imperfective. Pour la représenter, il faut à nouveau avoir recours à
l’intervalle [e1–e2] représentant la phase
pré-processive. Par ailleurs, un repère r1 est nécessaire pour
rendre compte de la postériorité de la phase processive. Les relations entre
les différents paramètres sont les suivantes : – r0⊂S Cette configuration de relations temporelles fait de E
(intervalle du procès) un intervalle non contraint en terme d’époque. E peut
par ailleurs aussi bien advenir que ne pas advenir (information non représentée
dans le chronogramme). Les pointillés indiquent l’empan temporel de E. En interprétation processive, le Passé prospectif a une visée
aspectuelle sous-déterminée (R⊆E),
dépendant du type de procès concerné et de divers facteurs contextuels. La
visée sur la phase processive est imperfective dans (16), perfective dans
(17) : (16) Quelques instants plus tard, il allait se retrouver
dans le portillon de départ. (Blog, 2019) (17) Emile Mâle, qui allait bientôt partir pour
diriger l’École française de Rome, nous apprenait à déchiffrer les grands
livres de pierre enseignant aux hommes la leçon de Dieu. (Ex. 12 supra,
raccourci) Nous avons vu que, si l’on s’en tient aux paramètres pris en
considération jusqu’ici, les propriétés du Présent prospectif en interprétation
processive sont identiques à celles du Futur. Il en va de même du Passé
prospectif en interprétation processive et du Conditionnel présent. Le Passé
prospectif a les mêmes fonctionnements aspectuo-temporels que le Conditionnel
présent temporel, c’est-à-dire comportant une indication d’ultériorité. Les chronogrammes des variantes imperfective et perfective se
présentent donc comme suit : En visée imperfective on observe, comme avec le Conditionnel,
que la borne initiale du procès (E1), par définition hors référence
temporelle, peut être antérieure au repère r1. Cette possibilité est
indiquée par l’ovale et la flèche en pointillés. Elle rend compte d’exemples
comme (18) : (18) Il a dit hier qu’il allait attendre encore quelques
jours. L’ancrage temporel de r1 est donné ici par hier.
L’une des interprétations de cette formulation est que l’attente est déjà en
cours à r1, donc que E1, début de cette attente, est
antérieur à ce repère. Par ailleurs, que la visée aspectuelle soit perfective ou
imperfective, la seule contrainte à laquelle l’intervalle R soit soumis est,
comme avec le Conditionnel, d’être postérieur à r1.
Cet intervalle n’est donc pas assigné à une époque particulière. C’est ce que
signalent l’ovale et la flèche en pointillés. Ainsi, la formulation (19)
n’impose aucune contrainte d’époque à l’attente dont il est question, celle-ci
pouvant être passée, présente ou future. (19) Il a dit qu’il allait attendre. Toutefois, quand le Passé prospectif exprime l’ultériorité
pure, autrement dit quand il a la même fonction que le Conditionnel narratif
(celui des historiens), sa référence temporelle ne peut par définition qu’être
située dans le passé. Voir l’exemple (12) supra ainsi que l’exemple
suivant : (20) [Compte rendu de l’incendie du Bazar de la Charité, Paris,
4 mai 1897] Le problème de la concurrence entre le Passé prospectif et le Conditionnel
se pose dans les mêmes termes que celui de la concurrence entre le Présent
prospectif et le Futur. En effet, de même que le Présent prospectif exprime
toujours un certain rapport entre le procès signifié par le verbe à l’Infinitif
et le moment de l’énonciation, de même le Passé prospectif exprime toujours un
certain rapport entre le procès signifié par le verbe à l’Infinitif et le
repère r1. Soit les deux exemples suivants : (21) Son père, le front plissé, les yeux fixés sur un coin du
parloir, lui annonça un jour qu’il allait se remarier. (M. Arland, 1929) (21’) Son père, le front plissé, les yeux fixés sur un coin du
parloir, lui annonça un jour qu’il se remarierait. Dans la formulation (21), le projet de remariage est présenté
comme effectif à r1, c’est-à-dire au moment où a lieu l’annonce, ce
qui invite à inférer par exemple que l’identité de l’épouse est connue du père.
Ceci demeure vrai quelle que soit l’interprétation du Passé prospectif, comme
désignant la phase pré-processive (‘lui annonça qu’il était sur le point de
se remarier’) ou la phase processive (‘lui annonça qu’il allait
prochainement se remarier’). En revanche, dans (21’) le remariage est
simplement projeté dans un avenir indéterminé, en rupture avec r1,
et aucune information particulière ne peut en être inférée
[Note 80]. Le Passé prospectif présente les mêmes emplois
« illustratifs » que le Présent prospectif (voir § 4.7.2.4. supra) : (22) Parfois, il allait s’entourer de conseillers
honnêtes et bons, parfois il allait s’entourer de gens bêtes et
stupides... Parfois, il allait être bon, parfois il allait être
mauvais. C’était à sa guise. (Blog, 09.04.2008) Le Passé prospectif est fréquent dans les contextes médiatifs,
lorsqu’il s’agit de restituer les propos ou pensées d’une instance autre que
l’énonciateur. Il fonctionne alors de la même manière qu’un conditionnel. (23) L’empereur était à son bivouac, les mains dans le dos
[...]. Il méditait sur la bataille à venir. Le sort lui semblait
favorable. Aux mêmes Autrichiens fatigués par un jour de combat, il allait
opposer des troupes neuves et alertes. Il les lancerait toutes
dans l’offensive [...]. (P. Rambaud, 1997) (24) Alors j’eus la certitude absolue qu’il avait lui-même
éteint la lumière pour mieux me surprendre. Cette fois il allait me tuer,
cette fois j’allais mourir. Mon cœur se mit à sauter dans ma poitrine. (P.
Roze, 1996) Dans (23), le contexte de pensée rapportée est préparé par
l’expression il méditait, qui donne l’identité du médiateur
(l’empereur), et le Passé prospectif se trouve dans une séquence de discours
indirect libre. Il alterne dans cette séquence avec le Conditionnel (lancerait).
Dans (24), la séquence au Passé prospectif est du même type. Mais ici, le
discours indirect libre est celui de l’énonciateur lui-même dans une époque
passée. Ouvrages sur les temps prospectifs et les périphrases
verbales Bat-Zeev Shyldkrot, Hava, Le Querler, Nicole, éds (2005). Les
périphrases verbales. Amsterdam : J. Benjamins. Gosselin Laurent (2020b). Les périphrases aspectuelles.
In : Encyclopédie Grammaticale du Français. En ligne :
encyclogram.fr Liere, Audrey (2011). Entre lexique et grammaire: les périphrases
verbales du français. Boulogne: Université du littoral-Côte d'opale. Numéros de revues consacrés aux temps prospectifs et aux
périphrases verbales Langage 135, 1999 : Les auxiliaires :
délimitation, grammaticalisation et analyse (H. Bat-Zeev Shyldkrot, éd.) Langue Française 213, 2002: Les périphrases verbales:
de la morphosyntaxe à la sémantique (L. Gosselin & T. Bertin, éds) Cahiers de praxématique 65, 2015 : Les
périphrases verbales dans les langues romanes (S. Azzopardi & S.
Sarrazin, éds) Syntaxe et sémantique 19, 2018 : La
grammaticalisation des périphrases en aller et venir dans les
langues romanes (E. Labeau & J. Bres, éds) En guise de conclusion, on reviendra sur un point qui,
rétrospectivement, apparaît récurrent dans cette présentation des temps du
français : la question de savoir ce que modifient les grammèmes des temps
verbaux, de déterminer ce sur quoi ils font porter les informations
aspectuo-temporelles qui constituent leur signifié. Formellement, un grammème de temps verbal peut être analysé
comme un opérateur dont l’opérande est un lexème verbal. La valeur
aspectuo-temporelle produite est alors le résultat de l’opération consistant à
appliquer le grammème-opérateur au lexème-opérande. De fait, cette conception
est sanctionnée par la définition qu’on donne habituellement de la fonction des
temps verbaux, et que résume l’énoncé suivant : un temps verbal a pour
fonction de localiser dans le temps le procès signifié par le verbe, et de
donner une certaine représentation de la temporalité interne de ce procès.
La première partie de cet énoncé rend compte de la fonction de localisation
temporelle, la seconde de l’aspect. Cependant, s’il est peu contestable que le verbe soit, au plan
formel (morphologique), ce sur quoi opère le grammème, il est loin d’être
évident qu’il en aille toujours de même au plan sémantique. Nous avons en effet
observé, parmi la multiplicité des emplois et des effets sémantiques
rencontrés, un assez grand nombre de faits qui ne peuvent s’expliquer que si
l’on considère que le lexème verbal n’est parfois qu’un élément de la portée du
grammème, et que la délimitation de cette portée est, en partie au moins,
affaire de construction interprétative. Ce constat concerne non seulement
quelques faits plus ou moins contingents, mais également et surtout certains
emplois fortement grammaticalisés. Rappelons quelques cas particulièrement
illustratifs de ce constat. Considérer que la portée des grammèmes est un construit
interprétatif permet d’apporter une explication particulièrement éclairante à
certains emplois des temps imperfectifs ou pouvant avoir une interprétation
imperfective. Il en va ainsi des emplois « habituels » du Présent, de
l’Imparfait et du Futur (§ 3.1.3.3.,
§ 3.2.3.2., § 3.3.2.2.). Les paramètres aspectuo-temporels
caractérisant le temps verbal opèrent alors sur un verbe dénotant non pas un
procès singulier, mais plusieurs occurrences de ce procès, ou plusieurs
occurrences d’une séquence de procès. L’habitualité apparaît alors comme un
rendement parmi d’autres de l’imperfectivité. La notion de portée permet
également d’apporter une solution au problème des Imparfaits dits
« narratifs » (§ 3.2.3.3.),
qui ont donné beaucoup de fil à retordre aux aspectologues (qui sont parfois
allés jusqu’à concevoir un Imparfait perfectif pour en rendre compte). Nous
avons vu également que certains emplois ne s’expliquent que si l’on considère
que le grammème de temps verbal porte sélectivement sur la validité du procès,
ce qui conduit à dissocier le moment du procès proprement dit et le moment de
sa validation. Cette dissociation permet de rendre compte de certains Présents
à valeur de futur (§ 3.1.4.4.),
d’emplois apparemment paradoxaux du Futur antérieur et des phénomènes modaux
qui leurs sont associés (§ 4.5.6.3.).
C’est encore une analyse de la portée des grammèmes des temps verbaux qui
permet de mettre en évidence le phénomène de « mise en facteur
commun », dans lequel une séquence formée de plusieurs verbes est traitée
comme un macro-procès (§ 4.3.5.1.). Tous ces faits, associés à d’autres mécanismes sémantiques,
comme ceux décrits au § 2.5. –
l’interaction entre les propriétés aspectuelles du lexème verbal et celles du
grammème, la transposition temporelle, l’absence d’ancrage contextuel d’un
paramètre du temps verbal –, permettent de comprendre la très grande majorité
des phénomènes sémantiques produits par les temps verbaux. Ayoun Dalila, Celle Agnès, Lansari Laure, éds (2018). Tense, Aspect, Modality and Evidentiality:
Cross-linguistic perspectives.. Amsterdam: John Benjamins. Azzopardi Sophie (2011). Le Futur et le Conditionnel :
valeur en langue et effets de sens en discours. Analyse contrastive
espagnol / français. Université Paul-Valéry Montpellier III.
Thèse de doctorat. Baranzini Laura (éd.) (2017). Le futur dans les langues
romanes. Berne : P. Lang. Cahiers de praxématique 65, 2015 : Les
périphrases verbales dans les langues romanes (S. Azzopardi & S.
Sarrazin, éds) Celle Agnès (1997). Étude contrastive du futur français et
de ses réalisations en anglais. Gap et Paris : Ophrys. Cohen David (1989). L’Aspect verbal. Paris :
Presses Universitaires de France. Comrie Bernard (1976). Aspect. An introduction to the study
of verbal aspect and related problems. Cambridge : Cambridge
University Press. Confais Jean-Paul (1995). Temps, mode, aspect. Les approches
des morphèmes verbaux et leurs problèmes à l’exemple du français et de
l’allemand. Toulouse : Presses universitaires du Mirail. Dahl Östen (1985). Tense and aspect
systems. Oxford/New York : B. Blackwell Dahl Östen (ed.) (2000). Tense and aspect
in the languages of Europe. Berlin/New York : Mouton de Gruyter. Dodig Milena (2018). Le conditionnel français et ses équivalents sémantiques en serbe.
Etude comparative entre le conditionnel et le potentiel serbe. Université Paul Valéry-Montpellier III, thèse de doctorat. Fleischman Suzanne (1982). The
future in thought and language : Diachronic evidence from Romance.
Cambridge : Cambridge University Press. Keromnes Yvon (2000). Formes verbales, narration et
traduction : étude d’une nouvelle de F. Kafka et de quatre traductions de
cette nouvelle en anglais et en français. Université de Nancy 2. Thèse de
doctorat. Klein Wolfgang (1994). Time in Language. New York :
Routledge. Lhafi Sandra Christine (2012). Zum
Plusquamperfekt im Französischen und Spanischen. Kontrastive Untersuchung aus
textlinguistischer Perspektive. Frankfurt am
Main : Peter Lang. Niekerk P.K. (1972). L’expression du futur en français et en
néerlandais : étude synchronique sur les syntagmes verbaux susceptibles
d’exprimer la futurité. Groningen : Kleine. Novakova Iva (2001). Sémantique du futur : étude
comparée français–bulgare. Paris : L’Harmattan. Provôt-Olivier Agnès (2011). Le conditionnel en français et
ses équivalents en allemand : le concept de référentiel temporel et
l’analyse aspecto-temporelle et énonciative. Université Paris-Sorbonne.
Thèse de doctorat. Schaden, Gerhard (2009). Composés et surcomposés : le
« parfait » en français, allemand, anglais et espagnol.
Paris : L’Harmattan. Squartini, Mario (1998). Verbal periphrases in romance. Berlin: Mouton De Gruyter. Syntaxe et sémantique 19, 2018 : La
grammaticalisation des périphrases en aller et venir dans les
langues romanes (E. Labeau & J. Bres, éds) Tournadre Nicolas (2004). Typologie des aspects verbaux et
intégration à une théorie du TAM. Bulletin de la Société de linguistique de
Paris XCIX/1, 7-68. Abouda Lotfi (1997). Recherches sur la syntaxe et la sémantique
du conditionnel en français. Paris : Université Paris VII. Thèse de
doctorat. Abouda Lotfi (2001). Les emplois journalistique, polémique et
atténuatif du conditionnel. Un traitement unitaire. In : P. Dendale &
L. Tasmowski (éds), Le conditionnel en français. Metz : Centre
d’études linguistiques des textes et des discours, 277-294. (Recherches
linguistiques 25) Abouda Lotfi (2019). De l’emploi du futur antérieur en français
oral. Langue française 201, 95-113. Abouda Lotfi, Skrovec Marie (2015). Grammaticalisation du futur
périphrastique en français contemporain : une résistance normative ? Colloque
international d’études romanes “Normes et grammaticalisation : le cas des
langues romanes”, Sofia, 20-21 nov 2015. Texte téléchargeable à
l’adresse : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01318795/document Abouda Lotfi, Skrovec Marie (2017). Du rapport
micro-diachronique futur simple / futur périphrastique en français
moderne. Étude des variables temporelles et aspectuelles. Corela HS-21 (https://journals.openedition.org/corela/4797). Álvarez Castro, Camino (2010). Usages temporels et usages
modaux du futur en français : dichotomie ou articulation ? La
linguistique 46/2, 109-126. Anscombre Jean-Claude (1992). Imparfait et passé composé :
des forts en thème / propos. L’Information grammaticale 55, 43-53. Anscombre Jean-Claude (2004). L’imparfait d’atténuation :
quand parler à l’imparfait, c’est faire. Langue française 142, 75-99. Anscombre Jean-Claude, Oppermann-Marsaux Evelyne, Somolinos
Amalia Rodriguez (éds) (2014). Médiativité, polyphonie et modalité en
français. Études synchroniques et diachroniques. Paris : Presses
Sorbonne Nouvelle. Apothéloz Denis (2008). Entrer quelques instants vs arriver quelques instants :
le problème de la spécification de la durée de l’état résultant. Verbum
30/2-3, 199-219. Apothéloz Denis (2009). La quasi-synonymie du passé composé et
du passé surcomposé dit « régional ». Pratiques 141-142,
98-120. Apothéloz Denis (2010). Le passé surcomposé et la valeur de
parfait existentiel. Journal of French Language Studies 20/2, 105-126. Apothéloz Denis (2016). Sémantique du passé composé en français
moderne et exploration des rapports passé composé / passé simple dans
un corpus de moyen français. In : P.-D. Giancarli & M. Fryd (éds), Aoristes et parfaits.
Leiden/Boston : Brill, 199-246. (Cahiers Chronos
28) Apothéloz Denis (2017). Reichenbach revisité. Verbum
39/1, 5-30. Apothéloz Denis (2018). Une figure de
l’oubli dans la narration : le passé simple dans les analepses. Romanica
Cracoviensia 2, 49-60. Apothéloz Denis (2019a). A propos des emplois dits
« passés » du futur antérieur. Langue française 201, 61-77. Apothéloz Denis (2019b). La surcomposition verbale et ses
emplois en français. In : A. Patard, R. Peltola & E. Roussel (eds), Cross-linguistic
perspectives on the semantics of grammatical aspect. Leiden, Boston :
Brill, 13-37. (Cahiers Chronos 30) Apothéloz Denis (2021). Anaphore et temps verbaux. Langue
française. À paraître. Apothéloz Denis, Combettes Bernard (2011). Saillance et aspect
verbal : le cas du plus-que-parfait. In : O. Inkova (éd.), Saillance.
Aspects linguistiques et communicatifs de la mise en évidence dans un texte
(vol. 1). Besançon : Presses Universitaires de Franche-Comté, 225-246 Apothéloz Denis, Combettes Bernard (2016). La variation
plus-que-parfait ~ passé simple dans les analepses narratives. In : I.
Gaudy-Campbell & Y. Keromnes (éds), Variation, invariant et plasticité
langagière. Besançon : Presses Universitaires de Franche-Comté, 53-66. Apothéloz Denis, Nowakowska Małgorzata (2010). La
résultativité et la valeur de parfait en français et en polonais. In : E.
Moline & C. Vetters (éds), Temps, aspect et modalité en français.
Amsterdam : Rodopi, 1-23. (Cahiers Chronos 21) Apothéloz Denis, Nowakowska Małgorzata (2016). Comment
traduire le futur périphrastique français en polonais ? In : O.
Inkova & A. Trovesi (éds), Langues en constrastes /
Славянские
языки in comparatione / Lingue a confronto.
Bergamo University Press : Sestante Edizioni, 55-83. Arnauld Antoine, Lancelot Claude (1660). Grammaire générale
et raisonnée. Paris : Chez Pierre Le Petit. Ašić Tijana, Bres Jacques, Dodig Milana & Torterat
Frédéric (2017). Conditionnel temporel objectif et constructions non
téléonomiques en français et en serbe. Travaux de linguistique 75/2,
7-29. Austin John Langshaw (1962). How to do Things with Words.
Oxford : J.O. Urmson. Trad. française : Quand dire, c’est faire.
Paris : Éd. du Seuil, 1970. Authier-Revuz Jacqueline (2020). La représentation du discours
autre. Principes pour une description. Berlin : Walter de Gruyter. Azzopardi Sophie (2011). Le futur et le conditionnel :
valeur en langue et effets de sens en discours. Analyse contrastive
espagnol / français. Montpellier : Université Paul-Valéry
Montpellier III. Thèse de doctorat. Azzopardi Sophie, Bres Jacques (2011). Temps verbal et
énonciation. Le conditionnel et le futur en français : l’un est
dialogique, l’autre pas (souvent). Cahiers de praxématique 56, 53-76. Azzopardi Sophie, Bres Jacques (2017). Le système temporel et
aspectuel des temps verbaux de l’indicatif (en français). Verbum 39/1,
71-112. Bally Charles (1912). Le style indirect libre en français
moderne, II. Germanisch-Romanische Monatsschrift IV/10, 597-606. Banfield Ann (1973). Narrative style and the
grammar of direct and indirect speech. Foundations of Language 10/1,
1-39. Banfield Ann (1982). Unspeakable sentences.
Narration and representation in the language of fiction. New York: Routledge
& Kegan Paul. Baranzini Laura (éd.) (2017). Le futur dans les langues
romanes. Berne : P. Lang. Baranzini Laura (2019). Le “récit de récit” à l’imparfait en
italien : la piste évidentielle. In : A. Patard, R. Peltola & E.
Roussel (eds), Cross-Linguistic perspectives on the semantics of grammatical
aspect. Leiden : Brill-Rodopi, 213-248. (Cahiers Chronos 30) Baranzini Laura, Ricci Claudia (2015). Semantic and pragmatic
values of the Italian imperfetto : Towards a common interpretive
procedure. Catalan Journal of Linguistics 14, 33-58. Barbazan, Muriel (2007). Le trait [+/– allocutif]. Un
principe explicatif de l’opposition du passé simple et du passé composé. Romanische
Forschungen 119, 429-463. Barceló Gérard J., Bres Jacques (2006). Les temps verbaux de
l’indicatif en français. Paris : Ophrys. Bat-Zeev Shyldkrot H., Le Querler N., éds (2005). Les
périphrases verbales. Amsterdam : J. Benjamins. Beaujot Jean-Pierre (1980. Quand passé surcomposé et passé
antérieur sont de parfaits synonymes. Bulletin du Centre d’analyse du
discours 4, 81-122. (Presses Universitaires de Lille) Beauzée Nicolas (1765). Article Tems. In : Encyclopédie
ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Tome 16.
Neufchastel : Chez Samuel Faulche, 96-117. Benveniste Emile (1959). Les relations de temps dans le verbe
français. Bulletin de la Société de Linguistique 54/1, 69-82. Réédité
dans : Problèmes de linguistique générale, 1. Paris :
Gallimard, 1966, 237-250. Benveniste Emile (1968). Mutations of linguistic categories.
In : W.P. Lehmann & Y. Malkiel (eds), Directions for historical
linguistics. Austin, London : University of Texas Press, 83-94.
Version française : Les transformations des catégories linguistiques.
In : E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 2.
Paris : Gallimard, 1974, 126-136. Benveniste Emile (1970). L’appareil formel de l’énonciation. Langages
17, 12-18. Réédité dans : E. Benveniste, Problèmes de linguistique
générale, 2. Paris : Gallimard, 1974, 79-88. Berrendonner Alain (1981). Quand dire, c’est ne rien faire.
In : A. Berrendonner, Éléments de pragmatique linguistique.
Paris : Éd. de Minuit, 75-137. Berthonneau Anne-Marie (1987). La thématisation et les
compléments temporels. Travaux de linguistique 14/15, 67-81. Berthonneau Anne-Marie (1993). Depuis vs il y a que, référence
temporelle vs cohésion
discursive. In : C. Vetters (éd.), Le temps, de la phrase au texte.
Lille : Presses Universitaires de Lille, 9-83. Berthonneau Anne-Marie & Kleiber Georges (1993). Pour une
nouvelle approche de l’imparfait : l’imparfait, un temps anaphorique
méronomique. Langages 112, 55-73. Berthonneau Anne-Marie & Kleiber Georges (1999). Pour une
réanalyse de l’imparfait de rupture dans le cadre de l’hypothèse anaphorique
méronomique. Cahiers de praxématique 32, 119-166. Bertinetto Pier Marco (1986). Tempo, aspetto e azione nel
verbo italiano. Il sistema dell’indicativo. Firenze : L’Accademia
della Crusca. Bertinetto Pier Marco & Bianchi Valentina (1996). Temporal
adverbs and the notion of perspective point. In : V. Koseska-Toszewa, D.
Rytel-Kuc (eds), Semantyka a konfrontacja językowa, 1.
Warszawa : SOW, 11-21. Bertinetto Pier Marco & Lenci Alessandro (1986).
Habituality, pluractionality, and imperfectivity. In :
R.I. Binnick (ed.), The Oxford handbook of tense and aspect. Oxford:
Oxford University Press, 852-880 (= Chap. 30). Bertinetto Pier Marco, Squartini Mario (1995). An attempt at
defining the class of gradual completion verbs. In : P.M. Bertinetto, V. Bianchi,
J. Higginbotham & M. Squartini (eds), Temporal Reference, Aspect and
Actionality. I: Semantic and Syntactic Perspectives. Torino: Rosenberg
& Sellier, 11-26. Boas Franz, Boas Yampolsky Helene, Harris Zellig S. (1947).
Kwakiutl Grammar with a Glossary of the Suffixes. Transactions of the
American Philosophical Society 37/3, 203-377. Bogusławski Andrzej (1981). On describing accomplished
facts with imperfective verbs. In : P. Jacobsen &
H.L. Krag (eds), The Slavic verb. An anthology presented to
Hans Christian Sørensen. Copenhagen : Rosenkilde and Bagger, 34-40. Borel Marine (2019). Les formes verbales surcomposées en
français. Fribourg (CH) : Université de Fribourg, et Nancy :
Université de Lorraine. Thèse de doctorat. Borel Marine (à par.). Les temps surcomposés. Encyclopédie
Grammaticale du Français. En ligne : http://encyclogram.fr/ Borillo Andrée (2012). L’expression de déplacement fictif comme
manifestation d’un discours narratif subjectif. In : L. de Saussure, A. Borillo,
M. Vuillaume M. (éds), Grammaire, lexique, référence. Regards sur le sens.
Berne : Peter Lang, 45-58. Bres Jacques (1998). Temps, langage, praxis : de
l’imparfait et du passé simple. L’Information grammaticale 77, 33-37. Bres Jacques (2000). Un emploi discursif qui ne manque pas de
style : l’imparfait en contexte narratif. In : A. Carlier, V. Lagae
& C Benninger (éds), Passé et parfait. Amsterdam : Rodopi,
59-77. (Cahiers Chronos 6) Bres Jacques (2003). Temps verbal, aspect et point de
vue : de la langue au discours. Cahiers de praxématique 41, 55-84. Bres Jacques (2005). Le passé simple dit ingressif :
polysémie du temps verbal ou effet de sens contextuel ? In : O.
Soutet (éd.), La polysémie. Paris : Presses de l’Université
Paris-Sorbonne, 305-316. Bres Jacques (2007). Sémantique de l’imparfait : dépasser
l’aporie de la poule aspectuelle et de l’œuf anaphorique ? Eléments pour
avancer. In : E. Labeau, C. Vetters & P. Caudal (éds), Sémantique
et diachronie du système vernal français. Amsterdam : Rodopi, 23-46. (Cahiers
Chronos 16) Bres Jacques (2009). Dialogisme et temps verbaux de
l’indicatif. Langue française 163, 21-39. Bres Jacques (2010). Polysémie ou monosémie du passé
composé ? Actualisation, interaction, effets de sens produits. In :
N. Flaux, D. Stosic & C. Vet (éds), Interpréter les temps verbaux.
Berne : P. Lang, 161-180. Bres Jacques (2012). Conditionnel et ultériorité dans le
passé : de la subjectivité à l’objectivité. 3ème Congrès
Mondial de Linguistique française (CMLF 2012), Lyon, 4-7 juillet 2012.
https://doi.org/10.1051/shsconf/20120100037 Bres Jacques (2015). De la défectivité de aller et de venir
dans les périphrases d’ultériorité (il va pleuvoir) et d’antériorité (il
vient de pleuvoir) proches à l’indicatif. L’Information grammaticale
144, 27-33. Bres Jacques (2018). Le conditionnel en français : un état
de l’art. Langue française 200, 5-17. Bres Jacques (2021). Le conditionnel. Encyclopédie
Grammaticale du Français. En ligne : http://encyclogram.fr/ Bres Jacques, Azzopardi Sophie (2012). On aurait oublié les
clés du dialogisme sur la porte de l’analyse ? De l’effet de sens de
conjecture du futur et du conditionnel en français. In : J. Bres, A.
Nowakowska, J.-M. Sarale & S. Sarrazin (éds), Dialogisme : langue,
discours. Bruxelles : P.I.E. Peter Lang, 137-149. Bres Jacques, Azzopardi Sophie & Sarrazin Sophie (2012). Le
conditionnel en français : énonciation, ultériorité dans le passé et
valeurs modales. Faits de langue 40, 37-43. Bres Jacques, Diwersy Sascha & Luxardo Giancarlo (2018).
The competition between present conditional and prospective imperfect in French
over the centuries. In: D. Ayoun, A. Celle & L. Lansari (eds), Tense,
aspect, modality, and evidentiality: cross-linguistic perspectives.
Amsterdam: John Benjamins, 65-80. Bres Jacques, Labeau Emmanuelle (2012). De la
grammaticalisation des formes itives (aller) et ventives (venir) :
valeur en langue, emploi en discours. In : L. de Saussure & A. Rihs
(éds), Études de sémantique et pragmatique françaises. Berne :
Peter Lang, 143-165. Bres Jacques, Labeau Emmanuelle (2013a). Allez donc sortir
des sentiers battus ! La production de l’effet de sens extraordinaire
par aller et venir. Journal of French Language Studies
23/2, 151-177. Bres Jacques, Labeau Emmanuelle (2013b). Aller et venir :
des verbes de déplacement aux auxiliaires aspectuels-temporels-modaux. Langue
française 179, 13-28. Bres Jacques, Labeau Emmanuelle (2014). About the illustrative
use of the aller + infinitive periphrasis in French. In :
E. Labeau & J. Bres (eds), Evolution in Romance verbal systems.
Berne : Peter Lang, 171-202. Bres Jacques, Labeau Emmanuelle (2018). Des constructions en aller
et venir grammaticalisées au auxiliaires. Syntaxe et sémantique
19, 49-86. Brunot Ferdinand, Bruneau Charles (1949). Précis de
grammaire historique de la langue française. Paris: Masson & Cie. Burger André (1961). Significations et valeur du suffixe verbal
français -ę-. Cahiers Ferdinand de Saussure 18, 5-15. Buridant Claude (2000). Grammaire nouvelle de l’ancien
français. Paris : Sedes. Caron Philippe, Liu Yu-Chang (1999). Nouvelles données sur la
concurrence du passé simple et du passé composé dans la littérature
épistolaire. L’Information grammaticale 82, 38-50. Caudal Patrick, Vetters Carl (2003). Un point de vue elliptique
sur l’imparfait. In : J. Guéron & L. Tasmowski (éds), Temps et
point de vue. Publidix, Université Paris X-Nanterre, 103-132. Caudal Patrick, Vetters Carl (2007). Passé composé et passé
simple : sémantique diachronique formelle. In : E. Labeau, C. Vetters
& P. Caudal (éds), Sémantique et diachronie du système verbal français.
Amsterdam : Rodopi, 121-151. (Cahiers Chronos 16) Celle Agnès (1997). Étude contrastive du futur français et
de ses réalisations en anglais. Gap et Paris : Ophrys. Celle Agnès (2004). The French future tense and English will as
markers of epistemic modality. Languages in contrast 5/2, 181-218. Celle Agnès (2007). Analyse unifiée du conditionnel de non
prise en charge en français et comparaison avec l’anglais. In : L. de
Saussure, J. Moeschler & G. Puskas (éds), Études sémantiques et
pragmatiques sur le temps, l’aspect et la modalité. Amsterdam :
Rodopi, 43-61. (Cahiers Chronos 19) Ciszewska Ewa (2004). L’inchoatif et les moyens de son
expression en français. Neophilologica 16, 7-19. Ciszewska-Jankowska Ewa (2014). Le futur antérieur et ses
emplois. Analyse contextuelle. Katowice : Wydawnictwo Uniwersytetu
Śląskiego. Ciszewska-Jankowska Ewa (2018). Le futur gnomique. Bulletin
de la Société polonaise de linguistique 74, 205-215. Ciszewska-Jankowska Ewa (2019). L’emploi du futur antérieur
dans des textes de presse française. Langue française 201, 115-130. Clédat Léon (1905). Nouvelle grammaire historique du
français. Paris : Garnier Frères, 3e édition. Cohen David (1989). L’Aspect verbal. Paris :
Presses Universitaires de France. Combettes Bernard (2008). Cohérence discursive et faits de
langue : le cas du plus-que-parfait. Verbum 30/2-3, 181-197. Comrie Bernard (1976). Aspect. An
introduction in the study of verbal aspect and related problems. Cambridge
(UK) : Cambridge University Press. Comrie Bernard (1985). Tense. Cambridge (UK) :
Cambridge University Press. Confais Jean-Paul (1995). Temps, mode, aspect. Les approches
des morphèmes verbaux et leurs problèmes à l’exemple du français et de
l’allemand. Toulouse : Presses universitaires du Mirail. Coseriu Eugenio (1980). Aspect verbal ou aspects verbaux ?
Quelques questions de théorie et de méthode. In : J. David & R.
Martin, La notion d’aspect. Metz : Centre d’Analyse syntaxique /
Paris : Klincksieck, 13-25. Curat Hervé (1991). Morphologie verbale et référence
temporelle en français moderne. Essai de sémantique grammaticale.
Genève : Droz. Damourette Jacques, Pichon Edouard (1911-1936). Des mots à
la pensée. Essai de grammaire de la langue française. Paris :
D’Artrey. Dauzat Albert (1937). Le fléchissement du passé simple et de
l’imparfait du subjonctif. Le Français moderne 5/2, 97-112. Dahl Östen (1985). Tense and aspect systems. Oxford:
Blackwell. Dahl Östen (ed.) (2000). Tense and aspect in the languages
of Europe. Berlin/New York : Mouton de Gruyter. De Glas Michel, Desclés Jean-Pierre (1996). Du temps
linguistique comme idéalisation d’un temps phénoménal. Intellectica
23/2, 159-192. Delattre Pierre (1950). Le surcomposé réfléchi en subordonnée
temporelle ? Le français moderne 18/2, 95-108. De Mulder Walter (2004). Can there be a non temporal definition
of the French Imparfait ? A “network” approach. In : F. Brisard
(éd.), Language and revolution / Language and time. Antwerpen :
Universiteit Antwerpen, 195-222. De Mulder Walter (2010). Histoire des temps verbaux du passé et
interprétations en synchronie. In : N. Flaux, D. Stosic & C. Vet
(éds), Interpréter les temps verbaux. Berne : Peter Lang, 181-208. Dendale Patrick (2001). In : Les problèmes linguistiques
du conditionnel français. In : P. Dendale & L. Tasmowski (éds), Le
conditionnel en français. Metz : Centre d’études linguistiques des
textes et des discours, 7-18. (Recherches linguistiques 25) Dendale Patrick (2018). Évidentialité ou non-prise en
charge ? Le cas du conditionnel épistémique français. Une réanalyse. Langue
française 200, 63-76. Dendale Patrick & Tasmowski Liliane (éds) (2001). Le
conditionnel en français. Metz : Centre d’études linguistiques des
textes et des discours. (Recherches linguistiques 25) Desahaies D. & Laforge E. (1981). Le futur simple et le
futur proche dans le français parlé dans la ville de Québec. Langues et
Linguistique 7, 21-37. Desclés Jean-Pierre (1991). Archétypes cognitifs et types de
procès. In : C. Fuchs (éd.), Les typologies de procès. Paris :
Klincksieck, 171-195. (Actes de colloques 28) Desclés Jean-Pierre (1997). Logique combinatoire, topologie et
analyse aspecto-temporelle. Études cognitives / Studia Kognitywne 2,
37-69. Desclés Jean-Pierre (2003). Imparfait narratif et imparfait de
nouvel état en français. In : W. Banyś, L. Będnarczuk & K.
Polanski (éds), Études linguistiques romano-slaves offertes à Stanisław
Karolak. Kraków : Oficyna Wydawnicza Edukacja, 131-155. Desclés Jean-Pierre (2017). Invariants des temps grammaticaux
et référentiels temporels. Verbum 39/1, 155-189. Desclés Jean-Pierre, Guentchéva Zlatka (2000). Énonciateur,
locuteur, médiateur dans l’activité dialogique. In : A. Monod-Becquelin,
P. Erickson, Les rituels du dialogue. Paris : L’Harmattan, 79-112. Desclés Jean-Pierre, Guentchéva Zlatka (2003). Comment
déterminer les significations du passé composé par une exploration
contextuelle. Langue française 138, 48-60. Desclés Jean-Pierre, Guentchéva Zlatka (2013). L’abduction dans
l’analyse sémantique. In : C. Norén, K. Jonasson, H. Nølke & M.
Svenson (éds), Modalité, évidentialité et autres friandises langagières.
Mélanges offerts à Hans Kronning à l’occasion de ses soixante ans.
Berne : P. Lang, 81-102. Desclés Jean-Pierre, Jackiewicz Agata (2006). Abduction et
prise en charge énonciative de la causalité. Linx 54, 35-47. Despierres Claire, Krazem Mustapha (2005). Du présent de
l’indicatif. Dijon : Université de Bourgogne & Centre Gaston
Bachelard. Dessaux-Berthonneau Anne Marie (1985). Niveaux et opérations dans
la description des compléments temporels. Langue française 66, 20-40. De Vogüé Sarah (1999). L’imparfait aoristique, ni mutant ni
commutant. Cahiers de praxématique 32, 43-69. Dik Simon (1989). The theory of functional grammar (Part
1 : The structure of the clause). Dordrecht : Foris. Do-Hurinville Danh Thành (2015). Etude des temps verbaux
dans la presse française contemporaine. Hanoi : Editions Université
Nationale de Hanoi. [Ouvrage portant principalement sur le Passé simple et le
Passé composé] Do-Hurinville Danh Thành (2019). Regard sur le couple futur
antérieur / passé composé dans la presse française contemporaine. Bulletin
de la Société de linguistique de Paris 114/1, 181-205. Dowty David R. (1979). Word meaning and
Montague grammar. The semantics of verbs and times in generative semantics and
in Montague’s PTQ. Dordrecht : Reidel. Ducrot Oswald (1979). L’imparfait en français. Linguistische
Berichte 60, 1-23. Ducrot Oswald (1980). Essai
d’application : mais – les allusions à l’énonciation – délocutifs,
performatifs, discours indirect. In : H. Parret et al., Le
langage en contexte. Études philosophiques et linguistiques de pragmatique.
Amsterdam : J. Benjamins, 487-576. Engel Dulcie M. (1989). Les temps passés de être. Revue
romane 24/1, 3-12. Firth John Rupert (1957). A synopsis of linguistic theory
1930-1955. In : J.R. Firth (ed.), Studies in
Linguistic Analysis. Oxford : Blackwell, 1-32. Fleischman Suzanne (1982). The future in thought and
language : Diachronic evidence from Romance. Cambridge :
Cambridge University Press. Fleury Serge, Branca-Rossof Sonia (2010). Une expérience de
collaboration entre linguiste et spécialiste de TAL : L’exploitation du
corpus CFPP 2000 en vue d’un travail sur l’alternance Futur simple / Futur
périphrastique. Cahiers AFLS
16(1), 63-98. Forsyth John (1970). A Grammar of aspect.
Usage and meaning in the Russian verb. Cambridge (UK) :
Cambridge University Press. Foulet Lucien (1920). La disparition du prétérit. Romania
46, 271-313. Foulet Lucien (1925). Le développement des formes surcomposées.
Romania 51, 203-252. Franckel Jean-Jacques (1984). Futur « simple » et
futur « proche ». Le français dans le monde 182, 65-70. Franckel Jean-Jacques (1989). Étude de quelques marqueurs
aspectuels du français. Genève : Droz. Frege Gottlob (1892). Über Sinn und Bedeutung.
Zeitschrift für Philosophie und philosophische Kritik 100, 25-50. Trad.
franç. : Sens et dénotation. In : G. Frege, Écrits logiques et
philosophiques. Paris : Éd. du Seuil, 1971, 102-126. Galet Yvette (1974). Illustration de la théorie des niveaux
d’énonciation. Langue française 21, 26-42. Garey Howard B. (1957). Verbal aspect in French. Language
33, no 2, 91-110. Genette Gérard (1972). Figures III. Paris : Éd. du
Seuil. Girard Gabriel (dit Abbé Girard) (1747). Les vrais principes
de la langue françoise. Tome second. Paris : Chez Le Breton. Górnikiewicz Joanna (2012). Le chien est sorti. Pies
wyszedł / wychodził / był... Mais finalement où
est-il ? Quelques remarques sur l’expression de la résultativité en
français et en polonais. Romanica Cracoviensia 12/1, 90-103. Gosselin Laurent (1996). Sémantique de la temporalité en
français. Un modèle calculatoire et cognitif du temps et de l’aspect.
Louvain-la-Neuve : Duculot. Gosselin Laurent (1999a). Le sinistre Fantômas et l’imparfait
narratif. Cahiers de praxématique 32, 19-42. Gosselin Laurent (1999b). La valeur de l’imparfait et du
conditionnel dans les systèmes hypothétiques. In : S. Vogeleer, A.
Borillo, M. Vuillaume & C. Vetters (éds), La modalité sous tous ses
aspects. Amsterdam : Rodopi. (Cahiers chronos 4) Gosselin Laurent (2001). Relations temporelles et modales dans
le « conditionnel journalistique ». In : P. Dendale & L.
Tasmowski, éds (2001), Le conditionnel en français. Metz : Centre
d’études linguistiques des textes et des discours, 45-66. (Recherches
linguistiques 25) Gosselin Laurent (2005). Temporalité et modalité.
Bruxelles : De Boeck & Larcier. Gosselin Laurent (2011). L’aspect de phase en français :
le rôle des périphrases verbales. Journal of French language studies
21/2, 149-171. Gosselin Laurent (2013). L’itération dans le modèle SdT.
In : L. Gosselin, Y. Mathet, P. Enjalbert & G. Becher, Aspects de
l’itération. L’expression de la répétition en français : analyse
linguistique et formalisation. Berne : Peter Lang, 25-151. Gosselin Laurent (2017). Les temps verbaux du français :
du système au modèle. Verbum 39/1, 31-69. Gosselin Laurent (2018). Le conditionnel temporel subjectif et
la possibilité prospective. Langue française 200, 19-33. Gosselin Laurent (2019). Le futur antérieur d’un point de vue
systémique. Langue française 201, 31-46. Gosselin Laurent (2020a). L’aspect verbal. Encyclopédie Grammaticale
du Français. En ligne : http://encyclogram.fr/ Gosselin Laurent (2020b). Les périphrases aspectuelles.
In : Encyclopédie Grammaticale du Français. En ligne :
encyclogram.fr Gosselin Laurent (2021). Aspect et formes verbales en
français. Paris : Garnier. Gosselin Laurent, François Jacques (1991). Les typologies de
procès : des verbes aux prédications. In : C. Fuchs (éd.), Les
typologies de procès. Paris : Klincksieck, 21-86. Gougenheim Georges (1929). Étude sur les périphrases
verbales de la langue française. Paris : Les Belles Lettres. Grande Grammatica Italiana di Consultazione (a cura
di : L. Renzi, G. Salvi & A. Cardinaletti). Vol. 2 : I
sintagmi verbale, aggettivale, avverbiale. La subordinazione. Bologna :
Il Mulino, 1988-1995. Grevisse Maurice (1986). Le bon usage. 12e
édition refondue par A. Goose. Paris-Gembloux : Duculot. Grønn Atle (2003). The semantics and pragmatics of the
Russian factual imperfective. Oslo : University of Oslo. Thèse de
doctorat. Guentchéva Zlatka (1994). Manifestations de la catégorie du
médiatif dans les temps du français. Langue française 102, 8-23. Guentchéva Zlatka (1996). L’Énonciation médiatisée.
Louvain : Peeters. Guentchéva Zlatka (2014). Peut-on identifier, et comment, les
marqueurs dits ‘médiatifs’ ? In : J.-C. Anscombre, E.
Oppermann-Marsaux & A.R. Somolinos (éds), Médiativité, polyphonie et
modalité en français. Études synchroniques et diachroniques. Paris :
Presses Sorbonne Nouvelle, 35-50. Guenthner Franz, Hoepelman Jaap & Rohrer Christian (1978).
A note on the passé simple. In : C. Rohrer (ed.), Papers on tense,
aspect and verb classification. Tübingen : Narr, 11-36. Guillaume Gustave (1929). Temps et verbe. Théorie des
aspects, des modes et des temps. Paris : Honoré Champion. Guillaume Gustave (1991). Leçons de linguistique de Gustave
Guillaume, 1943-1944, A, vol. 10. Québec & Lille : Presses de
l’Université de Laval & Presses universitaires de Lille. Haillet Pierre (1995). Le conditionnel dans le discours
journalistique. Essai de linguistique descriptive. Neuville (Québec) :
Bref. Haillet Pierre Patrick (1998). Le conditionnel d’altérité
énonciative et les formes du discours rapporté dans la presse écrite. Pratiques
100, 63-79. Haillet Pierre Patrick (2001). A propos de l’interrogative
totale directe au conditionnel. In : P. Dendale & L. Tasmowski (éds), Le
conditionnel en français. Metz : Centre d’études linguistiques des
textes et des discours, 295-330. (Recherches linguistiques 25) Haillet Pierre Patrick (2002). Le conditionnel en
français : une approche polyphonique. Paris/Gap : Ophrys. Hellberg Gustrid (1971). Le système hypothétique dans le
français écrit et parlé, 1947-1957. Université de Stockholm. Thèse de
doctorat. Herzog Christian (1981). Le passé simple dans les journaux
du XXe siècle. Berne : Francke. Houweling Frans (1986). Deictic and anaphoric tense morphemes.
In : V. Lo Cascio & C. Vet (éds), Temporal structure in sentence
and discourse. Dordrecht : Foris, 161-191. Imbs Paul (1960). L’emploi des temps verbaux en français
moderne. Paris : Klincksieck. Jakobson Roman (1932/1984). Zur Struktur des
russischen Verbums. In : Charisteria Guilelmo
Mathesio Quinquagenario. Prague :
Cercle Linguistique de Prague, 74-84. Réédité et traduit : Structure of
the russian verb. In : L.R. Waugh & M. Halle (eds), Roman
Jakobson : Russian and Slavic grammar. Studies 1931-1981.
Berlin : W. de Gruyter/Mouton, 1984, 1-14. Jakobson Roman (1957). Shifters, verbal categories, and the
Russian verb. Harvard University. Trad. franç. : Les embrayeurs, les
catégories verbales et le verbe russe. In : R. Jakobson, Essais de
linguistique générale, 1. Paris : Minuit, 1963, 176-196. Jakobson Roman (1984). Relationship between Russian stem
suffixes and verbal aspect. In : L.R. Waugh & M. Halle (eds), Roman
Jakobson : Russian and Slavic grammar. Studies 1931-1981.
Berlin : W. de Gruyter/Mouton, 27-31. Jeanjean Colette (1988). Le futur simple et le futur
périphrastique en français parlé : Étude distributionnelle. In : C.
Blanche-Benveniste, A. Chervel & M. Gross (éds), Grammaire et histoire
de la grammaire : Hommage à la mémoire de Jean Stéfanini. Aix-en-Provence :
Universitaires de Provence, 235-257. Johanson Lars (2000). Viewpoint operators in European
languages. In : Ö. Dahl (ed.), Tense and aspect in the languages of Europe.
Berlin, New York : Mouton De Gruyter, 27-187. Jolivet Rémi (1984). L’acceptabilité des formes verbales
surcomposées. Le français moderne 52/3-4, 159-182. Kamp H., Rohrer C. (1983). Tense in texts.
In : R. Bäuerle, C. Schwarze & A. von Stechow (eds), Meaning, use
and interpretation of language. Berlin : De Gruyter, 250-269. Karolak Stanisław (2008a). Remarques sur l’équivalence du
passé imperfectif polonais et des temps passés en français. Verbum
30/2-3, 125-146. Karolak Stanisław (2008b). L’aspect dans une langue :
le français. Études cognitives / Studia kognitywne 8, 11-51. Kerbrat-Orecchioni C. (2005). Le discours en interaction.
Paris : A. Colin. Keromnes Yvon (1998). Aspect et anaphore. In : A. Borillo,
C. Vetters & M. Vuillaume (éds), Regards sur l’aspect.
Amsterdam : Rodopi, 1-19. (Cahiers Chronos 2) Keromnes Yvon (2000). Formes verbales, narration et
traduction : étude d’une nouvelle de F. Kafka et de quatre traductions de
cette nouvelle en anglais et en français. Université de Nancy 2. Thèse de
doctorat. Kilani-Schoch Marianne, Dressler Wolfgang U. (2004).
Compositionnalité et iconicité dans la flexion du verbe français. Une approche
de morphologie naturelle. Verbum 26/4, 421-437. Kiparsky Paul (2002). Event structure and the perfect.
In : D.I. Beaver, L.D. Casillas Martinez, B.Z. Clark & S. Kaufmann
(eds), The construction of meaning. Stanford : CSLI Publications,
113-135. Kleiber Georges (1987). Du côté de la référence verbale. Les
phrases habituelles. Berne : Peter Lang. Kleiber Georges (1993). Lorsque l’anaphore se lie aux temps
grammaticaux. In : C. Vetters (éd.), Le temps, de la phrase au texte.
Lille : Presses Universitaires de Lille, 117-166. Kleiber Georges (2003). Entre les deux mon cœur balance ou l’imparfait
entre aspect et anaphore. Langue française 138, 8-19. Klein Wolfgang (1994). Time in Language.
London, New York : Routledge. Klum Arne (1961). Verbe et adverbe.
Uppsala: Almqvist & Wiksell. Koschmieder Erwin (1929/1996). Zeitbezug
und Sprache. Ein Beitrag zur Aspekt- und Tempusfrage. Leipzig/Berlin:
B.G. Teubner. – Trad. française : Les rapports temporels fondamentaux
et leur expression linguistique. Contribution à la question de l’aspect et du
temps. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion,
1996. Kronning Hans (2001). Nécessité et hypothèse :
« devoir » non déontique au conditionnel. In : P. Dendale &
L. Tasmowski, éds (2001), Le conditionnel en français. Metz :
Centre d’études linguistiques des textes et des discours, 251-276. (Recherches
linguistiques 25) Kronning Hans (2005). Polyphonie, médiation et
modalisation : le cas du conditionnel épistémique. In : J. Bres, P.P.
Haillet, S. Mellet, H. Nølke & L. Rosier (éds), Dialogisme et
polyphonie : approches linguistiques. Bruxelles : De Boeck,
Duculot, 297-323. Kronning Hans (2012). Le conditionnel épistémique :
propriétés et fonctions discursives. Langue française 173, 83-97. Kronning Hans (à paraître). Conditionnalité et expressivité.
L’imparfait de l’indicatif contrefactuel en français, en italien et en
espagnol. Aspects sémantiques et variationnels. In : J. Härmä, J.
Lindschow & L. Schøsler (éds), Actes du XXIXe Congrès de
linguistique et de philologie romanes, Copenhague, juillet 2019. Labeau Emmanuelle (2009). Le PS : cher disparu de la
rubrique nécrologique ? Journal of French Language Studies 19/1,
61-86. Labeau Emmanuelle (2015). Il était une fois le passé simple... Journal
of French Language Studies 25/2, 165-187. Labeau Emmanuelle (2019). Le futur antérieur périphrastique. Langue
française 201, 79-94. Labeau Emmanuelle (2022). The decline of the French Passé simple. Leiden: Bill. Laca Brenda (2005). Périphrases aspectuelles et temps
grammatical dans les langues romanes. In : In : H. Bat-Zeev
Shyldkrot, N. Le Querler (éds), Les périphrases verbales.
Amsterdam : J. Benjamins, 47-66. Lamiroy Béatrice (1999). Auxiliaires, langues romanes et
grammaticalisation. Langages 135, 33-45. Larreya Paul (2005). Sur les emplois de la périphrase aller
+ infinitif. In : H. Bat-Zeev Shyldkrot, N. Le Querler (éds), Les
périphrases verbales. Amsterdam : J. Benjamins, 337-360. Laskowski Roman (1998). Kategorie werbalne. In : R.
Grzegorczykowa, R. Laskowski & H. Wróbel (eds), Gramatyka
współczesnego języka polskiego. Morfologia. Warszawa :
Wydawnictwo Naukowe PWN, 152-178. Lazard Gilbert (1999). Mirativity, evidentiality, mediativity,
or other ? Linguistic Typology 3, 91-109. Leech Geoffrey (1971). Meaning and the English verb.
London : Longman. Leeman Danielle (2003). Le passé simple et son co-texte :
examen de quelques distributions. Langue française 138, 20-34. Leeman Danielle (2005). Un nouvel auxiliaire : aller
jusqu’à. In : H. Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le Querler (éds), Les
périphrases verbales. Amsterdam : J. Benjamins, 361-377. Legallois Dominique (2012). La colligation : autre nom de
la collocation grammaticale ou autre logique de la relation mutuelle entre
syntaxe et sémantique ? Corpus 11, 31-54. Le Goffic Pierre (1986). Que l’imparfait n’est pas un temps du
passé. In : P. Le Goffic (éd.), Points de vue sur l’imparfait.
Caen : Centre d’études linguistiques de l’Université de Caen, 55-69. Le Goffic Pierre (1995). La double incomplétude de l’imparfait.
Modèles linguistiques XVI/1, 133-148. Le Goffic Pierre (2001). Le présent « pro futuro ».
In : P. Le Goffic (éd.), Le présent en français. Amsterdam :
Rodopi, 77-98. (Cahiers Chronos 7) Lehmann Christian (2015). Thoughts on grammaticalization.
3e édition. Berlin : Language Science Press. Lhafi Sandra Christine (2012). Zum
Plusquamperfekt im Französischen und Spanischen. Kontrastive Untersuchung aus
textlinguistischer Perspektive. Frankfurt am Main : Peter Lang. Liere, Audrey (2011). Entre lexique et grammaire: les périphrases
verbales du français. Boulogne: Université du littoral-Côte d'opale. Lindschouw Jan, Schøsler Lene (2016). Un parfait devient
aoriste : l’exemple du passé composé français. In : P.-D. Giancarli
& M. Fryd (éds), Aoristes et parfaits. Leiden/Boston :
Brill/Rodopi, 161-174. (Cahiers Chronos 28) Luscher Jean-Marc, Sthioul Bertrand (1996). Emplois et
interprétations du passé composé. Cahiers de linguistique française 18,
187-217. McCawley James D. (1971). Tense and time reference in English. In: C.J. Fillmore & D.T. Langendoen (eds), Studies in
Linguistic Semantics. New York: Holt, Rinehart and Winston, 96-113. McCawley James D. (1981). Notes on the English present perfect.
Australian Journal of Linguistics 1, 81-90. Maingueneau Dominique (1994). L’énonciation en linguistique
française. Paris : Hachette. Mann William C., Thompson Sandra A. (1988). Rhetorical
Structure Theory : Toward a functional theory of text organization. Text
8/3, 243-281. Marchello-Nizia Christiane (1999). Le français en
diachronie : douze siècles d’évolution. Gap/Paris : Ophrys. Martin Robert (1971). Temps et aspect. Essai sur l’emploi
des temps narratifs en moyen français. Paris : Klincksieck. Martin Robert (1983). Pour une logique du sens.
Paris : Presses Universitaires de France. Martin Robert (1985). Langage et temps de dicto. Langue
française 67, 23-37. Martin Robert (1988). Temporalité et « classes de
verbes ». L’Information grammaticale 38, 3-8. Martinet André (1979). Grammaire fonctionnelle du français.
Paris : Crédif/Didier. Maupas Charles (1625). Grammaire et syntaxe françoise.
Seconde édition. Paris : Chez Adrian Bacot, imprimeur. Mellet Sylvie (2000). Le présent. Travaux de linguistique
40, 97-111. Mellet Sylvie (2006). La valeur aspectuelle du présent. In : J.-F. Marillier, M. Dalmas & I. Behr (eds), Text
und Sinn. Studien zur Textsyntax und Deixis im Deutschen und
Französischen : Festschrift für Marcel Vuillaume zum 60 Geburtstag. Stauffenburg
Verlag, 167-180. Merle Jean-Marie (2001). Étude du conditionnel français et
de ses traductions en anglais. Paris/Gap : Ophrys. Mittwoch Anita (2008). The English resultative perfect and its
relationship to the experiential perfect and the simple past tense. Linguistics
and Philosophy 31, 323-351. Moens Marc, Steedman Mark (1988). Temporal ontology and
temporal reference. Computational Linguistics 14/2, 15-28. Molendijk Arie (1992). Le passé simple et l’imparfait :
une approche reichenbachienne. Amsterdam : Rodopi. Molendijk Arie (1996). Anaphore et imparfait : la
référence globale à des situations présupposées ou impliquées. In : W. De
Mulder, L. Tasmowski-De-Ryck & C. Vetters, Anaphores temporelles et
(in-)cohérence. Amsterdam : Rodopi (Brill), 109-123. (Cahiers
Chronos 1) Morency Patrick, de Saussure Louis (2006). Remarques sur
l’usage interprétatif putatif du futur. TRANEL (Travaux neuchâtelois
de linguistique) 45, 43-70. Muller Claude (1966). Pour une étude diachronique de
l’imparfait narratif. In : Mélanges de grammaire française offerts à M.
Maurice Grevisse. Gembloux : Duculot, 253-269. Niekerk P.K. (1972). L’expression du futur en français et en
néerlandais : étude synchronique sur les syntagmes verbaux susceptibles
d’exprimer la futurité. Groningen : Kleine. Nilsson-Ehle Hans (1943). Le conditionnel « futur du
passé » et la périphrase devait + infinitif. Studia
neophilologica 16/1, 50-88. Nølke Henning, Olsen Michel (2003). Le passé simple
subjectivisé. Langue française 138, 75-85. Novakova Iva (2001). Sémantique du futur : étude
comparée français–bulgare. Paris : L’Harmattan. Nowakowska Małgorzata (2008). L’emploi dit
« paradoxal » du l’imperfectif passé polonais et ses correspondants
en français. Verbum 30/2-3,
147-180. Padučeva Elena V (1992). Toward the
problem of translating grammatical meanings: the factual meaning of the imperfective
aspect in Russian. Meta: Journal des traducteurs / Meta: Translators’
Journal 37/1, 113-126. Palmer Frank Robert (1999a). Mood and modality: Basic
Principles. In: K. Brown, J. Miller & R.E. Asher (eds), Concise
encyclopedia of grammatical categories. Amsterdam: Elsevier, 229-235. Palmer Frank Robert (1999b). Mood and modality: Further
developments. In: K. Brown, J. Miller & R.E. Asher (eds), Concise
encyclopedia of grammatical categories. Amsterdam: Elsevier, 235-239. Partee Barbara H. (1973). Some structural analogies between
tenses and pronouns in English. Journal of Philosophy 70, 601-609. Partee Barbara H. (1984). Nominal and temporal anaphora. Linguistics
and Philosophy 7, 243-286. Patard Adeline (2007). L’un et le multiple. L’imparfait de l’indicatif
en français : valeur en langue et usages en discours.
Montpellier : Université Paul-Valéry – Montpellier III. Thèse de doctorat. Patard Adeline (2010). L’emploi préludique de l’imparfait entre
temporalité et modalité : éléments d’analyse à partir d’une étude de cas. Journal
of French language studies 20/2, 189-211. Patard Adeline (2017). Du conditionnel comme constructions ou
la polysémie du conditionnel. Langue française 194, 105-124. Patard Adeline (2018). L’imparfait de l’indicatif en français.
In : Encyclopédie Grammaticale du Français. En ligne :
http ://encyclogram.fr Patard Adeline (2019). Diachronie du futur antérieur : une
étude de corpus. Langue française 201, 13-30. Patard Adeline, De Mulder Walter (2012). L’évolution des usages
du conditionnel en français. Faits de langue 40/1, 29-36. Peeters Bert (2008). L’imparfait dit « narratif »
dans les faits divers de la presse écrite : défocalisation et refocalisation.
In : P. Marillaud & R. Gauthier (éds), Langage, temps, temporalité.
28e colloque d’Albi Langages et signification. Toulouse :
Université Toulouse-Le Mirail, 55-65. https://issuu.com/walterap/docs/temps Perrot Jean (1981). Du latin au français : temps et
aspect. La langue et la saisie du temps. In : Actants, voix et aspects
verbaux. Actes des Journées d’études linguistiques des 22 et 23 mai 1979.
Anger : Presses de l’Université d’Angers, 109-120. Philippe Gilles, Zufferey Joël (2018). Le style indirect
libre. Naissance d’une catégorie (1894-1914). Limoges : Lambert Lucas. Prior Arthur (1967). Past, present and future.
Oxford : Oxford University Press. Provôt-Olivier Agnès (2011). Le conditionnel en français et
ses équivalents en allemand : le concept de référentiel temporel et
l’analyse aspecto-temporelle et énonciative. Université Paris-Sorbonne.
Thèse de doctorat. Provôt Agnes, Desclés Jean-Pierre (2012). Existe-t-il un
« conditionnel médiatif » en français ? Faits de langue
40, 45-52. Rebotier Aude (2010). Les emplois stéréotypiques des temps
narratifs en français. Textes & contextes 5.
https://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=253 Reichenbach Hans (1947). The tenses of verbs.
In: H. Reichenbach, Elements of symbolic logic, § 51. London :
The Macmillan Company. Revaz Françoise (1996). Passé simple et passé composé :
entre langue et discours. Études de linguistique appliquée 102, 175-190. Revaz Françoise (1997). Les textes d’action. Metz :
Centre d’études linguistiques des textes et des discours / Paris :
Klincksieck. (Recherches textuelles 1) Revaz Françoise (2002). Le présent et le futur
« historiques » : des intrus parmi les temps du passé ? Le
français aujourd’hui 4/139, 87-96. Revaz Françoise (2009). Valeurs et emplois du futur simple et
du présent prospectif en français. Faits de langue 33, 149-161. Riegel Martin, Pellat Jean-Christophe, Rioul René (2009). Grammaire
méthodique du français, 4e éd. Paris : Presses
Universitaires de France. Sarrazin Sophie, Azzopardi Sophie (2012). L’alternance du
conditionnel et de la périphrase itive à l’imparfait dans des corpus oraux
espagnols et français. Studia Universitatis Babeș-Bolyai – Philologia
57/3, 57-68. De Saussure Ferdinand (1972 [1916]). Cours de linguistique
générale. Édition critique préparée par Tullio de Mauro. Paris :
Payot. De Saussure Louis (2003). Temps et pertinence. Éléments de
pragmatique cognitive du temps. Bruxelles : De Boeck & Larcier. De Saussure Louis (2010). Pragmatique procédurale des temps
verbaux : la question des usages interprétatifs. In : N. Flaux, D.
Stosic & C. Vet (éds), Interpréter les temps verbaux. Berne :
P. Lang, 129-159. De Saussure Louis (2012). Modalité épistémique, évidentialité
et dépendance contextuelle. Langue française 173, 131-143. De Saussure Louis (2017). L’exploitation cognitive du système
temporel : interprétations perspectivales de l’imparfait, du passé composé
et du futur. Verbum 39/1, 113-132. De Saussure Louis, Morency Patrick (2012). A cognitive-pragmatic
view of the French epistemic future. Journal of French Language Studies
22/2, 207-223. De Saussure Louis, Sthioul Bertrand (1999). L’imparfait
narratif : point de vue (et images du monde). Cahiers de praxématique
32, 167-188. Schaden Gerhard (2009). Composés et surcomposés : le
« parfait » en français, allemand, anglais et espagnol.
Paris : L’Harmattan. Schena Leandro (1995). Un emploi modal de l’imparfait : sa
valeur ‘ludique ou préludique’. In : A.M. Raugei & M.
Margarito (éds), Studi di linguistica. Storia della lingua
filologia francesi. Alessandria: Edizioni dell’Orso, 117-130. Schøsler Lene (2004). “Tu eps l’as deit” / “tut s’en vat
declinant”. Grammaticalisation et dégrammaticalisation dans le système verbal
du français illustrées par deux évolutions, celle du passé composé et celle du
progressif. Aemilianense 1, 517-568. Schøsler Lene 2012). Sur l’emploi du passé composé et du passé
simple. In : C. Guillot, B. Combettes, A. Lavrentiev, E. Oppermann-Marsaux
& S. Prévost (éds), Le changement en français. Études
de linguistique diachronique. Berne : P. Lang,
321-339. Schrott Angela (1997). Futurität im
Französischen des Gegenwart. Semantik und Pragmatik des Tempora des Zukunft.
Tübingen: G. Narr. Schrott Angela (2000). L’allure extraordinaire en français
contemporain. La modalisation du futur périphrastique et du futur
périphrastique du passé. In : A. Englebert et al. (eds), Actes
du XXIIe Congrès International de Linguistique et Philologie romanes
(Bruxelles, 23-29 juillet 1998), vol. VII : Sens et fonctions.
Tübingen : Niemeyer, 677-681. Schrott Angela (2001). Le futur périphrastique et l’allure
extraordinaire. In : P. Dendale, J. van der Auwera (éds), Les verbes
modaux. Amsterdam : Rodopi, 159-170. (Cahiers Chronos 8) Searle John R. (1982). Sens et expression. Études de théorie
des actes de langage. Paris : Minuit. Serbat Guy (1980). La place du présent de l’indicatif dans le
système des temps. L’Information grammaticale 7, 36-39. Serbat Guy (1988). Le prétendu « présent » de
l’indicatif : une forme non déictique du verbe. L’Information
grammaticale 38, 32-35. Silletti Alida Maria (2015). ‘Allait + infinitif’ et sa
traduction en italien : imminence et/ou futur dans le passé ? Cahiers
de praxématique 65. [écrit par erreur ‘Silleti’ sur la page de titre] Silletti Alida Maria (2018). ‘Aller + infinitif’ et ‘andare
a + infinitif’ : effets de sens ‘illustratif’ et ‘risoluvito’. L’Analisi
linguistica e letteraria 26/1, 33-52. Sperber Dan, Wilson Deirdre (1986). Relevance :
Communication and cognition. 2e éd. London : Blackwell.
Trad. franç. : La pertinence. Communication et cognition. Paris
Minuit, 1989. Squartini, Mario (1998). Verbal periphrases in romance. Berlin: Mouton De Gruyter. Squartini Mario, Bertinetto Pier Marco (2000). The simple and
compound past in Romance languages. In : Ö. Dahl (ed.), Tense
and aspect in the languages of Europe. Berlin, New York : Mouton De
Gruyter, 403-439. Sten Holger (1952). Les temps du
verbe fini (indicatif) en français moderne. København
(Copenhague) : i kommission hos Ejnar Munksgaard. Dan. Hist. Filol. Medd.
33, no 3. Sthioul Bertrand (1998). Temps verbaux et point de vue.
In : J. Moeschler et al., Le temps des événements.
Paris : Kimé, 197-220. Sthioul Bertrand (2000). Passé simple, imparfait et sujet de
conscience. In : A. Carlier, V. Lagae & C. Benninger (éds), Passé
et parfait. Amsterdam : Rodopi, 79-93. (Cahiers Chronos 6) Sundell Lars-Göran (1991). Le temps futur en français
moderne. Uppsala : Acta Universitatis Upsaliensis ;
Stockholm : Almqvist & Wiksell. de Swart Henriëtte (1995). Contraintes aspectuelles et
réinterpretation contextuelle. Sémiotiques 9, 89-115. de Swart Henriëtte (1998). Aspect shift and coercion. Natural
language and linguistic theory 16/2, 347-385. Świątkowska Marcela (1987). L’imparfait en
français moderne, contribution à l’étude du temps et de l’aspect.
Cracovie : Uniwersytet Jagiellonski. Thèse de doctorat. Świątkowska Marcela (1988). Temps verbal :
catégorie déictique ou relationnelle ? L’Information grammaticale
38, 36-39. Tahara Izumi (2000). Le passé simple et la subjectivité. Cahiers
de linguistique française 22, 189-218. Tasmowski-De Ryck Liliane (1985). L’imparfait avec et sans
rupture. Langue française 67, 59-77. Thibault André, Knecht Pierre (2000). Le petit dictionnaire
suisse romand. Carouge-Genève : Zoé. Tobler Adolf (1884). Vermischte Beiträge zur
Grammatik des Französischen. Zeitschrift für romanische Philologie
8 (4), 481-498. Tobler Adolf (1905). Futur antérieur au lieu du parfait
périphrastique. In : A. Tobler, Mélanges de grammaire française.
Paris : A. Picard et fils, 317-325. Trad. de Tobler (1884). Touratier Christian (1996). Le système verbal français.
Paris : A. Colin. Touratier Christian (2002). Morphologie et morphématique.
Analyse en morphèmes. Aix-en-Provence : Presses universitaires de
Provence. Tournadre Nicolas (2004). Typologie des aspects verbaux et
intégration à une théorie du TAM. Bulletin de la Société de linguistique de
Paris XCIX/1, 7-68. Troubetskoï Nicolaï S. (1949). Principes de phonologie.
Paris : Klincksieck. Van de Velde Danièle (2006). Grammaire des événements.
Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion. Vendler Zeno (1957). Verbs and time. The
Philosophocal Review LXVI, 143-160. Réédité dans : Z. Vendler, Linguistics
in Philosophy. Ithaca, New York : Cornell University Press, 1967,
97-121. Vet Co (1980). Temps, aspects et adverbes de temps en
français contemporain. Genève : Droz. Vet Co (1992). Le passé composé : contextes d’emploi et
interprétation. Cahiers de praxématique 19, 37-59. Vet Co (1993). Conditions d’emploi et interprétation des temps
futurs du français. Verbum 4, 71-84. Vet Co (1996). Anaphore et deixis dans le domaine temporel.
In : W. De Mulder, L. Tasmowski-De Ryck & C. Vetters (éds), Anaphores
temporelles et (in-)cohérence. Amsterdam : Rodopi, 147-163. (Cahiers
Chronos 1) Vet Co (1999). Les temps verbaux comme expressions
anaphoriques : chronique de la recherche. Travaux de linguistique
39, 113-130. Vet Co (2001). Deux cas de polysémie : le passé composé et
le futur périphrastique. In : H. Kronning et al. (éds), Langage
et référence. Mélanges offerts à Kerstin Jonasson à l’occasion de ses soixante
ans. Uppsala : Acta Universitatis Upsaliensis, 679-686. (Studia
Romanica Upsaliensia 63) Vet Co (2010). L’interprétation des formes composées. In :
N. Flaux, D. Stosic & C. Vet (éds), Interpréter les temps verbaux.
Berne : Peter Lang, 11-31. Vetters Carl (1992). L’opposition passé simple-imparfait :
une question d’aspect ou de structuration textuelle. Anvers :
Universiteit Antwerpen. Thèse de doctorat. Vetters Carl (1993a). Passé simple et imparfait : un
couple mal assorti. Langue française 100, 14-30. Vetters Carl (1993b). Temps et deixis. In : C. Vetters
(éd.), Le temps, de la phrase au texte. Lille : Presses
Universitaires de Lille, 85-115. Vetters Carl (1996). Temps, aspect et narration.
Amsterdam : Rodopi. Vetters Carl (1998). Les “temps” du verbe. Réflexions sur leur
temporalité et comparaison avec la référence (pro)nominale. In : Sv.
Vogeleer, A. Borillo, C. Vet & M. Vuillaume (éds), Temps et discours.
Louvain-La-Neuve : Peeters, 11-43. (BCILL 99) Vetters Carl (2001). Le conditionnel : ultérieur du
non-actuel. In : P. Dendale, L. Tasmowski (éds), Le conditionnel en
français. Metz : Centre d’études linguistiques des textes et des
discours / Paris : Klincksieck, 169-207. (Recherches linguistiques
25) Vetters Carl (2003). L’aspect global : un effet secondaire
d’un contenu procédural ? In : S. Mellet & M. Vuillaume (éds), Modes
de repérages temporels. Amsterdam : Rodopi, 113-131. (Cahiers
Chronos 11) Vetters Carl (2011). À quoi servent les temps verbaux ?
In : D. Amiot, W. De Mulder, E. Moline & D. Stosic (éds), Ars
Grammatica. Hommages à Nelly Flaux. Berne : P. Lang, 337-354. Vetters Carl (2016). Un parfait devient aoriste :
l’exemple du passé composé français. In : P.-D. Giancarli, M. Fryd (éds), Aoristes
et parfaits. Brill/Rodopi : Leiden/Boston, 161-174. (Cahiers
Chronos 28) Vetters Carl (2017). Pour une conception du système des temps
verbaux de l’indicatif qui ne s’appuie pas sur la tripartition
passé-présent-futur. Verbum 39/1, 133-154. Vetters Carl, Lière Audrey (2009). Quand une périphrase devient
temps verbal : le cas d’aller + infinitif. Faits de langues
33, 27-36. Vetters Carl, De Mulder Walter (2003). Sur la narrativité de
l’imparfait. In : A. Vanneste, P. De Wilde, S. Kindt & J. Vlemings
(éds), Mémoire en temps advenir. Hommage à Theo Venckeleer.
Leuven : Peeters, 687-702. Vogeleer Svetlana, Borillo Andrée, Vetters Carl & Vuillaume
Marcel (éds) (1988). Temps et discours. Louvain-La-Neuve : Peeters,
1998, 191-201. Waugh Linda R. (1987). Marking time with the passé
composé : toward a theory of the perfect. Linguisticae
Investigationes XI/1, 1-47. Warnant Léon (1966). « Moi, j’étais le
papa... » : L’imparfait préludique et quelques remarques relatives à
la recherche grammaticale. In : Mélanges de grammaire offerts à M.
Maurice Grévisse pour le trentième anniversaire du “Bon usage”.
Gembloux : Duculot, 343-366. van de Weerd Jessica (2018). Vers les origines sémantiques du
conditionnel épistémique. Étude d’un genre juridique en français classique (xvie-xviiie siècles). Langue française 200,
77-89. Weinrich Harald (1973). Le temps. Le récit et le commentaire.
Paris : Éd. du Seuil. Trad. de : Tempus :
Besprochene und erzählte Welt. Stuttgart : Kohlhammer Verlag, 1964. Wilhelm Raymund (2009). Der conditionnel narratif.
Ein neues Erzähltempus und sein Gebrauch in des französischen Literatursprache.
Romanische Forschungen 121, 133-161. Wilmet Marc (1970). Le système de l’indicatif en moyen
français. Genève : Droz. Wilmet Marc (1973). Antériorité et postériorité : réflexions
sur le passé antérieur. Revue de linguistique romane 37/147-148,
274-291. Wilmet Marc (1992). Le passé composé. Histoire d’une forme. Cahiers
de praxématique 19, 13-36. Wilmet Marc (1997). Grammaire critique du français.
Louvain-La-Neuve : Duculot. Yvon Henri (1926). L’Imparfait de l’indicatif en français.
Paris : Les Belles Lettres. Yvon Henri (1951). Convient-il de distinguer dans le verbe
français des temps relatifs et des temps absolus ? Le français moderne
19, 265-276. Zandvoort Reinard W. (1932). On the Perfect of Experience. English
Studies 14, 11-20, 76-79 (la seconde pagination correspond à un addendum). Zezula Jaroslav (1969). Le passé simple dans la langue de la
presse française d’aujourd’hui. Beiträge zur romanischen Philologie
VIII/2, 336-345. Bibliothèque des Cahiers de l’Institut de linguistique de
Louvain Cahiers Chronos Cahiers de linguistique française Cahiers de praxématique Canadian Journal of Linguistics / Revue canadienne de
linguistique DRLAV (Documentation et Recherche en Linguistique
Allemande – Vincennes) Études cognitives – Studia kognitywne Faits de langue Le français aujourd’hui L’Information grammaticale Journal of French Language Studies Langages Langue française Lexique Linx Pratiques Recherches linguistiques Revue de sémantique et de pragmatique Syntaxe et sémantique Travaux de linguistique Travaux neuchâtelois de linguistique (TRANEL) Verbum [1]
Je remercie Alain Berrendonner, Jacques Bres, Gilles Corminboeuf, Laurent
Gosselin et Małgorzata Nowakowska pour
leurs utiles remarques sur des versions antérieures de l’ensemble ou de parties
de ce travail. [2] On
qualifie de « liés » les morphèmes qui doivent être associés à un
autre morphème pour constituer un mot. [3] Vendler
(1957) appelait « schéma temporel » (temporal schemata) les
propriétés aspectuo-temporelles des lexèmes verbaux. L’expression qui est le
plus fréquemment employée de nos jours est celle d’« aspect lexical »
(lexical aspect) proposée par Garey (1957), qu’il oppose à l’aspect
grammatical. [4] La
question peut se poser ensuite de déterminer si le morphème de Conditionnel est
lui-même décomposable. Voir infra la section consacrée à ce temps
verbal. [5] Pour
des raisons de compatibilité avec la plupart des publications dans ce domaine,
il est commode de conserver les symboles S, E et R introduits par Reichenbach,
utilisés aujourd’hui encore par de nombreux auteurs, en dépit du fait qu’ils
correspondent à des dénomination anglaises. A noter que Reichenbach concevait
ces trois paramètres comme des points, ce qui est contre-intuitif et pose de
multiples difficultés. On doit à Klein (1994) et à Gosselin (1996) d’avoir
montré l’intérêt de les considérer comme des intervalles. [6] Les
linguistes sont loin de s’accorder sur le fait de considérer S comme un
intervalle ou comme un point dépourvu de durée. Cela tient au fait que
l’énonciation se comporte, vis-à-vis des opérations de localisation temporelle,
de façon paradoxale, notamment quand le Présent est utilisé pour référer à S.
D’une part, quand on produit ce type de Présent – par exemple quand on répond je
travaille à quelqu’un qui vous demande ce que vous faites présentement –, S
peut difficilement se concevoir sans une certaine durée : je travaille
équivaut à peu près, dans ce contexte, à je suis en train de travailler.
Mais d’autre part, ce même exemple montre que, vis-à-vis de ce qu’il est
possible d’asserter concernant S, S se comporte comme un espace indécomposable.
Il n’est en effet pas possible, dans une même opération de localisation,
d’asserter qu’un procès advient dans une portion de S et n’advient pas dans une
autre ; c’est tout ou rien. A cet égard S se comporte comme un point. Mais
ce terme de point, usé et abusé depuis l’article de Reichenbach, est
extrêmement trompeur. L’indécomposabilité de S n’implique pas l’absence de
temporalité interne, et n’est nullement incompatible avec la durée. C’est la
raison pour laquelle nous traiterons ici S comme un intervalle. [7] Comme
plusieurs auteurs l’ont noté, l’usage que fait Reichenbach (1947) du terme de « référence »
est peu clair, et a donné lieu à divers malentendus, qui passent d’ailleurs
souvent inaperçus. Certains commentateurs ou continuateurs l’ont interprété comme
signifiant en fait « repère », c’est-à-dire ce que Beauzée appelait
« époque de comparaison ». Mais d’autres l’ont interprété à la
manière des sémantiques de la référence telle qu’elles ont été élaborées à la
suite de Frege (1892/1971) (voir à ce propos Apothéloz 2017). Nous interprétons
ici ce terme de cette seconde manière. Autrement dit, nous considérons que les
formes verbales conjuguées réfèrent à une portion de temps. C’est
également la perspective qu’adopte Gosselin, qui considère que l’intervalle de
référence correspond « à ce qui est perçu / montré du
procès » (2005 : 33). Cet auteur distingue ainsi monstration (R)
et catégorisation (E). [8] Certains
modèles font l’économie de cette distinction et ne prennent en considération
que la référence. Ainsi, dans sa conception topologique des intervalles
temporels, J.-P. Desclés distingue entre borne ouverte et borne fermée (cf.
Desclés 1991, De Glas & Desclés 1996). Un temps verbal perfectif est alors
représenté par des bornes fermées, soit graphiquement ‘[––]’, et un temps
imperfectif est représenté par une borne ouvertes à droite, la borne gauche
étant ouverte s’il s’agit d’un état, fermée s’il s’agit d’un processus,
soit : ‘]––[’ ou ‘[––[’. [9] Voir
ce passage du Cours de F. de Saussure : « le perfectif représente
l’action dans sa totalité, comme un point, en dehors de tout devenir ;
l’imperfectif la montre en train de se faire, et sur la ligne du temps »
(1972 : 161-162). Sur cette notion de « point », voir Leeman
(2003). [10] Par
ex. L. de Saussure (2003 : 222), qui y voit une propriété par défaut. [11] Le
type de relation qui oppose perfectivité et imperfectivité a lui-même donné
lieu à diverses discussions. R. Jakobson, par exemple, considérait qu’il s’agit
d’une opposition privative (au sens de Troubetzkoy 1949), l’imperfectivité
étant le terme non-marqué de l’opposition. La conséquence est alors que : The perfective aspect presents the narrated event with
reference to its absolute completion, whereas the imperfective aspect is
non-committal in regard to completion or noncompletion. (In :
Jakobson 1984 : p. 27, nos caractères gras). Mais cette conception,
qui s’applique aux langues slaves, où les formes verbales imperfectives ont des
emplois correspondant effectivement à la description de Jakobson, ne nous semble
pas convenir dans le cas du français. En français, l’opposition imperfectif vs perfectif paraît plutôt fonctionner
comme une opposition équipollente. Incidemment, cette remarque montre à quels
genres de difficultés on s’expose quand on transfert des concepts d’une langue
à une autre. [12] Sur
cette terminologie, voir Vetters (1996 : 44 et suiv.). [13] Beauzée
(1765) appelait « époque de comparaison » cette autre information
temporelle. [14] À
la suite de Comrie (1985), on qualifie parfois ce type de temps verbal
d’« absolu-relatif ». [15] On
a donné le nom de « changements de repérage énonciatif » à ces
manipulations. Ce terme n’est toutefois pas limité au temps et inclut également
les transpositions qui concernent les catégories de la personne et du lieu
(déixis de la personne et déixis spatiale). [16]
Sur cette matière, voir également la notice de L. Gosselin sur L’Aspect
verbal. Pour une revue des travaux consacrés aux typologies de procès, voir
Gosselin & François (1991). [17] Quand
ce type d’expression porte sur un verbe non duratif ou non transitionnel, la
forme verbale sélectionne la phase préparatoire : il est arrivé en cinq
minutes ≈ ‘il est arrivé au bout de cinq minutes’. [18] Verbes
qualifiés parfois également de semelfactifs. [19] Autres
appellations : degree achievements (Dowty 1979), verbes de
complétion graduelle (Bertinetto & Squartini 1995), verbes paramétriques
(Laskowski 1998), verbes cumulatifs (Desclés & Guentchéva 2003). Pour
distinguer des verbes comme grandir et rapetisser, on oppose
parfois encore les verbes incrémentatifs et décrémentatifs. [20] Le
terme même de « combinaison », utilisé ici par pure commodité,
mériterait à lui seul toute une réflexion. [21] La
distinction entre signification « de base » et emplois est souvent
parasitée par deux types de considérations, dont il faudrait au contraire la
dissocier : considérations diachroniques (la signification « de
base » étant alors considérée comme antérieure donc première), et
quantitatives (la signification « de base » étant supposée plus
fréquente que les emplois). [22] Le
lecteur trouvera un cadrage général de cette problématique dans Gosselin
(2005 : 103-127). [23] Pour
cette raison, le phénomène est décrit parfois comme le résultat d’une opération
de coercion (De Swart 1995). [24]
V. Traverso : L’analyse des conversations. Paris : A. Colin,
1999. Les séquences entre parenthèses carrées indiquent un chevauchement. Le
signe ‘:’ signale un allongement vocalique, ‘(.)’ un court silence. [25] On
pourrait dire également que l’Imparfait, compte tenu du contexte indiqué plus
haut, contraint à construire par interprétation une telle séquence. [26] Cette
hypothèse est l’aboutissement d’une inférence abductive du type :
« l’absence du portefeuille dans la poche de x pourrait être
expliquée par son oubli par x ; donc il est probable que x a
oublié son portefeuille chez lui ». [27] Firth
(1957) appelait « colligations » ces formes diffuses de collocations,
mais les textes de cet auteur sont d’interprétation apparemment difficile. Sur
ce point, voir Legallois (2012). Beaucoup d’auteurs utiliseraient ici le terme
de « construction », mais cet usage, qui tend aujourd’hui à
s’imposer, est assez gênant dans la mesure où il prive en même temps le
linguiste d’un terme permettant de désigner des construits non phraséologiques
et à sens compositionnel. [28] C’est
précisément là que s’arrêtent malheureusement les explications qui ont recours
à des notions comme celles de coercion ou de résolution de conflit. [29] Pour
éviter des confusions nous avons adopté la terminologie courante. Cela dit,
nous avons regroupé sous l’appellation de « temps composés » à la
fois les temps verbaux traditionnellement nommés ainsi, et les temps de la
forme il va pleuvoir, il allait pleuvoir, appelés ici
« temps prospectifs ». [30] La
plus fâcheuse étant celle consistant à l’interpréter littéralement et selon le
sens commun, c’est-à-dire comme signifiant respectivement : accompli
= « qui est parvenu à son terme » vs
inaccompli = « qui n’est pas parvenu à son terme »,
significations qui n’ont rien à voir avec ce dont il est question ici. [31] Les
facteurs contextuels et situationnels sélectionnant l’une ou l’autre de ces
deux interprétations sont nombreux, et leur interaction avec le verbe souvent
complexe, de sorte qu’il n’est pas possible d’aborder ce problème ici. On se
bornera à signaler que l’interprétation processive est fortement favorisée
quand une expression de localisation temporelle est susceptible de situer la
phase processive, comme dans (1) et d’autres exemples plus bas ; ou qu’une
expression quantifie la durée de cette phase (il a attendu deux heures, il
a fait sa thèse en cinq ans), ou encore quand un adverbial en qualifie la
manière (il a attendu patiemment). Sur cette question, voir par ex.
Dessaux-Berthonneau (1985), Berthonneau (1987), Bertinetto & Bianchi
(1996). Voir aussi § 4.2.5. infra. [32] Waugh
(1985) décrit cette mise en relief en termes de focalisation ; Caudal
& Vetters (2007) utilisent quant à eux la notion d’accessibilité. [33] Il
existe une littérature assez abondante sur l’histoire du Passé composé, souvent
étudiée en relation avec celle du Passé simple en raison de la concurrence qui
s’est jouée – et se joue encore – entre ces deux temps verbaux. Voir
notamment : Foulet (1920), Wilmet (1970, 1992), Martin (1971), Galet
(1974), Perrot (1981), Caron & Liu (1999), Schøsler (2004, 2012), Caudal
& Vetters (2007), De Mulder (2010), Apothéloz (2016, 2017), Lindschouw
& Schøsler (2016), Vetters (2016). [34] La
grammaticalisation de cette construction en un temps verbal suppose donc les trois
évolutions suivantes : (i) le référent du sujet du verbe avoir doit
coïncider avec l’agent de l’état décrit par le participe ; (ii) le sujet
et le complément du verbe avoir quittent le champ rectionnel de ce verbe
pour celui du verbe représenté par le participe ; (iii) corrélativement, avoir
perd son statut de verbe lexical au profit du verbe que représente le
participe, et n’est plus qu’un verbe « auxiliaire ». Selon
Marchello-Nizia (1999), cette évolution est entièrement réalisée au ve siècle déjà. [35] Vet
(1980) analyse ce type de verbe en utilisant les notions de présupposition et
d’implication. Il s’est endormi présuppose ‘il était réveillé’ et
implique ‘il dort’. L’état résultant est « impliqué » par la
signification du verbe. [36] On
pourrait évoquer ici la notion de « mode de donation de l’objet »,
bien connue dans les travaux sémantiques sur la référence. S’agissant de la référence
des expressions nominales, le logicien Gottlob Frege (1892) a forgé cette
notion pour rendre compte du fait que, quand on réfère à un objet, on a
généralement le choix entre plusieurs dénominations (plusieurs noms). Autrement
dit on peut désigner un même objet en ayant recours à diverses descriptions de
cet objet. Vis-à-vis de la référence, chacune de ces descriptions constitue un
« mode de donation » de l’objet désigné. Dans le cas qui nous
intéresse, le problème est du même ordre. Pour signifier au terme d’un voyage
que je suis parvenu à destination, je peux dire indifféremment je suis
arrivé ou je suis à destination. Les deux expressions verbales,
« arriver » au Passé composé et « être à destination »
au Présent, sont deux modes de donation de la même situation. Dans le premier
cas, celle-ci est présentée comme un état consécutif à un procès, dans le
second cas, comme un état tout court. [37]
Par opposition à une indication de durée ouverte, comme trop
longtemps dans l’ex. (10), qui inclut ici le moment de l’énonciation. [38]
L. Gosselin me signale qu’un des contextes contraignant une
interprétation résultative, avec les verbes non transitionnels (atéliques), est
le tour « maintenant que p » : Maintenant que tu as
dormi, Maintenant que tu t’es reposé (comm. pers.). [39] Ce
lien entre temps composés et inférence est un élément important, souvent
sous-estimé. Ces inférences sont généralement des abductions. Cf. Desclés &
Jackiewicz (2006), Desclés & Guentchéva (2003, 2013). [40] La
distinction entre ces deux types de résultativités a été exposée dans Apothéloz
& Nowakowska (2010), dans un article comparant l’expression de la
résultativité en français et en polonais. Pour d’autres discussions sur cette
question, voir Dahl (1985), qui distingue état résultant « au sens
étroit » et « au sens large » ; Luscher & Sthioul
(1996), qui opposent l’état résultant « impliqué lexicalement » et
l’état résultant « que le locuteur cherche à communiquer » ; ou
encore Mittwoch (2008), qui oppose, concernant le Present perfect
anglais, les énoncés à résultativité « forte » et à résultativité « faible »
(strong resultatives vs weak
resultatives). Sur cette question, voir également Górnikiewicz (2012). [41] Sur
cette analyse, voir Apothéloz (2008) et Gosselin (2013). Voir également
Berthonneau (1993) pour « il y a + durée + que ». [42] Cette
continuité des deux interprétations a été notée par Waugh (1985) et Vetters
(1996). [43] Camus
a tout de même laissé, intentionnellement ou non, sept Passés simples dans ce
texte. [44]
Par opposition à l’« aoriste » tout court, terme que Benveniste
utilise pour désigner le Passé simple. Rappelons que cet auteur considère que
le Passé composé et le Passé simple appartiennent à deux modes distincts
d’énonciation, qu’il dénomme respectivement « énonciation de
discours » et « énonciation historique » – modes que, depuis, on
a coutume de désigner simplement par les termes de « discours » et de
« récit » (ou d’« histoire »). [45] La
notion de fait telle qu’elle est comprise ici s’inspire de travaux
d’aspectologie slave. Voir par ex. Forsyth (1970), Bogusławski
(1981), Padučeva (1992), Grønn (2003). La raison principale pour laquelle
cette valeur a attiré l’attention des slavistes est qu’elle s’exprime, dans les
langues slaves, généralement par une forme verbale imperfective, comme la
progressivité, la généricité, l’habitualité et quelques autres valeurs. [46] Dans
l’exemple Vous avez déjà commandé ?, la question porte sur un fait
qui est une phase (la première) dans le scénario d’événements associé au
restaurant (Nowakowska 2008). [47] L’emploi
dont il est question ici est une propriété générale des parfaits (donc,
concernant le français, des temps composés), et pas seulement du Passé composé.
Pourtant la tradition grammaticale française l’ignore presque complètement,
alors que la tradition anglo-saxonne y consacre presque toujours une place
importante (voir par ex. Leech 1971, Comrie 1976). Cela tient peut-être au fait
qu’en anglais, pour une notion aussi courante que « aller », on
utilise un verbe différent pour exprimer le parfait résultatif (Bill has
gone to America) et le parfait d’expérience (Bill has been to America)
(Comrie 1976 : 59). Selon Gosselin (2017 : 59) la référence
temporelle, dans le cas du parfait d’expérience, accorde une importance égale
au passé et au présent, donc à la phase processive et à la phase résultative. [48] Les
analyses de McCawley concernent l’anglais, mais sur ce point le Present
perfect anglais a des emplois tout à fait semblables au Passé composé français.
– Le point commun avec le quantificateur existentiel de la logique (Ǝ) est le composant
« une fois au moins ». Une expression comme (Ǝx) ax est glosée, en
logique des prédicats, « il existe au moins un x, tel que x
a la propriété a ». La différence est ici que le quantificateur
s’applique à un objet typé comme procès. [49] Ce déjà est différent de celui dit « de survenance
précoce » (Il est déjà 11 heures). [50] Dans
la classification qu’il propose, Vet (1992) distingue également quatre
emplois : présent résultatif, antérieur du présent, expérientiel et passé
narratif. Son antérieur du présent correspond à notre factuel simple. [51] De
la même manière que le verbe fracasser intègre dans la notion de casser
une spécification de manière, qu’on peut gloser par ‘complètement et avec
violence’. [52] Ce
type de polysémie aspectuelle est attesté sur d’autres verbes. Voir par
exemple : se cacher (‘se mettre dans un état d’invisibilité’
vs ‘être dans un état
d’invisibilité’), se taire (‘cesser de parler’ vs ‘ne pas parler’). [53] Les
temps surcomposés, en interprétation résultative, se rencontrent exactement
dans les mêmes contextes. Voir Borel (2019) et Gosselin (2021). [54] Ici,
en trois heures signifie en fait ‘au bout de trois heures’. [55] À cela s’ajoute que, dans (10)-(11), la conjonction après
que rend fragile l’interprétation grammaticale des formes verbales, en
raison de la confusion qu’il peut y avoir dans ce contexte avec le
Plus-que-parfait du subjonctif (eût été refusée, eût quitté). [56] En
dépit d’exemples comme (1)-(2), certains auteurs ont affirmé que le Futur
antérieur ne pouvait pas être interprété processivement (e.g. Vet 2010). [57]> Abouda
(2019), dans une recherche sur le Futur antérieur dans des corpus oraux,
conclut que les emplois de loin les plus fréquents dans ce type de corpus sont
les emplois purement temporels et résultatifs. [58] Dans
des modélisations utilisant des concepts empruntés à la topologie, on dirait
que cet intervalle est ouvert (cf. Desclés 1991). [59] Les
contraintes exercées par « il y a + durée » et « depuis + durée » sur l’interprétation des
temps composés sont expliquées au § 4.2.5. de la section sur le Passé composé. [60] Un
des exemples les plus typiques étant le Futur antérieur
« d’indignation ». [61] D’où
le qualificatif d’« évidentiel » qu’on donne parfois à cet emploi,
l’indication qu’une information a été obtenue par inférences étant un type
d’évidentialité. Il s’agit d’inférences abductives (Bres & Azzopardi 2012). [62] Ciszewska-Jankowska
(2014) en fait un emploi particulier, qu’elle appelle « de
cohésion ». [63] Imbs
a transcrit par erreur « discutons ». [64] À
l’exception du Passé antérieur, qui réfère toujours à la phase post-processive. [65]
Exemple qui m’a été soufflé par Laurent Gosselin, que je remercie. [66] Cette
filiation sémantique entre successivité et possibilité sous condition est bien
répertoriée dans les études diachroniques (cf. Lehmann 2015). Elle met en œuvre
un paralogisme que résume l’expression latine Post hoc ergo propter hoc
(en substance : étant donné que X succède à Y, je déduis que X est la
conséquence de Y). La conséquence, ici, est envisagée comme possibilité. [67] Dans
cet exemple, l’énoncé au Conditionnel passé réalise ce qu’on appelle, en
analyse conversationnelle, une « pré-séquence » (ici, une
pré-requête). Les Conditionnels sont particulièrement fréquents dans ce type de
séquence (Kerbrat-Orecchioni 2005). [68] Le
qualificatif de « polémique » est parfois donné aux Conditionnels
passés quand certains indices suggèrent que l’énonciateur invalide l’assertion
rapportée, comme dans l’exemple suivant : [69] Voir
Gougenheim (1929), Larreya (2005), Leeman (2005), ainsi que les articles que J.
Bres et E. Labeau ont consacré à ces formes (Bres 2015, Bres & Labeau 2012,
2013a, 2013b, 2014, 2018). Voir également la notice sur les Périphrases
aspectuelles (Gosselin 2020b). [70]
Certains travaux ont montré que dans ces constructions,
l’infinitif n’a pas toutes les propriétés d’un véritable complément d’aller.
Voir par ex. Lamiroy (1999) ainsi que la notice sur les Périphrases
aspectuelles (Gosselin 2020b). [71]
Il existe une variante régionale du Présent et du Passé
prospectifs, utilisant comme auxiliaire le verbe vouloir (il veut
pleuvoir, il voulait pleuvoir). On la rencontre notamment dans le domaine
francoprovençal, en Franche-Comté, Champagne, Alsace et Belgique (Thibault
& Knecht 2000). [72] Expression
que Damourette & Pichon (1911-1936 : t. 5) utilisent dans le
sommaire du Chap. XXI sur les auxiliaires. [73] Pour
des études consacrées spécifiquement à l’extraordinaire, voir Schrott (2000,
2001) ainsi que Bres & Labeau (2013a), qui ont observé une forte affinité
entre cette construction et la négation : sur un corpus de quelque 500
occurrences, ils notent que plus de la moitié se trouvent dans des énoncés
négatifs. [74] C’est
évidemment une question controversée, qu’il n’est pas possible de développer
ici. Imbs (1960), Weinrich (1973) ou encore Bres & Labeau (2012)
considèrent qu’il s’agit de périphrases non complètement
grammaticalisées ; Vet (1993) et Barceló & Bres (2006) considèrent au
contraire que ce sont des temps verbaux au sens plein du terme. Sur cette
question, on consultera utilement Vetters & Lière (2009), qui examinent le
problème à partir d’un certain nombre de critères de grammaticalisation, ainsi
que la notice de l’Encyclopédie grammaticale du Français consacrée aux
périphrases verbales (Gosselin 2020b). [75] « le
sentiment d’imminence contenu dans l’ultérieur [i.e. le Présent
prospectif] ne provient pas de la proximité chronologique de l’événement qu’il
exprime, mais du point de vue présent dont on considère cet événement. »
(Damourette & Pichon 1911-1936, t.5, § 1768) [76] La
forme à Infinitif composé est appelée « présent prospectif extensif »
par Barceló & Bres (2006), et Labeau (2019) la désigne par l’expression
« futur antérieur périphrastique ». [77] Comme
nous l’avons vu à la fin de la section précédente, cette interprétation est en
réalité « post-processive » quand l’Infinitif est composé. Le
principe est que quand c’est la forme infinitive (et non l’auxiliaire aller)
qui détermine la référence temporelle, cette référence est par définition celle
de la forme infinitive : à savoir le procès proprement dit pour un
Infinitif simple, et la phase post-processive pour un Infinitif composé. [78] À
quelques nuances près, cette conception est par exemple défendue par Imbs (1960),
Franckel (1984), Confais (1995), Sundell (1991), Vet (1993), Maingueneau
(1994), Schrott (2001), Barceló & Bres (2006), Revaz (2009), Gosselin (2011).
Voir par ex. cette définition : « Le futur périphrastique
exprime qu’une action sera réalisée postérieurement à la situation
d’énonciation et indique que les conditions de cette action sont déjà remplies
et “actuelles” » (Schrott 2001 : 60). [79] Configuration
parfois appelée « imminence contrecarrée » ou « imminence
contrariée ». L’appellation de « subordination inverse » est
d’ailleurs maladroite, car il n’y a aucune subordination dans ce type de
construction (ni « principale » ni « subordonnée »), quand
ou lorsque y ayant le statut d’adverbiaux temporels anaphoriques, non de
conjonctions. [80] Sur
ce qui différencie ces deux temps verbaux, voir également Sarrazin & Azzopardi (2012) et Bres (2012).
– S⊂e
– R=S
– E
Figure 13 : Chronogramme du Passé composé résultatif
4.2.8. Passé composé narratif et Passé composé factuel
– d’une part, dans des contextes narratifs, où il est associé à la progression
de la référence temporelle et contribue ainsi à reproduire une certaine
chronologie des procès ;
– d’autre part, dans des contextes où il sert essentiellement à asserter que
tel ou tel procès a eu lieu. Nous dirons alors qu’il désigne un
« fait ».
– Nous avions... Il y a bien longtemps... Attendez... C’était l’année où notre
succursale de Cambrai a été modernisée... Sept ans... Oui... Un peu
moins, car il nous a quittés au milieu du printemps. (G. Simenon, 1947)
Tu as pensé à acheter du pain en rentrant ?
Vous avez déjà commandé ? (Dans un restaurant)
etc.4.2.9. Factualité simple et factualité d’expérience
grindier : – Oh si ! J’ai
souvent entendu votre nom. (E. de Montherlant, 1929)4.2.10. Quatre emplois du Passé composé
– Un Passé composé factuel simple
– Un Passé composé factuel d’expérience
– Un Passé composé processif (de narration)
4.2.11. Références bibliographiques
Cahiers Chronos 28, 2016 : Aoristes et parfaits
(P.-D. Giancarli & M. Fryd, éds).
Cahiers de praxématique 19, 1992 : Le passé
composé.
4.3. Le Plus-que-parfait4.3.1. Introduction
4.3.2. Plus-que-parfait processif vs
résultatif
– Changer d’heure ? avait-il lancé, et puis quoi
encore ? (C. Michelet, 1990)4.3.3. Visée aspectuelle sur E et e
– celui du repère r1, pur moment en interprétation processive,
et localisant l’état résultant en interprétation résultative,
– celui du procès proprement dit (E).
– r1
– R
– R=E
Figure 14 : Chronogramme du Plus-que-parfait processif
– r1
– r1⊂R
– R⊂e
– R
– E
Figure 15 : Chronogramme du Plus-que-parfait résultatif
4.3.4. Plus-que-parfait factuel simple et Plus-que-parfait d’expérience
– Un Plus-que-parfait factuel simple
– Un Plus-que-parfait factuel d’expérience
– Un Plus-que-parfait processif (de narration secondaire, analeptique)4.3.5. Problèmes particuliers
4.3.5.1. Plus-que-parfaits en facteur commun (isochronie)
Le comte, voyant que ses affaires n’étaient pas fort avancées
auprès d’elle, jugea nécessaire de dissimuler. (G. Sand, 1843)4.3.5.2. Plus-que-parfait sous la portée d’un adverbe, syllepses
aspectuelles
4.3.5.3. Plus-que-parfait dans les analepses
[Suivent 30 lignes de Passés simples]
Puis ils [les deux petits gars] repartirent, regagnèrent la route
et, silencieux, harassés, reprirent en sens inverse [...].
Naturellement, les Allemands avaient mis la main sur le dépôt d’armes
et, quelques instants après, ils étaient des centaines à explorer, mitraillette
sous le bras, les abords des fourrés où ils avaient trouvé les
containers et les parachutes soigneusement roulés et ficelés. [...]
– Les foutus imbéciles ! s’écria Max quand je l’eus mis au courant de la
situation. (L.-R. des Forêts, 1985)
D’un naturel contraire, Elodie, encline à défendre son bien
en toute occasion, songea tout de suite à rattraper son ami. Elle pensa
d’abord à l’aller voir chez lui, dans l’atelier de la place de Thionville.
Mais, le sachant d’humeur chagrine, [...] elle pensa meilleur de lui
donner un rendez-vous sentimental et romanesque auquel il ne pourrait se
dérober, où elle aurait tout loisir de persuader et de plaire, où la solitude
conspirerait avec elle pour le charmer et le vaincre.
Il y avait alors dans tous les jardins anglais des
chaumières construites par de savants architectes [...].
Arrivé au rendez-vous avant l’heure fixée, Evariste
attendait [...] Une patrouille passa, conduisant des prisonniers.
(A. France, 1912)4.3.5.4. Plus-que-parfait en contexte de Présents : logique
grammaticale et logique référentielle
[...] la traversée [du fleuve Congo] prend plus de quatre heures. Les
pagayeurs rament mollement. On traverse de grands espaces où
l’eau semble parfaitement immobile, puis, par instants, et
particulièrement au bord des îles, le courant devient brusquement si
rapide que tout l’effort des pagayeurs a du mal à le remonter. Car nous sommes
descendus trop bas, je ne sais pourquoi ; les pagayeurs semblent
connaître la route, et sans doute la traversée plus en amont est-elle
moins sûre. (A. Gide, 1927)4.3.5.5. Plus-que-parfait en énonciation de discours
Henri. – Elle m’a heureusement
trouvé chez moi. (T. Bernard, 1907)
Etiez-vous déjà venu à Lausanne ? (R. Martin du Gard,
in : Sten 1952, p. 222)4.3.5.6. Emplois en contexte médiatif et emplois modaux
4.3.6. Références bibliographiques
4.4. Le Passé antérieur4.4.1. Préalable
4.4.2. Contextes d’occurrence
4.4.3. Existe-t-il des interprétations processives du Passé
antérieur ?
4.4.4. Le Passé antérieur et la perfectivité
– r1⊂R
– E
Figure 16 : Chronogramme du Passé antérieur4.4.5. Le Passé antérieur dans d’autres contextes que le Passé simple
4.4.6. Références bibliographiques
4.5. Le Futur antérieur4.5.1. Introduction
4.5.2. Futur antérieur processif vs
résultatif
4.5.3. Localisation temporelle du procès
Figure 17 : Chronogramme de l’exemple (6) :
Demain, Luc aura remis son travail depuis un mois
Figure 18 : Chronogramme de l’exemple (7) :
Demain, Luc aura remis son travail il y a un mois4.5.4. Visée imperfective et visée perfective sur l’état résultant
– Dès que le labo en aura fini avec elle, oui. (D. Pennac, 1989)4.5.5. Les trois interprétations aspectuelles du Futur antérieur
– r1>S
– R
– R=E
Figure 19 : Chronogramme du Futur antérieur processif
– r1>S
– r1⊂R
– R>S
– R⊂e
– E
Figure 20 : Chronogramme du Futur antérieur résultatif
avec visée imperfective
– r1>S
– r1⊂R
– R>S
– R=e
– E
Figure 21 : Chronogramme du Futur antérieur résultatif
avec visée perfective4.5.6. Emplois particuliers
4.5.6.1. Emplois d’expérience
– la comparaison superlative et l’expression de ma vie, qui est une
formulation de l’intervalle de validation, dans (15).4.5.6.2. Emplois d’univers et emplois « illustratifs »
Dans les circonstances graves, il fait preuve, en général, d’une conscience méticuleuse,
d’une courageuse probité. Mais, dans les petites choses, il n’est pas toujours
aussi scrupuleux... capable, par exemple, de porter un jugement sans appel sur
un livre qu’il aura ouvert par hasard,
et n’aura fait que parcourir. Capable de condamner sans autre examen un périodique qu’il sait animé de
tendances opposées aux siennes ; d’être injuste envers telle revue dirigée par des catholiques ;
d’avoir une indulgence préconçue envers telle autre, d’inspiration protestante. Capable de suspecter,
sans vérification, tout écrit d’un critique qui l’aura
blessé, dix ans plus tôt, par un jugement inique, etc.(capable aussi, d’ailleurs, d’oublier
si totalement une injure, qu’il ira tendre la main,
avec le plus affectueux empressement, au cuistre
qui, six mois plus tôt, l’aura traîné dans la boue,
– et de pouffer de rire sitôt qu’on lui aura fait remarquer sa bévue...) (R. Martin du Gard, 1951) 4.5.6.3. Emplois dits « modaux » : Futur antérieur de
conjecture et de bilan
Ce fut comme un coup de foudre. Cependant elle répliqua d’un air naturel :
– Ah ! sans doute elle aura oublié mon nom ? (G.
Flaubert, 1857)
– Une quoi ?
– Une enquête. Pour retrouver l’ignoble matou errant qui aura profité de
ce que notre chère belle grande fille allait faire une innocente petite
promenade pour la violer. Parce qu’il y a eu viol. (R. Forlani, 1989)4.5.6.4. Le Futur antérieur et la médiativité
Eh bien ! mes fistons, d’ici à quelques jours, j’amènerai monsieur
Schmucke à vous vendre sept ou huit tableaux, dix au plus ; mais à deux
conditions : la première, un secret absolu. Ce sera monsieur Schmucke qui
vous aura fait venir, pas vrai, monsieur ? ce sera monsieur
Rémonencq qui vous aura proposé à monsieur Schmucke pour acquéreur.
Enfin, quoi qu’il en soit, je n’y serai pour rien. (H. de Balzac, 1847.
In : Azzopardi & Bres 2011 : 69)
– Qu’est-ce qui se passe ?
Subinagui baisse le nez.
– J’aurais préféré que vous ne me posiez pas la question mais elle est
inévitable.
Il réfléchit et annonce brutalement :
– Votre père a été arrêté hier après-midi dans une rafle et conduit à l’hôtel
Excelsior.
Tout se met à tourner, la Gestapo aura été plus forte que l’armée du
tsar, elle se sera finalement emparée du père Joffo. (J. Joffo,
1973)4.5.6.5. Formations phraséologiques
– dans la dépendance d’un verbe modal ou d’opinion (devoir, croire,
supposer) ;
– en relation avec certains indéfinis, comme quelqu’un, quelque chose,
quelque (cf. quelqu’un l’aura vu, elle aura entendu quelque
bruit).
– avec des constructions ou des expressions signifiant la comparaison, la
superlativité ou l’exclusivité (cf. c’est ça qui aura coûté le plus cher,
ça n’aura pris que très peu de temps, il n’aura été question que de
cela). Cette association est due au fait que, comme indiqué plus haut, la
variante de bilan se double souvent d’une valeur de parfait d’expérience ;
– avec certains verbes, en particulier être, falloir et suffire
(cf. l’année 2019 aura été la meilleure, il aura fallu une semaine pour...,
une semaine n’aura pas suffi pour...) ;
– en association avec des adverbes de fréquence, comme rarement, jamais,
souvent. Cette association est due au fait que la variante de bilan se
double souvent d’une valeur de parfait d’expérience ;
– dans des énoncés négatifs (cf. ça n’aura pas trainé, nous n’aurons
pas attendu longtemps) ;
– dans des tours plus ou moins figés de la forme avoir + tout +
vu / entendu, particulièrement fréquents avec le pronom on
comme sujet : on aura tout vu, on aura tout entendu, on
aura tout dit.4.5.7. Références bibliographiques
4.6. Le Conditionnel passé4.6.1. Introduction
4.6.2. Conditionnel passé processif vs
résultatif
4.6.2.1. Conditionnel passé résultatif
Visée perfective
Visée imperfective
r0⊂S
r0⊂S
r1
r1
R>r1
R>r1
E E
R=e
R⊂e
– que la localisation de E1, borne initiale du procès, a pour seule
contrainte d’être antérieure à E2. Elle est donc libre par rapport à
r1.
Figure 22. – Chronogramme du Conditionnel passé résultatif
avec visée perfective sur l’état résultant
– que la localisation de E, intervalle du procès, n’a pas d’autre contrainte
que d’être antérieure à [e1–e2]. Sa localisation par
rapport à r1 est donc libre.
Figure 23. – Chronogramme du Conditionnel passé résultatif
avec visée imperfective sur l’état résultant4.6.2.2. Conditionnel passé processif
r1
r2>r1
R
R=E
Figure 24. – Chronogramme du Conditionnel passé processif4.6.3. Conditionnel passé à valeur de parfait d’expérience
– Ça m’étonnerait, dit le flicmane.
– Et pourquoi ça ? Pourquoi que je vous aurais pas déjà vu
quelque part ? (R. Queneau, 1959)4.6.4. Emplois
[médiatif]
[modal]
[ultérieur] x [médiatif]
[médiatif] x [modal]
[ultérieur] x [médiatif] x [modal].4.6.4.1. [ultérieur]
4.6.4.2. [médiatif]
Mais selon nos informations, une inversion de traitements pourrait avoir
déclenché la baisse des fonctions vitales de cette patiente. Une infirmière aurait
ainsi échangé par erreur les médicaments à administrer à deux personnes.
(LaDépêche.fr, 26.04.2019)4.6.4.3. [modal]
– la seconde, à inférer de cette conjecture une ou plusieurs conséquences.
J’aurais voulu savoir est ce qu’il est possible de charger une batterie
d’un appareil photo Lumix en le branchant avec un fil USB sur un ordinateur
[...] ? (Forum internet, 13.06.2010)
[Note 67]4.6.4.4. [ultérieur] x [médiatif]
4.6.4.5. [médiatif] x [modal]
4.6.4.6. [ultérieur] x [médiatif] x [modal].
4.6.5. Conditionnel passé et Plus-que-parfait du subjonctif
– ≈ ‘(selon une rumeur) une infirmière a/aurait échangé les
médicaments’
– une infirmière aurait échangé les médicaments (que ça n’aurait étonné
personne)
– (en cas de nécessité), une infirmière aurait échangé les médicaments
En cas de nécessité, une infirmière eût échangé les médicaments.4.6.6. Références bibliographiques
4.7. Les temps prospectifs
4.7.1. Les formes en « aller + VINF »
(Suit la réplique de la duchesse. – J. Anouilh, 1965, didascalie)4.7.2. Le Présent prospectif
4.7.2.1. Phase pré-processive (préparatoire) et phase processive
Une opération est toujours un moment important dans la vie d’un enfant. En
effet, il doit quitter le cadre sécurisant de la maison et des habitudes,
pénétrer dans des lieux étranges et côtoyer des inconnus. Mais cela peut être
aussi une expérience positive [...] (Site sparadrap.org, 2020)4.7.2.2. Visées aspectuelles
– S⊂e
– R=S
– e
Figure 25 : Chronogramme du Présent prospectif
désignant la phase pré-processive
Figure 26 : Chronogramme du Présent prospectif désignant la phase processive
(visée aspectuelle imperfective)
Figure 27 : Chronogramme du Présent prospectif désignant la phase processive
(visée aspectuelle perfective)4.7.2.3. Futur vs Présent
prospectif désignant la phase processive
4.7.2.4. Emplois d’univers et emplois « illustratifs »
4.7.2.5. Emplois narratifs et directifs
il naît dans un milieu modeste à Valenciennes/ son père est maçon/ sa mère est
dentelière/ [...] il se trouve que le père Carpeaux décide d’aller à Paris pour
trouver un autre travail/ et que là Carpeaux va intégrer ce qu’on
appelle la Petite école donc qui est l’école gratuite de dessin/ [...] et il va
se former/ [...] et il va euh obtenir une bourse de sa ville
natale/ là aussi c’est un phénomène classique/ [...] et euh Carpeaux va
intégrer euh l’École des Beaux-Arts mais [...] il va s’inscrire chez
Rude/ Rude qui est le grand sculpteur romantique/ hein [...] (France Culture,
20.08.2014, 5:37. Le signe ‘/’ note une intonation montante)
Messieurs\ exercice suivant/ vous allez tous venir s’il vous
plait par là/ et vous allez vous aligner le long de la barrière/ donc on
va faire\ vous allez vous mettre face à moi/ les deux
mains sur la barre/ il va falloir soulever le poids du corps à la force
des bras\ vous allez mettre les bras tendus/ sur la barre/ vous allez
retenir la descente du poids du corps sans toucher par terre avec les
pieds/ allez on y va un deux trois quatre cinq six sept huit neuf dix/ stop on
relâche vous faites deux aller-retour en nageant dans la largeur\ (France-Inter,
7.09.2014, 9:26. ‘/’ note une intonation montante, ‘\’ une intonation
descendante)
4.7.3. Passé prospectif
4.7.3.1. Phase pré-processive (préparatoire) et phase processive
– J’allais justement te le proposer. (S. Beckett, 1952)
– allait s’être déplacé : phase processive de la phase
post-processive de se déplacer (ce qui est une façon indirecte de
désigner la phase post-processive de se déplacer).4.7.3.2. Visées aspectuelles
– r1
– r1⊂R
– R
– R⊂e
– e
Figure 28 : Chronogramme du Passé prospectif
désignant la phase pré-processive
Figure 29 : Chronogramme du Passé prospectif désignant la phase processive
(visée aspectuelle imperfective)
Figure 30 : Chronogramme du Passé prospectif désignant la phase processive
(visée aspectuelle perfective)
Encore quelques minutes et la fête, commencée sous d’aussi heureux auspices, allait
se résoudre en un deuil immense ; les coquettes petites boutiques allaient
devenir autant de tombeaux pour les nobles dames qui les tenaient, les
cadavres allaient s’amonceler sur l’emplacement des élégants salons où
avaient défilé, depuis midi, tant de gens heureux d’apporter leur obole aux
pauvres, tant de douces créatures qui n’avaient vu dans cette kermesse qu’une
nouvelle occasion de faire le bien. (Le Matin, 5 mai 1897)4.7.3.3. Conditionnel vs
Passé prospectif désignant la phase processive
4.7.3.4. Emplois « illustratifs »
4.7.3.5. Passé prospectif et expression de la médiativité
4.7.4. Références bibliographiques
5. En guise de conclusion
6. Bibliographie
6.1. Études contrastives ou typologiques incluant le français
6.2. Publications citées
6.3. Numéros de revues consacrés à l’aspectologie et la sémantique verbale
– no 99, 1998 : Temps et discours (Sv. Vogeleer,
A. Borillo, C. Vetters & M. Vuillaume, éds)
Depuis 1996. Catalogués parfois comme revue, parfois comme série. Tous
les numéros sont consacrés à la sémantique verbale et temporelle.
Editeurs : Amsterdam : Rodopi. A partir de 2016 : Leiden/Boston:
Brill.
– Liste des numéros parus et tables des matières consultables sur le site
internet : https://brill.com/view/serial/CCHR
– no 25, 2003 : Temporalité et causalité (J.
Moeschler, éd.)
– no 19, 1992 : Le passé composé
– no 29, 1997 : Le système verbal selon G. Guillaume :
lectures critiques
– no 32, 1999 : L’imparfait dit narratif. Langue, discours
(J. Bres, éd.)
– no 47, 2006 : Aspectualité, temporalité, modalité (J.
Bres & A. Patard, éds)
– no 65, 2015 : Les périphrases verbales dans les langues
romanes (S. Azzopardi & S. Sarrazin, éds)
– no 61/3, 2016 : Future temporal reference in
French / La référence temporelle au futur en français
– no 16, 1978 : Quelques aspects de l’aspect (D.
Clément & B.-N. Grünig, éds)
– no 2, 1997 : Sémantique des catégories de l’aspect
et du temps
– no 3, 1999 : Quantification, temps, aspect
– no 4, 2001 : Sémantique des catégories de l’aspect
et du temps
– no 5, 2003 : Sémantique des catégories de l’aspect
et du temps
– no 33, 2009 : Le futur (C. Chauvin, L.
Danon-Boileau, C. Delmas, R. Mir-Samii, M.-A. Morel & I. Tamba, éds)
– no 40, 2012 : Ultériorité dans le passé, valeurs
modales, conditionnel (J. Bres, S. Azzopardi & S. Sarrazin, éds)
– no 139, 2002 : Les verbes : de la phrase au
discours (J. David & E. Laborde-Milaa, éds)
– no 38, 1988 : Temps verbaux et temporalité
– no 25/2, 2015 : Les marqueurs de temps, aspect et
modalité en diachronie (W. De Mulder & A. Patard, éds)
– no 64, 1981 : Le temps grammatical (R. Martin
& F. Nef, éds)
– no 112, 1993 : Temps, référence et inférence
(J. Moeschler, éd.)
– no 135, 1999 : Les auxiliaires :
délimitation, grammaticalisation et analyse (H. Bat-Zeev Shyldkrot, éd.)
– no 149, 2003 : Participe présent et gérondif
(T. Arnavielle, éd.)
– no 67, 1985: La pragmatique des temps verbaux (C.
Vet, éd.)
– no 97, 1993: Temps et discours, étude de psychologie du
langage (J.-P. Bronckart, éd.).
– no 100, 1993: Temps
et aspect dans la langue française (J. Guéron, éd.)
– no 138, 2003: Temps et co(n)texte (J. Bres, éd.)
– no 153, 2007 : Le classement syntactico-sémantique
des verbes français (J. François, D. Le Pesant & D. Leeman, éds)
– no 173, 2012 : Modalité et évidentialité en
français (C. Barbet & L. de Saussure, éds)
– no 200, 2018: Du conditionnel (J. Bres, éd.)
– no 201, 2019: Le futur antérieur (L. Abouda & D.T. Do-Hurinville, éds)
– no 213, 2022: Les périphrases verbales: de la morphosyntaxe à la sémantique (L. Gosselin & T. Bertin, éds)
– no 22, 2015 : Aspectualité et modalité lexicales (T. Milliaressi & S. Vogeleer, éds).
– no 77, 2018 : Regards croisés sur le futur en
français et dans différentes langues romanes (S. Azzopardi & E.
Oppermann-Marsaux, éds)
– no 100, 1998 : Les temps verbaux
– no 5, 1980 : La notion d’aspect (J. David, R.
Martin, éds)
– no 25, 2001 : Le conditionnel en français (P.
Dendale & L. Tasmowski, éds)
– no 38, 2015 : Le futur (L. Abouda & S.
Azzopardi, éds)
– no 16, 2015 : La catégorie TAM (temporalité –
aspectualité – modalité) en français et à travers les langues (T. Ruchot,
éd.)
– no 19, 2018 : La grammaticalisation des
périphrases en aller et venir dans les langues romanes (E. Labeau & J.
Bres, éds)
– no 19, 1989 : Généricité, spécificité et aspect
(M. Wilmet, éd.)
– no 39, 1999 : Temps verbaux et relations
discursives (W. De Mulder & C. Vet, éds)
– no 40, 2000 : Le présent (C. Benninger, A.
Carlier & V. Lagae, éds)
– no 45, 2006 : Temps, description et interprétation
(L. de Saussure & P. Morency, éds)
– no 51, 2009 : Temps, discours, argumentation
(P. Morency, éd.)
– no 16/4, 1993 : Les aspects dans le discours
narratif, I (J. François, éd.)
– no 17/1, 1994 : Les aspects dans le discours
narratif, II (J. François, éd.)
– no 22/3, 2000 : Autour du futur (C. Benninger,
V. Lagae & A. Carlier, éds)
– no 23/4, 2001 : Sémantique des verbes. Nouvelles
approches (J.-E. Tyvaert, éd.)
– no 29/1-2, 2007 : Verbes et classes sémantiques
(A. Grezka & F. Martin-Berthet, éds)
– no 30/2-3, 2008 : Regards croisés sur l’aspect
(D. Apothéloz, M. Nowakowska, éds)
– no 39/1, 2017 : Quand les temps verbaux font
système (D. Apothéloz & C. Vetters, éds)Notes
La direction prétend que j’aurais empêché les véhicules de service de
rentrer et de sortir d’un site (L’Humanité, 10.09.2009).
Toutefois, le caractère polémique de ce type de formulation ne provient pas du
Conditionnel mais d’autres indices (ici, du présupposé attaché au verbe prétendre),
et souvent également du fait que l’énoncé est exclamatif (et ponctué comme tel
à l’écrit). Faire de ce type d’exemple un « emploi » s’avère donc peu
utile. Sur cette question, voir Abouda (2001), qui exprime lui aussi son
scepticisme quant à la nécessité d’en faire un emploi spécifique.