>Page pers. M. Dargnat
(09-2024)
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Pour citer cette notice:
Dargnat (M.), 2024, "Les particules énonciatives", in Encyclopédie grammaticale du français,
en ligne: encyclogram.fr
DOI: https://nakala.fr/10.34847/nkl.********
Les exemples extraits de corpus comportent la référence des données entre crochets. Les exemples non référencés sont des exemples construits. Les renvois bibliographiques sont donnés par ordre alphabétique et non chronologique. Certains aspects du domaine ayant fait l’objet d’un nombre très important de publications, les listes et les renvois ne visent pas l’exhaustivité.
1. Introduction.
Dans cette notice, les particules énonciatives (désormais PÉN) relèvent du domaine plus large des marqueurs discursifs (désormais MD), qui comptent aussi les connecteurs.
Les MD sont généralement présentés comme une classe fonctionnelle agissant au niveau du discours, plus précisément comme un ensemble d’éléments dont la fonction principale est de contribuer à l’organisation du discours ou à la construction d’une image du locuteur dans son interaction discursive. Ainsi vus, les MD ne constituent pas une catégorie grammaticale traditionnelle comme les noms, les adjectifs, les verbes, etc. dont les propriétés syntactico-sémantiques et distributionnelles sont habituellement évaluées à l’échelle de l’unité prédicative. C’est par exemple la position de Dostie et Pusch (2007 : 4), Fernandez (1994 : 10-12), Hansen (1998a : 66, à paraître) ou dernièrement Anscombre (2024).
Toutefois, la possibilité d’une catégorisation grammaticale des MD est parfois avancée. Par exemple, dans une perspective comparatiste et dans le cadre théorique culiolien, Paillard (2011 : 4,7) défend l’idée que les MD sont une catégorie au même titre que les catégories traditionnelles et qu’il est possible d’en proposer une typologie sur la base du partage de propriétés sémantiques, formelles – y compris prosodiques – et distributionnelles. Il aboutit ainsi à six classes : 1) les MD de point de vue ; 2) les MD catégorisants ; 3) les MD écrans ; 4) les MD particules ; 5) les MD « vouloir dire » ; 6) les MD intersubjectifs. Il les étudie en comparant le français, le khmer, le russe et le vietnamien. La linguistique énonciative culiolienne permet d’intégrer à la sémantique des propriétés que d’autres déclareraient comme pragmatiques. Cela soulève la question plus complexe des paramètres de catégorisation des éléments de la langue (voir la >Notice « Catégories »).
Ici, nous adoptons la position, a priori majoritaire, qui n’attribue pas aux MD le statut global de catégorie grammaticale. Par ailleurs, nous n’excluons pas les expressions, qui, dans certains de leurs emplois, contribuent au contenu propositionnel (par exemple, des conjonctions de subordination causales, temporelles, conditionnelles, comme parce que, quand, si, etc. et des adverbes temporels comme ensuite, après, en même temps, alors, etc.).
À un niveau général, les MD peuvent être perçus comme des expressions invariables, simples ou complexes, utilisées pour donner des instructions d’interprétation dans un contexte donné. C’est en cela qu’on leur attribue une signification procédurale (cf. Blakemore 2002 ). Les connecteurs incluent des formes comme alors, après que, bien que, c’est-à-dire, donc, en plus, mais, pourtant, etc. (pour une liste, voir par exemple Rossari 2021, Roze 2009 et Roze et al. 2012 ). Les PÉN incluent des expressions ou des constructions qui manifestent des états psychologiques du locuteur, dont la classe traditionnelle des interjections comme ah, hein, oh, zut, etc., des expressions qui impliquent l’interlocuteur comme tu vois, n’est-ce pas, oui, d’accord, etc., et d’autres expressions ou constructions plus diverses comme alors, bon, disons, là, merde, nom de Dieu, quoi, tiens, tu parles, voilà , etc. (pour une liste indicative, voir Dargnat 2021, 2023 et document annexe de cette notice, section 6). La classe des PÉN est donc plus large que celle des interjections. La présente notice vient à côté ou en complément de la notice « Interjections » >Notice .
La « portée » sémantique et syntaxique du MD et le type d’instruction qu’il véhicule sont variables et ce sont ces variations qui permettent de distinguer différents types de fonctionnement. Ces fonctionnements ne sont pas exclusifs et il est courant de parler de polyfonctionnalité des MD. L’attention se porte ici sur le fonctionnement comme PÉN, et principalement sur les propriétés sémantico-pragmatiques en synchronie ( des compléments ou des mises à jour seront à prévoir pour intégrer des travaux très récents ou des développements de perspectives ou de dimensions mentionnées trop rapidement). L a littérature et les étiquettes étant assez fluctuantes, il n’est pas inutile de pointer d’abord les propriétés récurrentes dans un ensemble de travaux toujours grandissant sur les MD en général.
La notice est organisée en cinq sections en plus de l’introduction.
La section 2 délimite le domaine d’étude. La section 2.1 rappelle l’hétérogénéité des critères définitoires généralement avancés pour le « recrutement » des MD. La section 2.2 met en évidence les propriétés communes à la classe générale des MD et pointe les différences entre connecteurs et PÉN en insistant sur l’indexicalité (2.2.1), la contribution à l’interprétation du discours (2.2.2) et la relation (discutée) au contenu propositionnel (2.2.3).
La section 3 se focalise sur les PÉN et propose une étude plus fine de certaines des propriétés développées dans la section 2. Nous insistons en particulier sur les éléments pouvant fonctionner comme PÉN (section 3.1), certaines propriétés syntaxiques et sémantico-pragmatiques (section 3.2), en particulier la question de la dépendance syntaxique et sémantique de type adjonction et modification (section 3.2.1), la place de la PÉN dans le segment associé (section 3.2.2), la « non-déplaçabilité » et l’absence d’« effet local » (section 3.2.3) et les possibilités combinatoires (section 3.2.4). La section 3.3 mentionne quelques problèmes ouverts : le rapport à l’illocutoire (section 3.3.1), les cas où la distinction entre connecteur et PÉN n’est pas aisée (section 3.3.2) et la place de la diachronie (section 3.3.3).
La section 4 constitue un bilan des éléments les plus importants mentionnés dans les sections précédentes (section 4.1) et propose quelques ouvertures (section 4.2).
La section 5 comporte une liste d’une dizaine de références jugées significatives (section 5.1) et la liste des références utilisées (section 5.2).
La section 6 est un document annexe.
2. Délimitation du domaine.
2.1. Problèmes définitionnels et terminologiques
Les différences terminologiques peuvent constituer un écueil, car elles ne se laissent pas réduire à un simple problème d’école ou de tradition. Les approches et les étiquettes ne sont pas toutes superposables ni même comparables. Un rapide sondage des publications sur le sujet fait apparaître la multiplication des approches depuis les années 1970, avec une accélération les trente dernières années, qui peut produire un effet de « saturation » et de « surenchère » (Dostie). Le corollaire de cette diffusion est l’explosion des termes utilisés.
Il n’est en effet guère d’étude sur le sujet – la présente notice n’y échappe pas – qui ne fasse mention de la difficulté de produire un état de l’art exhaustif, une acception et une liste d’éléments claires et définitives. En parcourant un certain nombre de travaux, on recense facilement une vingtaine de termes en français et plus d’une quarantaine en anglais (Dér 2010). Sur ce point, voir les synthèses de Aijmer (2013), Anscombre et al. (2013-2018), Brinton (2017), Dostie (2004), Dostie & Pusch (2007), Fischer (2006), Foolen (1996), Hansen (1998a), Métrich et al. (1998-2002), Schiffrin (1987), Shourup (1999), etc.Les présentations des ouvrages récents, généralistes ou ciblés, sont aussi très utiles pour « prendre le pouls du domaine » (Dostie & Pusch 2007 : 6), car elles constituent une mise à jour permanente, de plus en plus spécialisée selon les facettes et les items étudiés. Voir par exemple la partie définitoire dans Aijmer & Simon-Vandenbergen (2011), Anscombre (2024), Andersen & Fretheim (2000), Beeching (2016), Crible & Degand (2019), Dargnat (2023), Dér (2010), Denturck (2008), Diewald (2013), Fraser (2009), Ghezzi & Molinelli (2014), Ghezzi (2014), Hansen & Visconti (à par.), Heine (2013), Jucker & Ziv (1998), Kahane & Mazziotta (2015), Lopez Villegas (2019), Petit (2010), Reaves (2023), Stede & Schmitz (2000), Traugott (2007), etc.
Dans ce tourbillon terminologique et conceptuel, se trouvent pêle-mêle des étiquettes générales comme mots du discours (Ducrot et al. 1980 ), petites marques du discours (Brémond 2002 ), mots du dire (Paillard 2011 ), mots de la communication (Métrich et al. 1998-2002, signaux du discours (Holmes 1986 ), ou en apparence plus spécifiques comme ponctuants (Vincent 1993), ligateurs énonciatifs (Morel & Danon-Boileau 1998), pragmatèmes (Badiou-Monferran & Buchi 2012, Hansen à paraître, Fléchon et al. 2012), déictiques du discours (Levinson 2004), etc. Les termes les plus fréquents sont incontestablement marqueur, connecteur et particule et leurs équivalents en anglais. Certains auteurs en emploient plusieurs, simultanément ou à diverses étapes de leur réflexion, pour les opposer ou en faire des équivalents, comme le montre le tableau 1 ci-dessous :
Marqueurs | discursifs | Aijmer 2002, Anscombre 2024, Blakemore 2002, Chanet 2003, Dargnat 2023, Dostie 2004, Fraser 1999, 2009, Hansen 1998a, Kahane & Mazziotta 2015, Lefeuvre & Dostie 2017, Paillard 2011, 2021, Ranger 2018, Reaves 2023, Rodriguez Somolinos 2011, Schiffrin 1987, Schourup 1999, Traugott 2007, Waltereit 2001, 2007, Winterstein 2010, etc. |
pragmatiques | Aijmer 2013, Aijmer & Simon-Vandenbergen 2011, Beeching 2016, Brinton 1996, 2017, Dostie 2004, Fraser 1999, 2009, etc. | |
de structuration de la conversation | Auchlin 1981 | |
Particules | discursives | Abraham 1991, Aijmer 2002, Dargnat 2021, Fischer & Drescher 1996, Fischer 2000, 2006, Hansen 1998a, Wilson & Sperber 1993, Stede & Schmitz 2000, Vincent 1993, etc. |
de la modulation | Koch & Österreicher 2001 | |
énonciatives | Dargnat 2020, 2023, Fernandez-Vest 1994, Paillard 2011, etc. | |
pragmatiques | Abraham 1991, Beeching 2002, Foolen 1996, Östman 1981, 1995 | |
métacommunicatives | Vincent 1993 | |
connectives | Gülich 1970, Métrich et al. 1998-2002 | |
modales | Detges & Waltereit 2016, Diewald 2013, Hansen 1998a, Métrich et al. 1998-2002, Traugott 2007, Waltereit 2001, etc. | |
Connecteurs | textuels | Dostie 2004, Riegel et al. 2009, etc. |
de discours | Wilson & Sperber 1993, 2012, Blakemore 1987, 1992 (discourse connectives) | |
pragmatiques | Berrendonner 1983, Roulet 1987, Ducrot & Anscombre 1997 [1983], Vázquez Molina 2016, etc. | |
argumentatifs | Ducrot 1983, Anscombre & Ducrot 1997 [1983], etc. | |
phatiques | Davoine 1980, Bazzanella 1990 | |
adverbes | Métrich et al. 1998-2002 (adverbes connecteurs) |
Tableau 1. Liste indicative de termes utilisés pour désigner les MD
L’étiquette particule énonciative est déjà utilisée par Fernandez-Vest pour désigner les « manifestations verbales » de l’ancrage des « messages du locuteur dans ses attitudes (/sentiments). » (Fernandez-Vest 1994 : 5). L’acception est ici un peu plus large puisqu’elle inclut aussi la gestion de l’interaction. Nous avons choisi le terme particule pour insister sur la caractère figé et lexicalisé des expressions, mais il n’implique pas nécessairement que ces expressions soient monosyllabiques.
Au-delà des variations terminologiques, la question centrale est de savoir si l’on peut identifier des propriétés communes à tout ce qui est présenté comme MD. À ce stade, la réponse semble être négative. Tout au plus, les listes de propriétés identifient des éléments fréquents, parfois vagues et clignotants, qui dessinent des emplois prototypiques avec des propriétés centrales et des propriétés moins robustes. Ce point est illustré avec trois approches qui se complètent et/ou se nuancent.
2.1.1. L’approche de L. J. Brinton
La liste de propriétés proposées par Brinton en 1996 (reprise en 2017), même si elle est discutée, est souvent citée et fait office de référence. Le tableau 2 ci-dessous reproduit la présentation des propriétés selon cinq grands domaines ou dimensions de la description linguistique.
Phonological and lexical characteristics | |
---|---|
a | Pragmatic markers are often « small » items, although they may also be phrasal or clausal; they are sometimes phonologically reduced. |
b | Pragmatic markers may form a separate tone group, but they may also form a prosodic unit with preceding or following material. |
c | Pragmatic markers do not constitute a traditional word class, but are most closely aligned to adverbs, conjunctions, or interjections. |
Syntactic characteristics | |
d | Pragmatic markers occur either outside the syntactic structure or loosely attached to it. |
e | Pragmatic markers occur preferentially at clause boundaries (initial/final) but are generally movable and may occur in sentence-medial position as well. |
f | Pragmatic markers are grammatically optional but at the same time serve important pragmatic functions (and are, in a sense, pragmatically non-optional). |
Semantic characteristics | |
g | Pragmatic markers have little or no propositional/conceptual meaning, but are procedural and non-compositional. |
Functional characteristics | |
h | Pragmatic markers are often multifunctional, having a range of pragmatic functions. |
Sociolinguistic and stylistic characteristics | |
i | Pragmatic markers are predominantly a feature of oral rather than written discourse; spoken and written pragmatic markers may differ in form and function. |
j | Pragmatic markers are frequent and salient in oral discourse. |
k | Pragmatic markers are stylistically stigmatized and negatively evaluated, especially in written or formal discourse. |
l | Pragmatic markers may be used in different ways and in different frequencies by men and women. |
Tableau 2. Liste des propriétés des marqueurs discursifs chez Brinton (1996, 2007)
On remarquera que les propriétés sont générales et modalisées, graduées ou nuancées. Il n’est en fait pas facile de trouver une affirmation stricte, ni une hiérarchie qui permettraient de dire avec certitude qu’un item qui présenterait ces propriétés – toutes ou quelques unes seulement – serait un MD. Certains traits sont par ailleurs régulièrement discutés, comme l’optionnalité (f) ou le genre (l). Dér (2010), Aijmer & Simon-Vandenbergen (2011) reprennent explicitement toutes les propriétés listées par Brinton, les reformulent parfois et les discutent. Chez d’autres, comme Shourup (1999), ou plus récemment Heine (2013), la liste est plus restreinte, mais elle soulève des problèmes de fond analogues.
2.1.2. L’approche de L. Schourup
Dans un article de 1999, Schourup utilise le terme « marqueur de discours » (discourse marker). Six propriétés sont avancées : la connectivité, l’optionnalité, la condition de non-vériconditionnalité, l’initialité, l’oralité, et la multicatégorialité. On insistera ici plus spécifiquement la connectivité, car elle est absente chez Brinton. La connectivité renvoie au fait que les MD établissent une relation entre deux unités de discours. L’auteure passe en revue différentes approches (Fraser, Blakemore, Schiffrin, Hansen) et montre une conception restreinte et une conception large de la connectivité, qui rejoint la question de la définition de l’unité de discours et du type de contexte.
Concernant la conception restreinte, on pense d’abord aux définitions textuelles des MD, typiquement celle de Fraser, pour qui les marqueurs de discours sont essentiellement des connecteurs au sens traditionnel, qui signalent une relation entre le segment de discours dans lequel ils figurent et un segment précédent. Chez Fraser, les segments de discours sont nécessairement réalisés (propositions, phrases, énoncés ou messages) et le marqueur fonctionne comme « a two-place relation, one argument lying in the segment they introduce, the other lying in the prior discourse » (Fraser 1996 : 86 et 1999 : 938). Dans la même logique restreinte, mais au niveau de la conversation, Schiffrin (1987) définit aussi les MD comme agissant au niveau de la linéarité textuelle. Ce sont des items relateurs dépendant de segments de discours (« units of talk ») antérieurs ou postérieurs. Son attention se porte en particulier sur une définition large de unit of talk, et au fait qu’elle ne se réduit pas à une unité syntaxique de type phrase ou proposition (cf. Schiffrin 1987 : 31, 37).
Schourup associe la conception large à Blakemore (1987, 1992) et Hansen (1997), pour qui la relation en jeu ne concerne pas forcément des segments textuels, précédant ou suivant le MD. Celui-ci peut tout à fait établir une relation sémantique entre un segment de texte et un élément autre, qui n’est pas un événement linguistique, mais un événement du contexte situationnel, via un système d’inférence : « By context we mean the beliefs and assumptions the hearer constructs for the interpretation of an utterance either on the basis of her perceptual abilities or on the basis of the assumptions she has stored in memory or on the basis of her interpretation of previous utterances. » (Blakemore 1992 : 87). Cette perspective, qui élargit le contexte au processus cognitif, est importante pour comprendre la polyfonctionnalité de certains MD qui peuvent fonctionner comme connecteurs et PÉN, et pour appréhender les différents usages (voir également plus bas, la section 3.3.2, ainsi que les remarques sur les exemples (4) et (53)).
2.1.3. L’approche de Heine
Dans un article de 2013, Heine utilise également le terme discourse marker. Il cible une définition prototypique en discutant cinq critères, déjà présents chez Brinton :
a. They
[discourse markers] are syntactically independent from their environment.
b. They are typically set off prosodically from the rest of the
utterance.
c. Their meaning is non-restrictive.
d. Their meaning is procedural rather than conceptual-propositional.
e. They are non-compositional and as a rule short. (p. 1209)
c) et d) soulèvent des problèmes sémantiques centraux. Par non-restrictive meaning, l’auteur entend que les MD ne contribuent pas au contenu d’une proposition, mais qu’ils indiquent une position du locuteur par rapport au discours en cours de développement. Cette idée repose sur l’interface syntaxe-sémantique : le sens d’un élément est dit restrictif quand il procède de la composition sémantique et syntaxique à l’intérieur d’une phrase ; le sens d’un élément est dit non restrictif quand ce n’est pas le cas. Par exemple, en (1) :
(1) A – Qu’est-ce que ton ami a dit ?
B – Ben, je ne l’ai pas très bien compris.
Dans la réponse, bien est dit restrictif, car son sens d’adverbe de manière est contraint par sa fonction dans la proposition. En revanche, ben est dit non restrictif, car il ne contribue par au contenu propositionnel « je ne l’ai pas très bien compris ». Cela permet à Heine de réfléchir à la fonction de tels mots, qu’il qualifie de thetic – il faut comprendre thetical comme une réduction de parenthetical (Heine 2013 : 1215, note 20), en relation avec le cadre de la Thetical Grammar (Kaltenböck et al. 2011). La fonction de ces mots n’est pas une fonction syntaxique au sens restreint, et leur sens n’est pas conceptuel. Ils ne contribuent pas au contenu vériconditionnel du segment de discours auquel ils sont associés. Ils servent plutôt à relier l’énoncé correspondant à la situation du discours, et, chez Heine, en particulier à la situation d’interaction locuteur/auditeur, aux attitudes du locuteur, et/ou à l’organisation textuelle. Ce « saut » discursif l’amène à reprendre le concept de procédural, associé à la théorie de la pertinence (Sperber & Wilson 1995 [1986]), en particulier depuis les travaux de Blakemore (1987, 2002). Pour simplifier, dire que les MD ont une signification plutôt procédurale revient à dire qu’ils sont d’abord des donneurs d’instruction, plutôt que des représentations conceptuelles. Par exemple, dans (2), donc donne l’instruction à l’interlocuteur/lecteur de rechercher une proposition dont « il connaît la combinaison » puisse être dérivée.
(2) Ben peut ouvrir le coffre de Tom. Donc il connaît la combinaison (d’après Blakemore 2002 : 95).
Et ci-dessous dans (3), bon donne l’instruction à l’interlocuteur A que le locuteur B considère la fin d’un processus en cours (les réponses précédentes de A) et qu’il passe à autre chose.
(3) A – Alors, euh... si elles
savent bien leurs tables elles auraient pas besoin de :
B – mm
A – (Silence)
B – bon on va aborder un autre thème là [codim-FRA80]
Nous pourrions citer d’autres travaux et présenter d’autres recensements de propriétés qui insistent davantage sur certains aspects et aboutissent à des typologies variables. Dans la plupart des cas, on remarque que deux types de propriétés ont une place de choix : des propriétés que l’on peut dire formelles et des propriétés sémantico-pragmatiques, qui sont en général détaillées et approfondies séparément, notamment sur la base d’exemples en contexte.
Doit-on conclure de ce rapide inventaire qu’il n’est pas possible d’identifier une classe générale des MD ? L’hétérogénéité des critères avancés et la difficulté de cibler ceux qui seraient spécifiques à une hypothétique classe générale MD poussent même certains linguistes à mettre en cause la possibilité d’une classification globale robuste. Voir par exemple Nølke (1993 : 133), Kerbrat-Orecchioni (2005 : 49) ou Johnsen (2019 : 277).
Ici, nous nous situons à un niveau plus général, qui cherche à dégager de grandes orientations. Premièrement, la littérature fait apparaître trois fonctions possibles pour ce qui est appelé MD : 1) une fonction de marquage de relations de discours, 2) une fonction de manifestation d’états internes du locuteur (épistémique, attentionnel et affectif), 3) une fonction interactive. Deuxièmement, les MD sont conventionnellement des indexicaux, dans le sens où ils pointent vers des référents à reconstruire en fonction du contexte. C’est ce qui est reconnu plus ou moins explicitement dans les descriptions de détail proposées pour différents MD. Pour les MD dits connecteurs, leur fonction même invite à trouver les éléments à connecter, qu’il s’agisse de propositions ou d’éléments de la situation. Pour les PÉN, ce sont des composants de leur situation d’énonciation qui sont visés.
On peut proposer de définir un MD comme une expression indexicale qui, en contexte, a au moins une des trois fonctions indiquées ci-dessus. En revanche, il ne paraît pas possible de construire une définition des MD purement décontextualisée, puisqu’on se heurte immédiatement au problème de l’ambiguïté pour certaines expressions (voir par exemple les emplois de bon, quoi, tu parles, merde, la preuve, etc.)
2.2. MD, connecteurs et PÉN
Parmi les MD, nous distinguons les MD connecteurs et les MD PÉN. Les connecteurs sont appréhendés comme des MD associés à une relation de discours (causalité, postériorité, finalité, contraste, élaboration, etc.) entre deux objets qui peuvent être des propositions, des actes de langage, des croyances ou des éléments de la situation. Cela n’implique donc pas que les « arguments » du connecteur soient forcément explicites, comme l’illustre l’emploi de pourtant ci-dessous :
(4) Contexte : A
glisse sur le sol devant un panneau « Attention sol glissant ». B se
précipite pour l’aider et se dit à lui-même :
Pourtant c’était bien indiqué !
C’est avant tout la construction d’une relation de discours compatible avec les éléments mis en relation et au moins une des valeurs du connecteur qui permet d’identifier et de distinguer les connecteurs des autres types de MD. Pour une typologie des relations de discours, nous renvoyons par exemple à la Théorie de la Représentation du Discours Segmentée (SDRT) (Asher & Lascarides 2003), à la Théorie de la Structure Rhétorique (RST) (Mann & Thompson 1988, Taboada & Mann 2006), au Penn Discourse Treebank (Webber et al. 2019) ou au Modèle de la Connectivité (Connectivity Model) (Renkema 2009).
Concernant les PÉN, nous nous inspirons de la catégorisation de Dostie (2004 : 46 sqq.) pour séparer plusieurs sous-classes. Ce que qui est appelé ici MD correspond chez Dostie (2004 : 46) à la classe générale des marqueurs pragmatiques, et ce que nous appelons PÉN correspond à ce qu’elle appelle marqueurs discursifs. Globalement, on distinguera les PÉN ayant un fonctionnement interactionnel et les autres, que Dostie analyse comme ayant un fonctionnement illocutoire. Dans cette perspective, la catégorie traditionnelle des interjections, en tant que faisant référence à l’état émotionnel du locuteur, relève du deuxième groupe.
À ce stade, nous proposons de retenir trois caractéristiques qui permettent de distinguer les MD en tant que famille, mais aussi de préciser la différence entre les deux sous-types de MD que sont les connecteurs et les PÉN. Ces caractéristiques sont : le rapport avec l’indexicalité (section 2.2.1), l’intervention dans l’interprétation du discours (section 2.2.2) et la possibilité d’intégration dans le contenu propositionnel (section 2.2.3).
2.2.1. Le rapport au contexte : l’indexicalité
Les MD en général sont des expressions qui, pour être interprétées, demandent conventionnellement que soit déterminé au moins en partie ce à quoi elles renvoient dans le contexte, linguistique ou situationnel. C’est en cela qu’on peut dire que les MD sont des expressions qui fonctionnent de manière indexicale, dans une perspective large qui correspond à la définition que donnent Cappelen et Lepore, à savoir : « indexicals are linguistics expressions whose meaning remains stable while their reference shifts from utterance to utterance » (2002 : 271).
Pour développer ce point, on peut partir de la distinction souvent utilisée en sémantique depuis Frege (1892) entre sens et référence. Appliquée au domaine des MD, le sens correspondrait aux conditions d’emplois du MD et la référence (ou le référent) à l’« objet » que l’on identifie, construit ou imagine pour satisfaire ces conditions d’emploi.
Le cas le plus classique et le plus simple est celui des MD connecteurs comme donc ou pourtant dans une structure « donc A » ou « pourtant A ». Pour interpréter ces connecteurs, il faut trouver ou imaginer un « objet » (un référent possible) dont A puisse être la conséquence ou auquel A puisse s’opposer. Dans les configurations les plus commodes à commenter, ce référent sera une proposition exprimée par un segment discursif dont la proposition exprimée par A peut être une conséquence (donc) ou à laquelle la proposition exprimée par A peut s’opposer (pourtant).
Dans le cas des PÉN, les référents possibles sont des variations cognitives du locuteur ou des aspects de l’interaction. Les conditions d’emploi sont tout ce qui permet de déterminer le type de variation cognitive ou d’aspect interactionnel correspondant à la PÉN. Ici, le fait de « renvoyer à », de « pointer vers » ou « d’avoir tel ou tel référent » n’implique forcément pas un acte intentionnel de « faire référence à ». C’est en cela que les PÉN ne correspondent pas complètement à l’approche frégéenne, dans laquelle le référent est le produit d’un acte intentionnel de « faire référence ». De ce point de vue, on peut estimer qu’il y a une frontière entre les connecteurs et les PÉN. Si l’on suit Berrendonner (1983), qui voit les connecteurs comme des anaphoriques, ces derniers demandent conventionnellement de trouver un objet dans le texte ou le contexte précédents, qui satisfasse les contraintes de la relation de discours associée au connecteur. Les PÉN quant à elles ne demandent rien a priori, elles manifestent. Toutefois, les PÉN n’excluent pas des usages contrôlés intentionnellement. Elles se présentent comme spontanées, irrépressibles et sincères, mais peuvent aussi être feintes et calculées. Ce point est revu de manière plus précise dans la section 3.2.1, qui concerne l’articulation entre les propriétés syntaxiques et le rôle sémantique des PÉN.
Le fonctionnement indexical est illustré maintenant par quelques exemples d’expressions : tu parles, donc, parce que et ah.
Pour les MD associés à un énoncé, cela contribue à rendre plus complète l’interprétation contextuelle de l’énoncé dans lequel ils se situent. Lorsque les MD sont employés seuls, ce qui n’est pas rare pour les PÉN, en particulier comme réponses dans un dialogue, ou comme réaction à une situation, l’identification de ce à quoi elles renvoient contribue à la compréhension de la réponse ou de la réaction. Par exemple, arriver à déterminer si, dans l’exemple (5) ci-dessous, tu parles ! renvoie à une attitude positive ou négative change l’interprétation de l’interaction et des enchaînements possibles, ce qui est illustré par le contraste entre B1 et B2.
(5) L’ancien Président Donald Trump vient d’échapper à un attentat.
A – Il a eu de la chance, hein ?
B1 – Tu parles ! Il aurait pu y rester. (=
je suis bien d’accord, il a eu de la chance)
B2 – Tu parles ! C’est un coup monté. (= je ne suis pas
d’accord, ce n’est pas de la chance)
Autre exemple : interpréter le connecteur donc comme porteur d’une relation de conséquence implique que l’on détermine une proposition dont le segment discursif qui contient donc puisse être envisagé comme une conséquence. Cette détermination semble parfois évidente, comme dans l’exemple (6) :
(6) Contexte :
un instituteur apprend à ses élèves la notion de polyèdre régulier et leur fait
manipuler des éléments géométriques que l’on peut assembler pour former de tels
polyèdres. Il désigne un polygone particulier, non régulier.
L’instituteur : Ce n’est pas un polygone
régulier (…) Donc avec ça on ne pourra pas faire un polyèdre régulier
[transcription d’un échange enseignant-élèves fourni par l’IUFM de Lyon à
l’occasion d’une journée d’études, 4 avril 2005]
Dans ce cas, donc fait référence à la proposition « Cet objet n’est pas un polygone régulier », qui émane directement de la phrase Ce n’est pas un polygone régulier et en tire la conséquence (mathématique) exprimée par la deuxième phrase (pour étude récente sur donc, voir Berrendonner, à par.)
Tous les cas sont loin d’être aussi simples. D’une part, les connecteurs peuvent enchaîner sur des contenus qui ne correspondent pas à un segment limité à un énoncé unique, mais par exemple à un paragraphe ou à un échange plus ou moins long. D’autre part, le type d’objet sémantique auquel un connecteur peut faire référence est variable, comme cela a été montré par Sweetser (1991), qui distingue trois « domaines » qu’un connecteur comme because peut mobiliser : les états de choses, les états de croyance et les actes de langage. On trouve une idée similaire développée pour l’analyse des relations de discours chez Redeker (1990) et plus récemment spécifiquement pour l’analyse des MD chez Crible & Degand (2019).
Un cas classique est celui de la justification des actes de langage, comme dans l’exemple (7) ci-dessous, où le maître demande aux élèves de faire silence. C’est ce qui est appelé un acte de langage directif dans la littérature (cf. directive acts chez Searle 1969). Le locuteur justifie cet acte par la proposition « Je vois qu’il y a des soucis » (cf. Debaisieux 2013 ou Torck 1996 pour parce que). Une paraphrase possible serait « Je vous demande de bien écouter parce que je vois qu’il y a des soucis ».
(7) Contexte : les enfants s’agitent.>
L’instituteur : Alors chut trente secondes on
écoute tous parce que je vois qu’il y a des soucis [même référence que
(6)]
Du point de vue de l’indexicalité, les PÉN font référence à un ou des aspects de la situation d’énonciation qu’elles « typent » ou « décrivent » d’une certaine manière. Cela peut être illustré par une interjection comme ah. Intuitivement, ah marque une variation émotionnelle vers la surprise, la satisfaction, le regret, etc., donc vers une large gamme d’émotions, ou une variation de l’attention si un objet, une situation ou une représentation mentale entre dans le champ d’attention du locuteur. La transition est présentée comme déclenchée par quelque chose et le locuteur prétend ne pas dire pas « ah ! » sans raison. Considérons l’exemple (8) :
(8) Contexte : l’instituteur rappelle qu’un
polyèdre régulier est un assemblage de polygones réguliers et leur demande de
choisir des polygones pour construire un polyèdre régulier.
ce sera facile euh puisque de toute façon dans le dans les boîtes
vous n’avez ah non vous n’avez pas que des polygones réguliers [même
référence que (6)]
Clairement, l’instituteur s’aperçoit ou se souvient qu’il n’y pas dans les boîtes que des polygones réguliers et exprime une surprise ou une variation intentionnelle. Bien qu’il mentionne explicitement la proposition « Il n’y pas que des polygones réguliers dans les boîtes », la description (vague) qu’il formule à travers le ah ne porte pas directement sur cette proposition mais sur sa propre prise de conscience. En d’autres termes, ce n’est pas l’état de choses objectif (le contenu des boîtes) mais sa prise de conscience qui constitue la variation émotionnelle ou intentionnelle. En (8), en utilisant ah, le locuteur manifeste qu’il est le lieu d’une variation intentionnelle ou émotionnelle (description). Dans cet exemple, le locuteur semble sincère et réellement surpris. Il est raisonnable de supposer qu’il y a un vrai phénomène cognitif chez l’instituteur, ce phénomène (la prise de conscience, pas l’état de choses) constituant le référent de la PÉN ah. Dans d’autres situations, il est beaucoup plus difficile de juger de l’existence du référent émotionnel, épistémique ou attentionnel. Un locuteur non sincère ou manipulateur peut tout à fait feindre la surprise ou une autre émotion (voir ce qui a été dit plus haut). Nous n’avons pas exprimé cette idée dans un cadre et une terminologie empruntés à la sémiotique, tel que cela a été suggéré par les relecteurs, notamment en recourant aux notions d’indice et de symptôme (sur le statut sémiotique complexe des particules (interjectives), voir en particulier Kleiber (2006) et Świątkowska (2000, 2020)). Mais nous sommes d’accord avec la remarque selon laquelle les symptômes, même dans le sens courant du terme, peuvent être feints. Ceci rejoint l’idée de Ducrot à propos des interjections, qui vaut pour les PÉN en général, selon laquelle des expressions de ce type « même si elle[s] ne [sont] pas arrachée[s] par la situation réelle, se présente[nt] comme telle[s] » (1972 : 19). D’une manière générale, les PÉN peuvent avoir comme référents des événements « internes » (cognitifs) ou des événements interactionnels, dès lors que ces événements sont contemporains de la situation d’énonciation, c’est-à-dire « la situation ancrée temporellement à l’énonciation de la particule » (Dargnat 2020 : 7). C’est ce trait qui leur donne leur couleur d’immédiateté déictique et qui explique d’autres propriétés, comme la non-déplaçabilité (voir ci-dessous, section 3.2.3).
2.2.2. La participation à l’interprétation du discours
Les MD contribuent à l’interprétation du discours. Ce terme recouvre deux fonctionnements. Le plus facile à percevoir est celui des connecteurs. Ces derniers organisent le discours en tissant un réseau de relations de discours, parfois appelées relations de cohérence ou relations rhétoriques, entre différents objets sémantiques. Ils expriment entre autres des relations de causalité, de justification, d’opposition, de point de vue, d’addition d’information, de digression, telles qu’on les trouve définies dans des cadres déjà cités comme la RST, SDRT, le PDTB ou le Modèle de la Connectivité. Les PÉN, quant à elles, inscrivent le locuteur dans le discours en train de se faire et fournissent une trace en temps réel de sa propre évolution attentionnelle, émotionnelle et intellectuelle. On peut considérer ces deux fonctionnements comme complémentaires, le premier (lié aux connecteurs) contribuant à la cohérence, le second (lié aux PÉN) contribuant à la manifestation du locuteur telle qu’elle doit être prise en compte dans l’interprétation du discours en train de se faire.
2.2.3. La relation au contenu propositionnel
Le troisième aspect commun aux MD est leur relation particulière au contenu dit, selon les terminologies, vériconditionnel (Potts 2005), asserté (Ducrot 1972), en débat (at-issue, Simons et al. 2010) ou au dit (what is said, Grice 1975). On utilisera ici la formulation plus neutre de contenu propositionnel, qui n’est pas lié à un acte de langage spécifique. De nombreux travaux ont mis en avant le fait que l’information communiquée par le code linguistique n’est pas uniforme mais se présente sur au moins deux niveaux. Il y a, d’une part, un niveau qui est accessible à différents opérateurs, comme la négation ou l’interrogation et, d’autre part, un niveau qui échappe à ces opérateurs. Concrètement, cette distinction concerne en particulier deux types d’expressions linguistiques : les expressions qui déclenchent des présuppositions (cf. Ducrot 1972 et plus récemment Beaver et al. 2024) et les expressions qui déclenchent des implicatures conventionnelles (cf. Grice 1975 ou encore Potts 2005).
Pour illustrer ce fonctionnement, nous prendrons l’exemple bien connu des déclencheurs de présupposition. Par exemple, une phrase comme Paul a cessé de fumer asserte « Paul ne fume pas » (négation du contenu propositionnel « Paul fume ») et présuppose « Paul a fumé auparavant » (contenu présupposé). Lorsqu’on applique une négation à cette phrase, on constate que, par défaut, le contenu propositionnel est nié mais que le contenu présupposé n’est pas affecté. Autrement dit, Paul n’a pas cessé de fumer asserte « Paul fume (toujours) » mais continue à présupposer « Paul a fumé auparavant ». Cette immunité des présuppositions par rapport à la négation et à d’autres opérateurs a été appelée « projection » et on dit alors que les présuppositions « se projettent ».
À la demande des relecteurs, nous faisons le point sur ce que nous entendons ici par projection, qui diffère de l’emploi qu’en fait Berrendonner (à par. : 4). Ce terme trouve son origine dans une perspective syntaxique sur les présuppositions (Morgan 1969). Celles-ci étaient considérées comme occupant la position au-dessus de la racine de l’arbre représentant la structure grammaticale. Dans ce cadre, elles se « projetaient » au-dessus de l’arbre grammatical. Bien qu’il n’ait plus forcément de rapport avec cette première représentation arborescente, le terme a été conservé dans les recherches sémantiques, en particulier anglo-saxonnes. Dans ces approches (voir par exemple Langendoen & Savin 1971, et plus récemment Koev 2022 ou Beaver et al. 2024), l’idée demeure que la présupposition est « hors de portée » des opérateurs comme la négation, l’interrogation, etc. et c’est ce qui justifie le maintien du terme ici. Pour l’application de ces tests, il faut éviter deux confusions. D’une part, il ne faut pas confondre la projection comme propriété sémantique et le contenu présupposé lui-même qui possède cette propriété. D’autre part, le test avec la négation concerne l’opérateur de négation qui s’applique au contenu propositionnel et jamais la négation dite métalinguistique (cf. Horn 2001 : chap. 6, Larrivée 2011).
La propriété de projection semble valoir également pour certains connecteurs, par exemple donc ou bien que et pose des problèmes assez complexes qui ne sont pas repris ici (cf. Dargnat 2020, Dargnat & Jayez 2020, Jayez 2004a).
Qu’en est-il des PÉN ? Quand on applique les tests mentionnés, on remarque qu’elles se projettent systématiquement et, de plus, qu’elles sont « non-déplaçables », au sens de Potts (2007) et Gutzmann (2013, 2015) (pour une analyse plus détaillée, voir Dargnat 2020). La déplaçabilité n’est pas ici une propriété syntaxique, mais désigne le fait que l’on peut faire référence à une situation temporellement ou spatialement éloignée de la situation d’énonciation. Dans le contexte des PÉN, cela signifie que le référent de la particule ne peut pas être disjoint dans le temps de la situation d’énonciation. La section suivante, centrée sur les PÉN, revient sur ces propriétés, en particulier en 3.3. (les propriétés en question suggèrent que les PÉN relèvent de la catégorie des implicatures conventionnelles).
3. Propriétés des PÉN
3.1 Éléments pouvant fonctionner comme PÉN
Est-il possible d’établir une liste exhaustive des PÉN pour le français ? Que doit-on rechercher dans les corpus quand on veut étudier leurs usages ? Cette question trouve vite ses limites, pour deux raisons principales.
Premièrement, la dominante orale et le caractère expressif des PÉN renforcent la variabilité des formes, en particulier aux niveaux diachronique, diatopique et diastratique. Ajoutons à cela les emprunts (fuck, boy, lol, niet, nada, wech, walou, etc.), les combinaisons (ah bon, eh bien, eh ben alors, mais enfin, etc.) ainsi que le phénomène d’euphémisation, qui permet d’atténuer les termes jugés tabous et qui produit des formes modifiées ou détournées, parfois agglomérées, n’existant que comme PÉN (diantre < diable, pardi < pardieu < par Dieu, tabarnouche < tabernacle, etc.).
Deuxièmement, il n’est pas évident de délimiter la classe d’un point de vue grammatical traditionnel. Prenons l’exemple des interjections, auxquelles les PÉN sont parfois assimilées. Les interjections ne font pas l’objet d’un traitement uniforme dans les grammaires. Elles correspondent chez certains à des critères restreints : elles renvoient alors à des expressions invariables ne fonctionnant dans la langue que comme interjection et pouvant former un énoncé à elles seules (mots-phrases). La restriction peut aussi porter sur l’interprétation, les interjections désignant alors uniquement les expressions ayant les propriétés des PÉN et exprimant l’état émotionnel du locuteur. Chez d’autres auteurs, en revanche, la classe est nettement plus accueillante et recouvre l’ensemble des PÉN désignées ici, qu’elles aient ou non d’autres emplois dans la langue. Dans les grammaires traditionnelles, les interjections constituent une sorte de porte d’entrée du discours dans le domaine grammatical. Elles sont traitées ici comme des PÉN. Les éléments pris en compte sous le terme interjection varient, selon que l’on cible uniquement les items ne fonctionnant que comme interjection (ah, oh, youpi, etc.) ou que l’on intègre des expressions empruntées à d’autres catégories grammaticales et figées dans leur emploi comme PÉN (chic, la vache, merde, bon, disons, tu sais, etc.). Ceci rejoint la distinction entre interjections primaires et interjections secondaires (Ameka 1992 : 105,111). Voir également Kleiber (2006), Riegel et al. (2009 : 772-774), Kahane & Mazziotta (2015) et, dans le cadre de l’EGF, la notice de Świątkowska (2020). >Notice
Dans La Grande Grammaire du Français, c’est d’abord la définition syntaxique restrictive qui a été retenue, c’est-à-dire que les interjections y sont des expressions invariables ne fonctionnant que comme interjections, ne relevant d’aucune autre classe syntaxique en synchronie et pouvant former un énoncé à elles seules (Abeillé et al. 2021 : 2017-2019). Ceci permet d’avoir un classement clair sur des bases catégorielles, mais ne règle pas tous les problèmes. En pratique, il n’est pas toujours facile de trancher, en particulier en l’absence de considérations diachroniques. Par exemple, un terme comme tralala a des emplois comme interjection (ex. 9) et des emplois nominaux (ex. 10). Ce serait aussi le cas de bon comme adjectif et de bon comme PÉN.
(9) Mon père décravaté un soir de nouba, crâne en sueur, moi chevauchant son gros genou, youpla, tralala ! [Frantext, Anne-Marie Garat, Le grand Nord-Ouest, 2018, 182]
(10) Ma femme [...] s’informait si, sous prétexte de repas intime, on ne l’embarquait pas déloyalement dans un grand tralala, et tâchait vainement de savoir quels convives il y aurait. [Frantext, Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu (Du côté de chez Guermantes 2), 1921, 488]
L’étiquette PÉN paraît donc moins contrainte et plus neutre que l’étiquette interjection. D’un point de vue purement catégoriel, tralala ne serait pas à considérer comme une interjection « pure », d’après les critères de la Grande Grammaire du Français, car il a d’autres emplois, mais, dans cette notice, il affiche les propriétés des PÉN dans un emploi comme (9).
La liste suggérée dans l’annexe (section 6) a un objectif purement illustratif. Elle a pour base les catégories syntaxiques des emplois non PÉN des expressions qui par ailleurs ont aussi un emploi comme PÉN. Les expressions qui semblent ne relever d’aucune catégorie traditionnelle sont étiquetées autres (et pas interjection, pour éviter tout malentendu). Une telle classification n’est pas idéale, cependant, elle permet de se rendre compte de la polyfonctionnalité de certaines expressions et d’aborder les problèmes de dérivation sémantique. Par exemple, l’emploi de bon comme PÉN (ex. 11) peut-il être dérivé de ses emplois comme adjectif (ex. 12) (voir Hansen 1998a) ?
(11) j’avais trouvé pour ma fille une gardienne de qui est devenue une amie que j’adore qui s’est occupée de ma fille quand elle quand elle était à la crèche pour aller la chercher et cetera donc euh c’est vraiment une dame absolument exceptionnelle bon nous on a une gardienne là bon qui qui qui travaille plus ou moins bien mais enfin bon comme partout hein (codim-CFPP2000, Laurence_Leblond_F_43_Stephanie_Zanotti_F_49_7e-2)
(12) ah mais attendez le roman c’est une histoire comme on dit un bon film c’est un bon scénario un bon un bon roman au départ c’est déjà une histoire (codim-CFPP2000, Nicole_Noroy_F_53_14e-1] Nicole_Noroy_F_53_14e-1)
On peut avoir intérêt à considérer en synchronie qu’il existe plusieurs bon homonymes, en fonction des différences de distribution. Sur le plan sémantique, seule une étude diachronique permettrait peut-être de (dé-)connecter les différents emplois. Plus généralement, le problème est de décider quand la polyfonctionnalité d’un élément se mue en homonymie de deux éléments, et cela peut varier d’une PÉN à l’autre.
Dans certains cas, la décision de traiter une expression comme une PÉN n’est pas évidente. Cela concerne en particulier les adjectifs. Faut-il considérer par exemple que super, génial, cool ou chouette sont des PÉN ou des « fragments » de phrase et donc encore des adjectifs ?
Les fragments de phrase restent sémantiquement des structures prédicatives et apparaissent intuitivement comme la réduction de la structure syntaxique complète (les formes non réduites de ces fragments étant c’est super/génial/cool/chouette). Par exemple, dans Paul est venu, c’est étonnant mais c’est super/génial/cool/chouette ou Gabin était minable mais Paul était super/génial/cool/chouette, il s’agit d’une forme non réduite. En revanche, dans Paul est venu, c’est étonnant mais super/génial/cool/chouette et dans Gabin était minable mais Paul super/génial/cool/chouette, il s’agit d’un fragment. On pourrait considérer que tout ou partie des fragments ne sont en fait pas phrastiques, et donc non elliptiques, mais constituent des structures à part entière. Pour une discussion sur le statut des fragments non phrastiques voir Ginzburg (2012, sections 7.3. et 7.4.).
Il existe de nombreux adjectifs qui peuvent être employés seuls pour qualifier une situation ou un événement (joli, extra, cool, minable, nul, etc.). On a choisi de ne retenir comme PÉN que les formes dont le sens comme adjectif est différent du sens comme PÉN. Il s’agit par exemple de chic qui signifie « physiquement ou moralement élégant » comme adjectif et qui exprime la satisfaction comme PÉN.
Une question analogue se pose pour assez, tant pis et tant mieux par rapport à c’est tant pis/tant mieux. Ces formes se comportent comme des adverbes, car elles n’ont pas la distribution des adjectifs (*cette situation est tant pis). Comme l’ont observé les relecteurs, il existe une forme impersonnelle c’est tant pis. On peut étendre cette remarque à d’autres expressions, par exemple le nom dommage ou l’adverbe assez (*cette situation est dommage/assez ; c’est dommage/assez). On pourrait donc considérer que tant pis, dommage et assez ne sont que des fragments d’une construction complète en c’est X (ex. 13 et 14). De plus, leur valeur ne paraît pas différente quand ils sont employés seuls et dans la construction en c’est X. De ce point de vue, on pourrait leur refuser le statut de PÉN.
(13) A – Paul a échoué trois fois à
son examen.
B1 – Tant pis !
B2 – Ça fait beaucoup/trop
B3 – *Beaucoup/Trop !
(14) A – Je vais vous chanter autre chose.
B – Assez ! Tu nous écorches les oreilles.
Il faut quand même rester prudent, car la distribution de ces expressions est différente. Toutes peuvent figurer dans la construction en c’est X, mais seul dommage peut figurer dans la construction il est X que… ou en exclamative (quel dommage !) et peut être modifié par très, bien, fort, extrêmement, etc. Ces quelques observations suggèrent que dommage possède des traits adjectivaux et nominaux. La comparaison avec malheur, qui existe aussi en emploi isolé avec des valeurs de type PÉN, montre que malheur et dommage sont différents du point des propriétés discutées. Malheur, à la différence de dommage, ne présente que des traits nominaux (Malheur ! ou Quel malheur ! vs *très/bien/fort/extrêmement malheur). D’autre part, une évolution possible de c’est dommage vers dommage n’implique pas que cette dernière forme n’ait pas un statut de PÉN, car elle répond aux propriétés décrites plus loin dans la section 3.3. Cela fait penser au cas décrit sous le nom de cooptation (Heine et al. 2021).
Voici deux remarques supplémentaires allant dans le sens d’une liste ouverte et sujette à variation.
La première remarque concerne l’articulation phonétique/morphologie. Les PÉN peuvent subir un écrasement phonétique, qui, dans certains contextes, peut être lexicalisé (tsais, ‘fin, menfin, entéka, coudonc, etc.). Il faut mentionner aussi de l’impact des nouvelles technologies, du rôle des sigles ou acronymes du genre mdr (mort de rire), lol (laughing out loud), omg (oh my god), etc. et de leur relation avec les émoticônes. Il pourrait être intéressant de les intégrer à une réflexion sur les PÉN, en particulier du point de vue de leurs valeurs sémantico-pragmatiques (manifestation des états épistémiques, affectifs ou attentionnels du locuteur, gestion de phénomènes interactionnels), mais leur statut lexical n’est pas clair. Par ailleurs, leurs propriétés distributionnelles restent à étudier systématiquement. Nous ne les traitons pas ici par méconnaissance du domaine. Voir, entre autres, Rosier (2006) pour le statut interjectif de tels éléments.
La deuxième remarque soulève la question des combinaisons de MD dans lesquelles interviennent des PÉN. Il n’est pas rare que les PÉN apparaissent combinées, soit entre elles, soit avec des connecteurs. Par exemple, dans (15), la combinaison et le schéma de répétition intensifient la surprise.
(15) – Peut-être que tu vas pouvoir lui dire se
mêler de ses affaires surtout quand je m’adresse à cette bombe méga sexy.
Il me désigne d’un geste.
– Oh, merde alors. Merde de chez merde, merde, merde. Merde et remerde… Est-ce
que tu viens de me traiter de « bombe méga sexy » ? Tu as pris
de la drogue ? [Frantext, Maria MacDonald, Se refuser
d’aimer : cœurs enlacés, tome 2, 2015]
Dans (16), les effets de chaque PÉN se combinent : bon marque ou déclenche la fin d’un un processus, ben signale que le locuteur effectue un certain traitement cognitif pour produire une information pertinente, dont écoutez indique à l’interlocuteur qu’elle le concerne directement.
(16) ah oui c’est la fatigue +++ très bien + bon ben écoutez on continue comme ça donc votre traitement par Modopar [codim-DÉCLICS, co-serva-pat16-med4]
Dans (17), si l’on se concentre sur le premier agglomérat (en gras), on ne dénombre pas moins de six MD à la suite (et, bon, du coup, ben, euh, en fait).
(17) et bon du coup ben euh en fait vous dansez et tout et ouais il y a juste une connivence normale tu vois [codim-MPF, Adeline2]
Il est assez clair que l’ensemble ne constitue pas une unité lexicale, mais, dans les données exploitées, on repère quelques patrons plus réduits récurrents plus ou moins figés, par exemple du coup ben et, dans une moindre mesure, bon du coup. Et, du coup et en fait, en emplois isolés, tendent à fonctionner comme des connecteurs, conjonctifs ou adverbiaux, associés à une relation de discours d’adjonction, de conséquence et d’élaboration/reformulation. Bon, ben et euh (si l’on conserve ce dernier) relèvent de la classe des PÉN, dont les valeurs ne sont pas dans cet exemple très faciles à circonscrire. Bon marque une charnière entre deux étapes, euh, si tant est qu’on le considère comme une PÉN, marque un temps cognitif souvent associé à de l’hésitation, et ben est assez difficile à cerner avec une valeur isolée. Associé à euh, il semble également manifester la recherche d’une formulation.
La question sous-jacente est celle de la (non-)compositionnalité et de la lexicalisation de la combinaison : produit-elle une nouvelle unité lexicale ayant une signification propre ou s’agit-il d’une simple addition des propriétés des unités distinctes ? Repère-t-on des régularités d’agencement (ordre, élément pivot ou noyau de l’expression complexe dont les propriétés catégorielles prendraient le pas sur les autres éléments ?), etc. Ces problèmes ont été beaucoup moins étudiés que ceux soulevés par les valeurs des emplois isolés des MD, qu’ils soient connecteurs ou PÉN, mais l’intérêt est grandissant. A ce stade, nous ne ferons que quelques remarques générales, dont a) le fait que dans les combinaisons entre MD connecteurs et MD PÉN qui présentent un certain figement, il semblerait que les MD connecteurs conjonctifs tendent à être en tête de la combinaison (mais bon/enfin, et bon du coup, ou bien/pas, etc.) ; b) le fait que les combinaisons peuvent être contiguës, comme dans les exemples ci-dessus, mais l’on peut imaginer étendre la question aux combinaisons discontinues ; c) le fait que, dans l’usage, se pose la question de la force d’attraction ou d’association des éléments cooccurrents fonctionnant comme PÉN.
Toutes ces questions sont à relier aux réflexions portant sur la phraséologie, les collocations et les « collostructions », qui mêlent l’aspect quantitatif des associations (Gries 2019), et l’aspect diachronique de leur genèse (par exemple Waltereit 2007 sur bon ben et enfin bref). Par exemple, on peut se demander quelles sont les contraintes combinatoires d’une cooccurrents fréquente en français associant mais et enfin, telle qu’on peut la trouver en (18) ou (19) :
(18) Mais enfin, bon dieu, qui aurait pu croire un truc pareil ? [Frantext, D. Pennac, Monsieur Malaussène, 1995]
(19) quand c’est large au départ c’est un peu plus long mais enfin ça va venir à mon avis ça va se refermer aux alentours de deux ans [codim-TCOF, Pediatrie_lam_08]
Des études comme celles de Razgoulieva (2002) ou Dargnat (2022) sur mais enfin spécifiquement et Dargnat et Jayez (2021) sur les associés privilégiés de mais, tendent à montrer que, dans ce cas, la construction demeure sémantiquement compositionnelle mais que la force d’attraction entre les deux items correspond à une association quantitativement significative dans les corpus, oraux ou écrits. Ceci pourrait expliquer la lexicalisation réalisée par m’enfin dans certains supports écrits.
3.2. Propriétés syntaxiques et sémantico-pragmatiques
La question de la dépendance est interrogée ici sur le plan syntaxique et sur le plan sémantique en même temps, car il est difficile de dissocier les deux. La plupart des approches sur ce type d’items, qu’on les appelle particules, périphériques, parenthétiques, inserts, etc., ne développent pas d’analyse purement syntaxique (au sens micro-syntaxique). Les analyses qui dépassent le cadre micro-syntaxique, et qui souhaitent prendre en charge les PÉN et interroger la dépendance éventuelle qu’elles auraient par rapport à leur environnement, articulent nécessairement les tests classiques de dépendance et les considérations de type sémantique et pragmatique (le test du clivage, par exemple, est un cas évident de cette articulation). Pour un exemple récent, voir la réflexion de Berrendonner sur donc (à par.).
Les propriétés syntaxiques et sémantico-pragmatiques amènent à mentionner ou à étudier plusieurs points. Premièrement, certaines PÉN peuvent constituer des énoncés autonomes, typiquement comme répliques dans un échange dialogal (voir sur ce point la synthèse et les développements dans Kahane & Mazziotta 2015). Dans ce cas-là, la question de leur place (le plus souvent dite initiale, médiane ou finale) dans un segment de discours ne se pose pas. Du point de vue sémantique, leur statut illocutoire pose question : constituent-elles des actes de langage à part entière ? Ce point semble en fait rarement discuté, les frontières de la « catégorie » des actes de langage ne sont pas suffisamment claires pour qu’on puisse trancher ici. Deuxièmement, quand elles apparaissent associées à un segment de discours (nous ne disons pas qu’elles font partie de ce segment, mais que leur énonciation est concomitante de l’énonciation de ce segment), on peut se demander si les PÉN assument une fonction particulière, syntaxique, sémantique ou pragmatique, par rapport à un constituant (section 3.2.1), si elles ont une position préférentielle (section 3.2.2), comment elles se comportent par rapport à des critères qui ont été utilisés pour analyser le contenu non propositionnel (section 3.2.3), et comment elles se combinent avec d’autres MD ou interviennent dans des constructions (section 3.2.4).
3.2.1. Adjonction et modification
Dans la mesure où les PÉN ne contribuent pas au contenu propositionnel de l’énoncé environnant, par définition, elles n’entrent pas dans un système de « rection » au sens restreint de dépendance verbe-complément ou de complément valenciel.
Certaines études suggèrent que les PÉN s’analysent au niveau macro-syntaxique et pas au niveau micro-syntaxique. Dans ce cadre, elles ne sont pas régies mais associées (cf. par exemple Teston-Bonnard 2006 ou Kahane & Mazziotta 2015). Les propriétés de cette association sont-elles celles d’une adjonction ?
En effet, si elles ne sont pas des arguments d’un constituant, les PÉN sont-elles pour autant des ajouts, c’est-à-dire des dépendants non argumentaux ? Et, si oui, à quoi s’ajoutent-elles ? Ajout est employé ici pour renvoyer à un type de dépendance syntaxique. L’adjonction s’oppose alors à la dépendance de type argumental. Certains ajouts entrent dans le domaine de la rection, au sens large (pour un panorama des définitions de la rection, voir la synthèse de Berrendonner & Deulofeu (2020) pour l’EGF, en particulier la section 4.3 sur les « périphériques »).
On peut illustrer le cas des ajouts régis par un exemple comme (20) où « en voiture » est un ajout au verbe, qui est clivable (20b), ne se projette pas (20c), peut être utilisé dans des enchaînements causaux ou concessifs (20d) (cf. loi d’enchaînement de Ducrot 1972) et peut servir de réponse à une question (20e) (voir Grimshaw 1979).
(20) a. Pierre est arrivé à la maison en voiture.
b. C’est en voiture que Pierre est arrivé à la maison.
c. Pierre n’est pas arrivé à la maison en voiture, il a pris le train.
d. Pierre est arrivé à la maison en voiture parce qu’il n’aime pas le
train/ bien qu’il déteste conduire.
e. A – Pierre est venu comment ?
B – il est arrivé à la maison en voiture.
Les PÉN n’entrent clairement pas dans cette catégorie. Dans la littérature, des éléments non régis, pour lesquels les propriétés ci-dessus ne fonctionnent pas, sont souvent syntaxiquement considérés comme ajouts à un syntagme (verbe, phrase, fragment). C’est le cas typique de certains adverbes évaluatifs (heureusement, bizarrement, manifestement, clairement, probablement, etc.) ou énonciatifs (franchement, sincèrement, etc.) Sémantiquement, ces ajouts non régis sont le plus souvent analysés comme des modifieurs, c’est-à-dire qu’ils introduisent une évaluation du contenu propositionnel (je trouve heureux/bizarre/évident, etc. que P) ou qu’ils restreignent la force illocutoire de l’énoncé (dans les cas où je suis sincère/franc, etc. je dirai que P) (sur ce point, voir entre autres les réflexions de Anscombre et al. 2013-2018, Dendale & Coltier 2024 ou Paillard 2021). D’une manière générale, un modifieur peut être représenté comme un opérateur qui, appliqué à la représentation sémantique de son site d’adjonction, produit une autre représentation sémantique. Par exemple noir adjoint à chat (le site d’adjonction) dans chat noir modifie la représentation associée à chat. Suivant ses préférences théoriques, on considérera par exemple qu’on passe de l’ensemble des chats à l’ensemble plus restreint des chats noirs, ou du concept ou de l’image mentale associés à chat au concept ou à l’image mentale associés à chat noir. Dans le cas d’opérateurs propositionnel (évaluatifs, évidentiels/médiatifs, etc.), la modification peut porter par exemple sur les conditions de validité du contenu propositionnel ou de la force illocutoire ou sur leur rapport à une norme dans le cas des évaluatifs.
Syntaxiquement, les ajouts – régis ou non – ne changent pas la catégorie syntaxique du syntagme auquel ils s’adjoignent, ce qui est bien le cas des PÉN quand elles sont associées à un syntagme, mais, sémantiquement, leur relation à la modification n’est pas claire. Dans l’échange (21) ci-dessous, un médecin fait le point sur le suivi médical d’un patient, qui doit, entre autres, consulter un ou une psychologue. En utilisant la PÉN ah, le médecin signale une modification de son attention, qui se porte sur une représentation mentale qu’il n’avait pas construite ou qu’il avait oubliée, et que l’on peut décrire par la proposition P suivante : « la psychologue à laquelle le patient fait référence est extérieure aux intervenants du parcours thérapeutique ».
(21) Patient : que- comme quoi que j’avais
commencé mais j'ai toujours pas commencé hein ça je vous l'avoue + avec la
psychologue
Médecin : quelle {ton interrogatif} + ah
à l'extérieur (DÉCLICS, co-servb-pat25-med5)
On pourrait penser que la PÉN ah modifie la signification du segment à l’extérieur, auquel elle est syntaxiquement ajoutée. En tant que tel, ce segment ne fait que rendre explicite la proposition P ci-dessus et n’exprime pas la variation d’attention dont elle constitue la cible.
Si l’on veut conserver l’approche la plus simple, selon laquelle un ajout (syntaxique) est un modifieur (sémantique), on devrait dire que ah porte sur la proposition P et la présente comme la cible d’un processus mental de « prise de conscience ». Dans ce cas, on paraphraserait la formule du médecin par « je réalise que vous voulez dire une psychologue extérieure ». Toutefois, il a souvent été noté (voir par exemple Wharton 2003, 2009) que l’emploi d’une interjection n’est pas équivalent à une assertion qui exprimerait l’état émotionnel du locuteur, par exemple que ah ! ne revient pas à dire je suis surpris. D’ailleurs, si tel était le cas, on s’attendrait à ressentir une redondance dans des énoncés comme ah, je suis surpris. De façon analogue, on ne verrait pas de différence entre ah à l’extérieur et je me rends compte que vous voulez dire une psychologue extérieure et on devrait ressentir une redondance avec ah je me rends compte que vous voulez dire une psychologue extérieure. Une hypothèse selon laquelle la particule modifie la proposition exprimée par le site d’adjonction (à l’extérieur dans l’exemple (21) ne rend donc pas bien compte des différences intuitives entre emploi d’une PÉN et explicitation de l’attitude qui constitue le référent de la PÉN. Il semble préférable d’admettre que certaines PÉN peuvent avoir un mécanisme plus complexe de référence. Au lieu de porter directement sur l’objet sémantique véhiculé par le segment auquel elles sont associées (typiquement une proposition), elles font référence à un événement contemporain de leur énonciation qui peut mettre en jeu cet objet sémantique, mais ne s’y réduit pas.
Nous sommes en fait ici au cœur de ce qui a été évoqué dans la section 2.2.1., à savoir le statut de ce que a été appelé le « référent » d’une PÉN. En effet, pour discuter le rapport des PÉN à la modification, il est indispensable d’avoir une idée de leur fonctionnement sémantique. Se comportent-elles comme des opérateurs, ce qui irait dans le sens d’une fonction sémantique de modifieur, ou ont-elles un autre statut ?
Trois aspects de la question vont être distingués.
Premier aspect. En tant que signe linguistique, une PÉN désigne un objet d’un certain type. Il existe au moins deux grands types : les variations internes (épistémiques, attentionnelles ou émotionnelles) du locuteur et les interactions avec les participants à l’échange. Un point essentiel est que l’emploi d’une particule ne correspond pas à un acte de référence à travers lequel on inviterait l’allocutaire à déterminer un objet visé. Lorsqu’une PÉN apparaît dans le discours, elle manifeste conventionnellement l’existence d’une variation ou d’une interaction. En tant que conventionnelle, une PÉN, même si elle reflète une réaction spontanée, n’est pas de même nature qu’un symptôme neuro-physiologique incontrôlable, comme le serait un accès de fièvre provoqué par une infection, car elle encode, ne fût-ce que vaguement, des conditions d’emploi. C’est pourquoi nous n’avons pas adopté ici pas le terme symptôme. Il est clair qu’un symptôme peut être feint ou joué, de même qu’une PÉN peut être employée délibérément pour faire croire qu’on se trouve dans un certain état. Mais la PÉN relève aussi de conventions linguistiques, qui dépassent le trajet causal d’un symptôme non langagier. Le terme symptôme créerait une ambiguïté que nous souhaitons éviter. Toutefois, la suite du texte nuance ce point en montrant qu’il y a bel et bien une ressemblance importante entre symptôme et PÉN. Dans les deux cas, on échappe aux contraintes de la signification que Grice (1957) qualifie de « non naturelle ». À la différence de la signification naturelle, qui inclut la reconnaissance d’indices (la fièvre peut « signifier » une infection), la signification non naturelle (dite « significationNN ») repose sur la reconnaissance d’une intention. « A veut dire x en utilisant y » est analysé par Grice comme équivalent à « A a l’intention que l’énoncé de y produise un effet sur l’allocutaire par le biais de la reconnaissance de cette intention par l’allocutaire » (Grice 1957 : 385). Les PÉN ne relèvent pas de la significationNN, car elles n’impliquent pas une intention du locuteur et c’est ce qui les rapproche d’un symptôme ou d’une manifestation.
Deuxième aspect. Les différentes PÉN peuvent introduire des spécifications minimales des deux types généraux, variation interne et interaction, qui constitueraient dans ce cas un ou plusieurs sens de base qu’on pourrait attribuer à une PÉN. Par exemple, bien qu’intuitivement proches, ah et oh ne se recouvrent pas totalement. Ainsi, oh peut signaler en lui-même une réaction émotionnelle positive ou négative, alors que ah, qui est en lui-même neutre, va, s’il y a lieu, emprunter cette couleur au contexte compris dans une acception large, c’est-à-dire les circonstances objectives, l’intonation ou l’accompagnement mimo-gestuel.
(22) Contexte : un locuteur vient
d’expliquer qu’il a déjà regardé des films « qui font peur ». L’autre
locuteur dit :
oh c’est pas bien ça [codim-TCOF, sarah_celine_ce1_proinf, lg 717]
Par ailleurs oh peut signaler un appel, comme ohé, ouh ouh, etc., ce qui n’est pas le cas de ah. Oh aurait donc deux sens de base. À côté des cas, relativement simples, de ah et de oh, il est souvent nécessaire d’utiliser des descriptions plus complexes ; notamment pour les PÉN qui mettent en jeu une interaction (voir par exemple Dostie 2004 pour regarde ou Andersen 2007 pour tu vois, tu sais, tu comprends).
Le troisième aspect concerne le statut des PÉN vis-à-vis de la modification. Le plus souvent, les PÉN s’interprètent par rapport à des événements discursifs ou situationnels : quelqu’un a dit quelque chose, il s’est passé quelque chose. Cependant, ces événements ne constituent pas leur référent direct, qui est la variation psychologique ou le mouvement interactionnel, mais au plus ce à propos de quoi le référent apparaît. Par exemple, dans (21), le médecin réagit à la déclaration du patient, qui dit qu’il n’a toujours pas commencé avec « la psychologue ». La particule ah a comme référent la prise de conscience (variation épistémique et attentionnelle) du fait que la psychologue évoquée est extérieure (contenu de la prise de conscience). Dans ce type de cas, la variation interne du locuteur est spécifiée par le contexte comme ayant tel ou tel contenu, c’est-à-dire comme à propos de tel ou tel événement ou de telle ou telle situation. La PÉN pouvant apparaître seule ou ajoutée syntaxiquement à un segment de discours qui décrit cet événement ou cette situation. Dans ce type de cas, il serait abusif de parler de « modification ». Il n’y a pas à proprement parler de modification de référent ou de concept (type chat → chat noir) et le médecin est simplement le siège d’une sorte de réajustement interne qui n’amène à aucun éclairage particulier sur la situation objective (jugement, etc.)
On peut envisager une modification sémantique, indépendamment d’une adjonction, lorsque la PÉN s’adjoint ou répond à un segment de discours qu’elle présente sous un certain angle. C’est typiquement le cas pour des PÉN traduisant une variation émotionnelle en réponse à un énoncé, comme dans (22). La PÉN oh a pour référent une variation émotionnelle, que le segment associé fait interpréter comme négative (désapprobation, indignation, etc.) et qui se produit à propos de l’aveu de l’interlocuteur. On pourrait donc envisager de dire que la PÉN « opère » sur cet aveu en le présentant comme susceptible de déclencher la réaction émotionnelle qui constitue le référent. Un indice qui va dans ce sens est la possibilité d’une réponse métalinguistique du type Pourquoi « oh » ? Ça n’a rien d’exceptionnel, de même qu’on peut imaginer des réponses du type Pourquoi « malheureusement » ? Ça n’a rien de grave, à quelqu’un qui vient d’employer malheureusement. On pourrait objecter, en sens inverse, qu’on n’a aucune adjonction syntaxique dans de telles configurations. Mais la définition de la modification, même si elle a été conçue dans le cadre de l’adjonction, pourrait être élargie.
Toutefois, il faut garder présent à l’esprit le fait que les PÉN émotionnelles peuvent aussi s’employer en dehors du discours, lorsqu’on réagit à un élément d’une situation qui, pour une raison quelconque, surprend, agace, réjouit, etc., ce qui incite à se demander si la « modification » que nous envisageons pour de telles PÉN n’est pas dérivée de leur usage dans un contexte discursif plutôt qu’inhérente à leur sémantique. En un sens, dans la plupart des cas, les émotions sont des émotions « à propos de » quelque chose, qu’elles colorent d’une certain manière. Est-ce une raison suffisante pour faire de leur expression linguistique (une PÉN) un modifieur de représentations sémantiques du dire ? Nous préférerons une hypothèse plus modeste qui consiste à dire : (a) que les PÉN émotionnelles n’ont pas de fonction conventionnelle de modifieur, à la différence d’adverbes comme malheureusement ou sincèrement mais (b) que, dans beaucoup de contextes, elles sont interprétées comme le seraient des modifieurs pour des raisons de plausibilité pragmatique.
Un autre cas est fourni par des PÉN comme tu sais/vous savez, exemplifiés en (23)-(26) :
(23) Médecin : j’avais noté que vous vous
leviez la nuit pour uriner c’est toujours le cas {ton interrogatif}
Patient : ah oui oui oui
Médecin : très souvent {ton interrogatif}
Patient : oh vous savez deux fois + toujours [codim-DÉCLICS, co-serva-pat16-med4]
(24) A : Paul est sans doute venu te voir.
B : ? Oui, tu sais, il est venu.
(25) A : C’est quelle heure ?
B1 : ? Tu sais il est sept heures.
B2 : Tu sais j’ai oublié ma montre.
(26) le tout c’est qu’ils apprennent le français pour pouvoir vivre euh euh dans le pays au-~ auquel ils appartiennent pour le moment mais vous savez on nous appar-~ on nous apprend bien l’anglais dans les écoles euh pourquoi pas vous savez les les langues [codim-Oral-Rom, fnatpd02]
L’exemple (23) illustre un des emplois de vous savez. Intuitivement, le locuteur introduit une information dont il n’est pas sûr que l’interlocuteur dispose, soit parce cette information est nouvelle, soit parce que l’interlocuteur ne l’a plus en mémoire (fonction de rappel). Vu le contexte de l’entretien, il s’agit plutôt de la première possibilité, mais ce n’est pas absolument certain. On aurait une interprétation analogue avec tu vois/vous voyez (voir Andersen 2007) ou écoute/écoutez (voir Dostie 2004, Mazziotta & Glikman 2023). Doit-on en conclure que de telles PÉN modifient la proposition sur laquelle elles portent en la présentant comme nouvelle ou potentiellement peu saillante pour l’interlocuteur ? Nous pensons qu’il s’agit d’un effet pragmatique induit par la nature du référent de la PÉN. Celle-ci signale l’existence d’une tentative de la part du locuteur d’augmenter le degré d’attention de l’interlocuteur sur la proposition exprimée par le segment associé ; cela explique qu’on peut mentionner une proposition supposée connue mais dont on pense que l’interlocuteur ne tire pas bien les conséquences, comme Vous savez, les journées n’ont que vingt quatre heures. D’une manière générale, il n’est pragmatiquement naturel d’essayer d’attirer l’attention d’un interlocuteur sur une proposition que si l’on estime que cette proposition ne fait pas encore partie de ses croyances ou des propositions qu’il envisage, ou n’est plus active (oubli, distraction, etc.). Cela rend compte du fait que les PÉN tu sais/vous savez sont difficiles à interpréter lorsqu’elles sont utilisées pour confirmer (ex. 24) ou pour donner une information anodine dont on suppose qu’elle fait partie des possibilités envisagées par l’interlocuteur (ex. 25, réponse B1). En utilisant la PÉN, le locuteur présente son assertion comme en dehors des réponses possibles envisagées par l’interlocuteur, cela en fonction de l’image qu’il se fait des attentes de l’interlocuteur. Dans le cas de (25, réponse B2), la question de l’interlocuteur A présuppose que le locuteur est capable de répondre, ce que dément justement le locuteur. Dans le cas de (23), la réponse du patient était plus complexe à interpréter. Il se peut qu’il estime que le médecin s’attend à des réponses plus élevées que deux fois, mais il se peut aussi qu’il estime que le médecin n’a aucune idée suffisamment précise des réponses possibles et donc que celui-ci n’envisage a priori aucune réponse particulière. Dans tous les cas, la PÉN amène à comprendre que l’assertion introduit une proposition qui n’était pas forcément accessible à l’interlocuteur au moment de l’énonciation. Cela explique que les PÉN qui mettent en jeu le degré d’attention de l’interlocuteur soient facilement compatibles avec une réorientation argumentative, dans le sens de Anscombre & Ducrot (1983), introduite par exemple par mais (ex. 26). À partir du moment où le référent de ces PÉN, donc ce qu’elles signalent conventionnellement, est constitué par une tentative de forcer l’attention de l’interlocuteur dans une certaine direction, les motivations de cette tentative dans un cadre de communication entrent dans l’interprétation, ce qui peut donner l’impression qu’elles constituent des propriétés que les PÉN attribuent à la proposition exprimée par le segment associé.
Doit-on conclure des remarques précédentes que les PÉN n’ont jamais le statut de modifieur ? Si l’on accepte des expressions comme dommage ou tant pis, déjà discutés plus haut (section 3.1, ex. (13) et (14)) comme membres de la classe des PÉN, on a des exemples très probables de modification, qu’il y ait ou non un segment de discours associé.
On peut également mentionner l’emploi de tu vois isolé et signifiant quelque chose comme « je te l’avais bien dit », « c’était clair » ou « c’était une possibilité ». Dans cette configuration (qu’il faut distinguer de tu vois ? isolé, au sens de tu comprends ?), tu vois présente une proposition, parfois implicite, comme déjà envisagée avant l’énonciation.
La PÉN quoi nous fournira un dernier exemple de modification. Cette PÉN ne peut constituer un énoncé autonome mais doit être associée à un syntagme sur sa gauche. Nous ne ciblons pas ici les cas où quoi fonctionne comme pronom exclamatif ou interrogatif, emplois dans lesquels il est en tête d’énoncé ou isolé comme dans Quoi !? (Tu ne viendras pas !?). Dargnat & Jayez (2020) suggèrent que quoi présente une assertion comme étant, dans le contexte, la « meilleure » possible, c’est-à-dire celle qui, compte tenu de l’état d’information du locuteur, est la plus adéquate, même si elle traduit une émotion négative comme dans (27) et ne correspond pas à ce que le locuteur aurait dit s’il avait la possibilité de développer, avec une information plus précise, plus de temps, etc., (ex. 28).
(27) Et puis je commence à chanter des trucs un peu hyper cul-cul quoi et genre euh j’écris le texte et je le regarde je le lis je dis putain mais c’est trop cul-cul quoi [...] Mais mon dieu la meuf c’est une psychopathe quoi [Izia Higelin, interview sur France Info, 11-07-2012]
(28) hein c’est c’est p- c'est frauduleux un petit peu mais enfin frauduleux dans un certain sens quoi [codim-ESLO1_ENT_011]
En conclusion, le mode de « modification » des PÉN ne correspond pas à une contribution au contenu propositionnel. Ce point fait consensus par rapport à l’ensemble des études sur les implicatures dites conventionnelles à la suite des travaux de Grice (Potts 2005), des travaux sur les contenus déterminés par l’usage (use-conditional, Gutzmann 2013, 2015), des travaux sur les particules modales de l’allemand (Karagjosova 2003), ainsi que des nombreuses études de détail sur les PÉN du français : par exemple, Bruxelles & Traverso (2001) sur ben, Chanet (2001) sur quoi, Col et al. (2015) sur voilà ou Jayez (2004b) sur bon. Ce qui est moins systématiquement discuté est le statut de la modification. Nous avons illustré différents cas en essayant de distinguer ceux où la modification relève d’un effet pragmatique, parfois très stable, et ceux où elle relève d’instructions sémantiques.
3.2.2. Place dans le segment de discours associé
Deux points sont relevés ici : d’abord la possibilité pour une PÉN de former un énoncé autonome ; ensuite, dans les cas où les PÉN s’adjoignent à un segment de discours, la mobilité des PÉN dans ce segment et les préférences de place. Ici, nous avons retenu une typologie basée plutôt sur les propriétés sémantico-pragmatiques, dans la lignée de la majorité des travaux dans le domaine. La question se pose également de savoir si la distinction entre PÉN autonomes et PÉN non autonomes peut servir de base à une typologie que l’on pourrait qualifier de plus syntaxique (cf. Kahane & Mazziotta 2015).
Comme cela a déjà été dit, certaines PÉN peuvent apparaître seules et forment alors un énoncé autonome (par exemple ah, bon, etc.). D’autres réclament en revanche d’être associées à un segment de discours. Il s’agit en particulier des PÉN à base verbale comme écoute, écoutez, dis donc, figure-toi, vous comprenez, etc., mais aussi d’autres expressions comme mais enfin, non mais, ma parole, là, quoi. On a vu ci-dessus que cette association à un segment de discours n’était pas assimilable à une dépendance syntaxique de type rection ni forcément à une dépendance sémantique de type modification.
Quand les PÉN sont associées à un segment de discours, elles ne sont pas assignées à une place, comme le serait un argument ou, dans une certaine mesure, un ajout à un constituant. Elles sont mobiles, mais pas complètement libres. L’étude des corpus montre en effet certaines préférences. Par exemple, des PÉN comme à la fin, bernique, hein, na, n’est-ce pas, point barre, quoi, tintin sont préférentiellement en positon finale, alors que ah, ben, putain, soit, tiens, voyons, waouh, etc. apparaissent préférentiellement en position initiale (voir Abeillé & Godard 2021 : 2022). Il n’est pas aisé de trancher ni de fournir une liste définitive associée à des places. Plusieurs facteurs sont en jeu, notamment la prosodie (voir par exemple Bastien et al. 2016, Lee et al. 2018, Lee 2021) et la polyfonctionnalité des PÉN, dont le sens peut varier avec la position (par exemple tiens, enfin). Une étude systématique et approfondie reste à faire.
3.2.3. « Non-déplaçabilité » et absence d’« effet local »
La non-déplaçabilité est définie par Potts (2007 : 166) à la suite de Hockett (1961) comme le fait de renvoyer obligatoirement à un élément de la situation d’énonciation. Chez Hockett la « déplaçabilité » est la possibilité de faire référence à un événement/objet imaginaire ou distant dans le temps, par rapport au moment de l’énonciation : « Displacement. Linguistic messages may refer to things remote in time or space, or both, from the site of the communication. » (Hockett 1963 : 11) Dans cette mesure, on peut dire que les PÉN sont non déplaçables et partagent cette propriété avec des expressifs (Potts 2007) tels que, par exemple, la construction « ADJ de N », où ADJ est souvent péjoratif (fichu, foutu, etc.). Selon Potts, dans un exemple comme (29a), le jugement négatif du locuteur sur son voisin serait obligatoirement contemporain de l’énonciation (ce qui n’empêche pas ce jugement d’avoir été, peut-être, porté dans le passé et de se maintenir dans le futur) , alors que la propriété d’être le voisin du dessus n’est peut-être plus vérifiée au moment de l’énonciation, le voisin ayant pu déménager (29b) et que le jugement proféré dans (29c) s’applique à une action passée.
(29) a. Hier mon imbécile de voisin
a fait du bruit exprès pour m’embêter.
b. Il y a un mois mon voisin du dessus a fait du bruit exprès pour m’embêter.
c. Hier mon voisin a stupidement fait du bruit exprès pour m’embêter.
Par nature, les PÉN sont également non déplaçables, puisqu’elles signalent une variation/interaction contemporaine de leur énonciation. Mais elles ont une forme de non-déplaçabilité encore plus stricte que les constructions adjectivales expressives. Si l’on compare (30a) à (30b), on voit que foutu s’applique à vase dans les deux cas et qu’il manifeste un état négatif du locuteur obligatoirement contemporain de l’énonciation (non-déplaçabilité), que zut manifeste également une variation de ce type mais qu’en plus cette variation est limitée à l’énonciation. (b) est appropriée dans une situation où le locuteur éprouve un sentiment négatif au moment même où il la PÉN le manifeste, par exemple s’il cherchait un vase et qu’il se souvient brusquement qu’il a précisément cassé ce vase la veille.
(30) a. J’ai cassé ce foutu vase hier.
b. Zut j’ai cassé ce foutu vase hier.
La différence entre foutu et zut se réduit donc au fait que la référence de foutu (un sentiment négatif) existe au moment de l’énonciation de (a) mais peut se prolonger dans le passé, alors que la référence (du même type) de zut est temporellement limitée (« arrimée ») à l’énonciation de (b). C’est ce que Dargnat (2020) appelle l’« immédiateté » des PÉN.
Un autre indice du fort lien entre les PÉN et l’énonciation est fourni par la propriété dite de l’« effet local » (Tonhauser et al. 2013). Intuitivement, on observe un effet local lorsqu’une attitude véhiculée par un verbe d’opinion « porte sur » ou « affecte » un contenu qui ne contribue pas au contenu propositionnel. Par exemple, dans (31), le contenu « Paul fumait auparavant » (la présupposition) fait partie des croyances de Marie. Cette notion d’effet local est liée à l’opacité référentielle, une problématique introduite par Frege et particulièrement développée par Quine (1960, chapitre 4). Une construction est référentiellement opaque quand elle comporte au moins un élément tel que, si on le remplace par un élément de sens différent mais de même référence, on peut changer la valeur de vérité. Par exemple, si Marie pense que Paul est idiot est vrai, Marie pense que le vainqueur du marathon de Paris est stupide n’est pas forcément vrai si Marie ignore que Paul et le vainqueur du marathon de Paris désignent la même personne (sens différent mais référence identique). L’effet local est plus difficile à analyser dans ces termes, car il met en jeu des contenu non propositionnels (typiquement des présuppositions).
Les PÉN ne donnent jamais lieu à un effet local (cf. Dargnat 2020, Dargnat & Jayez 2020), même lorsqu’on peut considérer que la PÉN modifie une proposition, comme cela a été dit plus haut pour quoi (section 3.2.1, exemples (27 et (28)). Ainsi, dans (32), l’interprétation de la PÉN ne fait pas partie des croyances de Marie.
(31) Marie pense que Paul a cessé de fumer.
(32) Marie pense que Paul a cessé de fumer quoi.
La notion d’effet local est parfois utile pour distinguer les PÉN d’expressions de sens proche. Cela peut être illustré par le contraste entre (33) et (34). L’approximation évoquée par en quelque sorte dans (33) peut très bien faire partie de l’opinion de Marie, alors qu’elle est préférentiellement attribuée au locuteur dans (34).
(33) Marie pense que Paul a en quelque sorte échoué.
(34) Marie pense que Paul a, disons, échoué.
La notion peut aussi être étendue à des constructions verbales exprimant l’interrogation (demander si, vouloir savoir si). On observe que, dans la portée syntaxique de ces verbes, des adverbes énonciatifs comme franchement, sincèrement, honnêtement, vraiment, etc., sont déplaçables et n’ont donc pas à coïncider avec l’énonciation. Le cas de vraiment est plus complexe à appréhender, car il est difficile de distinguer nettement des valeurs entre ses usages exophrastiques et ses usages endophrastiques. Très souvent, l’usage exophrastique apparaît comme une simple manière de mettre l’adverbe en relief. En ( 33 ), le contrat de sincérité proposé par le locuteur date de la veille et n’est pas contemporain de l’assertion. Par conséquent, ces adverbes ne sont pas des PÉN, malgré leur lien à l’énonciation.
(35) Hier j’ai demandé à Paul si, sincèrement, il avait déposé plainte contre son patron.
Ces remarques montrent que tout ce qui est « énonciatif » ne relève pas forcément de la catégorie des PÉN. Ce qui constitue la force (ou même parfois la violence) des PÉN n’est donc pas uniquement le caractère expressif que certaines d’entre elles partagent avec la catégorie générale des expressifs, mais aussi le fait que la connexion forte avec l’énonciation fait partie de leur sens et doit faire partie de leur description sémantique (voir la notion de pragmatique intégrée chez Ducrot). Il ne s’agit pas d’un effet pragmatique résultant du traitement du contexte et/ou de l’application de stratégies d’interprétation (voir entre autres les lois de discours de Ducrot (1979), les maximes de Grice (1975) ou le principe de pertinence de Sperber et Wilson (1995)).
3.2.4. Possibilités combinatoires
Les PÉN peuvent se juxtaposer, entre elles ou avec des MD connecteurs (36), y compris dans des répétitions (37) :
(36) si y a quelque chose à Orléans le préfet il dira bon ben moi j’ai dit oui ça sera comme ça bon ben alors d’accord [codim-ESLO1, ENT 124]
(37) Aïe aïe aïe aïe ça joue bien du piano Nicolas, mais ça change [chante] mal (Voici, 3/3/21, 8h54, France Gall 2.0?)
Il semble qu’elles puissent n’être coordonnées que quand elles sont expressives ((38) vs. ??bon et bon), même si elles ne sont pas identiques (crotte et zut). La même restriction vaut pour les constructions « PÉN de PÉN » (39) ou « PÉN de chez PÉN », avec pour cette dernière une contrainte d’identité stricte (40). Ces différents processus peuvent être combinés, comme le montrent (39) et (41) :
(38) Sinon les vacances c’est dans une dizaine de jours youpi youpi et youpi. J’espère pouvoir partir une petite semaine en Tunisie (I need it). [blog]
(39) Ah… Le silence. Et zut de zut et de rezut : elle me manque déjà ! Sa chambre est déserte, les doudous favoris sont avec elle : elle m’a laissé les plus moches et les moins doux. [https://www.e-zabel.fr/vive-les-vacances-chez-papy-mamie]
(40) Y a beaucoup d’amour dans ton boulot, respect de chez respect… [https://www.homecinema-fr.com/forum/installations-homecinema-dediees/ma-salle-hc-phil95-3-t29730523-60.html]
(41) Et merde. Merde, merde, merde, merde de chez merde. [https://www.wattpad.com/201098931-let%27s-talk-about-sex-chapitre-4
De plus, certaines PÉN, surtout à base nominale ou verbale, semblent pouvoir conserver des compléments ou des ajouts. Dans le cas des PÉN à base nominale, on a des PÉN complexes principalement en pour (grâce, pardon, pitié, respect, etc.), comme l’illustrent (42) et (43) :
(42) Appelant à lui, en vain, un autre sentiment que sa colère, son indignation. Fibre paternelle vibre ! Violon sentimental, tendresse, pitié ! Pitié pour ce garçon, pitié pour lui ! [Frantext, A.-M. Garat, Pense à demain, 2010, Actes Sud, 419]
(43) Respect pour la sewista! [Une sewista est une
femme « tendance », passionnée de couture et de beaux tissus]
[https://www.fibremood.com/fr/blog/people/respect-pour-la-sewista]
ou en à (attention, gare, etc.), comme l’illustre (44), la PÉN étant la tête du syntagme :
(44) – Il y a des chauves-souris ?
– Quelques-unes. Attention à vos cheveux. [Frantext, P.
Sollers, Le Cœur absolu, Gallimard, 1987, 298]
Certaines PÉN à base verbale acceptent des constructions phrastiques en que ou en si qui semblent ne bien fonctionner que dans l’emploi et l’interprétation comme PÉN. On retrouve d’ailleurs ces constructions avec l’ensemble des interjections, et il serait intéressant de les interroger du point de vue des structures exclamatives. Il est assez classique de trouver des PÉN (interjections) associées à des exclamatives en comme, si, qu’est-ce que ou que (par ex. Putain comme/s’/qu’/qu’est-ce qu’il est bête !), mais qui ne semblent pas forcément régies par la PÉN. Le cas de tu m’étonnes et tu parles est un peu différent. Dans ces cas-là, la proposition en si ou que introduit la cause de l’état cognitif véhiculé par la PÉN (voir ci-dessous la fonction de tu parles et tu m’étonnes dans (45) et (46)).
(45) Tu parles que ça a dû leur plaire ! [Frantext, A. Guyard, La Zonzon, La Dilettante, 2011, 24]
(46) Tu m’étonnes s’il est arrivé en retard. Évidemment.
Plus généralement, concernant certaines expressions à base verbale à la première personne (je pense, je crois, etc.), qui sont parfois traitées comme MD (Andersen 2007), nous renvoyons aux réflexions autour des notions de « rection faible » (Blanche-Benveniste 1989, Blanche-Benveniste & Willems 2016), de verbe ou de clausule « parenthétiques » (Béguelin 2023, Gachet 2015) ainsi qu’aux remarques suivant le tableau en annexe (section 6). Ces expressions n’ont pas été retenues dans la liste, car elles relèvent de la catégorie plus générale des « opérateurs discursifs » – qui correspond aux connecteurs, aux PÉN, aux modaux et aux évidentiels (Anscombre et al. 2013-2018). Nous pensons qu’elles relèvent de la catégorie des modaux, car elles relativisent la valeur de vérité d’une proposition à une certaine perspective, ce qui ne correspond pas au fonctionnement des PÉN tel qu’il est décrit ici.
3.3. Quelques problèmes ouverts
Dans cette section sont examinés quelques problèmes et réflexions déjà évoqués ou sous-jacents, qui restent ouverts, soit parce qu’ils demeurent peu clairs, soit parce qu’ils mériteraient un développement plus long que celui qui est proposé. Il s’agit du rapport à l’illocutoire (section 3.3.1.), de la difficulté à distinguer parfois un fonctionnement comme connecteur et un fonctionnement comme PÉN (section 3.3.2.) et de l’apport de la perspective diachronique (section 3.3.3.).
3.3.1. Le rapport à l’illocutoire
La question soulevée est celle de l’intervention de certaines PÉN sur la force illocutoire des segments auxquels elles sont associées, quand elles sont associées à un segment. Dostie (2004) a suggéré que certains MD, qu’elle nomme « marqueurs illocutoires d’interprétation » peuvent orienter l’interprétation d’un acte illocutoire, ce que nous illustrons par les deux exemples d’usage de tiens :
(47) Tu peux apporter de la bière, tiens.
(49) A : Pourquoi il l’aimait à ce point ?
B : Parce que c’était Chet Baker, tiens ! Un immense
musicien ! (Frantext, Anna Gavalda, La Consolante, 2008)
Dans (47), tiens invite l’interlocuteur à interpréter la proposition « tu peux apporter de la bière » comme une suggestion à laquelle le locuteur vient de penser. Dans (48), la PÉN présente l’explication « parce que c’était Chet Baker » comme une évidence, ce qui peut indirectement être perçu comme un reproche ou une pique ironique par l’interlocuteur, qui « aurait dû le savoir ». Dans le traitement proposé dans cette notice, on distinguerait deux aspects. Dans (47) et (48), le référent de tiens est une variation interne du locuteur, probablement une variation attentionnelle dans (47), correspondant à une possibilité qui « vient à l’esprit », et une variation émotionnelle dans (48), correspondant à un agacement plus ou moins modéré. Dans les deux cas, tiens modifie les segments auxquels il s’ajoute. Comme expliqué plus haut dans la section 3.2.1, la PÉN impose ou favorise une interprétation de ces segments. Dans (47>), ce qui est sémantiquement, de façon neutre, une déclarative devient une suggestion. L’exemple original de Dostie (2004 : 149, ex. 26) a été légèrement modifié pour rendre le segment auquel tiens s’adjoint le plus neutre possible. L’exemple d’origine utilise le conditionnel (tu pourrais …), ce qui oriente déjà vers la suggestion. En soi, tu peux … est ambigu entre possibilité, permission et suggestion. On a un exemple ici de l’utilisation des PÉN comme facteur de levée des ambiguïtés. Dans (48), ce qui est sémantiquement, de façon neutre, une explication, est présenté comme évident, ce qui peut refléter, par exemple, une dévalorisation de l’interlocuteur.
L’intuition de ce fonctionnement de spécification de la force illocutoire est relativement claire et partagée sur la base d’exemples, mais, ce qui semble plus compliqué est de développer une étude systématique de la représentation de l’interaction des PÉN et de la force illocutoire. Cela touche à la question de savoir si on peut appliquer aux PÉN, telles qu’elles ont été définies ici, ce qui a été développé dans des travaux récents pour d’autres opérateurs, comme les modaux, les évidentiels, les adverbes d’énonciation, les adverbes évaluatifs (voir par ex. Anscombre et al. 2013-2018, Koev 2022, Murray 2017).
3.3.2. PÉN ou connecteur ?
Certains items lexicaux sont polyfonctionnels dans la langue (par exemple bon comme adjectif, nom ou PÉN). Et, à l’intérieur même de la classe des MD, il n’est pas toujours évident de savoir si l’on a affaire à un connecteur ou à une PÉN. Alors, dans des exemples comme (47), (48) et (49), et mais, dans des exemples comme (49), (50) et (51) illustrent le problème :
(49) Mais des blessures plus ou moins graves ont perturbé la préparation de S. C., B. M.-R., P. C., F. A. et de quelques autres. La surprise pourrait alors venir des décathloniens [Le Monde, août 1987]
(50) je vais regarder sur mon mais euh alors attendez [codim- DÉCLICS -servb-pat25_med5]
((51) La direction du PCF finit par persuader tout le monde que le second tour ne l’intéresse pas, mais alors pas du tout. [Le Monde, août 1987]
(52) l’homme est vieux mais il grimpe il est vieux il est usé mais il avance [FONC, Calandry_042-6, Les trois cheveux d’or, dans Dargnat 2022 : 51]
(53) Contexte : deux personnes se battent.
A : Mais séparez-les ! [dans Bruxelles et al.
1976 : 50]
(49) présente un emploi classique de alors connecteur marquant une relation de conséquence entre un état de choses et un jugement. Il peut être remplacé par par conséquent, du coup, donc, dans ces conditions ou à ce moment-là dans son emploi consécutif.
Le alors de (50) fonctionne comme une PÉN en combinaison avec d’autres MD. Ici, on pourrait faire l’hypothèse que alors marque une étape de l’activité en cours. Ces emplois sont très fréquents dans les corpus où le locuteur répond à une demande d’information. Voir par exemple le corpus DECODA (Béchet et al. 2012) constitué de dialogues d’appels au service clientèle de la RATP, et Lee (2021) pour une étude en partie ciblée sur alors dans ce corpus.
(51) offre une cooccurrence des deux MD. Mais introduit une correction métalinguistique en réévaluant à la hausse le degré maximal de la propriété précédente (voir Anscombre 2013 et Garcia Negroni 2003). Il relève sans conteste de la classe des connecteurs adversatifs. La fonction de alors, dans cet exemple, n’est en revanche pas très facile à évaluer. Il paraît difficile d’en faire un connecteur consécutif comme dans (49). Relève-t-il d’une des fonctions types attribuées ici aux PÉN (manifestation des états internes du locuteur ou gestion de l’interaction) ? Sa possibilité de combinaison avec des formulations exclamatives suggère qu’il manifeste un état émotionnel. Il apparaît dans ce cas soit à l’initiale soit à la finale du segment auquel il est associé ((alors) qu’est-ce qu’il est bête (alors) !). Bien qu’il existe un certain nombre d’études spécifiques sur alors (cf. Degand & Fagard 2011, Frankel 1987, Jayez 1988, Hansen 1997, etc.), une étude systématique et détaillée de ce type d’emploi reste à faire.
Le mais de (52) est un emploi de connecteur oppositif bien connu (voir notamment Bruxelles et al. 1976 et Anscombre & Ducrot 1977), alors que, dans (53), mais fonctionne plutôt comme PÉN et marque la réaction du locuteur à un événement externe (agacement, indignation, etc.). Cela n’implique pas que mais soit automatiquement une PÉN lorsqu’il enchaîne sur une situation extra-linguistique. Par exemple, on peut imaginer un locuteur qui, constatant qu’il pleut, déclare : Mais il faut quand même que j’aille faire des courses. On conclura à ce stade qu’il est plus pertinent d’envisager « deux » mais, connecteur et PÉN, même si le mais PÉN présente toujours une idée de rupture, d’opposition, qui s’associe bien avec certaines émotions, comme la colère, l’indignation, la surprise, l’impatience, etc.
Le cas de admettons (qu’il faut envisager dans ses relations avec mettons et disons), est assez complexe également, car il présente plusieurs interprétations et constructions plus ou moins figées qui héritent dans une certaine mesure des propriétés de la forme verbale de base (voir Dostie 2004 : 157-179 et 248-253). On peut distinguer au moins trois cas, en s’appuyant sur les exemples suivants :
(54) Admettons une fois pour toutes que notre système politique n’est qu’un pis-aller, un machin qui vit d’expédients à défaut de mieux. [Frantext, L’Orient Littéraire, n°166, avril 2020].
(55) Pas un grand fan mais admettons qu’il a raison cette fois-ci – Détaxez le pétrole, M. Legault ! [Twitter, 12 mai 2022]
(56) admettons j’ai rendez-vous euh je me sens pas, eh ben ça m’est jamais arrivé [de ne pas aller au rendez-vous sans prévenir] [codim-DÉCLICS, pc-servc-pat29_psy3]
(57) mais admettons que sa fortune vaille la moitié de l’Ancien, le total ne donnerait que seize cents milliards ! [Frantext, Jules Verne, La chasse au météore, 1908]
(58) A – Je te répète que tu te trompes !
B – Admettons. On en reparlera une autre
fois [Sur ce, B se lève et s’éloigne] (dans Dostie 2004 : 252)
(59) Cette « génération est foutue », maugrée un intellectuel de Lille. Admettons. Mais voilà longtemps tout de même que la civilisation polynésienne s’est évaporée à Papeete, au gré de l’urbanisation de l’agglomération. Comment soutenir alors que les jeunes soient devenus les enfants de Coca Cola ? [Le Monde, novembre 1987]
Dans (54), admettons est un verbe factif – qui présente sa complétive comme un fait – et qui pourrait avoir comme équivalent reconnaissons. Cette interprétation demande l’indicatif. Le cas de (55) est plus ambigu, car, bien qu’il soit suivi de l’indicatif, il n’est pas impossible d’avoir déjà une interprétation hypothétique paraphrasable par « dans l’hypothèse où il a raison », « supposons qu’il a raison ». La présence du que n’est pas systématique, comme le montre (56) et admettons peut occuper la position finale, ce qui, dans (56), donnerait j’ai rendez-vous euh je me sens pas admettons . On pourrait considérer ce type de contexte comme permettant l’émergence d’emplois de admettons (que) pour introduire une hypothèse. Les exemples au subjonctif renforcent cette analyse comme introducteur d’hypothèse. L’ouverture d’un champ hypothétique a souvent une fonction cadrative pour une autre proposition. De manière assez naturelle, on arrive à des constructions du type de « admettons (que) P, Q » comme dans (57). La dernière possibilité est d’avoir admettons sans dépendance, comme dans (58) et (59). Plusieurs facteurs interviennent dans ce cas. Si admettons succède à un énoncé du même locuteur, il est difficile que cet énoncé traduise un engagement fort du même locuteur (une assertion non modalisée par exemple). Dans ce cas, en effet, le même locuteur-énonciateur s’engagerait fortement puis plus faiblement (valeur hypothétique) sur le même contenu propositionnel. Pour résoudre cette tension, il faudrait soit un marqueur de révision comme enfin ou du moins, soit une pause sensible entre le premier énoncé et admettons (Paul est chez lui. Enfin/Du moins admettons, Paul est chez lui … admettons).
Dans la plupart des cas, admettons réagit à un énoncé d’un autre locuteur ou attribué à un autre énonciateur (citation, mention). Pragmatiquement, le fait de choisir un énoncé à engagement limité (hypothétique) suggère que le locuteur n’est pas prêt à endosser l’énoncé avec le même degré d’engagement que l’interlocuteur et ouvre la voie à au moins deux types de continuations discursives : soit un changement de thème de discours comme dans (58), soit une tentative de réfutation comme dans (59). C’est un cas d’implicature scalaire : le fait de choisir un degré inférieur sur une échelle favorise une interprétation selon laquelle les degrés supérieurs (ici de certitude) ne peuvent être choisis, soit parce qu’ils sont incertains (interprétation dite faible), soit parce qu’ils sont rejetés (interprétation dite forte) (voir Geurts (2010 : 49-66) pour une présentation d’ensemble).
Sur cette base, est-il possible de catégoriser de manière claire le fonctionnement de admettons lorsqu’il introduit une hypothèse et d’en faire un MD ? Si oui, est-ce un connecteur ? une PÉN ? Les propriétés évoquées ci-dessus en font une forme hybride. D’un côté, il « branche » l’énoncé sur la situation d’interlocution et donne des indications sur l’état épistémique du locuteur, ce qui va dans le sens d’une interprétation comme PÉN. D’un autre côté, il peut servir à associer deux propositions à travers une relation de discours de type condition, changement de thème ou réfutation, ce qui le « tire » du côté des connecteurs. Ici, nous pensons cependant que, dans des exemples comme (58) et (59), le fonctionnement connectif est le résultat d’une interprétation qui vise à préserver la cohésion discursive, et que admettons, pris en lui-même, signale à l’interlocuteur ou au lecteur que le locuteur confère un statut hypothétique à une certaine proposition, ce qui en fait plutôt une PÉN ayant comme référent un mouvement interactionnel.
Il est possible que la différence entre connecteurs et PÉN doive être envisagée avec une certaine souplesse, notamment parce que le type du référent est difficile à cerner et que les usages et les fonctions évoluent au fil du temps. Certains auteurs remarquent que la distinction entre connecteur et particule n’est pas toujours aisée en pratique (Chanet 2003 : 3-4, Berrendonner 2020 : 128-130), d’autres plaident explicitement pour une « catégorisation flexible » (Diewald 2013 : 41-42) et l’idée de fonctionnements prototypiques et donc de propriétés que l’on pourrait dire clignotantes. Il y aurait dans ce cas de meilleurs représentants de la classe que d’autres (cf. Schoonjans 2013 : 141-145). Les processus de pragmaticalisation, de subjectivisation et d’intersubjectivisation peuvent jouer un rôle dans ce passage et ce floutage des fonctions entre connecteurs et PÉN (voir Traugott 1982, 1995 et 2010). Nous reconnaissons ces difficultés, mais elles nous paraissent en général refléter quatre facteurs plutôt que remettre en cause de manière significative la distinction entre connecteur et PÉN. Le premier facteur est le fait qu’une même expression peut avoir les deux fonctionnements (voir le cas de mais), sans que ceux-ci soient confondus. Le deuxième facteur est le fait que peu d’attention a été portée dans la vaste littérature sur les MD aux propriétés que nous avons brièvement décrites dans la section 3.2.3 (la déplaçabilité et l’effet local), peut-être pour des raisons qui tiennent à la séparation des études sur les phénomènes discursifs et sur les distinctions sémantiques de base. Le troisième facteur tient à une sorte de croyance, plus ou moins diffuse, selon laquelle les expressions étudiées ici n’ont pas vraiment de « contenu » ou ont un caractère « indicible » (Potts 2007). Il nous semble que des études comme celle de Dostie (2004) ou de Karagjosova (2003) suggèrent le contraire en acceptant un certain niveau d’abstraction, qui n’est peut-être pas très répandu dans les études sur le « discours ». Le quatrième facteur, probablement lié en partie au précédent, est le risque de confusion entre les significations de base et les effets pragmatiques, facteur dont il faut bien avouer qu’il est très difficile et peut-être impossible à contrôler suffisamment dans les études sur la signification (voir Ranger 2018 pour une discussion approfondie sur la polysémie des MD).
3.3.3. La diachronie
La présente notice adopte essentiellement une perspective synchronique, mais il ne faudrait pas passer sous silence l’apport de la diachronie dans l’étude des MD. Depuis déjà un certain temps, les études diachroniques font la part belle à l’étude des MD, en particulier les connecteurs. Cette perspective et les études qui en découlent présentent plusieurs intérêts et quelques écueils. On insistera sur trois points : un intérêt théorique, un intérêt descriptif et une limite concernant les données.
Au niveau théorique, la perspective diachronique pose en particulier la question du changement linguistique et vise la mise en évidence de processus généraux pour expliquer l’évolution (et la polyfonctionnalité) de certains phénomènes. Le domaine des MD amène à réfléchir en particulier à l’évolution sémantique d’expressions ou de constructions et au fait qu’elles acquièrent au fil du temps de nouveaux statuts grammaticaux (changement de catégorie) et de nouvelles valeurs sémantiques ou pragmatiques à partir de certains contextes. Ainsi retrouve-t-on des discussions mettant en jeu des processus comme la grammaticalisation (Lehmann 2015 [1982] : 129-189, Marchello-Nizia 2006 : chap. 1, Traugott 1982, 1995, etc.) et, pour l’étude des MD en particulier, la pragmaticalisation ( Degand & Evers-Vermeul 2015, Combettes & Dargnat 2020, 2021, Dostie 2004, Erman & Kostinas 1993, etc.). S’ajoutent parfois d’autres termes plus récents désignant des processus plus généraux, il s’agit par exemple de la constructionnalisation (Traugott 2014, Traugott & Trousdale 2013), de la routinisation (Detges & Waltereit 2016) ou de la cooptation (Heine et al. 2021). La comparaison de ces approches et processus soulève des réflexionœs qui dépassent largement le cadre de l’étude des MD. De plus, ces processus peuvent être complémentaires, car ils ne suivent pas forcément des chemins d’évolution qui s’excluent. La possibilité de les distinguer repose notamment sur une conception plus ou moins étendue de la grammaire, sur l’importance qui est donnée à la fréquence d’apparition et au figement, ou encore sur le type de dépendance analysée lorsqu’est avancé un critère de changement de portée (ou de détachement), à la fois syntaxique, sémantique et énonciatif. Il n’est pas évident de dire si, de manière générale, tel ou tel processus conviendrait mieux à l’étude des connecteurs ou des PÉN. Mais il semblerait que la pragmaticalisation permet de prendre en compte l’acquisition de valeurs subjectives et intersubjectives (Traugott & Dasher 2002, Traugott 1982, 1995, 2010) qui sont nécessairement à l’œuvre dans le fonctionnement des PÉN, ce qui n’est pas forcément le cas de la grammaticalisation. Le débat n’est pas tranché, comme le montrent un certain nombre de publications déjà citées. Dans tous les cas, ces différents cadres théoriques soulèvent la question de l’émergence des MD, de leur évolution sémantique et constructionnelle (voir par ex. Hansen à par. pour une discussion). Toutefois, il semble que les travaux concernent davantage les connecteurs que les PÉN, pour lesquels un travail substantiel reste encore à faire.
Du point de vue descriptif, qu’elle s’affiche ou non explicitement dans un des cadres mentionnés ci-dessus, la perspective diachronique présente plusieurs intérêts, dont celui de chercher à faire des liens entre les différentes valeurs d’une expression dans les données à disposition, et celui de mettre en évidence, de manière plus ou moins modélisée, des périodes de transition et des contextes pivots propices à l’émergence de telle ou telle valeur, de tel ou tel changement de portée voire détachement, qui en fait un MD, connecteur ou PÉN, etc. Voir l’utilisation qui est faite, par exemple, du cadre des grammaires de construction pour schématiser les héritages de propriétés sur un axe temporel (cf. Hoffman & Trousdale 2013, Traugott 2008, 2014, Trousdale 2012, 2015 et pour un exemple spécifique d’application au français Combettes & Dargnat 2016). Le type d’analyse que l’on peut produire dépend de l’empan temporel concerné. Ce qui nous amène au point suivant.
L’accès à des données pertinentes (authentiques) et représentatives est un point problématique concernant l’étude spécifique des PÉN, qui sont surreprésentées à l’oral et donc tributaires de supports rendant compte de cet usage. Il n’est pas impossible d’en observer dans des supports écrits antérieurs aux possibilités techniques d’enregistrement et de transcription (pour une discussion, voir Brinton 2017 : 12-13), notamment dans les parties dialoguées des textes littéraires (voir la base Frantext ou encore la Base de Français Médiéval), mais il reste parfois difficile de tirer des conclusions générales et d’extraire des périodes pivots et des contextes de réanalyse qui dessineraient des tendances généralisables. Cela peut peut-être expliquer que, parmi les MD, ce sont les fonctionnements comme connecteurs, relativement bien représentés à l’écrit, qui sont le plus étudiés en diachronie large (cf. Badiou 2023, Badiou & Marchello-Nizia 2020) et que les fonctionnements de type PÉN sont plus massivement étudiés en synchronie ou en diachronie courte, y compris sur des données très récentes. On parle de diachronie courte, voire parfois de micro-diachronie, pour des périodes d’une à plusieurs dizaines d’années (les changements observés peuvent dans ce cas-là ne concerner qu’un seul locuteur, et l’on rejoint alors la question de la variation individuelle), ou de diachronie longue pour des périodes couvrant plusieurs siècles (cf. Abouda & Skrovec 2022).
4. Bilan
4.1. Rappel des points soulevés
Les PÉN ont été présentées comme une sous-catégorie de la classe fonctionnelle des MD, qui compte aussi les connecteurs. Les interjections ont été incluses dans les PÉN. Dans un premier temps, les propriétés communes aux MD ont été rappelées. Dans un deuxième temps, nous avons pointé des propriétés spécifiques aux PÉN et commenté des exemples complexes. Nous rappelons quelques points essentiels :
Les MD (connecteurs et PÉN) ont fait l’objet de nombreuses études et réflexions mettant en évidence la difficulté de la catégorisation de la classe et/ou l’emploi d’items en particulier. La terminologie est touffue et les propriétés avancées parfois instables. Pour les PÉN, ceci les rapproche sur certains points des interjections ou des particules dites modales. Nous avons discuté de l’insertion des premières dans la classe des PÉN, mais une analyse détaillée de la place des secondes pour le français reste à explorer (voir Abraham 1991, Diewald 2013 : 27, Hansen 1998a : 4-46, 1998b : 135, Métrich et al. 1998-2002 : 24-36, Schoonjans 2013 : 155-157, Waltereit 2001).
Cependant, sans prétendre à l’exhaustivité, il semble raisonnable de maintenir une catégorie générale (appelée ici MD) ainsi qu’une distinction entre connecteurs et PÉN. Les MD ne correspondent pas à une catégorie grammaticale, mais ils ont pour fonction de contribuer à l’organisation du discours ou à la construction d’une image du locuteur dans l’énonciation, soit en termes d’attitudes (états de croyance, émotions, attention), soit en termes de relations dans l’interaction. Certes ces fonctions sont générales et peuvent être assumées par d’autres éléments ou d’autres phénomènes, en particulier des phrases ou des syntagmes nominaux (voir par exemple les actes de langage stéréotypés (cf. Métrich 2022), les phrases préfabriquées (cf. Tutin 2020) ou les parenthétiques (cf. Heine et al. 2021, Koev 2022)), mais ce qui distingue les MD de ces autres expressions ou constructions peut se résumer aux propriétés suivantes :
– Les connecteurs sont des anaphoriques associés à une relation de discours.
– Les PÉN sont des indexicaux désignant des variations du locuteur et « arrimées » à la situation d’énonciation (non-déplaçabilité, absence d’effet local, projection obligatoire.
Même si les PÉN du français (contemporain hexagonal) les plus représentatives ont été données à titre informatif (section 6, document annexe), il est difficile de proposer une liste complète et définitive des items concernés, pour plusieurs raisons, notamment leur spontanéité et la grande variabilité de leurs formes et de leurs emplois à l’échelle des régions et de la francophonie, leurs possibilités combinatoires et leur évolution diachronique.
4.2. Ouvertures et champs restant à explorer
Parmi les champs restant à explorer, ou peut-être moins explorés que d’autres jusqu’à présent, on en retiendra trois. Dans les travaux pertinents, c’est la catégorie MD qui est en général mentionnée, et pas spécifiquement les cas que nous avons ciblés comme PÉN. Mais cela ne veut pas dire que les deux fonctionnements ne sont pas distingués dans le détail.
Le premier champ est celui de l’analyse des combinaisons de MD, qu’il s’agisse de la combinaison des connecteurs avec d’autres connecteurs, des PÉN avec d’autres PÉN ou des connecteurs avec des PÉN. Ce point a été abordé plus haut dans la section 3.1, ex. (15) à (19), et dans section 3.2.4, nous y renvoyons. Les combinaisons de MD sont bien moins étudiées que les MD isolés, mais l’intérêt pour le phénomène semble grandir ces dernières années et donne lieu à des réflexions plus systématiques sur le plan théorique (le traitement de la compositionnalité et de la lexicalisation d’expressions complexes) et sur le plan méthodologique (le repérage des candidats MD et l’étude quantitative de la force et la fréquence d’association de ces candidats). Pour les travaux récents, en cours ou à paraître qui explorent le champ ou le posent explicitement en objet de recherche, on pense par exemple, sur le français, à Amsili & Winterstein (2015), au projet Compositionnalité et Marqueurs Discursifs (CODIM) 2023-2027, à Dostie (2016, à par.), et, sur l’anglais à Cuenca & Crible (2019).
Le deuxième champ est celui de la prise en compte de la prosodie. Si des remarques ponctuelles sont régulièrement faites à l’occasion d’une focalisation sur tel ou tel MD, ou si la dimension est envisagée dans plusieurs listes de propriétés générales des MD, l’étude de la contribution des paramètres prosodiques à l’identification des MD et des sous-types de MD ne semble avoir fait l’objet que de quelques travaux spécifiques (voir par exemple Bastien et al., Lee 2021, Martin 2024, Petit 2010, 2024 ou, pour une synthèse, Hansen & Visconti 2024 : partie 1). L’on peut se demander si les conclusions de ces travaux pourraient servir à clarifier les cas de polyfonctionnalité voire pourraient aider à une désambiguïsation dans le cadre, par exemple, d’une annotation automatique de données orales. Ce qui est un enjeu important.
Le troisième champ concerne la place des MD dans l’apprentissage du français langue seconde (en l’occurrence le français). Comme le remarque Reaves (2023) dans son récent ouvrage consacré à la question, il s’agit d’une perspective d’analyse sur les MD, connecteurs et PÉN confondus (dans son étude : alors, ben, bon, donc, en effet, en fait, enfin, hein, mais, oui, parce que, puis, quoi, tu sais), qui a été un peu laissée de côté et qui, pourtant, est le lieu de réflexions tout à fait productives sur la définition de la catégorie et des sous-catégories de MD, sur l’acquisition des valeurs sémantico-pragmatiques de base de ces items dans la langue cible (mais aussi le développement de nouvelles formes et de nouvelles valeurs dans les stades d’interlangue) et sur leur utilité dans le processus d’apprentissage. Il ressort de cette étude les remarques suivantes, qui sont autant de pistes pour des recherches futures : les apprenants produisent moins de marqueurs que les locuteurs natifs ; ils utilisent d’avantage de marqueurs, en fréquence et en nombre de formes, à mesure que leur compétence augmente ; ils sur- ou sous-emploient certains marqueurs par rapport aux locuteurs natifs ; ils font varier les fonctions des marqueurs et les diversifient à mesure que leur compétence en L1 augmente. D’autres facteurs pouvant impacter la production de marqueurs sont rapidement évoqués : le rôle du transfert entre la L1 et la L2, la présence de code switching chez certains locuteurs, les conséquences d’un séjour d’étude dans le pays de la L2, et des variations liées au genre ou au lieu. La question sous-jacente, qui reste ouverte, est celle de l’intérêt d’enseigner les MD, en particulier les PÉN, en classe de L2, de leur place dans les manuels et de la méthode pour les enseigner.
5. Références
5.1. Corpus exploités
La majorité des attestations des MD ont été récupérées dans les corpus cités suite au traitement des données effectué dans le cadre du projet CODIM (uniformisation des données, recherche et annotation automatique de tous les candidats connecteurs et PÉN au moyen du logiel Unitex-GramLab). Les exemples concernés sont indiqués ainsi codim-CEFCxxxx, codim-DÉCLICSxxxx, etc.
CEFC : Corpus d’Étude pour le Français Contemporain. Corpus source : CFPP2000 .
CFPP2000 : Corpus de Français Parlé Parisien. Entretiens sur Paris et sa région.
DÉCLICS : Corpus du projet Dispositif d’Études CLIniques sur les Corpus de Santé. Consultations médicales, entretiens cliniques, présentations cliniques.
DECODA : Dialogues d’appels au service clientèle de la RATP.
ESLO : Enquêtes Sociolinguistiques à Orléans. Interactions dans des situations diverses.
FONC : French Oral Narrative. Contes lus.
FRA80 : Corpus de Français des Années 80. Entretiens semi-dirigés. Voir Cahiers du Français des Années Quatre-Vingts, hors-série 1 (1989), CREDIF, ENS de Saint-Cloud.
Frantext : Base de données de textes français du IXème siècle au XXIème siècle.
MPF : Multi-cultural Paris French. Données recueillies auprès de populations « jeunes » connaissant des contacts multiculturels réguliers, recueil ouvert depuis 2010.
Le Monde : Textes du quotidien français Le Monde, années 1987-1998.
Oral-Rom : Parole spontanée plus ou moins formelle, partie française.
Sankoff-Cedergren : Corpus de français parlé à Montréal. Entretiens semi-dirigés (1971).
TCOF : Traitement de Corpus Oraux en Français . Interactions enfants-adultes et adultes-adultes.
5.2. Bibliographie
5.2.1 Références significatives
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5.2.2. Quelques numéros de revues thématiques
Un certain nombre de revues ne publient que des varia, et ne proposent par conséquent pas de recueils d’articles consacrés exclusivement aux marqueurs discursifs, dans un sens large. On peut néanmoins citer quelques numéros spéciaux.
Discours, revue de linguistique, psycholinguistique et informatique
n°8, 2011, « Approches fonctionnelles de la structuration des textes », édité par L. Sarda, S. Carter-Thomas et B. Fagard.
n°24, 2019, édité par A. Le Draoulec et J. Rebeyrolle [sur les connecteurs et les relations de discours]
n° 36 à paraître 2025, édité par Anna Ghimenton et Laure Sarda [sur les marqueurs discursifs]
Journal of French Language Studies
n° spécial, vol. 26/1, 2016, « Les modalisateurs émergents en français contemporains », édité par G. Siouffi, A. Steuckardt et C. Wionet.
Journal of Pragmatics
n° spécial, vol. 41/5, 2009, « Pragmatic markers », édité par Neal Norrick.
n° spécial, vol. 44/2, 2012, « Causal connectives in discourse: a cross linguistic perspective », édité par Ted Sanders et Ninke Stukker.
n° spécial, vol. 165, 2020, « Topic shifters in a contrastive perspective », édité par B. Fagard et Michel Charolles
n° spécial, vol. 19/1, 2022, « Pragmatic marker combinations », édité par Arne Lohmann et Chris Koops.
Langages, revue internationale des sciences du langage
n°161, 2006, « L’interjection : jeux et enjeux », édité par C. Buridant.
n°184, 2011/4, « Les marqueurs de discours : approches constrastives », édité par A. Rodríguez Somolinos.
n°207, 2017/3, « Comparaison des marqueurs discursifs », édité par D. Paillard.
n°227, 2022/3, « Au-delà de la perception visuelle : Étude de quelques marqueurs formés sur voir », édité par L. Rouanne et S. Gómez-Jordana.
Langue française, revue internationale de langue française
n° 154, 2007/2, « Les marqueurs discursifs », édité par G. Dostie & C. D. Pusch.
n°161, 2009/1, « Les marqueurs d’attitude énonciative », édité par J.-C. Anscombre.
n° 186, 2015/2, « Dire et ses marqueurs », édité par S. Gómez-Jordana & J.-C. Anscombre.
Lingvisticae Investigationes, International Journal of Linguistics and Language Resources
n° 42, 2023/2, « Dire et ses marqueurs », édité par L. Rouanne.
LINX, revue des linguistes de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
n° 46, 2002, « Les connecteurs », édité par D. Leeman.
Scolia, revue de linguistique
n° 30, 2016, « Des connecteurs argumentatifs aux opérateurs discursifs », dirigé par J. Vázquez Molina.
n° 38, 2024, « Les marqueurs de discours. Aspects théoriques », dirigé par J.-C. Anscombre.
5.2.3. Références citées
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6. Annexes
Liste indicative d’expressions pouvant fonctionner comme PÉN en français
Autre catégorie dans la langue | PÉN |
---|---|
adjectif | bon, chic, chiche, tout beau, tout doux, etc. |
adverbe | alors, (assez), ben, bien, comment, donc, effectivement, enfin, hélas, jamais de la vie, là, quand même, (tant mieux), (tant pis), etc. |
conjonction | mais |
autres | amen, allô, aïe, ah, aha, ahou, bah, beh, (ben), bernique, beuh, beurk, bof, bravo, chut, crac, eh, euh, eurêka, fi, ha, haha, hé, hein, hem, hep, heu, hip hip hip hourra, ho, holà, hop, hourra, hum, na, oh, ohé, ouah, (m)ouais, ouf, ouh, ouille, oups, ouste, paf, patatras, peuh, pouh, pouah, pouët, pst, snif, ta ta ta, taratata, tchin, waouh, youp là, yes, youpi, zou, zut, etc. |
nom | adieu, attention, banco, bingo, bonjour, bonsoir, bonté, bordel, bougre, camembert, catastrophe, ciel, chapeau, chiotte, Christ, con, courage, crotte, dame, diable, (dommage), genre, grâce, flûte, halte, malheur, merci, merde, misère, nom de Dieu, Jésus, pardon, pétard, pitié, prout, punaise, purée, putain, respect, salut, santé, seigneur, stop, tintin, tralala, tonnerre, etc. |
pronom | quoi, ça alors, ça par exemple, etc. |
construction nominale | bon Dieu, bonne journée, bonne soirée, bonté divine, bon sang, chapeau bas, de l’air, Dieu du ciel, doux Jésus, du balai, du calme, grand(s) dieu(x), juste ciel, la vache, la vérité, ma foi, ma parole, mon Dieu, mon salaud, point barre, ta bouche, ta/vos gueules, etc. |
construction prépositionnelle | à bientôt, à la bonne heure, à la fin, à la revoyure, à la tienne/nôtre/vôtre, à plus, à tantôt, au revoir, au plaisir, d’accord, du coup, en fait, par exemple, etc. |
verbe, construction verbale, fragment et phrase | - impératif : admettons, allons, allez, dis, dites, disons, écoute, écoutez, ferme-la, fermez-la, la ferme, figure-toi, figurez-vous, mettons, regarde, regardez, remarque, remarquez, tiens, tenez, va, voilà, voyez, voyons NB : La plupart de ces constructions à l’impératif peuvent être combinées avec don(c) ou voir : dis donc, dis voir, tiens donc, tiens voir, etc. - indicatif : tu comprends/comprends-tu, vous comprenez/comprenez-vous, tu penses (bien)/ penses-tu, vous pensez (bien)/pensez-vous, tu parles, tu m’étonnes, tu rigoles, tu sais/sais-tu, vous savez/savez-vous, tu vois/vois-tu, vous voyez/voyez-vous, je veux dire, etc. - fragment : et la marmotte, et ta mère, et ta sœur, et puis quoi encore, etc. - phrase : c’est ça, ça roule ma poule, je dis ça je dis rien, je veux mon neveu, qu’est-ce que tu veux, que veux-tu, qu’est-ce que vous voulez, que voulez-vous, n’est-ce pas, si tu veux, si vous voulez, faut pas pousser (mémé dans les orties), c’est pas vrai, c’est pas possible, et mon cul c’est du poulet, et moi je suis la Reine d’Angleterre, etc. |
Remarques complémentaires à ce qui a été dit à la section 3.1. :
– Ne sont mentionnées que des formes isolées (les combinaisons n’apparaissent pas, car leur lexicalisation n’est pas toujours évidente).
– Les expressions dont le statut de PÉN a été discuté plus haut sont indiquées entre parenthèses.
– Il faudrait ajouter des considérations sur la variation, les emprunts (shit, basta, olé, yes, wèche, etc.) et des altérations diverses visant à atténuer les PÉN relevant des jurons et blasphèmes (par exemple diantre, fichtre, fouchtra, tabarnouche, vinzou, etc.). L’usage a figé certaines formes complexes et il n’est pas toujours facile de trancher, notamment entre les syntagmes prépositionnels et les adverbes (par exemple d’accord, en fait, par exemple, etc.).
– Comme cela a été indiqué à la suite de l’exemple (46), n’ont pas été retenues comme PÉN des expressions relevant de la modalité et de l’évidentialité/médiativité (je pense, je crois, il paraît/paraît-il, d’après X, selon X, etc.), car elles relativisent la valeur de vérité de la proposition sur laquelle elles portent, ce qui ne correspond pas au fonctionnement des PÉN tel qu’il a été décrit ici.
– Les expressions rangées sous verbe et construction verbale ne sont pas uniformes : y sont mentionnés des impératifs et des indicatifs, qui pourraient tout aussi bien être déclarés comme « phrases » pour ceux dont la construction est saturée.
Cette question rejoint en partie les réflexions sur les verbes dits « recteurs faibles » (cf. Blanche-Benveniste 1989, Blanche-Benveniste & Willems 2016), les « clausules parenthétiques » (cf. Béguelin 2023, Gachet 2012), qui sont parfois explicitement traités comme des « marqueurs discursifs propositionnels » (Andersen 2007).
– Les expressions rangées sous fragment et phrase mériteraient une discussion plus approfondie également. S’y trouvent des segments prédicatifs figés divers dont le sens, très culturel pour certains, est devenu assez commun. Morphologiquement, leur statut de PÉN peut être discutable en fonction de leur degré de figement, observable en particulier dans leur réalisation phonétique, et du caractère compositionnel ou non de l’assemblage (cf. Tutin 2020 et le projet PRÉFAB).