>Page pers. Claus D. Pusch
(04-2024)
Pour citer cette notice:
Pusch (C.), 2024, « Les concessives », in Encyclopédie grammaticale du français,
en ligne: encyclogram.fr
1. Découpage du domaine.
1.1. Définition et délimitation
1.1.1. Les concessives, dans leur acception grammaticale la plus courante, sont des propositions introduites par des subordonnants (appelés aussi ‘conjonctions de subordination’) tels bien que, quoique ou encore que. Elles font partie de ce que la grammaire française a coutume de dénommer subordonnées circonstancielles, également appelées ‘subordonnées adverbiales’ dans d’autres traditions grammaticales. Les concessives expriment un fait ou une situation p qui se trouve lié(e) à une autre situation q, exprimée dans une proposition adjacente (appelée proposition matrice ou ‘principale’) et pour laquelle p pourrait fournir la cause ou la condition préalable ; mais dans le cas visé par le locuteur qui énonce la construction (décrite comme phrase complexe dans la tradition grammaticale), cette cause ou condition est signalée comme étant inopérante et sans l’effet escompté :
(1a) il n’y avait aucune trace d’ordures dans la rue (..) bien que les véhicules de la voirie (.) ne soient pas encore passés (oral ; C-ORAL-ROM)
(2a) Bien qu’il s’agisse d’une production franco-allemande, Querelle a été tourné en langue anglaise (écrit ; Le Monde)
Cette contestation, souvent exceptionnelle ou inattendue, de la valeur de cause de p par rapport à q constitue le lien sémantique marqué par les subordonnants concessifs ; c’est ce lien que l’on peut désigner comme concessivité. Ce terme provient de lat. concessio qui désigne, entre autres, une figure rhétorique dont le lien avec la concessivité en grammaire sera discuté plus loin (cf. § 1.1.3. et 3.4.2.).
Les notions de ‘cause inefficace’ (Soutet, 1990 : 7) et de ‘condition inopérante’ (Riegel, Pellat & Rioul, 2014 : 861) sont d’autres appellations invoquées pour décrire la spécificité sémantique des concessives. La causalité et la conditionnalité semblent donc être des relations sémantiques très proches de la concessivité, ce qui est confirmé par le fait que la relation concessive, qui lie p et q dans la phrase complexe, peut être explicitée au moyen de propositions causales ou conditionnelles. Ainsi, les ex. (1a-2a) peuvent être paraphrasés comme suit :
(1b) Normalement, il n’y a pas de trace d’ordures dans la rue parce que les véhicules de la voirie sont passés. Mais dans la situation en question, ce n’était pas le cas (sc. : le lien cause-effet n’est pas vérifié)
(2b) Normalement, si un film est une production franco-allemande, il n’est pas tourné en langue anglaise. Mais dans la situation en question, ce n’était pas le cas (sc. : le lien condition-conséquence n’est pas vérifié)
Dans ces paraphrases, l’adverbe de phrase normalement indique que le locuteur qui produit une construction concessive évalue le lien de causalité ou de conditionnalité existant entre les propositions p et q par rapport à une situation considérée comme normale et attendue (cf. aussi § 3.2.2.), pour conclure que dans la situation en question, cette attente est déçue et ‘frustrée’. À part la causalité contrariée (Beyssade, 2021 : 1600) ou la conditionnalité ‘frustrée’, d’autres notions ont été évoquées pour circonscrire la valeur sémantique des concessives : d’une part, adversativité – ou ‘advertion’ (Soutet, 1990 : 6) –, contraste (Rudolph, 1996), opposition (Blumenthal, 1980 ; Anscombre, 1985 : 345ss ; Álvarez-Prendes, 2023 : 55), discordance (Morel, 1996) ou incompatibilité (König, 2006 : 820) ; d’autres part, restriction (Soutet, 1990 : 7), rectification (Morel, 1996) ou (auto‑)correction (Riegel, Pellat & Rioul, 2014 : 862). La question qui se pose alors est celle de savoir dans quelle mesure ces notions peuvent être considérées comme définitoires et exclusives pour délimiter les concessives, et/ou dans quelle mesure il s’agit de valeurs dérivées par inférence. Cette question sera reprise infra (§ 3.2. et 3.3.).
1.1.2. La relation de concessivité entre p et q ne s’exprime pas seulement au moyen de phrases complexes comprenant une proposition introduite par un subordonnant expressément concessif, comme bien que, quoique ou encore que. Elle peut aussi être exprimée, entre autres :
– au mode syndétique, au moyen de propositions à caractère hypothétique introduites par même si (3), expression qui rend explicite la conditionnalité sous-jacente (et inopérante) évoquée plus haut, par quand bien même (très rare à l’oral ; § 3.1.1.) (4) ou au moyen des compléments circonstanciels introduits par la préposition malgré ou la locution prépositionnelle en dépit de (5) :
(3) même
si je suis pas cadre hein je suis au même niveau qu’eux hein (oral ;
ESLO2)
p = je ne suis pas cadre ; q = je suis au même niveau qu’eux
(4) Il juge
fondamentalement positive l’introduction de l’euro, quand bien même la
nouvelle monnaie a cédé environ 15% face au dollar (écrit ; internet)
p = l’euro a cédé 15% face au dollar ; q = l’introduction de
l’euro est (jugée) positive
(5) j’aimerais
bien apprendre par exemple à à dessiner correctement chose que je ne sais pas
faire (..) euh malgré ma formation (oral ; OFROM)
p = j’ai reçu une formation (en dessin) ; q = je ne sais pas
dessiner correctement
– et au mode asyndétique, au moyen des phrases juxtaposées construites avec l’auxiliaire avoir beau suivi de l’infinitif (6), ou au moyen d’adverbes comme quand même, tout de même, pourtant ou toutefois (Gettrup & Nølke, 1984), désignés comme connecteurs concessifs (Mellet [ed.], 2008), qui entrent dans la catégorie des adverbes de liaison (Riegel, Pellat & Rioul, 2014 : 879s) (7) et apparaissent souvent dans des propositions coordonnées par le morphème introducteur mais « inverseur d’orientation argumentative » (op.cit. : 882) (8) ; celui-ci peut d’ailleurs à lui seul exprimer une relation de concessivité entre les propositions (Moeschler & De Spengler, 1981, 101, n.3) – et constituerait, selon Álvarez-Prendres (2023 : 164), la réalisation prototypique même de cette relation :
(6) on a
beau dire de prendre de la distance moi j/ j’y arrive pas encore en tout
cas (..) là on prend très p/ on s’attache aux gens (oral ; OFROM)
p = on dit de prendre de la distance ; q = on s’attache au
gens
(7) certes
(.) sa femme vient le voir de temps à autre (.) cependant (.) une
nouvelle scission (.) s’opère en lui (..) il tombe à nouveau dans le marasme
(oral ; C-ORAL-ROM)
p = sa femme vient le voir de temps à autre ; q = une
nouvelle scission s’opère en lui (et) il tombe à nouveau dans le marasme
(8) lui il
a répondu <je veux pas t’entendre parler de ça aujourd’hui> mais
elle a CONtinué quand même (oral ; CFPQ)
p = lui a dit à elle qu’il ne voulait pas l’entendre parler de ça ;
q = elle a continué de parler de ça
Une analyse de la concessivité qui adopte une perspective onomasiologique (comme c’est le cas de Pott, 1976, Detti, 2017 ou Álvarez-Prendes, 2023) s’efforcerait de prendre en compte toutes ces expressions formellement et structuralement divergentes. Or, la perspective de la présente notice est moins ambitieuse et mettra, en accord avec l’acception du terme concessive de la tradition grammaticale, l’accent sur l’expression de la concessivité illustrée dans les ex. (1-3), c’est-à-dire sur les propositions introduites par des morphèmes dont la fonction spécifique est celle de marquer la relation concessive. Dans ce domaine, les exemples (1-3) représentent les deux constructions les plus prototypiques, déjà mentionnées comme telles dans l’ouvrage fondamental de Sandfeld (1936 : 370ss.) et pour lesquelles les termes de concessive causale (proposition dépendante introduite par bien que, encore que, quoique…) et concessive conditionnelle (proposition dépendante introduite par même si) seront employés dans la suite (pour des termes alternatifs, cf. infra, § 1.3.). La construction asyndétique illustrée dans (5), à laquelle une notice spécifique est dédiée > Notice , sera discutée sommairement, de même que quelques autres constructions pour lesquelles une lecture concessive est possible. En revanche, l’expression nominale ou adverbiale de la concessivité sera écartée de la présente notice, de même que les cas totalement dépourvus de marques formelles où une relation concessive se (re)construit entièrement sur la base d’inférences (con)textuelles.
1.1.3. Dans la délimitation du domaine, un élément à prendre en compte est le degré d’intégration de la concessive dans l’interaction communicative, où les propositions p et q en relation concessive sont produites. Comme indiqué supra, le terme de concessive provient de lat. concessio qui désigne, entre autres, une figure rhétorique au moyen de laquelle l’orateur admet le bien-fondé d’un argument avancé par son adversaire (ou qu’il attribue à celui-ci) pour ensuite présenter des arguments (souvent d’orientation contraire) plus pertinents et plus convaincants (Lausberg, 31990 : § 856 ; Soutet, 1990 : 3-5). La force de ses propres arguments est ainsi amplifiée par l’acte de ‘concéder’ la validité des arguments de l’autre, inopérante cependant pour le cas sous examen. Si le lien étymologique entre concessio et concessive est hors de doute, la valeur explicative de ce lien ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes de ce domaine (cf. § 1.3. et 3.4.2.). La figure rhétorique de la concessio peut être conçue comme une stylisation de la confrontation de propositions argumentatives dans l’interaction communicative dialogique, qui elle-même peut évoluer vers une stratégie pragmatico-discursive (Anscombre, 1985, 345ss) faisant partie, pour ainsi dire, de la ‘rhétorique du langage spontané’ ; et la séquence articulant les deux propositions (‘proposition matrice’ et ‘proposition subordonnée concessive’), objet principal de la description grammaticale de la concessivité, peut quant à elle être considérée comme le résultat d’une grammaticalisation par constructionalisation de la figure rhétorique et/ou de la stratégie pragmatico-interactionnelle (pour des points de vue opposés cf. Detti, 2017 : 86-90). Le point commun entre la concessio, avec son schéma interactionnel sous-jacent, et les constructions syntaxiques à valeur concessive est l’effet polyphonique (Anscombre, 1985, 344s) : « leur emploi suppose que quelqu’un, quelque part […] asserte le lien causal [ou conditionnel / hypothétique ; C.P.] que pour sa propre part le locuteur ou le scripteur refuse, ou du moins dont il asserte, dans le cas présent, l’inanité. » (Riegel, Pellat & Rioul, 2014 : 861, cf. aussi Beyssade, 2021 : 1614). Alors que la figure rhétorique et le schéma interactionnel dont elle est issue impliquent la présence de deux locuteurs, la stratégie discursive et la construction syntaxique, qui en est une forme de réalisation (Anscombre, 1985 : 345), n’ont généralement qu’un seul locuteur parlant ‘à plusieurs voix’ et considérant le lien causal / conditionnel comme présupposé (cf. § 3.1.3.). Cette différence s’accompagne d’une modification de la portée de la relation de concessivité, phénomène typique des processus de grammaticalisation et que Soutet (1990 : 8) décrit comme « émancipation hors du champ originel de la rhétorique grâce à son insertion dans un réseau logique complexe ». Par conséquent, la construction grammaticalisée à valeur concessive illustrée dans les ex. (1a-2a) correspond à ce que, dans une optique classificatoire, on appelle la concession logique (Morel, 1996 : 6), causale (Moeschler, 1989), anti-causale (Schützler, 2023) ou concession ‘objective’ (Pötters, 1992 : 37). Ce qui caractérise le lien logique sous-jacent à ce type de concession, dont l’inanité d’une causalité (ou d’une conditionnalité) entre p et q constitue l’élément-clé, c’est qu’il se situe au niveau du contenu référentiel des propositions.
Cela dit, il faut souligner que la figure rhétorique de la concessio est bien attestée dans le langage ordinaire, comme le montre l’exemple suivant :
(9) bon certes y a les socialistes qui suivent un petit peu derrière mais le PDC [Parti démocrate-chrétien] a beaucoup beaucoup de poids dans le Haut-Valais hein (oral ; OFROM)
En fait, ce type de concession n’est pas soumis strictement à la logique de la cause inefficace ou de la condition inopérante. Il convient de rappeler que la figure rhétorique concessive, et plus encore le schéma interactionnel qui la sous-tend, sont dépendants de la pertinence et du poids argumentatif des propositions opposées, et c’est précisément à ce niveau qu’opère la concessivité dans des exemples comme (9) : après avoir avancé une première proposition, « le locuteur revient sur cette assertion préalable pour donner son point de vue personnel sur le fait, pour rectifier les conclusions qui en étaient déductibles et pour en modifier la portée » (Morel 1996 : 16). Le point commun avec la concession logique se résume donc à ce retour sur une proposition avancée préalablement, pour en signaler l’incompatibilité (König, 2006 : 820) avec une proposition subséquente : incompatibilité au niveau référentiel des faits, dans le cas de la concession logique / (anti-)causale / objective ; incompatibilité au niveau épistémique de l’évaluation des faits, dans le cas de la concession rhétorique / argumentative / discursive. Comme l’indique l’ex. (9), cette dernière ne recourt pas nécessairement aux moyens morpho-syntaxiques associés à la concession logique, mais se présente plutôt sur le mode parataxique ou ‘agrégatif’ (Raible, 1992a), sous forme de propositions coordonnées. Dans des exemples comme (9), où cette concession argumentative est produite par le locuteur dans des propositions adjacentes, on trouve certains signes de constructionalisation, moins forts que pour la concession logique mais néanmoins indéniables – p.ex. ici, l’adverbe certes et le connecteur mais en emploi corrélatif, cf. Morel (1996 : 16ss.) et Rossari (2014), étude se servant du modèle polyphonique. Dans l’approche interactionniste, ce type de concession est décrit à partir d’un schéma en trois mouvements discursifs (Cardinal Concessive, Couper-Kuhlen & Thompson, 2000), le premier mouvement étant une affirmation initiale attribuée à un autre locuteur que celui qui, ensuite, la reprend et en fait l’objet de la concession. Ce schéma interactionnel met donc en évidence le caractère intersubjectif de la concessivité, réduit, dans le cas de la concession logique, à un effet de polyphonie ou de présupposition, comme indiqué plus haut. L’étude de ce schéma concessif et de ses dérivés interactionnels ne sera pas approfondie ici, malgré les indices de constructionnalisation évoqués. Par contre, on traitera plus loin (§ 3.1.5. et 3.3.) des cas de concession rectificative, comme dans l’exemple suivant :
(10) moi je sais pas tricoter je sais pas coudre (..) encore qu’il m’est arrivé de coudre mes boutons (oral ; CREDIF)
Ce type de formulation s’éloigne lui aussi de la concession logique dans la mesure où ce n’est pas seulement le lien sémantico-logique entre p et q (ou plutôt, avec la concessive postposée, entre q et p) qui est mis en question ; c’est aussi la validité propositionnelle (assertive) ou communicative (discursive) de q qui est partiellement ou entièrement annulée. La concession rectificative oscille donc, en termes de Ducrot (1984), entre un fonctionnement au niveau propositionnel du dit (comme la concession logique / (anti‑)causale / objective) et un fonctionnement au niveau (inter‑)subjectif du dire (comme la concession rhétorique / argumentative / épistémique / discursive et le schéma interactionnel correspondant). Elle représente un type intermédiaire, qui rentre dans l’optique de la présente notice, car il est susceptible de mobiliser en partie les mêmes connecteurs concessifs que ceux employés pour exprimer la concession logique en mode ‘intégratif’ (Raible, 1992a).
1.2. Approches favorisées par le domaine
Tous ces éléments de définition et de délimitation de la concessivité, à la fois comme notion sémantique et comme ensemble de constructions, indiquent que ce domaine est susceptible d’une multitude d’approches et de perspectives. Cependant, l’approche généralement privilégiée est celle qui s’attache à la dimension logico-sémantique de la relation entre la proposition concessive p et la proposition associée q – relation considérée comme matricielle – et aux similitudes et interdépendances entre la relation concessive et d’autres relations sémantiques pouvant être exprimées sous forme de propositions circonstancielles. Étant donné que les concessives ont toujours été considérées comme un type de circonstancielle à statut relativement marginal (relative rareté, apparition tardive dans le processus d’acquisition du langage, cf. § 3.5.2.), il n’est guère surprenant que ce soient des logiciens plutôt que des linguistes qui se sont penchés sur la question. Au cours des dernières décennies, cependant, les travaux de sémantique linguistique (présentant parfois certaines affinités avec la logique et la philosophie du langage) se sont multipliés, au point qu’il est devenu difficile voire impossible d’appréhender la totalité des références. Un choix des études à portée sémantique est présenté au § 3.2.
À côté de cette approche sémantico-logique, mais désormais, quantitativement parlant, sur un pied d’égalité, on trouve, d’une part des travaux à visée morphologique et morpho-syntaxique, d’autre part des études sur la concessivité dans l’organisation et la gestion du discours. Les recherches en morphologie et syntaxe se sont intéressées à la description et, dans le cas d’approches dia- ou pan-chroniques, à la genèse et au développement du paradigme des morphèmes connectifs associés à l’expression de la concessivité, paradigme qui, au plan historique, fait preuve d’une grande instabilité, alors qu’au niveau synchronique de la langue moderne, les subordonnants concessifs se caractérisent par une transparence morphologique élevée (cf. § 3.4.1. et 3.5.1.). D’autres sujets traités dans cette perspective concernent la linéarisation de p et q (pré- ou postposition de la concessive) et le choix du mode verbal (principalement : subjonctif vs indicatif) (cf. § 3.1.2. et 3.1.3.). Mais, pour aller au-delà d’une pure description structurale, et pour traiter de manière appropriée ces faits variationnels paradigmatiques et syntagmatiques, il s’avère très vite nécessaire de combiner la perspective morpho-syntaxique soit avec une perspective sémantique soit avec une perspective discursive. La spécificité de la concession logique est qu'elle intègre dans un schéma constructionnel de phrase complexe deux propositions assertées. Or, si l'on considère que la non-assertivité d’une proposition est un critère pour déterminer son statut de subordonnée (comme le propose par exemple Cristofaro [2003 : 29ss.] sous le terme d’Assymetry Assumption), le caractère assertif des deux propositions p et q de la concession logique invite à s’interroger sur le bien-fondé de leur rattachement aux constructions à subordination, comme on le fait d'ailleurs pour d'autres constructions encore attetées notamment dans la langue parlée (cf. § 3.1.5.). Ces données de corpus fournissent aussi la base de travaux entrepris dans une optique discursive, qui s’intéressent à la dimension rhétorico-argumentative (évoquée supra) et pragmatique de la concessivité, généralement dans une perspective onomasiologique qui l’éloigne à des degrés variables des constructions et outils dits concessifs dans la tradition grammaticale. Une sélection de ces études sera présentée plus loin (cf. 3.3.), notamment celles qui se penchent sur les ‘extensions’ pragmatiques des constructions explicitement concessives et incluant les connecteurs dédiés correspondants.
1.3. Terminologie
La distinction entre la concessivité comme catégorie sémantique et fonctionnelle générale, et la concessive comme catégorie grammaticale renvoyant à des réalisations morpho-syntaxiques particulières, n’est pas toujours observée en linguistique française, alors qu’elle est désormais bien enracinée dans la terminologie anglophone et germanophone. Dans les travaux francophones, le terme de concession – réservé à la stratégie rhétorico-discursive dans d’autres usages terminologiques – est souvent employé comme dénomination pour la catégorie sémantique. Il faut préciser que la distinction entre concessivité (catégorie sémantique), concession (catégorie ou plutôt stratégie rhétorico-discursive qui l’exprime en interaction) et concessive (construction morpho-syntaxique) va au-delà d’une pure différentiation terminologique, comme d’ailleurs les rapports qui s’établissent entre ces notions. Une question controversée est celle de savoir si la proposition concessive est liée sémantiquement ou fonctionnellement à la concessio rhétorique. Certains chercheurs, comme déjà Sandfeld (1936), rejettent un tel lien et refusent d’expliquer le fonctionnement des concessives par l’acte rhétorique de ‘concéder’ (cf. § 1.1.3. et 3.4.2.). C’est de ce champ que proviennent des suggestions terminologiques alternatives pour les concessives, comme p. ex. ‘proposition contradictoire’ ou ‘proposition incausale / inconditionnelle’ (Hermodsson, 1994).
Un autre point controversé, mentionné supra, concerne la dénomination des deux types structuraux fondamentaux de propositions concessives. À côté de ‘concessives causales’ vs ‘concessives conditionnelles’ que nous employons ici, on trouve la paire ‘concessives factuelles’ vs ‘concessives non-factuelles’ (Xrakovsky ed., 2012). Si le terme ‘concessive conditionnelle’ est largement accepté, le chercheur éprouve un certain malaise quand il doit nommer ‘l’autre’ concessive de façon à la fois oppositive et appropriée. D’où une vaste gamme d’expressions, comme : ‘concessives “pures”’, ‘concessives prototypiques / canoniques’, ‘concessives interprétées comme réelles’ (Beyssade, 2021 : 1615), ‘concessives à valeur réelle’ (Mossberg, 2009) – ces dernières expressions étant purement descriptives. Certes, les choix des termes descriptifs structuraux sont, en grande partie, conditionnés par les typologies fonctionnelles sur lesquelles se basent les travaux concernés. Comme mentionné supra (cf. § 1.1.3.), ces typologies sont généralement tripartites. Ainsi Morel (1996) distingue entre concession logique, concession rectificative et concession argumentative ; Schützler (2023), qui renvoie à Sweetser (1990), oppose la concessive anticausale, la concessive dialogique (elle-même divisée en deux sous-types, en fonction de la portée de l’élément concessif) et la concessive épistémique. Álvarez-Prendes (2023), par contre, propose une typologie quadripartite comprenant la concession ‘réfutative’ (proche de la concession logique de Morel, mais très éloignée de la notion de réfutation telle qu’elle est employée dans les travaux sur la concessivité provenant de l’Ecole de Genève comme Moeschler & De Spengler [1981 ; 1982]), la concession ‘concessive’ au sens propre (équivalent à la concession argumentative), la concession rectificative et la concession réactive. Cette dernière est non propositionnelle et produite en situation dyadique, typiquement au moyen de l’adverbe quand même interjectif (op.cit. : 127).
2. Références importantes
La bibliographie sur la concessivité en général, et sur les constructions concessives en particulier, est très riche et dorénavant difficile à maîtriser. Elle s’articule en différentes approches, qui seront résumées dans la suite. Tout choix de références présentées comme essentielles dépend évidemment de l’aspect de la concessivité que l’on souhaite privilégier ; mais on peut considérer que les ouvrages (ou chapitres d’ouvrages) suivants fournissent une base solide pour toute étude dans ce domaine :
Morel, Mary-Annick (1996) : La concession en français. Gap / Paris : Ophrys.
Cet ouvrage est un condensé didactisé, sous forme de manuel, de la thèse d’état de l’auteure, « Étude sur les moyens grammaticaux et lexicaux propres à exprimer une concession en français contemporain » (1980), beaucoup plus étendue mais inédite. Introduction incontournable, avec focus sur le français contemporain.
Beyssade, Claire (2021) : « Les subordonnées concessives », in Grande Grammaire du Français, chap. XIV (Abeillé, Anne / Godard, Danièle [eds], Arles : Actes Sud, volume 2, 1600-1615).
Après une description du sémantisme spécifique de la relation concessive, cette présentation traite la syntaxe des concessives (en se concentrant sur le mode hypotactique), le choix du mode verbal et, sous le titre « L’interprétation des subordonnées concessives », les fonctions propositionnelles et discursives qu’elles peuvent remplir.
Soutet, Olivier (1992) : La concession dans la phrase complexe en français. Des origines au XVIe siècle. Genève : Droz.
Issu d’une thèse d’état éponyme soutenue en 1986, cet ouvrage retrace l’évolution diachronique de la gamme complète des expressions de la concessivité, allant du mode parataxique au mode hypotactique, en prenant également en compte les antécédents latins. Complété par Soutet (1990).
Combettes, Bernard & Julie Glikman (2020) : « Les subordonnées concessives », in Grande Grammaire Historique du Français, chap 36 (Marchello-Nizia, Christiane et al. [eds], Berlin / Boston : De Gruyter, 1386-1402).
Ce texte fournit une description succincte mais complète des moyens d’expression de la concessivité et, plus spécifiquement, des outils morpho-syntaxiques aptes à marquer la relation concessive en ancien et moyen français ainsi qu’en français préclassique.
Xrakovskij, Viktor S. (ed.) (2012) : Typology of Concessive Constructions. München : Lincom.
Résultat d’un travail monumental de l’école typologique de Saint-Pétersbourg, cet ouvrage offre une classification formelle, utile et cohérente, des différentes constructions concessives identifiées dans les langues du monde. Le chapitre rédigé par Elena E. Kordi (2012) est une application de cette classification au français.
Couper-Kuhlen, Elizabeth & Kortmann, Bernd (ed.) (2000) : Cause – Condition – Concession – Contrast. Cognitive and Discourse Perspectives. Berlin / New York : Mouton de Gruyter.
Dans ce volume collectif, la partie consacrée à la concessivité contient plusieurs contributions importantes sur la concession en situation interactionnelle, notamment l’article fondamental de Couper-Kuhlen & Thompson (2000) sur le Cardinal Concessive (cf. § 1.1.3. et 3.3.).
Detti, Tommaso (2017) : Der Ausdruck der Konzessivität im heutigen Französisch und Italienisch. Frankfurt am Main : Lang.
Version légèrement remaniée d’une thèse de doctorat soutenue en 2014, cet ouvrage, à caractère comparatif français-italien, offre également une synthèse raisonnée de l’état de la recherche dans le domaine.
Álvarez-Prendes, Emma (2023) : La concesividad en español y en francés contemporáneos. Del prototipo a los casos marginales. Berlin : P. Lang.
Il s’agit d’une étude comparative espagnol-français, menée dans une perspective onomasiologique, qui conçoit la concessivité comme une stratégie discursive et en décrit les expressions linguistiques selon des critères cognitifs basés sur la sémantique du prototype.
3. Analyses descriptives, résultats et modélisations
3.1. Analyses morphologiques et syntaxiques
3.1.1. Dans le domaine de la concessivité exprimée par hypotaxe, c’est-à-dire par des constructions syntaxiques correspondant à ce que les grammaires appellent subordination (ou enchâssement, terme souvent préféré par la grammaire française), on distingue les concessives causales (causal concessive constructions chez Xrakovskij [2012]), ainsi appelées en raison de leur proximité avec la causalité (ici inefficace), et les concessives conditionnelles (concessive conditional constructions chez Xrakovxkij [2012]) exprimant une condition inopérante. Cette distinction est donc essentiellement sémantique (cf. § 3.2.1. infra), mais elle se manifeste morphologiquement par l’emploi d’introducteurs spécifiques. En effet, tandis que les concessives conditionnelles sont introduites par des locutions conjonctives combinant l’adverbe d’identité et de renforcement même avec l’introducteur hypothétique si , ou avec quand introducteur de circonstancielles temporelles mais utilisé occasionnellement avec une valeur hypothétique :
(3) même si je suis pas cadre hein je suis au même niveau qu’eux hein (oral ; ESLO2)
(11) [la sauce béchamel] même quand tu l’achètes en poudre là faut que tu la mettes sur le poêle (oral ; CFPQ)
les concessives causales, quant à elles, disposent en français contemporain d’un paradigme d’introducteurs spécifiquement concessifs, comprenant notamment bien que, quoique, encore que et malgré que :
(12) et bien que que nous fussions en été (..) il pleuvait le temps était froid et pluvieux (oral ; OFROM)
(13) on emmenait pas les petits les les enfants dans les pays d’l’Est forcément quoi quoique Montreuil était était jumelé avec des est encore jumelé avec des villes de (.) du Viet-Nam je crois (oral ; CFPP)
(14) j’aime bien j’aime bien regarder les tableaux encore que ça que ça dépend beaucoup de la manière de les mettre en valeur dans un musée (oral ; ESLO2)
(15) la mienne c’était une période: de guerre euh qui n’a pas été très facile malgré que j’étais à la campagne (oral ; CREDIF)
Tous ces introducteurs sont morphologiquement complexes : ils sont issus de la composition d’un élément à sémantisme propre (adverbe modal bien, adverbe temporel encore, pronom interrogatif sous-déterminé quoi, préposition malgré) et – hormis quoique, cf. infra – du subordonnant que (désigné comme complémenteur, en particulier dans les grammaires d’obédience générative). Si malgré que est transparent (malgré est la préposition la plus employée pour exprimer la concessivité au moyen d’un complément circonstanciel, et son sens étymologique de ‘contre la volonté de qqn.’ est accessible à certains locuteurs), la prédisposition pour une valeur concessive est moins évidente pour les autres conjonctions. Cependant, certaines tendances ont été observées par les typologues et les diachroniciens (cf. König, 2006 : 821s. ; Harris, 1988 : 75 ; et § 3.5.1.). Ainsi, dans bien que, il est possible que bien, employé comme adverbe d’affirmation emphatique en contexte de concession rhétorique / argumentative, ait été le point de départ de la grammaticalisation du subordonnant concessif (Soutet, 1992 : 54) ; de même, encore a été interprété comme marque explicite d’un retour sur une proposition antécédente (Fuchs, 1992). Quoique, pour sa part, résulte de la soudure (univerbation) de la séquence formée par le pronom interrogatif et le pronom relatif que, que l’on trouve dans la construction concessive à choix aléatoire (free choice) illustrée dans (16) :
(16) enfin quoi que je fasse ils allaient de toute façon l’accepter (oral ; OFROM)
Une variante récurrente et quasiment lexicalisée en est quoi que ce soit / quoi qu’il en soit, suivie parfois d’une seconde proposition relative (cf. Corblin, 2010). Ce dernier type de concessive peut se construire avec d’autres mots qu- (qui, où, quel(le)(s)) suivis de que ce soit – produisant ce que Beyssade (2021 : 1608) désigne comme des pronoms complexes ou ‘agglomérés’ –, ou avec quelque + N. Pour les désigner, on a proposé les termes de concessive universelle (Haspelmath & König, 1998), concessive généralisante (generalized concessive construction, Xrakovskij, 2012 : 14) ou encore, en linguistique francophone, concessive extensionnelle (cf. Muller, 1993 et les références qui y sont mentionnées). Ce type est structuralement proche de la concessive dite scalaire, construite en français selon le schéma (aus)si (Hadermann, 2015) / tant / pour / tout + adjectif + que, comme en (17) :
(17) aussi beau que ça soit, ça écrase assez rapidement les images (écrit ; internet)
Rares à l’oral mais d’une certaine fréquence à l’écrit, ces constructions ont ceci en commun que leur concessive exprime une quantité ou un degré élevé, aussi élevé qu’il est possible de le concevoir. Sur la base de leurs propriétés sémantiques (les propositions mises en relations sont non-factuelles ; cf. infra), on peut les considérer comme un sous-type d’une famille de constructions concessives hypothétiques « interprétées comme éventuelles » (Beyssade, 2021 : 1615), qui englobe aussi les concessives conditionnelles. Il est à noter que le que y est analysé tantôt comme pronom relatif, tantôt comme subordonnant complémenteur (Hadermann, 2015 : 61) ou comme ayant glissé diachroniquement du premier paradigme au second (Gachet, 2014). Cela est d’autant plus remarquable que, comme indiqué au début de cette notice, les grammaires et ouvrages de références du français traitent les concessives comme des subordonnées circonstancielles ; or, selon l’analyse du que, les concessives extensionnelles / universelles / généralisantes relèveraient des subordonnées relatives.
Pour compléter l’inventaire des subordonnants concessifs spécifiques, il convient encore de mentionner la locution quand même ; employée surtout comme adverbe de liaison (cf. Moeschler & De Spengler [1981] et § 1.1.2.), elle apparaissait jusqu’au 19e siècle comme introducteur de propositions concessives. En français actuel, on la trouve occasionnellement dans cet emploi jonctif sous la forme quand bien même ([4] supra et [18]), forme à considérer comme diaphasiquement restreinte car indicative d’un style soutenu :
(18) Reste que Derib sait raconter une histoire (quand bien même je ne trouve pas de grand intérêt à celle-ci) et que son dessin, sur un sujet qui lui tient à cœur, demeure de grande qualité ! (écrit ; internet)
Quant à sa variante assortie de complémenteur, quand même que, celle-ci est soumise à des restrictions diatopiques, car elle n’est courante que dans les variétés nord-américaines du français (cf. § 4.2.). Par rapport à la distinction entre concessives causales et concessives conditionnelles, ce morphème jonctif complexe doit probablement être rangé dans les deux types. Dans certains cas, il peut être considéré comme un introducteur de concessive causale et remplacé par bien que ou quoique (19) ; mais dans d’autres cas, seul le remplacement par même si donne un résultat acceptable (20), ce qui justifierait de voir dans quand même que une locution conjonctive conditionnelle basée sur l’emploi hypothétique de quand (Benzitoun & Saez, 2016 [EGF]) :
(19a) A :
il aura pas le droit de conduire ici (.) quand même qu’il a un permis de
conduire de la Floride
B : parce que c’est un résidant d’ici (oral ; CFPQ)
(19b) il aura pas le droit de conduire ici bien qu’il a/ait un permis de conduire de la Floride
(20a) quand même que t’ôterais la moto je pense pas que ça changerait grand-chose (oral ; CFPQ)
(20b) même si / ?bien que t’ôterais la moto je pense pas que ça changerait grand-chose
Quant à la fréquence d’emploi des concessives et à la variation de leurs subordonnants spécifiques, les chiffres fournis par Detti (2017 : 235) sur la base d’un corpus écrit contemporain (de taille non quantifiée) indiquent une prépondérance de même si, donc des concessives conditionnelles : 177 occurrences sur un total de 383, soit 46% des cas de concessivité syntactico-grammaticale identifiés, contre seulement 86 (22,5%) pour les concessives causales. Dans ces dernières, quoique et bien que apparaissent de façon presque égale (39 et 34 occ.), alors que encore que se trouve 13 fois dans ses données et que malgré que en est absent. Dans une étude consacrée uniquement aux concessives causales à l’oral, Pusch (2017 : 331) trouve dans un corpus de français hexagonal de 5,7 millions de mots 270 occurrences d’introducteurs concessifs spécifiques, qui se répartissent comme suit : quoique 122 (45%) ; bien que 80 (30%) ; malgré que 43 (16%) ; encore que 25 (9%). Ces résultats, bien que partiels, confirment la rareté des concessives à l’oral (cf. aussi § 4.1.). Dans le corpus écrit relativement modeste de Mossberg (2009), qui elle aussi limite son étude aux concessives causales, bien que est l’introducteur le plus fréquent (avec 54 occurrences), suivi par quoique (25 occ.) et encore que (4 occ.). Force est de constater que la distribution fréquentielle des subordonnants concessifs est soumise à une variation importante selon les corpus.
3.1.2. Au niveau syntagmatique, un facteur à prendre en compte est la place de la proposition concessive p par rapport à la proposition matrice q. Sur des données écrites, ce facteur syntagmatique est relativement facile à décrire, mais il en va différemment sur des données orales, en raison des difficultés que présente la segmentation dans l’analyse de la langue parlée. Par ailleurs, l’étude de la position de p par rapport à q ne peut pas être séparée de l’analyse sémantique et fonctionnelle des concessives. Ainsi, Morel (1996 : 8) reconnaît dans la construction concessive un « ordre de succession relativement libre des deux propositions » quand la construction exprime la concession logique, tandis que la concession rectificative exige la postposition de la concessive (cf. aussi § 3.1.5. et 3.3.). Étant donné que selon cette auteure, quoique et encore que se sont spécialisés dans l’emploi rectificatif, les concessives introduites par ces morphèmes se rencontreraient majoritairement (pour quoique) ou systématiquement (pour encore que) en postposition. En revanche, dans le cas des concessives introduites par même si, bien que et malgré que, l’ordre des deux propositions devrait davantage varier. Ces tendances se voient confirmées grosso modo par les résultats quantitatifs (d’ampleur limitée) de Detti (2017) sur corpus écrit. Concernant l’oral, des comptages précis sur des données suffisamment représentatives font encore défaut. Mais une tendance vers une postposition est indéniable, ce qui s’explique peut-être par la dominance de la concession rectificative dans cette modalité de la langue.
3.1.3. Par rapport à la morphosyntaxe, le choix du mode verbal est un autre facteur ayant depuis longtemps attiré l’attention des chercheurs. Les concessives conditionnelles suivent les règles applicables aux phrases complexes hypothétiques introduite par si, avec une nette prépondérance de l’indicatif présent et passé ; cependant, l’emploi du futur dans les concessives introduites par même si est attesté :
(21) même si elle n’ira pas en finale, la maison Baudry n’a pas à rougir de son parcours dans « La meilleure boulangerie de France » (écrit ; internet)
Le choix du mode est plus varié avec les concessives causales, où, malgré une préférence pour le subjonctif, la grammaire normative elle-même admet, sous certaines conditions, l’emploi de l’indicatif et du conditionnel (Riegel, Pellat & Rioul, 2014 : 861). Cette variation peut être ramenée à l’interaction parfois antagonique entre les principes déterminant le choix des modes (sur le subjonctif, cf. De Mulder > Notice . Au cœur de ces principes se trouve la notion d’assertion, entendue comme la validation d’une proposition. Or, certains linguistes mettent l’accent sur la vériconditionnalité de l’assertion, qu’ils traitent comme élément sémantique au niveau du calcul logique du sens propositionnel. Un autre courant en linguistique met l’accent sur le fait qu’il s’agit de l’attribution d’une valeur de vérité par un sujet parlant, et que cette prise en charge de la responsabilité communicative (speaker commitment) est à concevoir en termes pragmatiques (cf. Jary, 2010 : 6-31 ; Boulat, 2023 : 3-86, sur la relation entre assertion et commitment dans différentes approches théoriques). Tandis que le mode indicatif est prototypiquement associé à l’assertion, le mode subjonctif est associé à la non-assertion. La non-assertion sémantique correspond à l’ascription d’une valeur d’irréel à une proposition au subjonctif ; la non-assertion pragmatique, en revanche, correspondrait soit à une valeur de présupposé (le locuteur voulant marquer la proposition comme non controversée au niveau intersubjectif car faisant partie du common ground), soit à l’attribution d’un degré réduit de fiabilité du contenu communiqué. Cette dualité sur le non-asserté mène à des attentes divergentes concernant l’emploi du mode dans les concessives. Comme le soulignent Riegel, Pellat & Rioul (2014 : 861) dans un passage déjà cité supra (§ 1.1.3.), l’emploi des concessives « suppose que quelqu’un, quelque part […] asserte le lien causal que pour sa propre part le locuteur ou le scripteur refuse, ou du moins dont il asserte, dans le cas présent, l’inanité. » (italique ajoutée par C.P.) Et les auteurs de continuer : « Le subjonctif, ici de règle, ne frappe pas d’irréalité le fait mentionné, mais l’écarte de la situation qui conditionne le fait principal. » (Riegel, Pellat & Rioul, 2014 : 861). Beyssade (2021) décrit cette mise à l'écart en termes d’alternatives situationnelles : « D’une manière générale, le subjonctif est approprié quand l’interprétation doit faire appel à des situations alternatives. Or, la relation concessive met en jeu des situations alternatives : elle oppose la situation décrite dans la principale à une situation contraire, pourtant attendue. » (op.cit. : 1611) D’un point de vue purement sémantico-logique, l’emploi de l’indicatif dans la concessive causale est non seulement envisageable mais pleinement justifié, car la proposition en question n’est pas moins factuelle que celle d’une circonstancielle causale. Que le subjonctif soit quantitativement dominant dans les constructions concessives à lecture logique peut être analysé comme l’expression d’une thématisation inhérente de la proposition p (Morel, 1996 : 45), donc comme relevant de la structure informationnelle, qui elle-même concerne la dimension discursive plutôt que propositionnelle . On retrouve ici le caractère polyphonique de la concession grammaticale, issu de la concessio rhétorique (cf. § 1.1.3.), et dans cette optique, le subjonctif serait un marqueur évidentiel d’une source d’information externe. Or, les données contredisent parfois une telle motivation du subjonctif. Ainsi, dans un exemple comme (22), l’incise d’après moi interdit une interprétation en termes d’évidentialité indirecte et de polyphonie :
(22) Enfin bien que d’après moi le projet ne soit pas mûr pour être mis en production nous verrons comment mettre en œuvre les trois programmes qui le composent (écrit ; internet)
La variation modale dans les concessives, que confirment les données diachroniques (cf. § 3.4.1.), ne peut pas être dissociée d’une discussion plus générale sur le subjonctif en français et dans les langues romanes, discussion plus que séculaire (pour une synthèse, cf. Gretenkort, Buchczyk & Feldhausen, 2023) qui a conduit à une multitude d’hypothèses (cf. Lindschouw, 2011 : 25-65). Pour l’essentiel, on peut considérer que cette discussion s’articule autour des questions suivantes :
(1) En français et dans les autres langues romanes, le subjonctif a-t-il toujours une fonction sémantico-pragmatique ? ou serait-il devenu un marqueur grammaticalisé de la subordination syntaxique, exigé à titre de ‘servitude grammaticale’ par la structure morphématique des subordonnants comprenant le complémenteur que, dans les concessives causales comme dans d’autres circonstancielles (Raible, 1992b ; Kordi, 2012 : 172) ?
(2) Si l’on accepte l’idée que le subjonctif puisse avoir une motivation sémantico-pragmatique, cette motivation peut-elle être mise en relation avec les emplois de ce mode en latin ? ou faut-il analyser les valeurs attribuées au subjonctif comme résultats de dynamiques et de refonctionnalisations au sein des langues romanes ?
(3) Les divers emplois du subjonctif peuvent-ils être ramenés à une valeur de base ? une approche ‘unifiée’ du subjonctif est-elle adéquate ou inadéquate ?
Gretenkort, Buchczyk & Feldhausen (2023), dans le titre même de leur article, suggèrent que ces questions restent, pour l’instant, sans réponse définitive. Ce qui précède semble indiquer que c’est également le cas du subjonctif dans les concessives causales, dont l’analyse se heurte de surcroît à l’obstacle des nombreuses formes syncrétiques (homonymies) qui caractérisent les formes modales indicatives et subjonctives du français moderne. D’autre part, il faut souligner que ces concessives représentent, avec les propositions relatives précédées de groupes nominaux modifiés par une expression du haut degré, un des rares domaines où la norme grammaticale du français tolère un choix modal relativement libre de la part des locuteurs/scripteurs.
3.1.4. Dans le domaine de la concessivité exprimée sans introducteur subordonnant, la construction asyndétique binaire en avoir beau + INF occupe une place particulière. Avoir beau + INF y correspond à p, et est suivie de la proposition contenant q, comme dans (5) et dans l’exemple suivant :
(23) il a beau déposer une plainte pis pour moi ça fera rien (oral ; CFPQ)
Detti (2017 : 299s.) traite cette construction comme une expression lexicale adverbiale de la concessivité, en se basant sur les emplois (rares et archaïsants) de l’adjectif bel / beau à valeur adverbiale (cf. TLFi s.v. beau, bel, belle, IV.C.), à l’instar des emplois concessifs de certes, bien, peut-être et d’autres. D’autres auteurs vont plus loin et lui accordent le statut d’une construction grammaticale de plein droit (Kordi, 2012 : 173ss.) du type ‘dyptique concessif’ (Béguelin, 2022 > Notice ). Plusieurs raisons justifient cette analyse en termes de constructionalisation achevée. En premier lieu, les deux propositions, apparemment juxtaposées, entretiennent en réalité une relation d’implication, comme dans les concessives hypotactiques (cf. infra § 3.2.1.) ; en second lieu, la proposition en avoir beau est produite avec un contour continuatif (Beyssade, 2021 : 1604 ; Álvarez-Prendes, 2023 : 227), ce qui interdit de lui conférer un statut de phrase autonome en pure mode parataxique ; enfin, en raison de son haut degré de grammaticalisation (ou d’auxiliarisation), la périphrase avoir beau + INF est aujourd’hui spécialisée dans l’expression de la concessivité – ce qui n’était pas le cas dans les périodes antérieures, comme le montrent Béguelin & Conti (2010), Conti & Béguelin (2010 : 276-281) et Béguelin (2022 [EGF]) –, de sorte qu’il est impossible en français moderne de la décomposer sémantiquement. Cette grammaticalisation se traduit par l’acceptation de sujets à trait [–animé] dans p, comme dans (24), en dépit d’une préférence persistante pour des sujets humains.
(24) Cette crise institutionnelle a beau être interne, elle est inquiétante car elle peut très rapidement dégénérer (écrit ; internet)
Selon Morel (1996 : 74), la construction en avoir beau + INF « met […] au premier plan la qualité exceptionnelle du procès » exprimé dans p par le verbe à l’infinitif, qualité qui se révèle vaine et donc inefficace dans q (cf. Soutet, 1992 : 69-84 pour une analyse en termes guillaumiens). Ce type d’analyse a conduit à considérer la proposition en avoir beau comme « un cas particulier de subordonnée » (Beyssade, 2021 : 1604), une « subordination ‘implicite’ » (Morel, 1996 : 72). Cependant, Conti & Béguelin (2010 : 281ss.) soulignent qu’en français contemporain, il existe toujours des occurrences avec avoir beau présentant des indices d’autonomie syntaxique (en emploi absolu), c’est-à-dire non suivies d’une seconde proposition, tel (25) :
(25) A :
mais t’sais (.) on a beau leur dire aux jeunes là quand ils sont au
secondaire là (.) faites-les là (.) vous allez voir quand vous allez être aux
adultes là s- c’est à reFAIre là (.) un jour vous allez vous décider pis
finalement euh (.) tu travailles pis là c’est plus difficile là (.) là vous (.)
vous avez l’âge de le faire là
B : ouais
C : ouais (oral ; CFPQ)
De même, il existe des cas où la seconde proposition s’enchaine avec un morphème introducteur, comme dans (23) supra ou (26) :
(26) on a beau dire qu’l’économie va pas bien mais y a quand même moins d’chômeurs qu’avant (oral ; CFPP)
Ces auteures proposent donc, pour les concessives en avoir beau, « deux grammaires » opérant sur deux niveaux différents de la syntaxe – l’un microsyntaxique et l’autre macrosyntaxique – et « qui seraient actuellement en concurrence » (Conti & Béguelin, 2010 : 285). Au plan diamésique, la construction est rangée plutôt du côté de l’oralité (Detti, 2017 : 300) où elle ferait preuve d’une fréquence remarquable.
3.1.5. Cette dernière approche des concessives asyndétiques peut également être appliquée aux concessives introduites par bien que, quoique, etc., notamment aux concessives causales. Comme on l’a vu, la tradition grammaticale adoptée par les grammaires à visée didactique, de même que bon nombre de travaux linguistiques, classent ces concessives comme des propositions subordonnées dépendant syntaxiquement d’une proposition ‘principale’. Dans cette optique, la notion de subordination (mode hypotactique) est opposée à la coordination et à la juxtaposition (mode parataxique). Cette conception dichotomique des dépendances et indépendances syntaxiques a suscité maintes critiques. Ainsi, Harris (1986), se référant à des catégories telles ‘parataxe’, ‘hypotaxe’, ‘proposition subordonnée’ ou ‘conjonction de subordination’, souligne que :
more rather than less insights can be gained by seeing these various categories as synchronically ‘fuzzy’ and diachronically unstable, thereby enriching our understanding of this enormously complex area where the categories of grammar and those of discourse interact. (Harris, 1986 : 207)
Cependant, l’auteur ne plaide pas en faveur d’un abandon de ces catégories descriptives. L’approche micro-/macrosyntaxique va plus loin dans ce questionnement de la pertinence du concept de subordination et des notions qui lui sont associées. Développé dans le cadre de la linguistique française, ce modèle modulaire a été formalisé et affiné de manière parallèle et comparable (malgré quelques divergences notamment terminologiques) d’une part en France, par des linguistes associés plus ou moins directement à l’ancien Groupe Aixois de Recherche en Syntaxe (cf. les chapitres 1 et 2 dans Debaisieux [éd.], 2013, pour une description succincte de ce modèle), d’autre part, en Suisse, par le Groupe de Fribourg dans le cadre de la ‘Grammaire de la période’ (cf. Groupe de Fribourg, 2012). Le module microsyntaxique concerne les dépendances définies à partir du verbe et qui relèvent de la rection (cf. Berrendonner & Deulofeu, 2020 [EGF]) ; le module macrosyntaxique, caractérisé lui aussi par des liens de dépendance, montre cependant « une liberté de composition en catégories qui s’oppose aux contraintes relevées dans le cas des relations de dépendance micro- » (apud Debaisieux [ed.], 2013 : 73). Cette approche peut être qualifiée de radicalement syntaxique dans la mesure où « [l’]opposition grammaire versus discours est […] problématisée à travers ces deux composantes syntaxiques et leurs interactions » (op.cit. : 91). De plus, elle plaide pour une différentiation nette entre description morphologique et analyse syntaxique : ainsi, selon Benzitoun & Corminboeuf (2015 : 100), « il est impératif de distinguer relation syntaxique et marque grammaticale (conjonction, préposition, etc.) » car « [l]e marquage par une conjonction n’implique pas une relation de rection » . Pour identifier les relations rectionnelles, on applique des manipulations (illustrées ci-après par une proposition introduite par parce que ; adapté de Debaisieux [ed.], 2013 : 70) comme la (possibilité de) substitution par une forme pronominale (27b), ou le clivage par c’est… que (27c) :
(27a) il est parti parce qu’il était fatigué
(27b) il est parti pour ça
(27c) c’est parce qu’il était fatigué qu’il est parti
Si la manipulation produit un énoncé agrammatical, cela indique en principe une relation d’ordre macrosyntaxique. Quand on applique ces tests à des concessives causales, on constate pour l’exemple (2a), repris ici en (28a), que la pronominalisation (particulièrement probante et d’applicabilité peu restreinte ; cf. Debaisieux [ed.], 2013 : 69, n. 12) indique un statut microsyntaxique de la relation. Le test de clivage, par contre, aboutit à un résultat difficile à évaluer – ce qui est peut-être un indice de la plus grande complexité de cette relation, en comparaison avec la relation causale de (27) :
(28a) Bien qu’il s’agisse d’une production franco-allemande, Querelle a été tourné en langue anglaise
(28b) Malgré cela Querelle a été tourné en langue anglaise
(28b) (?) C’est bien qu’il s’agisse d’une production franco-allemande que Querelle a été tourné en langue anglaise
Dans (29), en revanche, la pronominalisation produit un énoncé agrammatical, ce qui indique que la relation entre les propositions est de nature macrosyntaxique :
(29a) euh suivant aussi l’époque y avait à désherber y avait à (.) à s’occuper de m/ (..) du bétail bien que j’allais pas tellement euh à l’écurie (oral ; OFROM)
(29b) * euh suivant aussi l’époque y avait à désherber y avait à (.) à s’occuper de m/ (..) du bétail malgré ça
Cet exemple, qu’on peut identifier comme une concessive rectificative, serait analysé en termes ‘aixois’ comme un regroupement de deux noyaux, c’est-à-dire de deux segments autonomes pourvus d’un trait [+force illocutoire], reliés par bien que qui fonctionne ici comme connecteur discursif. Tandis que dans (28), qui est une concessive interprétée comme logique ou éventuellement argumentative, le morphème bien que serait analysé comme une conjonction. Dans un regroupement macrosyntaxique du type (29), la rectification peut aller jusqu’à la négation totale de la proposition précédente, comme dans l’exemple suivant de Morel (1996 : 11) :
(30) J’irai aux U.S.A. le mois prochain – encore que j’irai pas – parce qu’il y aura l’affaire EDF (oral)
Les concessives rectificatives se caractérisent par certains traits morpho-syntaxiques décrits dans des travaux n’appliquant pas le modèle micro/macrosyntaxique mais dont les résultats convergent avec ce modèle (Morel, 1996 : 14s. ; König, 2006 : 824) :
(1) elles suivent systématiquement les propositions matrices q – alors que les concessives à lecture logique jouissent d’une certaine liberté de position, avec cependant une préférence pour l’antéposition (cf. § 3.1.1.) ;
(2) elles sont séparées de q antécédent par une pause ou des éléments non intégrés syntaxiquement, comme les marqueurs discursifs oui et bon dans l’exemple (31) (discuté et cité en totalité au § 3.3.), et reçoivent une intonation propre clairement dissociative ;
(31) A :
moi je pense que (..) enfin que (..) dans la majorité des cas ça ça doit se
passer comme ça
B : oui mm
A : oui bon encore que maintenant bon on n’embauche pas euh euh on
fait passer par des psychologues des psychiatres euh fin y a (..) (oral ;
CREDIF)
(3) en français, ces concessives tendent vers le mode indicatif (Morel, 1996 : 15 ; Lindschouw, 2011 : 217-221), contrairement aux concessives logiques qui favorisent le mode subjonctif (non sans exceptions, comme on l’a vu au § 3.1.3.) ; en allemand, elles suivent l’ordre de mot SVO, caractéristique des propositions indépendantes, au détriment de l’ordre SOV typique des subordonnées (Günthner, 2000) ;
(4) elles tendent à privilégier certains morphèmes du paradigme des introducteurs concessifs, comme obwohl en allemand et encore que en français (Morel, 1996 : 14).
Sur la base des critères (3) et (4), Lindschouw (2011 : 222) arrive à la conclusion que « encore que suivi de l’indicatif a changé de statut syntaxique, passant d’un ‘vrai’ subordonnant à un adverbe ». Quant aux autres introducteurs concessifs spécifiques, l’image qui ressort de l’analyse des corpus est plus floue. Si, pour bien que à l’oral, l’emploi dans des concessives rectificatives à l’instar de (29) est également assez fréquent, voire plus fréquent que son emploi dans des concessives à lecture logique, le choix du mode dans les concessives introduites par ce morphème ne se trouve pas en corrélation significative avec le type d’emploi (Pusch, 2017 : 332ss.). Quant aux concessives conditionnelles introduites par même si, elles s’emploient certes couramment en fonction rectificative (restrictive comme en [32], ou corrective comme en [33], cf. § 3.3. pour cette distinction) :
(32) [Napoléon] il a il a il a toujours su se mettre en avant et se mettre en valeur (..) même si la campagne d’Égypte a été un un désastre militaire (oral ; OFROM)
(33) c’est pas les chiens qui m’dérangent même si j’aime pas beaucoup les animaux spécialement (oral ; CFPP)
Mais le critère modal (3) n’est pas applicable, ces concessives suivant grosso modo les règles (et variations) verbo-temporelles des conditionnelles en si (cf. § 3.1.3.).
L’approche modulaire micro-/macrosyntaxique de ce que l’on a coutume d’appeler ‘propositions subordonnées’ a le mérite d’intégrer de manière cohérente, au niveau de la description syntaxique, des emplois et des phénomènes constructionnels qui, autrement, seraient traités de ‘particuliers’, ‘marginaux’ ou ‘atypiques’, et dont l’analyse échappe aux paramètres conventionnels de la description grammaticale. Ces emplois sont relégués au rang de phénomènes discursifs (au sens large) dans des travaux s’inscrivant dans d’autres cadres théoriques. La description macrosyntaxique converge avec la notion d’insubordination, développée dans une optique typologique par Evans (2007) qui la définit comme suit : « the conventionalized main clause use of what, on prima facie grounds, appear to be formally subordinate clauses » (op.cit. : 367). L’auteur attribue à cet emploi des fonctions de modalisation (« modal framings of various types » [op.cit. : 368]) et des fonctions discursives intersubjectives, ces dernières permettant également de décrire les emplois rectificatifs des concessives. Signalons enfin que la question du rattachement de la concessivité à la parataxe ou à l’hypotaxe a également été évoquée par Pott (1976 : 124s), dans un travail volumineux conduit dans le cadre de la sémantique générative des années soixante-dix, cadre certes dépassé, mais que l’auteur applique à un inventaire onomasiologique très complet d’expressions et de constructions du français.
3.2. Analyses sémantiques
3.2.1. De façon générale, la construction concessive, quelle que soit sa réalisation formelle, fait partie des constructions qui mettent en relation deux propositions p et q censées représenter des états de chose ou des situations entre lesquels existe un lien d’implication p ⇒ q. Ce lien logique peut se paraphraser par « si p, alors q », et permet des déductions du type « de p découle q ». On retrouve ce même lien dans les constructions causales et conditionnelles ; il est en revanche absent dans les circonstancielles modales, temporelles ou adversatives.
Or, si les constructions causales, conditionnelles et concessives ont en commun ce lien d’implication logique, comment peut-on décrire leurs spécificités respectives et justifier la distinction entre ces trois constructions ? En linguistique théorique et en logique, c’est autour de cette question que tournent de nombreux travaux sur la concessivité. Kordi (2012), dans une perspective de typologie linguistique, propose trois paramètres binaires qui permettent d’approcher les profils logico-sémantiques des trois constructions, à savoir :
(1) la direction de l’implication dans la configuration de la phrase complexe : proposition dépendante > proposition matrice, ou proposition matrice > proposition dépendante – autrement dit la position respective de la prémisse p et de la conséquence q ;
(2) le caractère factuel vs non-factuel (« counterfactual ») des propositions p et q ;
(3) le caractère d’implication : positive (« direct ») vs négative (« inverse »).
Selon cette auteure, ces trois paramètres permettent de caractériser les profils logico-sémantiques des trois constructions de la façon suivante :
– Critère de la direction d’implication. – D’un point de vue logique, les constructions causale, conditionnelle et concessive ont en commun la direction implicative : ‘proposition dépendante > matrice’. En d’autres termes, la prémisse, exprimée dans la proposition dépendante (ou subordonnée, dans la terminologie traditionnelle) précède la conséquence exprimée dans la matrice. Cette propriété permet à Kordi de différencier ces propositions des circonstancielles finale et consécutive, elles aussi en lien implicatif avec une seconde proposition mais à laquelle elles font suite.
– Critère de la factualité. – La construction causale et la construction concessive se distinguent de la construction conditionnelle de la manière suivante : alors que dans les premières, p et q sont toutes deux factuelles, dans la deuxième, p et q sont non-factuelles et hypothétiques. En effet, selon Kordi (2012 : 169) « [a]ll conditional sentences are counterfactual irrespective of the verb encoding » (pour une vue différente, qui admet des hypothétiques factuelles, cf. Corminboeuf, 2013 et 2018 > Notice ).
– Critère du caractère d’implication. – Ce critère permet d’opposer d’une part la construction causale et la construction conditionnelle, d’autre part la construction concessive : l’implication est positive (p ⇒ q) dans les premières, mais doublement négative (ou inverse) dans la seconde : ¬ (p ⇒ ¬ q).
L’implication négative constitue donc le trait spécifique de la concessivité qui, pour le reste, partage des traits fondamentaux avec la conditionnalité et la causalité, mais se révèle, d’un point de vue logique, plus proche de cette dernière que de la conditionnalité. Au niveau descriptif et terminologique, ce trait spécifique de l’implication négative – ou ‘niée’ (Pötters, 1992) – a reçu les étiquettes les plus variées, certaines ayant été élevées, selon les sources, au rang d’éléments définitoires. À côté des termes ‘cause inefficace’ ou ‘conditionnalité frustrée’ mentionnés supra, on trouve ‘cause brisée’, ‘cause contraire’, ‘cause contrariée’, ‘cause stérile’, ‘cause cachée’, ‘cause supprimée’ ou ‘condition insuffisante’ (cf. Detti, 2017 : 122ss.). Certains chercheurs, notamment ceux qui plaident en faveur d’une séparation notionnelle nette entre la concession en rhétorique et la concessivité en grammaire, proposent de remplacer le terme de concessive par ‘proposition acausales / incausale / anti-causale’ et ‘proposition aconditionnelle / inconditionnelle’ (cf. ibid. et § 1.3.) ; mais, dans la pratique, ces termes alternatifs n’ont eu que peu de suite. Notons finalement que les liens sémantiques entre concessivité, causalité et/ou conditionnalité ne sont généralement pas mis en doutes par les chercheurs intéressés par le domaine concessif, le travail de Lohiniva (2019) étant une des rares exceptions.
3.2.2. L’approche qui consiste à voir dans l’implication négative / niée le trait spécifique de la concessivité est bien évidemment tributaire de la logique propositionnelle. Or, le calcul des propositions s’avère souvent trop schématique et insuffisant pour saisir le potentiel sémantique d’une construction en langue naturelle. Il n’est donc pas surprenant qu’à partir de cette idée de l’implication négative, un certain nombre de reformulations ait été proposées pour rendre compte des effets de sens que peut engendrer la relation concessive, ou pour décrire les interprétations et inférences auxquelles elle peut donner lieu selon le contexte. Il va sans dire que, dans ce dernier cas, on va au-delà de l’analyse sémantique proprement dite et on entre dans le domaine de la pragmatique discursive et textuelle (cf. infra, § 3.3.). Parmi ces reformulations, il y a celles qui se basent sur le caractère antithétique de p et q, et qui conçoivent la relation concessive à partir de notions comme celle de contradiction (Pott, 1976 : 4ss), d’opposition (Blumenthal, 1980 ; Anscombre, 1985) ou de contraste (Detti, 2017 : 108-112). La notion de contraste est amplement développée par Rudolph (1996), qui la considère comme super-catégorie, sous laquelle elle range l’adversativité (vue comme contraste cognitivement et communicativement ‘faible’) et la concessivité (vue comme contraste ‘fort’) – le tout sur le fond d’une causalité ‘brisée’ :
Since the world is interpreted by mentally using causal constants, an expression of contrast is required as soon as the actual situation does not fit in with the imagined causal background. In this case of a broken causal chain the demand for clarity compels the speaker to use one of the relations of the connection of contrast. Generally, the adversative relation will be preferred […] [b]ut in special cases the concessive relation will do better. (Rudolph, 1996 : 29)
Le choix entre l’une et l’autre construction dépend également de leur comportement syntaxique en termes de linéarisation. Le fait de subsumer l’adversativité et la concessivité sous le toit notionnel du contraste (sur fond causal) permet d’expliquer pourquoi la concessivité rhétorico-interactionnelle est exprimée de préférence par des moyens morpho-syntaxiques adversatifs (séquences en certes… mais ; Cardinal Concessive, cf. § 1.1.3.). En même temps, l’idée que « the actual situation does not fit in with the imagined causal background » renvoie à d’autres reformulations de l’implication négative qui ont été très influentes dans l’analyse sémantique de la concessivité : la discordance et l’incompatibilité. Cette discordance / incompatibilité peut jouer au niveau des faits mis en relation par les propositions p et q, selon la formule « if p, then normally not-q » (König, 2006 : 821) ; mais en langue naturelle, ce sont plutôt les conclusions à tirer à partir de p par rapport à q qui s’avèrent discordantes et incompatibles. La paraphrase en normalement (cf. aussi § 1.1.1.) concerne finalement des reformulations qui incitent à une analyse discursive de la concessivité, car elles font appel à une forte composante inférentielle : l’attente non confirmée et la non-conformité à une normalité / à une norme (cf. Detti, 2017 : 113-122). Ces notions peuvent être appliquées aux situations mises en relation – dans ce cas, on a affaire à une normalité factuelle ; mais elles impliquent également le positionnement subjectif du locuteur, aussi bien par rapport à ces situations que par rapport aux attentes supposées de son interlocuteur, ce qui renvoie à des normes discursives et sociales.
3.2.3. Le rapport entre les relations d’adversativité et de concessivité est une question récurrente dans les travaux s’intéressant aux constructions concessives. Le problème se pose notamment au moment de classer les emplois du morphème jonctif mais (Pfänder, 2016 : 95s.). Gettrup et Nølke (1984), qui concèdent l’affinité sémantique étroite entre les deux relations, proposent le critère de l’(a)symétrie comme paramètre distinctif. Selon ces auteurs, le lien concessif ‘q bien que p’ est asymétrique « puisque p précède q au sens temporel et causal et que le renversement de p et de q entraînerait un changement radical du sens » (op.cit. : 6) ; au contraire, ‘p alors que q’ adversatif est symétrique car syntagmatiquement renversable sans que cela mène à des effets de sens notables. Pour Álvarez-Prendes (2023), qui, contrairement à Rudolph (1996), préconise la contradiction plutôt que le contraste comme super-catégorie, c’est le degré de saillance du caractère contradictoire entre p et q qui détermine si l’on a affaire à une relation concessive ou une relation adversative – « el grado máximo de prominencia o la explicitud total » de la contradiction étant réservés aux adversatives (op.cit. : 57, n. 88, ce qui diverge de la vision mentionnée supra de l’adversité comme relation plus ‘faible’ et la concessivité comme relation plus ‘forte’). Selon cette auteure, la concessivité exprime un lien paradoxal entre deux situations, et elle considère ce caractère paradoxal comme élément définitoire central de la relation concessive (op.cit. : 57ss.) tout en soulignant que, dans les contextes communicatifs où elle se trouve exprimée, le paradoxe se résout pourtant généralement sans difficulté. Álvarez-Prendes explique la facilité de cette résolution du paradoxe de la concessivité entre autres par la capacité du raisonnement humain à attribuer à des propositions argumentatives des degrés de pertinence variables.
3.3. Analyses pragmatico-discursives
Étant donné la probable origine rhétorique de la concessivité linguistique (même si cette filiation est contestée par certains chercheurs, cf. § 3.4.), une grande partie des analyses à visée pragmatique s’est intéressée au déploiement de la concessio dans le discours polylogal. Dans des études comme celle de Barth-Weingarten (2003) sur l’anglais – très exhaustive –, le modèle conversationnel de la concessio, le Cardinal Concessive de Couper-Kuhlen & Thompson (2000), fournit le cadre formel pour l’identification et l’analyse, sur des données orales et dans des contextes souvent assez longs, des mouvements interactionnels à caractère concessif. Or, on l’a dit (§ 1.1.3.), le Cardinal Concessive ne fait pas forcément appel aux constructions grammaticales concessives et les concessives à morphologie spécifique en sont quasiment absentes. Ainsi, Barth-Weingarten trouve, dans son corpus d’anglais parlé de 225.500 mots, 160 occurrences de constructions concessives ‘syndétiques’, c’est-à-dire composées de propositions reliées par des morphèmes introducteurs. Mais elle ne trouve aucun emploi des subordonnants concessifs prototypiques de l’anglais, comme (al)though et even though, alors que dans 96% des cas c’est le coordonnant but qui relie les propositions identifiées comme exprimant une relation concessive (Barth-Weingarten, 2003 : 80). Pfänder (2016 : 95) fait part d’un résultat similaire pour le français. L’approche onomasiologique et corpus-driven, prônée par ces auteurs, s’avère donc être une arme à double tranchant : elle a le potentiel de mettre en lumière des constructions (plus ou moins souples ou fixes) où la relation concessive se voit exprimée, voire négociée en interaction, sans recours aux morphèmes de liaison. Elle corrige ainsi l’idée transmise par la tradition grammaticale que la syndèse morpho-syntaxique serait le cas ‘usuel’ de l’expression de la relation concessive (et d’autres relations logique) dans la langue. D’autre part, cette approche risque de rendre ‘invisibles’ ces constructions syndétiques, qui bien évidemment existent et méritent l’attention, même si – pour des raisons cognitives (complexité de la relation concessive) ou des spécificités diamésiques (préférence pour le mode agrégatif) – elles sont rares dans ce que Koch et Oesterreicher (1985) désignent comme l’immédiat communicatif (cf. § 4.2.). C’est pour cela que les études visant l’expression syndétique de la concession se fondent sur une approche sémasiologique et corpus-based.
Mossberg (2009) et Pusch (2017), qui s’intéressent aux emplois pragmatico-discursifs des concessives causales, partent de la distinction fondamentale, établie par Morel (1996), entre concession logique, concession rectificative et concession argumentative – dont seules les deux premières sont fréquemment exprimées au moyen d’une construction comportant une concessive introduite. Soit l’exemple de Morel (1996 : 10) :
(34a) Vous pouvez tourner sur la petite place là, encore qu’il y ait beaucoup de voitures en stationnement aujourd’hui (oral)
Cet exemple peut s’analyser comme une concession logique (causale / objective), ayant pour but de signifier que la présence de nombreuses voitures en stationnement n’empêche pas la manœuvre mentionnées dans la proposition initiale. La paraphrase applicable aux concessives logiques (cf. § 1.1.1.) serait donc possible :
(34b) Normalement, s’il y a beaucoup de voitures en stationnement sur la petite place, on n’y peut pas tourner. Mais dans la situation précise, ce n’est pas le cas. (lien cause/condition – conséquence inopérant)
Or, selon Morel, il existe une autre analyse de cet exemple, pragmatiquement plus pertinente : « on peut déduire de l’ensemble de la phrase que “vous ne pourrez peut-être pas tourner”, sans que soit pour autant annulée la possibilité de tourner, assertée dans un premier temps. » (ibid.) Cet exemple oscille donc entre une lecture logique (au niveau des faits décrits) et une lecture rectificative (au niveau des actes de langage produits). D’autres exemples, comme (14), répété ci-dessous sous (35a), sont univoquement rectificatifs, et les tests par paraphrase produisent une formulation peu acceptable ou franchement inacceptable :
(35a) j’aime bien j’aime bien regarder les tableaux encore que ça que ça dépend beaucoup de la manière de les mettre en valeur dans un musée (oral ; ESLO2)
(35b) # Normalement, j’aime bien regarder les tableaux parce que ça ne dépend pas beaucoup de la manière de les mettre en valeur dans un musée. Dans la situation précise, ce n’est pas le cas.
(35c) * Normalement, si ça dépend beaucoup de la manière de mettre en valeur les tableaux dans un musée, je n’aime pas les regarder. Dans la situation précise, ce n’est pas le cas.
Comme l’avait illustré l’ex. (30) supra, la rectification peut aller jusqu’à l’annulation totale de ce que le locuteur vient d’énoncer, bien que de tels cas soient peu fréquents dans les données. En plus, la rectification ne doit pas forcément apparaître dans le cotexte immédiat de la proposition à rectifier. Souvent, la concessive rectificative surgit au cours d’un développement discursif plus long, comme dans (36) – déjà cité partiellement sous (31) – où le locuteur décrit d’abord une procédure d’embauche dont il affirme ensuite qu’elle n’est plus pratiquée :
(36) A : y a tellement y a tellement peu
d’embauche que le critère de choix c’est le critère diplômes (.) fin (..) si
j’avais à (..) si j’étais chef d’entreprise et que j’avais à choisir euh ben
entre deux candidats euh (..) à à valeur égale ben peut-être à valeur égale je
commencerais par regarder (..) certainement enfin pour pour pouvoir choisir un
des deux euh bon ben si les deux sont bien mais (..) mais bon y faut que je
fasse un choix (.) et bien je prendrais celui qui a le plus de diplômes/ moi
personnellement (.) moi je pense que (..) enfin que (..) dans la majorité des
cas ça ça doit se passer comme ça
B : oui mm
A : oui bon encore que maintenant bon on n’embauche pas euh euh on
fait passer par des psychologues des psychiatres euh fin y a (..) (oral ;
CREDIF)
Pötters (1992 : 62s.), reprenant en partie des notions développées par Moeschler et De Spengler (1981 ; 1982), propose de subdiviser la concession rectificative en deux sous-types, selon le degré d’annulation qu’opère la concessive : la restriction et la réfutation. Mossberg (2009) applique une distinction semblable en proposant les termes de ‘rectification restrictive’ et ‘rectification corrective’, tout en reconnaissant que « [l]es frontières entre ces deux types de rectification ne sont pas nettes » (Mossberg, 2009 : 224). Au niveau fonctionnel, cette auteure décrit la concession rectificative comme dérivée de la concession logique et ayant évolué selon un parcours du type ‘non-subjectivité > subjectivité > intersubjectivité’. Ce parcours, qui est à la base de la théorie du changement sémantique élaborée par Traugott (cf. p.ex. Traugott & Dasher, 2002) et caractéristique d’un grand nombre de phénomènes associés au processus dit de pragmaticalisation (cf. Dostie, 2004 : 27ss. et Diewald, 2011, pour une présentation de ce concept), prédit que « les significations portant sur l’état de choses dans le monde réel tendent à encoder de plus en plus la perspective du locuteur dans la situation d’énonciation » (= subjectivisation, cf. Mossberg, 2009 : 219). À l’étape suivante, « le locuteur tient explicitement compte des attitudes de l’interlocuteur dans un sens épistémique […] aussi bien que dans un sens social plus général » (= intersubjectivisation ; ibid.). Detti (2017), qui par ailleurs préfère le terme de ‘concessivité rétroactive’ à celui de ‘concession rectificative’ , suit un raisonnement analogue en décrivant ces concessives comme résultant du passage de la concessivité du niveau idéationnel au niveau interpersonnel de la langue . Dans le cadre de cette approche fonctionnaliste, l’auteur identifie une série de fonctions subjectives et intersubjectives des concessives rectificatives/rétroactives (cf. Detti, 2017 : 143-214), dont les suivantes :
(a) modulation (par affaiblissement, mais aussi par renforcement) de l’assertion sur q antécédent ;
(b) ajout rétroactif d’un commentaire, d’une explication ou d’une rectification portant sur le contenu propositionnel de q ;
(c) rectification au niveau locutionnaire, dans un souci subjectif d’affaiblissement assertif (hedging) ou pour éviter un malentendu. Cette même fonction est décrite comme concessive repair par Couper-Kuhlen & Thompson (2005) et, pour le français, par Pfänder (2016). Cependant, ces travaux ne l’appliquent pas explicitement aux concessives à introducteur spécifique ;
(d) établissement d’un consensus et intensification de la co-orientation avec l’interlocuteur (alignment). Il s’agit de stratégies de la gestion pro-active des relations intersubjectives, dont le locuteur éprouve le besoin par exemple parce qu’il anticipe une contre-position ou une réaction négative de la part de son interlocuteur, ou parce qu’il ne se sent pas en mesure de répondre aux attentes de ce dernier.
Il va de soi que ces fonctions pragmatico-discursives ne sont pas directement dérivables de la construction concessive elle-même (elles peuvent être accomplies par la plupart des moyens d’expression de la concessivité), et elles doivent être inférées dans une large mesure par le destinataire – aussi bien que par le linguiste qui s’attache à son étude.
3.4. Analyse diachronique
Malgré la rareté des constructions concessives, ou peut-être justement à cause de celle-ci, leur développement diachronique a été amplement étudié et documenté, y compris la genèse des morphèmes jonctifs à valeur spécifiquement concessive. Cela est vrai aussi bien pour le français (Klare, 1958 ; Soutet, 1990 ; Combettes, 2020) que pour d’autres langues romanes comme l’italien (Elgenius, 2000), l’espagnol (Rivarola, 1976 ; Pérez Saldanya & Salvador, 2014), le catalan (Pérez Saldanya & Hualde, 2018) ou la Romania en général (Harris, 1988). Une vision pan-romane des concessives paraît d’autant plus appropriée que l’on observe d’évidentes similitudes dans le développement et la grammaticalisation de l’expression de la concessivité dans la Romania, similitudes attribuables en partie seulement à une origine commune latine. À côté de l’analyse de l’évolution des marqueurs, le lien entre les différents types grammaticaux et semantico-pragmatiques de concessives et le concept rhétorique de concessio a fait l’objet de traitements controversés.
3.4.1. Pour les périodes anciennes de la langue française, Combettes (2020) décrit comme très diversifié, voire disparate, l’inventaire des formes et constructions susceptibles d’exprimer la concession, situation que le français aurait héritée du latin. D’après cet auteur,
[c]ette diversité est sans doute due, en grande partie, à la nature même de la relation de concession, qui, exprimant la négation d’un lien de causalité présupposé, ne se distingue pas toujours clairement d’autres valeurs, comme celles de l’hypothèse, celles de la temporalité ou même celles de la comparaison. Bon nombre d’expressions sont d’ailleurs issues, par un processus de grammaticalisation, d’éléments fournis par d’autres relations logiques. (Combettes, 2020 : 1386)
Alors que les morphèmes jonctifs des concessives conditionnelles sont issus de la conjonction latine si, « one of the very few conjonctions with specific meaning to have unbroken history in Romance » (Harris, 1988 : 88), les introducteurs des concessives causales se sont développés indépendamment des morphèmes latins correspondants. En ancien français, « [l]a concession est exprimée […] par une palette de possibilités, de l’agrégation à la subordination » (Buridant, 2000 : 655). Parmi les options intégrées, on trouve des locutions conjonctives à noyau verbal construites selon le schéma ‘adverbes + soit / fust (+ pronom sujet) + complémenteur’ (Combettes, 2020 : 1387s.), ce qui donne : ja / tout / encore / bien soit / fust (ce) que – ce dernier très marginalement, cf. Soutet (1992 : 195ss.). Bon nombre d’entre elles, par ellipse de la forme subjonctive de la copule être, se grammaticaliseront en conjonctions de subordination entre l’ancien français tardif et le moyen français. Certains des subordonnants ainsi formés se raréfient et disparaissent au cours des siècles suivants ; mais bien que et encore(s) que, qui constituent avec quoique et le très récent malgré que le paradigme des introducteurs concessifs à valeur causale, ne se développent que tardivement, au 16e siècle (Combettes, 2020 : 1389ss.). Le morphème jonctif quoique, plus ancien et issu d’une construction relative en quoi que – qui, elle, s’était développée en ancien français à côté d’une construction en que que – s’établit au début du 15e siècle (Combettes, 2020 : 1395s.). La formation tardive d’un paradigme d’introducteurs concessifs dédiés s’explique par la panoplie d’alternatives. Parmi celles-ci figure l’expression parataxique asyndétique de la concession, par juxtaposition d’une proposition p au mode subjonctif (éventuellement assortie d’un des adverbes qui plus tard entreront dans les locutions conjonctives que l’on vient d’évoquer) et d’une proposition q au mode indicatif. On peut voir dans cet emploi concessif du seul subjonctif, très répandu en latin et connu sous l’appellation de coniunctivus concessivus, l’une des raisons de la variabilité quelque peu incohérente du mode verbal qui caractérise le système des concessives, et ceci jusqu’au français moderne (cf. § 3.1.3.). Harris (1988 : 87) souligne que, dans l’expression de la concessivité dans les langues romanes, la distribution des modes « is less than clear because in this semantico-syntactic area more than most, the different factors motivating the use of one mood rather than another in diverse états de langue interact in a multiplicity of overlapping ways. » Si le subjonctif concessif peut se justifier comme marquage modal de la cause inefficace ou de la condition inopérante (le contraste entre p et q s’exprimant à travers la divergence modale) ou comme marquage évidentiel de p attribué un autre locuteur, dans la concessio rhétorique ou interactionnelle, la concessive causale contient néanmoins, comme on l’a dit supra, une proposition assertive pour laquelle l’indicatif paraît tout à fait approprié. Les concessives conditionnelles en même si (marqueur encore plus récent car n’apparaissant qu’à partir du 17e siècle) participent, de leur côté, aux restructurations verbo-modales dans le domaine des hypothétiques en si. S’ajoutent à cela des ‘servitudes grammaticales’ exercées ou simplement favorisées par certains morphèmes ou lexèmes (par ex. le complémenteur que dans les locutions conjonctives / conjonctions in statu nascendi, cf. Combettes, 2020 : 1401). Tous ces faits expliquent la grande instabilité du système modal des concessives au cours des siècles. Lindschouw (2011), qui étudie en détail le choix du mode dans les concessives introduites par bien que, encore que et même si, note des évolutions spécifiques pour chaque morphème introducteur, tout en observant par ailleurs une évolution globale qu’il décrit comme suit : « le système concessif en français a subi une réorganisation aux niveaux formel et fonctionnel dans laquelle le subjonctif a connu une re-grammaticalisation » (Lindschouw, 2011 : 267ss.) : au départ marqueur du non-asserté, c’est-à-dire de l’irréel et du présupposé (cf. § 3.1.1.), ce mode se spécialise au cours des siècles dans cette dernière fonction et finit par s’imposer largement (quoique pas complètement, comme on l’a vu) comme marqueur de la dépendance syntaxique dans les propositions les plus intégrées (ou grammaticalisées) du domaine, à savoir les concessives logiques. En revanche, l’indicatif se maintient dans les concessives rectificatives, syntaxiquement plus autonomes car dépendant davantage de facteurs pragmatiques (cf. supra, § 3.3.). Dans le domaine de la concessivité, l’indicatif est même devenu quantitativement plus saillant : à en juger d’après les corpus, l’emploi des concessives à valeur rectificative, attestées avec les traits formels présentés supra (§ 3.1.5.) dès l’ancien français (Combettes, 2020 : 1390), a considérablement augmenté au cours du 20e siècle (Lindschouw, 2011 : 222).
3.4.2. Si la plupart des linguistes peuvent s’accorder sur le caractère dérivé des constructions concessives , les opinions divergent quant à la question de savoir si la construction grammaticale est liée sémantiquement ou fonctionnellement à la concessio rhétorique et si, par conséquent, une justification étymologique du terme ‘concessive’ est légitime (cf. Detti, 2017 : 84-96 pour un résumé de la controverse). Certains spécialistes plaident en faveur d’un tel lien, comme Soutet qui, dans une perspective diachronique, parle d’une « entrée dans le champ de la grammaire de la notion rhétorique de la concession » (Soutet, 1990 : 5) ; les constructions concessives seraient alors l’aboutissement le plus grammaticalisé d’une ‘sédimentation’ de la figure rhétorique. D’autres chercheurs, comme Sandfeld (1936), rejettent ce lien. Les praticiens d’une linguistique à visée discursive ou interactionnelle, pour leur part, se positionnent dans un camp ou un autre ; des auteurs comme Anscombre (1985, 340s.) questionnent la pertinence d’une mise en rapport de la concessio rhétorique et la concessivité linguistique, alors que d’autres comme Couper-Kuhlen & Thompson (2000 : 383) ne voient pas de raison de nier ce lien fonctionnel.
3.5. Analyses typologiques, contrastives et autres
3.5.1. D’une importance communicative indéniable, le domaine de la concessivité peut apparaître relativement marginal du point de vue de la grammaire, si on le compare à d’autres relations inter-propositionnelles comme les relations temporelles ou purement causales. Il fait cependant preuve d’une remarquable ‘unité dans la diversité’. Cette unité ressort aussi bien des analyses typologiques, qui comparent un échantillon large et équilibré de langues en appliquant des tertia comparationis d’un haut degré de généralité (comme les contributions dans Xrakovskij (ed.), 2012), que des études comparatives, qui soumettent un nombre limité de langues, parfois génétiquement proches, à une analyse plus fine . Si toutes les langues disposent de moyens pour exprimer la relation concessive (Xrakovskij, 2012 : 3), ces moyens sont multiples, et leur statut variable du point de vue de la distinction entre hypotaxe et parataxe. Cette variabilité est encore accrue si l’on conçoit la distinction entre parataxe et hypotaxe non pas comme opposition binaire, mais comme une échelle ou un continuum – conception répandue dans les approches typologiques (cf. par ex. Lehmann, 1988, et Raible, 1992a ; pour une critique de ces approches, cf. Debaisieux [ed.], 2013 : 43-47). De surcroît – et le français reflète bien cette situation (cf. § 1.1.2.) –, les expressions et constructions concessives les plus grammaticalisées ne représentent qu’une partie, parfois même très réduite, des séquences communicatives à caractère concessif, en dépit de l’importance et de la visibilité que leur confèrent les grammaires normatives et descriptives. Quant aux introducteurs spécifiquement concessifs, ils présentent eux aussi une ‘unité dans la diversité’ : les paradigmes de ces morphèmes se caractérisent en effet :
(1) par une grande instabilité diachronique, associée à des phénomènes de variation en synchronie, et par une formation tardive (cf. supra, § 3.4.1.) ;
(2) par une certaine complexité, associée à une transparence morphologique remarquable, ces introducteurs étant généralement formés de plusieurs morphèmes dont l’origine est assez facile à identifier (cf. § 3.1.1.) ;
(3) par le fait qu’une partie importante de ces composants morphologiques aient à l’origine d’autres valeurs sémantico-grammaticales, de sorte que les introducteurs concessifs – et les constructions concessives hautement grammaticalisées en général – se présentent comme des instances de re-grammaticalisation (ou grammaticalisation du second degré) ;
(4) par le fait que la formation de ces introducteurs a suivi un nombre limité de chemins de (re‑)grammaticalisation (grammaticalization paths), et des chemins étonnamment semblables, même dans des langues génétiquement et typologiquement peu apparentées ; Harris (1988 : 75) en identifie six.
En même temps, la confrontation de travaux consacrés à différentes langues laisse apparaître une grande similitude au niveau des types fonctionnels de la concessivité – concessives logiques vs concessives rectificatives vs concessives rhétorico-argumentatives – et des spécificités formelles qui les caractérisent. Ainsi, la description de l’emploi discursif de obwohl (Günthner, 2000) permet d’identifier, pour les propositions qu’introduit ce morphème concessif prototypique de l’allemand, des cas d’insubordination (autrement dit, de dépendance macrosyntaxique) comparables à ceux qui ont été décrits pour les concessives rectificatives du français introduites par encore que et, dans une moindre mesure, par bien que (Mossberg, 2009 ; Pusch, 2017 ; cf. § 3.3.). Cependant, mis à part Detti (2017 : 143ss.), les travaux vraiment comparatifs font encore défaut dans ce domaine.
3.5.2. La relative rareté des constructions concessives, surtout dans la langue parlée, et les caractéristiques formelles et évolutives des outils morpho-syntaxiques qu’elles impliquent (comme le développement disparate de l’expression de la concessivité en diachronie) vont de pair avec leur statut acquisitionnel : la concessivité n’apparaît que tardivement dans l’acquisition de la langue primaire (ou maternelle) (Diessel, 2004 : 149ss.) et constitue un défi dans l’acquisition d’une langue seconde. D’une part, en effet, la relation concessive présente une grande complexité cognitive (Kortmann, 1997 : 203) ; d’autre part, les moyens disponibles pour son expression présentent une grande complexité morpho-syntaxique, associée à une grande variabilité interne.
Ce constat, que l’on trouve mentionné en passant dans un grand nombre de travaux, se trouve confirmé par des études ponctuelles sur des aspects acquisitionnels spécifiques . Cependant des analyses plus approfondies, ciblées sur le français ou d’autres langues, restent à faire, notamment en ce qui concerne l’acquisition de la langue primaire. L’absence de telles études s’explique certainement par l’insuffisance des données : les subordonnées concessives étant peu nombreuses dans le langage des adultes, elles sont encore plus rares dans celui des enfants, et n’apparaissent que sporadiquement dans les phases de l’acquisition auxquelles s’intéressent habituellement les psycholinguistes. Le recours aux données élicitées semble donc incontournable. Toutefois, compte tenu de la proximité qu’il y a entre la relation concessive et d’autres relations sémantico-grammaticales, sans même parler de la gamme de formulations alternatives, l’élicitation des concessives par voie expérimentale paraît difficilement contrôlable.
4. Les données
4.1. Disponibilité et nature des données
La nature des données utilisées dans les travaux sur la concessivité varie fortement en fonction de l’approche adoptée. Au risque de simplifier, on peut affirmer que les études qui se sont penchées sur l’analyse logico-sémantique de la concession se sont contentées d’exemples forgés. Une bonne partie des travaux qui s’intéressent aux aspects formels et structuraux de la concessivité en français se fondent soit sur des données écrites littéraires (comme Kordi, 2012), soit sur des données mixtes comprenant également des genres non-fictionnels (comme Detti, 2017). De son côté, Morel (1996) puise dans un corpus de travail diamésiquement hétérogène, comportant une partie remarquable d’exemples oraux recueillis ‘à la volée’ mais fort pertinents et intéressants. Álvarez-Prendes (2023) s’appuie sur un corpus de 1051 exemples repérés comme exprimant une relation de concessivité, constitué à parts égales de données écrites (corpus Frantext) et orales (corpus CLAPI). Ces occurrences sont soumises à une analyse qualitative détaillée mais, malgré l’importance quantitative du corpus de travail, l’auteure renonce à une analyse statistique. Il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’études sur la concessivité en français basées exclusivement sur des données orales, hormis Pusch (2017, avec une perspective très partielle sur le seul introducteur bien que). Si les constructions à morphologie spécifique sont relativement faciles à recueillir (les éléments lexicaux et grammaticaux qui les caractérisent permettent des requêtes assez précises), c’est à nouveau la fréquence limitée de ces constructions qui décourage de telles études. À titre d’illustration, la composante française du corpus C-ORAL-ROM, comportant quelque 300.000 mots, soit un corpus oral de taille moyenne, ne contient que 49 concessives à dépendance syntaxique, dont 33 en même si, 7 en quoique, 5 en bien que, 2 en encore que et 2 en malgré que, et 2 occurrences de la construction asyndétique en avoir beau + INF. Quant aux études interactionnistes, elles s’intéressent de préférence à des données orales de nature spontanée et ‘écologique’ (Gadet & Wachs, 2015), qu’elles analysent qualitativement et en contexte étendu, à la suite de Couper-Kuhlen & Thompson (2000). Mais sur le français, il n’existe pas à l’heure actuelle d’étude de ce type présentant une certaine ampleur. Comme on l'a souligné à plusieurs reprises, cette approche ne prend d’ailleurs pas nécessairement en compte les constructions concessives introduites, qui font l’objet de la présente notice.
4.2. Variations
C’est surtout dans une optique diachronique que les faits de variation dans l’expression de la concessivité ont été observés et traités, aussi bien au niveau des formes et des constructions qu’au niveau de leur distribution et de leur fréquence (cf. § 3.4.). Lindschouw (2011) inclut systématiquement le paramètre variationnel du genre textuel, auquel il attribue une grande importance au moment d’expliquer la variation du mode dans les concessives. Il constate par exemple que le genre juridique favorise le maintien voire l’extension de l’emploi du subjonctif dans les concessives causales (Lindschouw, 2011 : 285). Pour le français moderne, cet auteur considère que encore que est le connecteur concessif le moins marqué, et neutre du point de vue diaphasique, trait qu’il partage avec même si ; à cet égard, encore que s’oppose à un bien que qui « garde une préférence pour les genres soutenus » (Lindschouw, 2011 : 273) et pour l’écrit. Mossberg (2009) arrive à une conclusion différente car, selon elle, bien que est diaphasiquement et textuellement plutôt neutre, tandis que encore que et quoique, qui ont en commun d’être très peu fréquents dans ses données, s’opposent par leurs distributions diaphasique et diamésique, encore que s’employant plutôt dans la langue écrite et quoique dans la langue parlée (Mossberg, 2009 : 268). Álvarez-Prendes (2023 : 14ss.), dans la présentation de son corpus de travail multimodal, indique que la dimension diamésique exerce une influence sur l’expression de la concessivité, et renvoie au modèle de l’immédiateté vs la distance communicatives de Koch & Oesterreicher (1985) (cf. Pusch, 2020 : 215-219 pour un résumé de ce modèle) ; mais elle n’applique que marginalement cette dimension variationnelle dans l’analyse de ses données. Des études quantitatives approfondies qui seraient comparables à celle de Schützler (2023) – qui utilise les données des différents sous-corpus de l’International Corpus of English (ICE) et les soumet à des analyses quantitatives descriptives et inférentielles (basées sur des modèles de statistique bayésienne) – sont pour l’instant indisponibles pour le français ; de même il n’existe pas, pour cette langue, de travaux menés dans le cadre de la sociolinguistique labovienne appliquant les modèles de statistique variationniste traditionnels. Quant à la variation diatopique, les ressources lexicographiques descriptives font état de la prédominance de l’introducteur concessif (quand) même que, au détriment de bien que, quoique et encore que, dans les variétés américaines du français. Laurendeau (1983 : 26s.) décrit en outre un emploi oppositif du morphème jonctif parataxique pi en français laurentien (‘québécois’), qui peut s’interpréter comme une expression concessive. Une analyse détaillée des constructions concessives dans les variétés non-européennes du français reste toutefois à faire. Mais l’existence et la disponibilité de corpus de plus en plus importants – particulièrement pour le français nord-américain – devrait permettre de combler ces lacunes dans un futur prochain.
5. Bilan
La présente notice aura montré qu’une description appropriée des concessives est moins aisée qu’il n’y paraît au premier abord. L’approche de la grammaire traditionnelle, qui les identifie comme un type de subordonnées circonstancielles associées à un petit paradigme d’introducteurs spécifiques – bien que, encore que, quoique, éventuellement malgré que – s’avère insuffisante. Il paraît plus prometteur de partir de la notion plus abstraite de concessivité, définie comme une relation interpropositionnelle qui se caractérise par une implication négative, exprimant une ‘cause inefficace’ ou une ‘condition inopérante’. Cette démarche conduit à reconnaître l’existence de liens étroits entre la concessivité, la causalité et la conditionnalité, qui, dans beaucoup de langues, forment un réseau qui se caractérise par diverses affinités formelles et fonctionnelles (Kortmann, 1997 : 201s.). Elle aboutit à compléter l’inventaire des concessives par l’inclusion des concessives conditionnelles en même si. Or, si le critère de l’implication négative (comme trait spécifique et distinctif de la concessivité et, par là, des concessives) peut satisfaire le logicien, il ne permet pas de saisir convenablement toutes les interprétations auxquelles la concessivité donne lieu dans la langue. D’autant que la concessivité dispose par ailleurs d’une gamme impressionnante de constructions et d’expressions alternatives, à caractère grammatical ou lexical, et dans le premier cas, syntaxiquement plus ou moins intégrées. Parmi ces expressions, les concessives introduites par des morphèmes spécialisés dans l’expression de la concessivité tendent à jouer un rôle secondaire en termes de fréquence, bien qu’elles représentent les instances les plus grammaticalisées, à côté des compléments circonstanciels du type malgré / en dépit de + GN, qui rentrent dans le domaine nominal. Cependant, leur grammaticalisation n’est pas complète. En examinant des données provenant de situations communicatives formelles et, plus particulièrement, de l’écrit, on trouve certes des indices d’une grammaticalisation avancée, comme la restriction du paradigme, le caractère obligatoire ou du moins fortement contraint du mode verbal, ou une nette préférence pour une certaine position syntagmatique. Mais dès qu’on examine des données plus spontanées, on constate que ces paramètres sont beaucoup moins pertinents, en particulier à l’oral. Qui plus est, la langue dite de l’immédiateté (Koch & Oesterreicher, 1985) fait un usage fonctionnel des concessives qui diffère de celui de la langue de la distance communicative : alors que, dans la seconde, les concessives expriment plus souvent une cause inefficace, une condition inopérante ou un sens relationnel dérivé au niveau des faits / situations décrits dans les propositions concernées, donc au niveau du dit, la modalité de l’immédiateté emploie les concessives majoritairement au niveau pragmatique du dire. On y trouve beaucoup de concessives du type rectificatif, au moyen desquelles le locuteur effectue des opérations discursives subjectives (modulation de la force assertive d’une proposition antérieure, auto-correction) ou gère les relations intersubjectives (explicitation ou justification anticipée, tentative d’établissement d’une co-orientation argumentative avec l’interlocuteur). On y trouve en revanche fort peu de concessives logiques, chères aux logiciens, aux sémanticiens et aux grammaticographes. Ce sont précisément ces emplois discursifs qui mettent en question la notion même de subordonnée concessive, car la construction y opère avec une autonomie importante, caractéristique du phénomène d’insubordination (ou emploi macrosyntaxique), également décrit pour d’autres circonstancielles comme les hypothétiques, les temporelles et les causales – cf. les contributions dans Debaisieux (ed.), 2013.
6. Annexes
6.1. Corpus mentionnés
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Dans un souci de lisibilité, les exemples tirés des différents corpus ont été unifiés au niveau de la notation, où les signes conventionnels suivants ont été appliqués :
(.) | micro-pause |
(..) | pause plus longue / silence |
/ | accolé à un mot ou segment de mot = amorce |
XXX | majuscules = syllabe accentuée |
6.2. Références bibliographiques
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Note 1:
Appelé concession rhétorique dans la typologie de König (2006 : 823), concession argumentative dans celle de Morel (1996 : 15ss) et de Moeschler (1989), concession épistémique chez Sweetser (1990 : 100ss.) et concession ‘discursive’ chez Pötters (1992 : 37).
Note 2:
« […] la dénomination “proposition concessive” n’est plus qu’un nom qui ne dit rien sur la nature de la proposition » (Sandfeld, 1936 : 371).
Note 3:
Si peut introduire à lui seul une proposition à valeur concessive. Cf. Corminboeuf (2018 EGF) et Beyssade (2021 : 1605s).
Note 4:
Cette idée, de même que celle des situations alternatives mises en opposition, se trouve à la base de l’approche très originale de la concessivité développée par Lohiniva (2019). Sur la base des déclinaisons récentes du modèle de la structure informationnelle, elle confirme la divergence en termes de statut sémantique et pragmatico-discursif qui existe entre les propositions p et q mises en rapport concessif : « Alors que la principale [sc. : q] contribue au niveau du contenu at-issue, et se laisse négocier, la subordonnée [sc. : p] contribue au niveau du contenu non-at-issue, et ne peut pas être remise en question de manière directe. » (op.cit. : 155) Cependant, l’auteure rejette la vision de p comme relevant du common ground à cause d’un caractère prétendument présupposé ; plutôt « la subordonnée p (qui est not-at-issue) est imposée au c[ommon]g[round], et fait partie de la ‘toile du fond’ contre laquelle la principale q (qui est at-issue) est évaluée. » (op.cit. : 160 ; souligné ajouté par C.P.) Elle résout ainsi le problème que les concessives peuvent contenir de l’information discursivement nouvelle et assertée comme telle.
Note 5:
Par rapport au domaine notionnel de la concessivité, un avertissement similaire a déjà été lancé par Anscombre (1985 : 343), mais cet auteur vise surtout la position de la relation concessive dans le champ de tension entre sémantique et syntaxe et n’évoque qu’indirectement celui entre syntaxe et morphologie.
Note 6:
Selon cette auteure, c’est la relation statistique de la corrélation qui sous-tendrait le lien concessif entre p et q. Elle base son argumentaire sur le renvoi à une normalité / généralité qui est inhérente à toute interprétation concessive de deux situations (cf. § 3.2.2. infra) et qui se manifeste par l’ajout de l’adverbe normalement au moment de circonscrire cette interprétation par paraphrase (cf. § 1.1.1.). Pour Lohiniva (2019 : 150), « la nécessité de cette modification pointe définitivement dans la direction de la corrélation comme la relation primordiale entre p et q, et non pas la causalité ».
Note 7:
Par allusion au critère de la linéarisation, q précédant p dans ce type de construction concessive.
Note 8:
Detti se réfère ici au modèle de la Systemic Functional Grammar de Halliday, et à l’axe d’évolution fonctionnelle ‘idéationnel > interpersonnel > textuel’ (Halliday & Matthiessen, 2004).
Note 9:
Les multiples aléas subis par les morphèmes concessifs au cours de leur évolution, le fait que ces morphèmes, une fois formés, ne donnent pas lieu à des re-grammaticalisations ultérieures (Kortmann, 1997 : 203), de même que la relative rareté des concessives, plaident clairement en faveur de la thèse selon laquelle la concessivité a un statut relativement secondaire dans le système de la langue.
Note 10:
Rudolph (1996) pour l’anglais, l’allemand, l’espagnol et le portugais ; Detti (2017) pour le français et l’italien ; Álvarez-Prendes (2023) et, dans une moindre mesure, Lindschouw (2011) pour le français et l’espagnol ; Mossberg (2009) pour les concessives causales en français et suédois ; Leuschner (2006) pour les concessives conditionnelles en anglais, allemand et néerlandais.
Note 11:
Comme Champaud & Bassano (1994), sur la compréhension des différents introducteurs concessifs par des enfants de langue maternelle française, ou Ahern, Amenós-Pons & Guijarro-Fuentes (2016), sur l’interprétation du mode verbal dans les concessives en espagnol langue seconde par des apprenants anglophones et francophones.