Constructions concessives À auxiliaire modal (en avoir beau, pouvoir bien, etc.)

 >Page pers.    Marie- José Béguelin
(03-2022)

Pour citer cette notice:
Béguelin (M.-J.), 2022, "Constructions concessives à auxiliaire modal (en avoir beau, pouvoir bien, etc.)", in Encyclopédie grammaticale du français,
en ligne: encyclogram.fr

 


1. Délimitation du domaine.


Les structures étudiées dans cette notice sont réputées exprimer la concession. Mais qu’entend-on au juste sous ce terme polysémique ? Avant de plonger dans le vif du sujet, il est bon de faire un rappel à ce propos.


11. La concession au sens rhétorique

Dans la tradition rhétorique, le nom d’action concession, dérivé du verbe concéder, désigne une figure qui consiste à « accepter, sans perdre l’avantage, un argument ou une objection que l’on pourrait réfuter » (Fontanier 1977 [1827], p. 415) ou dans un débat d’idées, à « réserv[er] un accueil favorable à certains arguments réels ou présumés de l’adversaire » (Perelman & Olbrechts-Tyteca 41983, p. 646). Cependant, après avoir accordé un point à autrui, l’orateur en profite généralement pour « renchérir aussitôt » en faveur de sa propre thèse (ibid., p. 647 ; cf. Morier 51998, p. 213). Si bien que le terme de concession est très souvent appliqué, par métonymie, à ce mouvement discursif en deux temps qui consiste (i) à reconnaître le bien-fondé d’une assertion ; (ii) à en limiter la portée en lui opposant un argument pro domo, présenté comme plus décisif :

(1)  (a) Quand tu dis que ça peut nous apporter, ces expériences pédagogiques et nous intéresser, (i) c’est vrai, (ii) mais on voit que c’est tellement limité, à la philosophie, aux classes de français. (Télé, cité par Morel 1996, p. 16)

(b) Le chef de l’État envoie des troupes au Mali. (i) Bien. (ii) Pour autant, les deux fronts intérieurs sur lesquels sont en jeu l’autorité et le crédit présidentiels sont loin d’être apaisés. (presse, Le Monde, 16.1.2013, p. 19)

(c) (i) Certes, le ministre a rappelé que les femmes avaient « le droit » de porter un voile dans le sport, (ii) mais il a aussi livré une vision plus politique : « Les signes religieux doivent rester dans l’espace privé [...] ». (presse, Libération, 13.2.2022, p. 15)

(d) (i) C’est bien beau de faire des actions magnifiques. (ii) Il faut assumer derrière. (presse, L’Indépendant, 2009, LexisNexis)

Dans ces exemples de concessions dites « argumentatives » ou « discursives » (Morel 1996, p. 15-19 ; Adam 1997 ; Svensson 2018, p. 113-115), les énoncés (i) et (ii) ne pourraient pas figurer en ordre inverse. La relation d’opposition argumentative entre leurs contenus (ou les sous-entendus qui en découlent) est, dans (1a-c), explicitée par un connecteur adversatif ; dans (1d), elle est non marquée, mais contextuellement inférable. Les routines concessives ‘coordonnées’ (au sens large) de ce genre relèvent, notons-le, de formulations relativement libres et ouvertes.


12. La concession au sens grammatical

12.1. Mais le terme de concession fait en outre partie, depuis le XIXe siècle, du métalangage grammatical, et les termes concessifs, concessives, servent aussi à qualifier des ajouts périphériques à un énoncé, tels que ceux qui figurent en italiques dans (2) :

(2)  bien qu’il ait réussi, il est mécontent     
quoiqu’il ait réussi, il est mécontent                     
si grande que soit sa réussite, il est mécontent   
quand bien même il réussit, il est mécontent       
même s’il a réussi, il est mécontent        
malgré sa réussite, il est mécontent, etc.              

En dépit des traits qui les caractérisent en propre, les exemples (2) partagent une propriété sémantique commune : ils rapprochent deux faits qui, en principe, seraient censés s’exclure, en l’occurrence la réussite du personnage évoqué et son mécontentement (cf. Fradin 1977 ; Morel 1980 et 1996 ; Martin 1987 ; Muller 1993 ; Culioli 2002, p. 172-173 ; Spevak 2005 ; voir  Notice  'Constructions Concessives'). Le terme de concession vise en ce cas l’expression, sous des schèmes syntaxiques variés, mais codés en langue, d’une causalité niée, d’une cause qui n’empêche rien, d’une cause contraire, inefficace, ou anticause (König & Siemund 2000). Ce type-là de concession a été qualifié de « logique » (Morel, 1996, p. 6-9), par opposition à la concession argumentative ‘en deux temps’ décrite au § 11. Mobiles, les constituants introduits par une conjonction ou une préposition concessives apparaissent aussi en incise ou en position finale (il est, bien qu’il ait réusssi, mécontent ; il est mécontent bien qu’il ait réussi, etc.).

12.2. Au plan sémantique et pragmatique, les séquences (2) accomplissent simultanément deux actions sur la mémoire discursive (= M, état évolutif des informations partagées, Groupe de Fribourg 2012) : (i) elles activent une relation implicative, généralement décrite comme ‘causale’, préconstruite ou présentée comme telle, formulable de la sorte : « si quelqu’un réussit, (en principe) il est content » ; (ii) elles assertent, dans le même temps, que ce stéréotype inférentiel est inopérant. Cela signifie que même effective, même portée à un haut degré, la réussite n’entraîne pas le contentement attendu (causalité niée). Dans la formulation vériconditionnelle de R. Martin, la concession logique consiste :

(α) à admettre, dans le monde actuel m0, « la vérité de p aussi bien que de q »        
 (dans (2) : p = « x réussit » et « x est mécontent ») ;

(β) à envisager simultanément, dans un monde contrefactuel  ͞m, « que (si p, ∼q)»               
(dans (2) toujours : « si x réussit, x n’est pas mécontent »). (Martin 1987, p. 83)

On peut néanmoins objecter que (β) prend la forme d’un topos argumentatif (Anscombre & Ducrot 1986) qui est bel et bien valide dans l’échange en cours. Raison pour laquelle certaines approches dialogiques ou polyphoniques de la concession proposent d’assigner à des instances différentes la prise en charge du lien de causalité présupposé d’une part (β) et l’assertion de son invalidité conjoncturelle d’autre part (α). (V. à ce sujet Riegel & al. 42009, p. 861 ; Martin 1987, p. 85 ; Morel 1996, p. 9 ; et aussi Anscombre 1985 ; Mellet 2008, p. 10 ; Rossari 2008.)


13. Les concessives modales : schèmes formels, enjeux descriptifs

13.1. La locution avoir beau et le verbe pouvoir (assorti ou non d’un renforçateur comme bien, toujours, etc.), suivis d’un verbe à l’infinitif, figurent parmi les moyens d’expression bien reconnus de la concession logique (v. Morel 1996, p. 72-76. Cf. :

(3)  (a) il a beau réussir, il est mécontent      
(b) il peut bien réussir, il est mécontent

On décèle en effet dans (3) la relation de causalité niée décrite à propos de (2) : un stéréotype inférentiel sous-jacent « si on réussit, on est content » est conjoncturellement démenti, en dépit de l’accomplissement de la réussite – plein et entier dans (3a), reconnu comme possible dans (3b).

13.2. Ces concessives-là se présentent, dans le cas banal, comme des constructions bi-propositionnelles [AZ] , observables à l’oral comme à l’écrit, en registre soutenu comme dans la langue familière :

(4)  (a) [Tu as beau expliquer,]A [ils refusent de comprendre.]Z (écrit, web)

(b) [T’as beau t’asperger d’parfum, meuf,]A [tu pues l’opportuniste]Z (écrit, paroles de chanson, web)

(c) [on a beau dire de prendre de la distance]A [moi j/ j'y arrive pas encore en tout cas]Z (oral, Ofrom)

(d) [ça avait beau être une ville de cent mille habitants théoriquement]A + [il n’y avait pas grande différence avec euh la ville où j’habite maintenant qui en a six mille]Z (oral, Ofrom)

(e) Yanis : en fait euh (.) même si on travaille le temps qu’on passe ici il est bien (..) parce qu’[on a beau travailler]A [c’est mieux de travailler ici]Z (.) parce que là là dans les salles d’étude (.) on travaille en s’aidant entre nous. (oral, Orféo, MPF, Anais2)

(f) ils apprennent le vrai français blédard comme ça qui sait parler même s’il a un accent [il a il a il a beau avoir le plus gros accent d’accent]A [il parle mieux que toi]Z (oral, MPF, Zakia3)

(5)  (a) [La situation peut bien paraître désespérée]A [il se battra comme il l’a toujours fait]Z (presse, Le Monde, 21.10.2016)

(b) [Je peux bien crever demain,]A [j’aurai connu ce qu’il y a de plus beau.]Z (écrit, frWaC, web)

(c) le Centre est fermé. [Tu peux bien essayer de venir,]A [tu passeras pas la grille]Z (écrit, frWaC, web)

Dans ces constructions ‘en diptyque’ (terme emprunté à Minard 1936), protase [A] et apodose [Z] se succèdent sans l’intermédiaire d’un terme conjonctif (d’où les qualificatifs qu’elles reçoivent parfois de concessives ‘asyndétiques’ ou ‘paratactiques’). [A] et [Z] sont souvent, comme dans (4a-b) et (5a-c), réunis en une seule phrase graphique, ponctuée d’une virgule après [A] et d’un point après [Z], et beaucoup d’auteurs estiment que [A] et [Z] y sont obligatoirement présents et non permutables. Il existe cependant, comme on le verra plus loin, des réalisation ‘non conformes’, dont il conviendra de tenir compte dans la description (v. (8) ci-dessous et section 5). Quant aux suites orales (4c-d), elles témoignent d’une prosodie ‘regroupante’ (Avanzi 2012) : la dernière syllabe de [A] porte un intonème progrédient (ou continuatif), celle de [Z] un intonème conclusif (un intonème progrédient pourrait cependant apparaître à la fin de [Z] s’il était non final). Mais ici encore, il s’agit de réalisations prototypiques, et toutes les productions orales ne se présentent pas sous cette forme (v. § 63).

13.3. Au plan sémantique, le sens concessif (ou concessif-conditionnel) est porté par le membre [A], qui dans (3)-(5) peut être glosé à l’aide d’une proposition introduite par bien que, quoique ou même si (≅ Bien que tu expliques, ils refusent de comprendre ; Même si la situation paraît désespérée, il se battra, etc., v. la coprésence de même si et AB dans (4f) ci-dessus) (voir  Notice  'Constructions Concessives') . Cependant, à la différence des conjonctions bien que et assimilées, sises en position frontale, [avoir beau + Vinf] et [pouvoir (bien, toujours,...) + Vinf] expriment l’idée concessive au sein même du syntagme verbal de [A]. De ce fait, ils ont été qualifiés de marqueurs ‘lexicaux’ de la concession (Marcotte 1997 ; Morel 1996 : 72), ou – ce qui les caractérise avec plus de précision – de marqueurs ‘modaux’ (Faye 1934, p. 2008 ; Blanche-Benveniste et al. 1990, p. 115). Il faut alors admettre que la notion sémantique de modalité inclut non seulement les qualifications véritatives, déontiques, médiatives qui lui sont d’ordinaire assignées (cf. Le Querler 1996 ; 2004), mais aussi certaines prédications évaluatives sur un contenu propositionnel (vous avez beau insister...). On verra par la suite que le statut morphosyntaxique de nos deux marqueurs n’est pas sans incidences sur leur distribution : il les prédispose à des rendements spécifiques, qui les distinguent des ‘subordonnées concessives’ tout venant (§§ 53.2 et 53.3).

13.4. Dans le type avec pouvoir, le modal peut fonctionner seul (6a et premier exemple de 6d) ou avec un bien à sens confirmatif (5a-c supra) ; mais il peut aussi être assorti d’un quantificateur de haut degré comme toujours, tant et plus, tout ce que (6b-c, 2e exemple de 6d), voire du distributif aléatoire n’importe quoi (6e) – autant de façons d’exprimer un quantificateur universel :

(6)  (a) [Il peut garder le téléphone posé sur l’oreiller,]A [personne n’appellera.]Z (L.Violet et M. Desplechin, 2005, apud Gachet & Béguelin 2016)

(b) Rien ne me dérange, c’est ce qui fait ma force. Lorsque je suis branchée ailleurs, [vous pouvez toujours parler,]A [je ne vous entends pas.]Z (A. Sarrazin, 1965, Frantext (= f)

(c) [Elles peuvent manger tant et plus,]A [cela ne les satisfait pas longtemps.]Z (écrit, web)

(d) [Tu peux t’amuser à tuer cinquante choses,]A [c’est toujours pareil.]Z [Tu peux démolir tout ce que tu voudras,]A [ça n’est que démolir.]Z Ça te fait toujours le même effet, ça ne change pas.[] (J. Giono, 1965, f)

(e) [Il est question d’un cheval] moi j’avais beaucoup de + ouais de + méconnaissance quoi je savais pas exactement comment faire pour euh + [Nom propre anonymisé] + pour + pour le tranquilliser parce que [tu pouvais essayer n’importe quoi]A ce qui me semblait à l’époque euh + possible de faire [eh bien y a rien qui rien qui y faisait quoi]Z (oral, Ofrom ; [A] et [Z] sont ici séparés par une parenthèse)

La présence d’intensifs qualitatifs, quantitatifs, temporels, etc., de même que celle de marqueurs épistémiques, approbatifs ou confirmatifs, est un fait courant dans les concessives, qui empruntent systématiquement leurs marqueurs « à d’autres champs sémantiques tels que la comparaison, la quantification, la concomitance, etc. » (Mellet 2008, p. 2 ; cf. König 1988 ; Soutet 1992 : 79 ; Muller 1993 et 1996 ; Combettes & Dargnat 2016 ; Béguelin & Gachet 2021). Parmi celles qui usent de pouvoir, la formule avec bien est la plus commune et la plus souvent citée dans les ouvrages de référence. Dans la suite, elle me servira d’archétype et, sauf exception signalée, l’abréviation PB vaudra pour l’ensemble des versions illustrées sous (5) et (6) ; quant à avoir beau Vinf, il sera abrégé par AB.

13.5. Nos diptyques avec AB et PB relèvent sémantiquement, on l’a vu, de l’expression de la causalité niée. Il n’est pas rare que [Z] asserte explicitement l’inefficacité, la vanité du procès dénoté par Vinf. Ainsi :

(7)  (a) [...] l’abbé Rounère se précipita vers la porte mystérieuse et tenta de l’ouvrir. Mais il eut beau la secouer, ce fut en vain. (R. Queneau, 1933, f)

(b) J. Riter eut beau implorer et tempêter, ce fut en vain ; (B. Clavel, 1964, f)

(c) Nous pouvons bien, comme le psalmiste, crier vers elle [= la femme qui n’aime plus], c’est en vain. (G. Matzneff, 1981, f)

(d) J’ai beau me rappeler, j’ai beau te rappeler à moi, rien n’y fait : les traits les mieux dessinés sont des lignes de fuite. (C. Laurens, 2004, f).

(e) [tu pouvais essayer n’importe quoi]A [...] [eh bien y a rien qui rien qui y faisait quoi]Z (oral, extrait de (6e)).

Toutefois, dans l’emploi qui est fait de AB en français classique et auparavant, l’idée d’échec ou de vanité est aussi parfois exprimée dans une coordonnée (8a) ou dans une P appartenant à la même ‘liste’ énumérative (Blanche-Benveniste & Jeanjean 1987, p. 68) que celle avec AB, un peu comme si les P concernées se glosaient réciproquement :

(8)  (a) On les a beau attendre quelque fois [i. e. « les secours que l’on envoye par dessus les undes »] et les entreprises avec les desseings qu’on y attache peuvent avorter avant que le secours des armées soit arrivé à propos ; ce n’est jamais faict ; il n’y a rien de certein parmy les conduittes qui se font à la mercy de l’eau et des vents. (R. de Lucinge, 1593, f)

(b) Le peintre en vain s’écrie, il a beau se fâcher ; sur cet arrêt il faut qu’il recommence : […]. (A. Houdar de La Motte, 1719, f, apud Béguelin & Conti 2010 , p. 52)

(c) Des philosophes eurent beau s’écrier qu’adopter de pareilles innovations, c’étoit ébranler les fondemens de l’état ; en vain les auteurs dramatiques percèrent de mille traits ceux qui cherchoient à les introduire. Comme ils n’avoient point de décret à lancer en faveur de l’ancienne musique, les charmes de son ennemie ont fini par tout subjuguer. (J.-J. Barthélémy, 1788, f)

Ces exemples ne répondent pas, signalons-le, au schème concessif en diptyque [AZ] illustré sous (4). Tout se passe comme si une assertion d’inutilité y était réitérée sous plusieurs formes différentes, sans que soit suscité un effet d’opposition argumentative. Dans la suite de cette notice, il importera de faire le point sur les occurrences de AB et PB qui échappent au diptyque concessif (ou ne s’y rattachent que lâchement), ne serait-ce que pour mieux comprendre les conditions dans lesquelles la construction en binôme prend naissance.

13.6. Les concessives modales paratactiques confrontent le linguiste à un problème d’analyse en unités. Les exemples (4) contiennent-ils une seule ou deux entités micro-syntaxiques de rang maximal (en termes plus traditionnels, une ou deux ‘phrases’ ou ‘propositions’) ? Ou, pour aborder le problème sous un autre angle : de quelle nature est le lien qui unit [A] et [Z] ? S’agit-il d’une relation de type ‘subordination’ ou assimilé ? d’une forme de ‘coordination’ ou de ‘corrélation’ micro-syntaxiques ? Faut-il au contraire y voir une relation discursive, associant des actes énonciatifs successifs – explication qui pourrait englober aussi les exemples (8) ? Faut-il avancer d’autres hypothèses encore ? Dans la littérature relative à AB, les options les plus diverses ont été proposées – sans que, par ailleurs, le tour des données ait été fait de manière suffisamment exhaustive. Une autre question pendante, non sans lien avec la précédente, concerne le sort de nos suites [AZ] en diachronie. Sont-elles analysables en tout temps de la même manière, ou y a-t-il lieu d’y voir à l’œuvre un processus de coalescence, une forme de ‘grammaticalisation’, au sens où l’entendait Meillet 1982 = 1912) ? Pourrait-on imaginer, par exemple, que des concessions argumentatives ‘en deux temps’, mettant en jeu AB et PB, aient pu, dans certaines circonstances, être réinterprétées comme des concessions logiques, réalisées via un seul acte énonciatif ? La présente notice posera les termes du débat, afin que le lecteur soit en mesure de se forger un avis de manière aussi fondée que possible.


14. Organisation de la notice

Dans un premier temps, je donnerai un aperçu de la bibliographie pertinente (section 2). Ensuite, je justifierai le fait de regrouper AB et PB dans une même notice, en dépit de tout ce qui les différencie (section 3), et je ferai le point sur la façon dont AB et PB sont définis dans un certain nombre de dictionnaires et d’ouvrages de référence. La section 4 sera consacrée au devenir de AB et de PB dans l’histoire de la langue française, avec quelques aperçus plus contemporains, accessibles en arrière-plan (sur [avoir bien beau Vinf] en français du Québec ; sur [avoir beau jeu de Vinf] et [c’est bien beau de Vinf]). Quant à la synchronie actuelle, elle sera traitée dans la section 5, où l’on trouvera une synthèse critique des analyses syntaxiques qui ont été proposées de nos concessives modales. Les deux dernières sections, à caractère récapitulatif, s’interrogeront sur le problème du rapport entre données et description (section 6), et sur les manières les plus courantes d’aborder l’analyse syntaxique ainsi que le changement linguistique (section 7).

 


2. AB et PB sous la loupe des linguistes.



21. Regards croisés

Les concessives modales et leurs marqueurs ont été abordés de plusieurs points de vue, recensés brièvement ci-dessous. Plusieurs des problèmes évoqués allusivement dans ces lignes seront repris et approfondis dans les sections 4 et 5.

Point de vue contrastif, FLE. – AB a été tôt repéré comme une curiosité verbale, un ‘gallicisme’ dépourvu d’équivalents dans les autres idiomes, langues romanes comprises (Palsgrave 1530, Chasles in Bescherelle 51851, p. 13). En raison des problèmes d’interprétation et de traduction qu’il pose, il a suscité la curiosité de linguistes non francophones (Faye 1934, Hess 1924, Orr 1963) :

Among French idiomatic constructions the type avoir beau + infinitive is one of the most commonly misunderstood. (Faye 1931, p. 26)

Aujourd’hui encore, sur Internet, les blogs de FLE fourmillent de commentaires relatifs au sens de vanité que prend la locution AB dans les suites du type j’ai beau essayer, je n’y arrive pas . Sur demande d’une téléspectatrice britannique, B. Cerquiglini a même consacré à cette question une émission de sa série grand public « Merci Professeur », diffusée sur TV5 Monde.

Point de vue diachronique. – Médiévistes et philologues ont documenté les emplois de [beau Vinf] et de [avoir beau Vinf] en ancien et moyen français. Ils ont formulé des hypothèses sur l’origine de la locution modale et les circonstances de sa spécialisation comme marqueur concessif (Littré ; Faye 1934 ; Orr 1963 ; Goosse 1991 ; Soutet 1992). D’autres se sont intéressés aux attestations du diptyque avec AB entre la fin du XVIe et le XVIIIe siècle et au devenir de la relation entre [A] et [Z] à travers le temps (Béguelin & Conti 2010, Béguelin 2010). V. § 42.

Point de vue sémantique. – Dans une littérature pléthorique, concernent de près ou de loin nos diptyques les études relatives aux thèmes suivants :

(i)   Le schème logique sous-jacent aux différents types de concessives (formes ‘paratactiques’ comprises) (supra § 21 ; König 1988 ; Martin 1987 ; Morel 1980, 1996 ; Leuschner & Van den Nest 2012 ; Mejri 2019). Les rapports logiques qui s’établissent entre relations hypothétique, causale et concessive (König & Siemund 2000).

(ii)  Les ‘parataxes asyndétiques’ et les surinterprétations contextuelles auxquelles elles se prêtent (i. a. Haiman 1983 ; Rosier 1995 ; Culicover & Jackendoff 1997 ; Corminboeuf 2009 et 2014 ; Béguelin, Avanzi & Corminboeuf 2010), voir  Notice  'Constructions hypothétiques non marquées'.

(iii)   La valeur de l’adjectif beau, qui oscille entre sens ‘positif’ (Belle nouvelle année à vous !; le beau blanc des draps, Ramuz 1991, f) et sens ‘négatif’ (il nous a dit de belles paroles / tenu de beaux discours = « il nous a dit des paroles creuses / tenu de vains propos » ; il ferait beau voir que... « il serait incroyable de voir que »...). Cette sous-spécification sémantique est aussi le fait de [avoir beau Vinf] (Damourette & Pichon § 1129 ; Goosse 1991 ; Soutet 1992, p. 82 ; Morel 1996, p. 74 ; Béguelin & Conti 2010, p. 50-52). V. § 42.2.1.

(iv)  Les divers emplois de bien et l’affinité qu’il entretient, en emploi confirmatif ou permissif, avec l’expression de la concession (cf. bien que, pouvoir bien, quand bien même, etc. (Michiels 1995 ; Morel 1996, p. 22-24, p. 76 ; Ponchon 2005 ; Moline 2012 ; Barbet 2012 ; Gachet & Béguelin 2016, p. 72-73).

(v)  La polysémie du verbe pouvoir (v. (9) infra (notamment Sueur 1977, 1979, 1983 ; Kleiber 1983 ; Fuchs & Guimier 1989 ; Tasmowski & Dendale 1994 ; Le Querler 1996, 2001 ; Barbet 2013) et les conditions de l’émergence de l’interprétation concessive de PB (Gachet & Béguelin 2016).

(vi)  Les valeurs respectives de mais (Ducrot 1972 ; Anscombre & Ducrot 1977) et des adverbiaux concessifs pourtant, pour autant, néanmoins, tout de même, etc. (i. a. Gettrup & Nølke 1984 ; Mellet 2008), dont le membre [Z] de nos diptyques est parfois accompagné (v. (14) et (19) infra).

(vii)  Les variations dans l’emploi de on a beau dire entre le XVIe et le XXe siècles, envisagées par le prisme d’une théorie de la ‘grammaticalisation’ et de la ‘pragmaticalisation’ (Oppermann-Marsaux 2020).

(viii)  La genèse de systèmes corrélatifs (Fruyt 2005) et de marqueurs concessifs dans diverses langues, par exemple lat. quamvis, licet (Fruyt 2004 ; Spevak 2005) ; all. zwar... aber (Leuschner & Van den Nest 2012).

– Point de vue morpho-syntaxique. L’intérêt des chercheurs s’est porté sur :

(i)   L’analyse fine du syntagme [avoir beau Vinf] en diachronie (Faye 1934 ; Orr 1963 ; Goosse 1991 ; Soutet 1992, p. 82-84 ; Béguelin & Conti 2010, p. 52-54). V. § 42.2.2.

(ii)  La nature du lien entre [A] et [Z] dans les diptyques modernes avec AB. Outre les diagnostics formulés en termes de grammaire traditionnelle (subordination, coordination, parataxe, etc.), le statut du membre avec AB a fait l’objet de descriptions sui generis dans le cadre de la macro-syntaxe aixoise (Blanche-Benveniste et al. 1990 ; Benzitoun & Sabio 2010) et dans le cadre du modèle pragma-syntaxique fribourgeois (Conti & Béguelin 2010 ; Béguelin & Gachet 2021). V. §§ 51.3.5 et 51.3.6) 


22. Lectures introductives

Pour une entrée en matière, les lectures suivantes peuvent être recommandées :

Morel, M.-A. (1996). La Concession en français. Paris, Ophrys.

Introduction abordable, illustrée par des exemples authentiques, à la thématique de la concession et au fonctionnement des principaux marqueurs concessifs du français moderne. Une section de l’ouvrage est consacrée à AB et PB, sous le titre « Les marqueurs lexicaux dans la concession logique » (p. 72-77).

Martin, R. (1987). Langage et croyance. Les ‘univers de croyance’ dans la théorie sémantique. Bruxelles, Chapitre VI « Concession et univers de croyance » (p. 81-92).

Synthèse à la fois dense et limpide sur la logique sous-jacente aux manifestations linguistiques de la concession. Typologie contrastive, sur une base morphologique et sémantique, des marqueurs concessifs dans les langues de souche indo-européenne.

Soutet, O. (1992). La Concession dans la phrase complexe en français. Des origines au XVIe siècle. Genève, Droz, Chapitre IV « Avoir beau » (p. 69-84).

Analyse d’inspiration guillaumienne de la locution [AB + Vinf]. Celle-ci est mise en parallèle avec d’autres emplois notionnellement « subduits » du verbe avoir, tels que j’ai marché, j’ai faim. Hypothèse sur la genèse du verbe modal AB, après discussion des scénarios proposés par É. Littré, J. Damourette & J. Pichon, J. Orr.

Conti V. & Béguelin M.-J. (2010). Le statut des concessives en avoir beau du français : considérations synchroniques et diachroniques. Journal of French Language Studies 20/3, 271-288.

Bilan des hypothèses qui ont été formulées sur la nature de la relation syntaxique entre [A] et [Z] dans le diptyque avec AB. Esquisse d’un modèle variationnel de cette relation, prenant en compte les réalisations non canoniques ainsi que les occurrences isolées de [avoir beau Vinf].

Béguelin M.-J. & Conti V. (2010). Syntaxe des structures avec avoir beau en français préclassique et classique. In B. Combettes & al. (éds). Le Changement en français, études de linguistique diachronique. Berne, Peter Lang, p. 43-72.

Analyse distributionnelle quantifiée des AB concessifs de Frantext entre 1570 et 1730.

Gachet, F. & M.-J. Béguelin (2016). Emplois concessifs et non concessifs de pouvoir bien. Langue française 192, p. 69-83.

Étude des facteurs sémantiques et pragmatiques qui, en contexte, sont propices à une interprétation concessive de [pouvoir bien + Vinf].

 


3. Spécificités et points communs.


Les constructions concessives modales avec AB et PB ne sont ni aussi anciennes, ni aussi figées l’une que l’autre.

31. Les premières attestations de diptyques concessifs ‘paratactiques’ avec AB remontent au moyen français (ex. (14a)). Leur présence est au départ discrète, mais le binôme se fait plus fréquent à partir de la fin du XVIe siècle et, au cours de l’époque classique, se met à donner des signes de ritualisation formelle. Son succès se confirme ensuite au point que la locution AB est quasi spécialisée de nos jours en tant que marqueur concessif – le cas du français québécois étant réservé (§ 42.3).

32. PB, au contraire, existe « indépendamment de sa valeur concessive, comme verbe de modalité (au même titre que devoir) » (Morel 1996, p. 72). Dans le cas le plus courant, il est utilisé, hors diptyque asyndétique, pour exprimer la possibilité ontique (9a-c), la permission (9d), ou « l’attitude de l’énonciateur vis-à-vis de la valeur de vérité de la proposition qu’il asserte, son degré de prise en charge » (= emploi épistémique, Morel 1996, p. 74).

(9)  (a) Mais le début de la diphtongaison peut bien avoir été plus ancien de deux siècles. (A. Martinet, 1955, f)

(b) – C’est curieux, vous êtes suivie par une chatte qui vous accompagne. Tout à l’heure elle était sur ce meuble, à présent elle est sous votre chaise... – Ah ? Elle se déplace ? s’étonna Colette. — Oui. Elle peut bien aller où elle veut, puisqu’elle est morte. (A. Duperey, 2017, f)

(c) Si quelqu’un perd deux pièces d’or, il pourra toujours en retrouver d’autres, [...] (F. Weyergans, 1981, f)

(d) Vous pouvez toujours lui faire part de ma visite. (A. Simonin, 1953, f)

(e) Son mari, engraissé, ressemble de plus en plus à un taureau. Il est déséquilibré par une sorte de satyriasisme, qui le fait regarder les femmes avec une extase de ruminant et, si l’une d’elle résiste à ce corps de boxeur, il ne parle rien moins que de se tuer ! La jolie Marcelle peut avoir des raisons de se juger offensée. (H. Hoppenot, 1918-1933 (2010), f)

NB. Il n’est pas toujours possible, en contexte, de trancher entre ces différents effets de sens liés à l’emploi pouvoir, v. (9e).

D’après les sondages de Gachet & Béguelin 2016, les premières attestations de diptyques concessifs asyndétiques avec pouvoir renforcé de bien ((5) ci-dessus) remonteraient à la seconde moitié du XVIIIe siècle ; ce que l’on trouve sporadiquement dans la littérature plus ancienne, ce sont des emplois concessifs où [A] et [Z] sont reliés par un connecteur oppositif. Quelle que soit la période envisagée, il faut savoir que l’interprétation concessive de PB demeure très marginale. Dans le sous-corpus contemporain de Frantext (1980 à nos jours), les formes fléchies de pouvoir bien ne relèvent de la concession que dans environ une occurrence sur dix  : l’interprétation concessive repose alors crucialement sur un calcul de pertinence, qui met en jeu l’état de l’information partagée (§ 43). À noter que des investigations complémentaires seraient nécessaires pour vérifier ces premières observations. Il serait utile également de documenter, à côté du cas de pouvoir bien, ceux où pouvoir est associé à toujours, tant et plus, tout ce que..., etc. (ex. (6) supra).

33. Le fait que AB et PB soient inégalement lexicalisés n’empêche pas qu’une équivalence soit ressentie entre eux, au point que les grammairiens se sont mis à les étudier de concert (Sandfeld 1977, § 240 ; Morel 1996, p. 72-76 ; Riegel et al. 42009, p. 873 ; Béguelin & Gachet 2021). Les indices linguistiques de cette équivalence sont de deux ordres. D’une part, dans la syntagmatique discursive, on rencontre AB et PB en coordination, ou alternant dans le cadre de parallélismes syntaxiques. Cf. :

(10)  (a) Jean-Pierre Graber a beau pleurnicher et le canard laquais peut bien s’émoustiller des soi-disant vertus d’organes locaux bidon et des politiciens de petite taille qui les squattent, le Jura Sud est condamné à subir les conséquences de leur obscurantisme. (presse, Le Jura Libre, 11.12.2020)

(b) Le calcul infernal : si je n’ai pas de nouvelles ce soir, il est mort. D. me regarde. Il peut bien me regarder, il est mort. J’aurai beau le dire, D. ne me croira pas. (M. Duras, 1985, f)

D’autre part, dictionnaires et ouvrages de référence définissent quasi toujours PB par référence à AB ; le contraire se présente aussi incidemment.

NB. Pour définir AB, les lexicographes recourent en général à la notion d’efforts vains ou inutiles – ce qui, on peut le noter, ne s’applique guère à ses emplois impersonnels (« Il avait beau pleuvoir par intervalles, Paillasse, Pantalon et Gille s’obstinaient. », V. Hugo, 1881, f) ou lors de la désignation d’états (« La pandémie a beau être en cours, cela n’empêche pas le secteur de l’hôtellerie d’envisager déjà l’avenir. », presse, 20minutes.ch, 10.9.2021, p. 10). Dans les ouvrages anciens, l’emploi concessif de AB, en diptyque, n’est pas forcément mentionné. Cité dans Richelet 1680, il n’est pris en compte dans le Dictionnaire de l’Académie qu’à partir de l’édition 1832-1835. Pour une revue critique des définitions qui ont été proposées de AB et PB dans des ouvrages qui vont de Palsgrave à Robert, en passant par Damourette & Pichon, cliquer  ICI .

Dans son Éclaircissement de la langue française (1852 = 1530), J. Palsgrave recourt au fr. [avoir beau] Vinf pour traduire le m. angl. I may do a thyng longe ynoughe (p. 616), lequel exprime l’inefficacité du procès dénoté par do a thyng :

facsimilé

C’est aussi la vanité du procès exprimé par le Vinf qui est mise en avant dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie (1694) :

Il [= le terme beau] se joint encore au verbe dans un sens different, & pour marquer qu’en vain on fait ce que le verbe signifie, Vous avez beau faire, beau dire. vous avez beau prier, beau pleurer, pour dire, Que vous priez, que vous pleurez vainement. (Ici comme toutes les citations de ce passage, les grasses sont les miennes)

Cette glose est légèrement retouchée dans la 4ème édition de 1762, qui intègre des exemples au passé composé :

On dit aussi, Vous avez beau faire & beau dire, vous avez beau prier, beau pleurer, nous avons eu beau solliciter, ils ont eu beau se récrier, pour dire, C’est inutilement que vous priez, que vous pleurez, que nous avons sollicité, qu'ils se sont récriés.)

Même référence à un effort inutile dans le Dictionnaire de Féraud (1777-1778), qui – à l’instar des ouvrages précédents – donne seulement un exemple de AB à l’état isolé, sans corrélat :

BEAU, adv. Il a beau faire, il fait des éforts inutiles. "On a eu beau lui imposer silence".

La 6e édition du Dictionnaire de l’Académie (1832-5) insère la notation Fig. et ironiq. pour caractériser le sens ‘antiphrastique’ de la locution, et introduit pour la première fois un emploi de AB en diptyque concessif [AZ] :

Fig. et ironiq., Vous avez beau faire et beau dire, vous avez beau prier, beau pleurer, nous avons eu beau solliciter, ils ont eu beau se récrier, etc., C’est inutilement que vous réclamez, que vous priez, que vous pleurez, que nous avons sollicité, qu’ils se sont récriés, etc. J’eus beau faire et beau dire, il persista dans sa résolution.

L’emploi en diptyque était cependant déjà mentionné en 1680 chez Richelet, suivi par Furetière (1690) et Trévoux (1734). Le premier glosait AB à l’aide de quoique, encore que (cf. § 1.2), et du latin etsi, quamquam :

Beau. (Etsi, quamquam.) Ce mot joint avec le verbe avoir signifie quoique, encore que. Nous avons beau nous ménager, La mort n’est pas un mal que le prudent évite. Main[ard], poës. Sa bouche a beau cent fois en faire le serment, Il n’est point vôtre ami tant qu’il est votre amant. (Richelet, éd. 1709, cité par Faye 1934, p. 1015)

Beau. Quand ce mot est joint avec le verbe avoir, il signifie, Quoique, encore que. Vous avez beau parler, & me promettre, je n’en ferai rien. Vous avez beau faire, vous n’en viendrez pas à bout. (Furetière, 1690)

La 9ème édition (en cours) du Dictionnaire de l’Académie modernise ses exemples, tout en faisant allusion à la polysémie de [avoir beau Vinf], qui véhicule un sens de vanité dans a beau travailler mais un sens favorable dans le vieux proverbe A beau mentir qui vient de loin (cf. plus bas ex. (11)).

Avoir beau suivi d’un infinitif. Avec une valeur concessive, marquant l’inutilité d’une action, d’un conseil. Cet enfant a beau travailler, il ne réussit pas. Elle a beau lui expliquer, il ne comprend rien. Nous eûmes beau faire et beau dire, il persista dans son erreur. Vieilli. Avoir toute facilité pour.        
.Prov. A beau mentir qui vient de loin, le mensonge est facile à celui qui vient de loin.

Dans cette 9ème édition toujours, la séquence « avoir beau suivi d’un infinitif » figure sous une rubrique intitulée « Emplois adverbiaux. D’une manière qui convient. » Pourtant, dans la locution avoir beau, beau n’a ni le sens de « qui convient », ni une fonction d’adverbe : v. § 42.2.2.

L’idée d’action, de peine ou d’efforts portés à un haut degré, mais non couronnés du succès attendu, se retrouve dans de nombreux autres dictionnaires, p. ex. Boiste 1812 ; Landais 31836 ; Noël & Chapsal 71840 ; Bescherelle 111865 ; Larousse 1867 ; Littré 1878 ; Hatzfeld et al. 1926 ; Robert 1977...

Alors que le Französisches etymologisches Wörterbuch (FEW), vol. 1, s. v. bellus, p. 321 no 4, ne dit que peu de chose de notre locution, le Dictionnaire historique de la langue française (DHLF) s. v. beau met en avant l’idée de sens adversatif, peut-être sous l’influence de Damourette & Pichon. Cf. :

La locution avoir beau faire se trouvant quelque peu isolée, put alors se cantonner dans le sens adversatif qu’elle a maintenant. (Damourette & Pichon, § 1129, t. III, p. 599)

Le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) se distingue à son tour en faisant appel aux notions psychologisantes de « chose espérée » et de « déception » :

B. ‒ [L’idée dominante est celle de chose espérée (exprimée par avoir beau) et de déception (exprimée par la proposition subséquente)]        
Avoir beau + inf. (avec valeur concessive). L’oncle Édouard a eu beau faire, beau s’évertuer, s’époumoner... ils démordaient pas de leur avis (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 346). J’ai eu beau donner de la voix, personne, hélas, n’est venu me détacher (CAMUS, La Dévotion à la croix, adapté de Calderon de La Barca, 1953, p. 574). (Etc., TLFi, s. v. beau, rubrique III B)

Ces notions toutefois, pas plus que celle d’« efforts », ne sont applicables aux emplois impersonnels de AB, parents pauvres des dictionnaires modernes :

(I)  (a) Il avait beau pleuvoir par intervalles, Paillasse, Pantalon et Gille s’obstinaient. (V. Hugo, 1881, f, déjà cité plus haut)

(b) Autour des femmes que vous avez ici, il a beau y avoir des fontaines dignes de Rome, des platanes grecs et un ciel qui joue la tragédie de Don Quichotte à chaque coin de rue, je n’aimerai jamais. (J. Giono, 1965, f)

(c) Pourtant en sixième j’aurais pu nouer des liens avec Lussac, mon autre voisine. Je ne l’ai même pas regardée, la malheureuse. Enfin si : je l’ai regardée et trouvée laide ! J’étais déjà comme ça, à dix ans. Il avait beau s’agir d’amitié, de pure amitié, je voulais qu’elles fussent belles ! (H. de Montferrand, 1991, f)

NB. Relever l’existence, à date récente, d’une variante il y a beau y avoir à côté de il a beau y avoir, et d’une autre y a beau avoir :

(II)  (a) Il y a beau y avoir six pattes par mouche, c’est par milliers que nous devons les amputer si nous voulons arriver à écrire quelque chose qui se tienne. (G. Perec, 1965-1978, f)

(b) Il y a beau y avoir de la glace, toute la surface du lac des Taillères n’est pas praticable. (web ; ex. non isolé))

(c) Et il y a beau avoir plusieurs caisses, on fait toujours une queue trop longue pour entrer. (écrit internet, frWaC)

(d) y a beau avoir un trucker dans le village qui est capable de faire la job là, ben ils vont le garder pour eux autres ou ils vont le faire faire par une autre. (in L. Bisson, thèse Rimoussi 2011, web)

Une étude plus poussée à ce sujet serait évidemment la bienvenue.

Un peu plus abstraite, la définition donnée dans l’Essai de grammaire de la langue française de J. Damourette et É. Pichon se prête mieux à la description des emplois impersonnels. Elle fait, elle aussi, référence à l’exécution de « l’action exprimée par l’infinitif », mais n’en capte pas moins avec finesse le concept paradoxal d’« impuissance » associé une réalisation soutenue du procès :

Nous sommes maintenant en mesure d’étudier le cas très délicat de la tournure il a beau faire.           
D’une part, cette tournure ne ressemble formellement à rien d’autre dans le français de nos jours, mais d’autre part elle est très vivante dans le parler normal.             
Elle signifie que la substance repère du verbe avoir est impuissante à empêcher un fait exprimé par la phrase suivante, même si elle continue indéfiniment, comme elle le peut, à exécuter l’action exprimée par l’infinitif. (Damourette & Pichon § 1129, t. III, p. 596)

Quant à PB concessif, les dictionnaires ne le repèrent que bien plus tard (cf. supra § 32). Littré n’en fait pas état dans son inventaire, pourtant fouillé, des emplois de pouvoir, mais en donne un rapide exemple s. v. bien. Et le Dictionnaire de l’Académie, s. v. pouvoir, ne l’illustre qu’à partir de sa 9e édition (l’actuelle) :

2. Auxiliaire de mode, précédant le plus souvent un verbe à l’infinitif. Pour marquer la possibilité, l’éventualité. Ne faites pas cela : un accident peut toujours arriver. Cela pourrait bien être. Il peut en mourir. Avec une nuance de concession. Elle peut, elle peut bien promettre tout ce qu’elle veut, je ne la crois pas. Fam. Tu peux toujours courir !

Dans les dictionnaires du XXe siècle, PB est régulièrement défini à l’aide de AB (Robert méthodique, TLFi s. vv. bien et pouvoir) ou en référence à AB. Ainsi dans le Grand Robert (1977) s. v. pouvoir :

Spécialt. Pouvoir..., pouvoir bien, en opposition avec une autre proposition introduite ou non par mais, signifie que la liberté (théorique ou pratique) de faire telle ou telle chose est sans influence sur la réalité ou la possibilité qu’exprime cette autre proposition. (Cf. b>Avoir beau*). Il peut bien venir me voir, je ne lui parlerai pas. Il peut promettre tout ce qu’il voudra, on ne le croit plus

Certains linguistes usent, en retour, de PB pour expliciter le sens de AB (Orr 1963, p. 101 ; Soutet, 1992, p. 72, 78). Un auteur perspicace du nom de Martin, cité par P.-L. Faye, avait déjà fait le rapprochement en 1872 :

C’est le verbe avoir suivi de l’adjectif beau, et formant avec lui une expression qui après avoir éprouvé en quelque sorte la même fortune que pouvoir bien, a fini par signifier, comme ce dernier, que l’action de l’infinitif qui suit a été, est ou sera faite en vain. (Martin, Courrier, 1872, III, 132, cité par Faye 1934, p. 1012).

 


4. Genèse des diptyques concessifs.


Dans cette section, j’examinerai les circonstances dans lesquelles se sont fixés, en diachronie, les emplois locutionnels et concessifs de AB et PB. AB, qui par le passé a bénéficié d’études approfondies, occupera ici le devant de la scène (§§ 41 et 42). Mais le cas de PB (§ 43) se révélera fort instructif lui aussi : il permettra de montrer la généralité des processus sémantiques et interprétatifs propices à la fixation de constructions concessives.


41. Quatre emplois de AB

Les occurrences anciennes de [avoir beau Vinf] produisent parfois, à nos yeux de modernes, un effet d’étrangeté (v. Dictionnaire du Moyen Français (DMF) s. v. beau). Au début du XVIIe siècle déjà, R. Cotgrave manifestait, dans son Dictionarie of the French and English Tongues, un certain « désarroi » (Orr 1863, p. 110) :

J’ay beau attendre : I stay to much purpose; here’s goodly tarrying sur; I shall but lose my labour, how long soever I tarry.
Il a beau faire chois de : He hath good leave to chuse.
Il a beau se lever tard : He may lie long enough; he may get up as late as he will.
Ils l’avoyent beau flatter : They were glad, or fain, they held it their best course to flatter him. (Cotgrave, cité par Orr 1963, p. 110, et avant lui par Faye 1934, p. 1015)

41.1. La source de ces difficultés interprétatives devient plus claire si l’on prend conscience du fait qu’à l’époque, [avoir beau + Vinf] connaît les types d’emplois suivants – dont les deux premiers, où AB est ‘non corrélé’, ne relèvent pas de la concession :

Type I : Emploi sans corrélat et avec sens favorable de beau           
Type II : Emploi sans corrélat, à sens de vanité, d’inutilité  
Type III : Emploi suivi d’une coordonnée introduite par mais            
Type IV : Emploi en diptyque asyndétique

Les quatre types ainsi distingués sont bien attestés jusqu’à la fin du XVIe siècle, voire au-delà. Je les illustrerai ci-dessous dans un ordre grosso modo chronologique.

41.1.1. Emplois de Type I, sans corrélat et avec sens favorable de beau.

(11)  (a) A beau mentir qui vient de loin. (proverbe) [= « Il a facilité à mentir / il a tout loisir de mentir, celui qui vient de loin »]

(b) [...] quant Perruche les vit rire, entre les autres choses, il leur dit qu’ilz avoient beau rire et qu’ilz avoient gaigné le jeu. (J. de Bueil, 1461, f) [= qu’ils avaient tout loisir de rire et qu'ils avaient gagné le jeu]. gaigné le jeu. (J. de Bueil, 1461, f) [= « qu’ils avaient tout loisir de rire et qu’ils avaient gagné le jeu. »]

(c) ... car petite clochette / A beau branler, avant qu’un haut son jette (C. Marot, Epistre au Cardinal de Lorraine, cité par Orr 1963, p. 109 [= « car petite clochette [comparée ici au poète de basse condition] a tout lieu de s’agiter, avant que / d’ici à ce qu’elle jette un son élevé »])

(d) Il a beau aller à pied, dit-on, qui meine son cheval par la bride. [= « Il a facilité à aller à pied, celui qui mène son cheval par la bride. » (M. de Montaigne, 1592, f) [sous-entendu : à tout moment il peut monter dessus]

(e) [...] j’ay demandé plusieurs fois parmy les ruës quelle heure il estoit, mais on ne m’a respondu qu’en ouvrant la bouche, serrant les dents et tordant le visage de guingois.– Quoy ! S’escria toutte la compagnie, vous ne sçavés pas que par là ilz vous monstroient l’heure ? – Par ma foy, respartis-je, ilz avoient beau exposer au soleil leurs grands nez avant que je l’apprisse. (S. Cyrano de Bergerac, 1653, f) [« ils avaient tout loisir d’exposer... avant que... », « ils pouvaient exposer leurs nez... un bon moment d’ici que je l’apprenne... »]

(f) Elle passait tout le temps, cette autobus-là ; j’avais beau la prendre, moi, au lieu d’attendre l’autre. (Mme DW, 24.11.1924 ; exemple oral relevé par Damourette & Pichon § 1129, t. III, p. 598, « usance haute-bretonne » ; interprétation proposée par les auteurs : « J’aurais dû et pu le prendre [l’autobus], si j’avais su qu’il menait où je voulais aller »)

(g) A beau crâner, qui se sent les muscles d’acier. (A. Gide, 1939, f) [= parodie de l’adage (11a)]

(h) Elle a beau partir : personne ne l’arrête (au sens de « elle a toute facilité pour partir, car... », une Québécoise, 29 mars 1983, citée par Goosse-Grevisse15, § 300) V. plus bas § 42.3.

(i) On a beau dire que l’amitié, ça nous rend solide, y’a rien de mieux de le l’avoir pour le comprendre. [...] Voilà, on aura beau dire que je suis franchement émotive à 1 :39 du matin, je m’en fiche parce que j’ai, écris, mon poste émotif de la semaine. [...] Au [pour on] aura beau dire que je dis trop « on a beau dire » vous avez foutrement raison. (écrit, web, mai 2007, sic ; renversement de sens pour avoir beau dire dans la phrase finale où il signifie « on aura belle occasion de dire, toute raison de dire... », voir la suite)

(j) il y a le discours scientifique évidemment il y a la réalité même scientifique / comment est-ce qu’on peut la concilier [...] avec la réalité économique \ car les entreprises qu’on a beau critiquer sont un évidemment un gros levier pour cette transition énergétique \ (oral, dans la bouche d’une journaliste, France Inter, 12.12.2020, émission Chaud devant ! Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?, exemple contrôlé sur le podcast de l’émission) [= « qu’il est facile de critiquer », « qu’on a beau jeu de critiquer »]

Ces emplois où AB, dépourvu de corrélat, est porteur d’un sens ‘positif’, se raréfient avec le temps, du moins si l’on se fie aux données de Frantext. Ils se maintiennent cependant sous forme de diatopismes, dans les ‘usances’ canadienne, auvergnate et haute-bretonne (Damourette & Pichon § 1129, t. III p. 598 ; Goosse-Grevisse 131993, § 300). Il n’est pas exclu qu’ils ressurgissent à la faveur d’une parodie ou d’une remotivation (v. § 42).

41.1.2. Emplois de Type II, sans corrélat, à sens de vanité, d’inutilité. – Quand AB est non corrélé – ce qui est très fréquent jusqu’à la fin du XVIe siècle – ces emplois dominent par rapport à I dans les données littéraires :

(12)  (a) JUPITER. Vous avez beau sacrifier / Si vous ne delaissez voz vices. (Anonyme, 1492, f) [= « vous sacrifiez sans succès si... »]

(b) [...] qu’y ferois-je ? On a beau prescher qui n’a cure de bien faire. (P. de Larivey, 1579 < f ) [= « Il est inutile de prêcher quelqu’un qui n’a pas le souci de bien faire », interprétation préparée par le constat d’impuissance qui précède ; comparer (11a), (11c) où, dans une structure syntaxique analogue, le sens est positif]

(c) Quand le Ciel nous livre à la peine, / On a beau chercher un garant (A. de Montchrestien, 1604, f)

(d) Comme il voit que dans leurs tanières / Les Souris étaient prisonnières, / Qu’elles n’osaient sortir, qu’il avait beau chercher, / Le Galand fait le mort, [...] (J. de La Fontaine, 1668, f)

(e) Le pere De Fontenei a fait la même sotise que moi. Il lit de l’algebre. On a eu beau lui dire qu’il falloit se ménager. Nous nous consolons ensemble. Deux jours à dormir et à ne rien faire, nous remettront sur pied. (F.-T. de Choisy, 1687, f)

(f) Mais on a beau précher qui ne veut écouter. (A. Houdar de La Motte, 1719, f)

(g) Que d’esprit dans tout cela ! Passez-moi ce mot, que ma logique a beau réprouver. Le langage du chien, le plus expressif de tous, est si varié, si riche, si fécond, qu’il fourniroit seul à un long vocabulaire. (Ch. Bonnet, 1764)

(h) [...] c’est comme la question des duchés, reprit Moser, eh bien ! Elle est grosse de complications... certainement ! Vous avez beau rire. (É. Zola, 1891, f)

(i) – Mais, je veux voir des Américains moi ! que j’avais beau insister. Et même qu’ils ont des femmes comme il y en a pas ailleurs !... (L.-F. Céline, 1932 , f)

(j) Combien ma solitude éternelle m’écœure, et me lasse... J’ai beau essayer de m’engourdir... Mon Dieu, que celui que vous m’avez destiné vienne vite... Mon Dieu, mon Dieu, quel étrange cauchemar je vis. (I.-C. Reweliotty, 1946, f)

(k) D’ordinaire j’y vois la nuit. Ici, la forêt fait l’obscurité si épaisse que j’ai beau écarquiller les yeux. À un détour, pourtant, où les arbres doivent être plus éclaircis, je vois une étoile en face de moi. (J. Giono, 1951 < f)

(l) Bonjour Benoît, J’ai beau chercher à installer la version d’Amarok qui permet d’utiliser la baladodiffusion et j’en arrive à la conclusion que je dois passer à Mandriva 2006. (écrit, web, mai 2007)

Dans plusieurs de ces extraits, AB au sens de « faire vainement » figure, on l’aura noté, dans une indépendante ou une ‘principale’ (12b et f, 12c, etc.), et sans trace de corrélat (12g). À noter qu’un renversement de sens « ironique » analogue à celui dont témoignent ces exemples a été observé à propos de l’italien bello. Pour en apprendre plus à ce sujet, cliquer  ICI .

P.-L. Faye (1934, p. 1018) et J. Orr (1963, p. 102) relèvent dans le Dizionario de Petrocchi, s. v. bello, un même basculement sémantique que celui qui est à l’œuvre dans les emplois simples de AB :

Davanti a un infinito [bello] significa la bontà, l’utilità, il vantaggio della cosa, E un bèl comprare la carne di manzo a une franco il chilo. E un bèl viaggiare con questi vagoni. E iròn. S’à une bèl guadagnare quando le spese créscono sèmpre ! S’à un bèl dire, ma intanto va così. [...] (Petrocchi, Dizionario universale della lingua italiana s. v. bello, cité par Orr 1963 : 102, mes caractères gras.

L’exemple it. S’à un bèl guadagnare quando... se rapproche, par sa structure syntaxique et son sens, de (11c) supra, à la position près de la quand-P. Le dictionnaire bilingue de Ferrari & Caccia (1874), cité par Faye 1934, p. 1018, traduit pour sa part fr. J’ai beau te le crier, ton zèle est indiscret, par it. ho un bel gridartelo alle orecchie, il mio zelo e indiscreto. Cependant, la syntaxe interne de ho un bel gridartelo, avec son déterminant indéfini et ses clitiques postposés au Vinf, ne coïncide pas avec celle de j’ai beau te le crier : la réanalyse de AB en tant que verbe modal (§ 42.2.2) est réellement le propre du français.

41.1.3. Emplois de Type III, avec coordonnée introduite par un connecteur adversatif, le plus souvent mais. – Les exemples concernent souvent, mais non exclusivement, les infinitifs dire et faire :

(13)  (a) J’ay eu beau faire, mais je n’ay sceu empescher que ces dames ne m’ayent aussitost recogneu qu’elles m’ont veu [...] (A. Turnèbe, 1584, apud Béguelin & Conti 2010)

(b) Ah ! Malheureux ! J’ai beau fuir l’amour comme un esclave fugitif, ou comme un taureau qui a secoué le joug, ou comme un cheval qui s’est enfui de l’étable... mais il sait me retrouver, et levant sur moi une branche de myrte dont il me menace en criant, il me donne de nouveaux fers, il soumet ma tête à un nouveau joug, [...] (A. Chénier, 1794, f)

(c) L’impression qu’elles me firent est incroyable : j’ai eu beau faire, mais je n’ai jamais pu les faire sortir de ma tête. (G. Casanova, 1789-1798, f)

(d) Vous avez> beau dire, docteur, mais une fois qu’elle est sortie d’ici, je ne suis plus tranquille. (P. Reider, 1862, f)

(e) Il avait beau essayer de tenir le coup, et fort mal, avec des yeux et des oreilles de lièvre, mais c’était intenable. (J. Giono, 1950, f ; ex. non isolé chez cet auteur)

(f) Ai beau faire mais cette nuit-là, à la lourde de la cave, de ma cave... c’est plus le même cadenas. C’est un autre... Je le tournicaille dans tous les sens. Tire. Pousse. Glandille de haut en bas et de bas en haut. Rien à chier. L’en veut pas. Ont changé la serrante, les enculés ! (J.-L. Degaudenzi, 1987, f)

(g) On a beau dire mais la vie est parfois salement compliquée. (F. Seguin, 1990, f)

(h) T’as beau prévoir du gel, des stylos mais les gens se disent quand même bonjour avant d’entrer dans un bureau de vote, ils s’embrassent (écrit, web, printemps 2020)

(i) J’ai beau essayer de payer pour un upgrade mensuel de notre abonnement, mais rien à faire, toutes mes cartes de crédit sont refusées. (écrit, web, septembre 2020)

(j) Moi en ce moment c’est a fond sur le téléphone ... maman a bo me dire non, mais je continu , hi hi hi j’adore !!! (écrit, web, frWaC, sic)

(k) En tous cas celle la elle a beau critiquer et parler des filles qui sont pas des filles « bien » mais à peine elle est plus en couple celle la directe elle se remet en plan ou en flirt (écrit, What’s up, Switzerland ?, spk 134, sic)

(l) on a on a beau râler mais quand même les doubleurs français c’est on fait partie de nos doubleurs sont sont parmi les meilleurs du les meilleurs au monde (oral, Orféo, TUFS)

Dans ces structures coordonnées, il se peut que la présence de connecteurs adversatifs entre [A] et [Z] invite à stabiliser le sens de [AB + Vinf] sur la réalisation pleine et entière du procès exprimé par Vinf, plutôt que sur sa réalisation vaine comme dans (12). Cf. (18-19) infra.

NB. À date ancienne et hors concession, [AB + Vinf], qu’il soit de Type 1 ou de Type 2, est accompagné parfois d’un connecteur justificatif, v. § 42.2.3.

41.1.4. Emplois de Type IV, en diptyque ‘paratactique’. – D’apparence identique à (4) supra, ces exemples-ci sont on l’a dit d’abord relativement rares, puis deviennent de plus en plus fréquents à partir de la seconde moitié du XVIe siècle :

(14)  (a) [...] [et si a beau crier,]A [il n’est ame de nulz sens qui le puist oyr]Z (Cent nouvelles nouvelles, 1456-1467, DMF)

(b) Entre les humains l’un ne saulvera l’aultre ; [il aura beau crier à l’aide, au feu, à l’eau, au meurtre, ]A [personne ne ira à secours.]Z (F. Rabelais, 1552, f)

(c) [Tu as beau estre secret, ]A [les muets le seront tousjours davantage,]Z [...] (J.-L. Guez de Balzac, 1624, f)

(d) Hélas ! [Un pucelage a beau tenir,]A [quelque charme à la fin le fait sauter :]Z (H.-J. Dulaurens, 1745, f)

(e) Oui, [tu as beau branler la tête,]A [si notre affaire se réalise, je puis devenir député de Paris.]Z (H. de Balzac, 1837, f)

(f) [Les jeunes gens avaient beau rôder autour d’elle,]A [tous les hommes la dégoûtaient.]Z (E. Dabit, 1929, f)

(g) [J’avais beau chercher les mots qui commandaient à mon pied,]A [je ne les connaissais plus.]Z Ma volonté restait sans effet. (G. Bouiller, 2017, f)

41.2. Collectés dans une perspective qualitative, les exemples (11)-(14) montrent une certaine permanence de la gamme des Types I-IV à travers l’histoire du français. Ce qui bouge beaucoup en revanche, c’est la répartition numérique et/ou géographique des quatre types. Jusqu’à la moitié du XVIe, ils coexistent de manière relativement équilibrée dans la littérature – à l’image de ce qui se passe actuellement pour [c’est bien beau de Vinf] (infra § 42.2.1). Puis, au cours du XVIIe, le Type IV prend le pas dans les témoignages écrits, sans que les Types I-III soient délogés pour autant, notamment de la langue familière : J. Orr (1963, p. 111) en relève ainsi des attestations chez Tabarin, Sorel, de Sainte-Garde (cf. aussi Faye 1934, p. 1013-1015). En français moderne, les manifestations des Types I-III, quand elles ne relèvent pas de diatopismes (11f et h), peuvent signaler des phénomènes de remotivation et/ou de (re)création occasionnelles (11g et j), survenus sous la pression analogique de constructions formellement et/ou fonctionnellement voisines : [c’est bien beau de Vinf], [avoir beau jeu pour / à / de Vinf] (§ 42.2.1), et bien entendu [PB + Vinf] (§ 43).

41.3. Remarque concernant l’interprétation de (14a-g). Les items anciens se présentent sous la même forme que ceux d’aujourd’hui. Mais cette similitude ne doit pas faire illusion : ces exemples n’apparaissent identiques aux yeux du linguiste qu’à condition d’ignorer les ‘données ambiantes’ propres aux différents états de langue en cause. Or, ce sont précisément ces données systémiques qui, à chaque moment, déterminent la façon dont le diptyque [AZ] est reçu et analysé par la conscience linguistique de ses utilisateurs (Béguelin 2010, p. 54). En bonne méthode saussurienne, l’analyse de (14a-g) dépend entre autres de la vitalité plus ou moins affirmée des Types I-III dans les synchronies qui les intègrent. Seul un classement systématique des quelque 5 609 occurrences de [avoir + beau + Vinf] livrés par la base Frantext permettrait de se faire à ce sujet une idée un peu plus précise – du moins pour ce qui touche aux genres littéraires.


42. Le destin de [AB + Vinf] en diachronie

J’examinerai ci-dessous les changements linguistiques qui ont affecté la syntaxe interne et la syntaxe externe de [avoir beau Vinf] en moyen français et en français classique. Le lecteur pressé, et/ou intéressé principalement par la morphosyntaxe des concessives modales contemporaines, peut se reporter directement à la section 5.


42.1. Quand beau était épithète ou attribut

Dans son étude de 1963, J. Orr a relevé, en ancien et moyen français, de nombreux cas où l’adjectif beau (mais aussi parfois bon, etc.) détermine un infinitif à valeur de nom verbal . Voici quelques-uns de ses exemples :

(15)  (a) Merci avra de moi amant : / Je le vaincrai par beau prier. (Ovide moralisé, cité par Orr, 1963, p. 104) [= « par de belles / d’abondantes prières », « à force de bien prier »]

(b) Car nous avons ung nouveau roi des Juifs... / Par quoy puis dire / Que les Juives ont maintenant beau rire. (Mist. V. Test., 33358, cité par Orr 1963, p. 105 ; repris par Soutet 1992, p. 81) [« ont maintenant belle occasion de rire »]

(c) Ça mes dames, vous faut-il point / De mes denrées gracieuses ?... / Et briefment j’en ay plus de cent : / Vous y avez tres beau choisir. (Mystère de la Passion, v. 28400 sqq., cité par Orr 1963, p. 106) [= « vous avez un beau choix / bien de quoi choisir parmi elles »]

(d) Et des autres conditions qui sont entre les autres sers estrangers, nous nos en avons biau taire, par ce que nostre livre si est des coustumes de Biavoisis. (Ph. de Beaumanoir XLV, 32, cité par Faye 1934, p. 1009 ; Orr 1963, p. 104 d’après Littré ; Soutet 1992, p. 81) [= « il nous est bien loisible de nous taire à ce propos » / « nous pouvons bien ne rien en dire »]

Dans (15a), l’adjectif beau, employé au sens positif, ne peut avoir qu’une fonction d’épithète auprès de l’infinitif substantivé (Haas 1916, p. 33 ; Faye 1934, p. 1006) ; et O. Soutet est d’avis qu’il en va de même dans (15b) (1992, p. 81). Quant aux exemples où l’infinitif est complément d’objet du verbe avoir (15c-d), ils correspondent au Type I décrit plus haut (ex. (11)). À relever que beau peut alors être renforcé par un adverbe intensif, (15c, 16a et c), qu’il peut figurer au superlatif (16b) ou être nié (16c) :

(16)  (a) Lors le jeune vassal despit / Lui dist : « Beau sire, quant je y pense / Il me semble que ces villains / Ont trop beau compter sans rabatre, / Car ilz ne sont jamaiz contraings / [De soy] faire tüer ne batre ». (A. Chartier, 1415, DMF) [= « ont trop facilité pour, peuvent trop facilement »]

(b) Mais je vous veulx bien dire que Crathor dist au Roy qu’il estoit temps qu’il se preparast pour la saison nouvelle et qu’il avoit plus beau faire qu’il n'eust oncques et qu’il n’auroit jamais par aventure, se plus se y attendoit. (J. de Bueil, 1461, f et DMF) [= « et qu’il avait plus belle occasion de faire qu’il n’avait jamais eue... »]

(c) [...] si autrement il le faisoit, jamais n’auroit beau se trouver devers elle, et lui feroit perdre son argent qu’elle lui devoit (Doc. Poitou G., t.11, 1473, 379, DMF). [= « jamais il n’aurait l’occasion de... »]

Dans les exemples de ce genre, et surtout quand l’infinitif construit par avoir est accompagné d’expansions, les spécialistes considèrent que beau est vraisemblablement prédicatif, avec une fonction d’attribut du groupe infinitival complément. Telle est l’explication de J. Damourette & É. Pichon, reprise par O. Soutet (1992, p. 83-84)  :

En effet, il semble bien que, dans cette locution, l’infinitif ait été primitivement une ayance réceptive du verbe avoir [i. e. un COD] et l’adjectif beau un couvercle [i. e. un attribut] de cet infinitif. (Damourette et Pichon § 1129, t. III, p. 598)

Comme l’a bien montré A. Goosse (1991), l’hypothèse d’un beau prédicatif a l’avantage de la généralité. Elle explique également des tournures elliptiques régionales et populaires où beau commute avec d’autres adjectifs : l’avoir beau / belle (= emprunts au jargon du jeu de paume : « avoir <le jeu> beau » / « avoir belle »), avoir belle de Vinf (Damourette & Pichon § 1128, t. III, p. 595), l’avoir facile, aisé, dur, agréable, l’avoir mauvaise, etc. Cf. :

(17)  (a) Il a facile venir (villageoise de Forbach, citée par A. Goosse, 1991, p. 328) [= « il lui est facile de venir » ; il existe une variante avec de : il a facile de venir, et peut-être aussi avec à : j’ai facile à skier avec ces skis, Valais 2010, ex. rapporté par M. Albasini]

(b) Ils ne l’ont pas belle, dans la cavalerie » (J. Gracq, 1959, ibid., p. 336) [= « il n’ont pas la belle vie »]

Dans ces expressions comme dans leurs avatars lexicalement ‘pleins’ avoir la tâche facile, la partie belle, l’humeur mauvaise etc., l’adjectif a clairement une fonction attributive. Or, la proximité est évidente entre il a facile venir et il a beau venir dans son emploi médiéval (pour plus de détails, v. Goosse-Grevisse 131993, § 300).


42.2. Trois changements concomitants

À partir de ces emplois où beau était soit épithète, soit attribut d’un infinitif substantival régi par le verbe avoir, trois changements sont intervenus en moyen français, sans qu’il soit possible d’affirmer que l’un ait précédé l’autre (Béguelin & Conti 2010, p. 48-54). Le changement (A), déjà rencontré, est d’ordre sémantique ; les deux autres (B et C) sont d’ordre syntaxique.

42.2.1. Changement A. – L’emploi de [avoir beau Vinf] a déclenché, de plus en plus couramment, une inférence de vanité ou d’inefficacité, candidate à lexicalisation (emplois de Type II, (12) supra) :

Avoir facilité pour V, V pleinement > V vainement, sans succès

Avant que les théoriciens de la pertinence ne s’emparent du sujet (Sperber & Wilson 1989, p. 358-360), ce phénomène sémantique a été traité en termes (rhétoriques) d’antiphrase ou d’ironie. Pour prendre connaissance des hypothèses avancées par Ph. Chasles, É. Littré, J. Damourette et É. Pichon, cliquer  ICI .

Le journaliste et homme de lettres Philarète Chasles (1798-1873), préfacier de la Grammaire nationale de Bescherelle (51852, p. 13: ), a vu dans Vous aurez beau faire !, au sens de « Vous vous fatiguerez en efforts inutiles », une manifestation parmi d’autres d’une ironie inscrite aux sources mêmes de la langue française. Il décrit ce phénomène comme un particularisme culturel, susceptible de déclencher des problèmes de traduction d’une langue à l’autre. Voir
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2058410/f16.image :

facsimilé

Voir dans la même veine cette remarque d’É. Littré, dont la logique n’est cependant pas évidente (on ne voit pas très bien selon quelle inférence on passerait d’un sens « avoir le champ libre » à celui de « se perdre en vains efforts ») :

REM. 1. La locution avoir beau pour dire faire inutilement, peut s’expliquer ainsi : avoir beau, c’est toujours avoir beau champ, beau temps, belle occasion ; avoir beau faire, c’est proprement avoir tout favorable pour faire. Voilà le sens ancien et naturel. Mais par une ironie facile à comprendre, avoir beau a pris le sens d’avoir le champ libre, de pouvoir faire ce qu’on voudra, et, par suite, de se perdre en vains efforts. Vous avez beau dire, c’est, primitivement, il est bien à vous de dire ; puis, vous pouvez dire, on vous permet de dire, mais cela ne servira à rien. (Littré, t. 1, p. 951))

On trouve un même recours à l’ironie, mais avec une justification plus subtile, dans l’Essai de grammaire de la langue française de J. Damourette & É. Pichon (passage déjà cité dans la n. 7) :

La filiation sémantique qui a amené à ce sens est très facile à apercevoir. Elle repose sur une ironie quelque peu amère : l’on n’a jamais la carrière si belle pour faire et refaire un acte que quand il est destiné à ne jamais avoir de résultat ! (Damourette & Pichon § 1129, t. III p. 599 ; carrière = « occasion »)

Ce type d’explication peut être appliqué à certains emplois de pouvoir Vinf (au)tant que / tout ce que... tels que : « Personne ne vient jamais ici. Tu pourras t’égosiller autant que tu veux, personne ne t’entendra. » (C.  Férey, 2012, f)

 

Le flottement sémantique de AB (faire facilement / faire en vain), qui concerne aussi ses emplois en diptyque [AZ], s’est cependant maintenu bien au-delà du XVIe siècle (Faye 1934, p. 2012-2015). Et du moyen français à l’époque classique, bien des occurrences de AB sont, si l’on y regarde d’un peu près, sous-spécifiées : AB y est interprétable soit en un sens favorable, soit en un sens défavorable, sans qu’il en découle d’effet déterminant pour la signification d’ensemble. Cf. :

(18)  (a) trestous a une voix par son nom l’appellerent ; mais ilz ont beau hucher, car il n’a garde de respondre ; (Cent nouvelles nouvelles, 1456-1467, DMF s. v. hucher = « appeler à voix forte ») ; sens ambivalent : « avoir belle occasion de s’époumonner » ou « s’époumonner inutilement », suivi d’une coordonnée justificative introduite par car]

(b) [...] ô que les grands sont aimables, / d’estre toûjours équitables ! / Cent fois plus heureux que nous, / ils ont beau faire les fous, / jamais ils n’en sont moins sages, / la sagesse est à leurs gages, / chez eux en toute saison / l’extrauagance a raison : [...] (G. de Brébeuf, 1656, f) [= « ils ont toute possibilité de faire les fous » ou « ils font inutilement les fous », (car) jamais... »]

(c) Vers le midi, ma faim devint telle, que je ne pouvais plus avancer, tant j’étais faible. Mon ventre avait beau crier famine ; mes jambes ne le portaient qu’à regret. (A.-R. Lesage, 1732, f) [= « avait tout loisir de crier famine » ou « criait famine en vain »]

Aujourd’hui encore, et même si le sens de vanité est fortement mis en avant par les dictionnaires (v. § 3.3), AB peut toujours viser moins l’échec que la pleine réalisation du procès dénoté par Vinf, comme dans (19) :

(19)  (a) [On a beau s’habituer à tout,]A [la chose laisse tout de même pantois]Z. (presse, Libération, 8-9.2.2020, p. 2)

(b) [Tandis qu’il a eu beau calculer, conspirer, il a eu beau se conformer [...] à ces lois qu’il croyait infaillibles,]A [il n’en est pas moins réduit à ce triste état d’aujourd’hui :]Z (B.-H. Lévy, Les derniers jours de Charles Baudelaire, web)

Dans le membre [Z] de (19a), tout de même exprime la coexistence paradoxale, dans l’univers de référence M0, de deux faits que l’on aurait pu penser incompatibles et qui pourtant sont vrais en même temps (cf. Martin 1987, p. 83 ; Montagne 2008, p. 22-23). Cela fait pencher la balance, comme dans (13) supra, en faveur du plein accomplissement du procès exprimé par Vinf. De même, l’anaphorique en de il n’en est pas moins... (19b) réfère non pas à l’inutilité des procès calculer, conspirer, etc., mais à leur exercice soutenu (quoique non suivi d’effet). Les cas où le membre [Z] du binôme contient quand même ((13g) supra, cf. Moeschler & de Spengler 1981 ; Bango de la Campa 2010) ou ne pas... pour autant (Anscombre 1983 ; Gaudin et al. 2008) se prêtent à un diagnostic analogue. Il vaudrait la peine de suivre cette piste et de s’interroger sur les effets que le sens de [Z] exerce rétroactivement sur celui de [A] dans les structures de ce genre. Un coup d’œil sur le sort des locutions [avoir beau jeu à / pour / de Vinf] et [c’est bien beau de Vinf ] est à cet égard révélateur. Il permet de constater la récurrence de certains processus de dérivation sémantique favorables à l’interprétation concessive. Pour un aperçu des emplois de ces séquences en français moderne, cliquer sur:
 avoir beau jeu à / pour/ de Vinf     c'est bien beau de Vinf 

La lexie [avoir beau jeu à / pour / de Vinf], empruntée, comme l’avoir beau / belle, etc., au vocabulaire technique du jeu de paume ou d’autres jeux, est attestée à 219 reprises dans Frantext. À la différence de AB, elle reçoit dans les dictionnaires des définitions exclusivement positives : « être en situation favorable » (Expressio.fr) ; « n’éprouver aucune difficulté à » (TLFi) :

(I)  (a) Je passerai sous silence les récriminations du Canadien. Il avait beau jeu pour s’emporter. Je le laissai exhaler sa mauvaise humeur tout à son aise, sans lui répondre. (J. Verne, 1890, f ) [= « il avait toute latitude pour... »]

(b) [...] ; mécontentement social, que le communisme a beau jeu d’exploiter, etc. (P. Mendès-France, 1953-1954, f ) [= « a belle occasion de... »]

Mais il suffit que la clause avec [avoir beau jeu à / pour / de Vinf] soit suivie d’une clause ou d’un contenu anti-orientés argumentativement pour qu’elle se colore a posteriori d’une nuance de vanité :

(II)  (a) Bien des emplacements ont été étudiés [i.e.pour la Cité de la Musique], et les opposants ont beau jeu de dire qu’on peut trouver « facilement » un emplacement pour la HEM [Haute École de Musique]... Arriveraient-ils à faire ce qui a échoué en 30 ans ? 18 autres emplacements ont été étudiés pour la Cité, sans qu’aucun ne convienne. Alors dire qu’on devrait mettre cette Cité ailleurs relève d’une méconnaissance de la réalité. (V. Thévenaz, 2021, Facebook) [= « disent inutilement, à tort, sans succès »]

(b) Les pères ont beau jeu de dire à leur enfant : « Prépare ton avenir ; il faut que tu arrives à travailler... » Il se rebiffe : « À quoi ça sert, puisque travailler comme toi, c’est ne plus vivre. » (F. Dolto, 1985, f) [ont beau jeu de dire prend ici le sens de « peuvent toujours essayer de dire » (sous-entendu, confirmé dans le discours direct de l’enfant : « ce sera inutile »), cf. exemples (12) ci-dessus et § 43)].

Tout indique que l’on a affaire ici à une régularité interprétative qui concerne plusieurs structures, à différents moments de l’histoire du français.

L’expression [c’est bien beau de Vinf] est rare dans Frantext (seulement 6 occurrences au total, auxquelles peuvent être ajoutées trois occurrences de [c’est bien joli de Vinf]). Mais on en trouve aisément des attestations dans la presse (en particulier dans des discours rapportés directs), ou sur l’internet. Et l’on retrouve clairement en ce cas les Types d’emplois I-V dégagés plus haut à propos de AB.

– Hors concession, [c’est bien beau de Vinf] peut en effet, quoique rarement, évaluer un fait positivement (Type I) :

(I)  Mes souvenirs d’émotion sont infinis. Je lis Dieu de Hugo. C’est bien beau de revoir un gnostique qui s’ignore. (M. Barrès, 1914, f ; = « c’est une belle expérience de... »)

– Plus couramment, il est au service d’un jugement négatif (Type II ; v. dans (IIa) la glose « tu as aucune chance ») :

(II)  (a) Quand on te dit « C’est bien beau de rêver » en voulant te dire tu as aucune chance, t’es gentil(le) mais cela ne marchera pas !    
Réponds : Oui c’est Beau de rêver c’est même ce qu’il y a de plus Beau ! (web, automne 2020)

(b) C’est bien beau de traiter les gens de blaireaux et de vouloir imposer des choses pour lesquelles on a aucun recule. De plus vous privez obligatoirement de liberté toutes personnes ne pouvant se faire vacciner pour des raisons médical. (web, automne 2020, sic)

(c) C’est bien beau de savoir que la vache est creusoise si les Creusois ne peuvent pas l’acheter. (presse, La Montagne, 2010, LexisNexis)

(d) C’est bien beau de parler d’une augmentation de 40 % de l’investissement quand on a commencé par le laisser s’écrouler ! (presse, La Montagne, 2010, LexisNexis)

Dans (IIb), le contenu même des syntagmes infinitivaux coordonnés (traiter les gens de blaireaux et vouloir imposer des choses...) oriente vers une lecture antiphrastique de [c’est bien beau de Vinf]. (IIc-d) implicitent, eux aussi, l’inutilité du procès dénoté par le verbe à l’infinitif, anticipant sur l’orientation argumentative de la si-P, respectivement de la quand-P qui suit. (On pourrait reformuler ces exemples à l’aide de l’expression ironique familière « Ça nous fait une belle jambe de savoir que la vache est creusoise », etc.) Comparer la gamme d’interprétations associées à c’est une belle journée pour un pique-nique par D. Sperber & D. Wilson (1989, p. 358-360).

– [C’est bien beau de Vinf] apparaît également en contexte de coordination (Type III), dans des structures qui font fortement penser aux concessions argumentatives commentées par M.-A. Morel (1996, p. 15-18), C. Rossari (2016) et M. Svensson (2018), à ceci près qu’elles contiennent dans leur proposition initiale non pas un marqueur épistémique (certes, je sais, c’est vrai, d’accord, etc.), mais un adjectif axiologique (beau), appuyé par un bien confirmatif :

(III)  (a) C’est bien beau d’investir, mais il faut pouvoir rembourser les emprunts. (Presse, Le Monde, 2003, LexisNexis).

(b) C’est bien beau de faire du jeu, mais il faut scorer. (Presse, La Montagne, 2010, LexisNexis)

(c) Car c’est bien beau d’inciter le consommateur à restituer ses déchets, encore faut-il pouvoir les lui reprendre afin de les retraiter. (Presse, Le Monde, 2002, LexisNexis)

(d) Bruno Le Maire : « C’est bien beau de distribuer du pognon, maintenant va falloir rembourser ! » (web, automne 2020)>

– Il existe, enfin, des réalisations ‘paratactiques’, correspondant à notre Type IV :

(IV)  (a) C’est bien beau de faire des actions magnifiques. Il faut assumer derrière. (Presse, L’Indépendant, 2009, LexisNexis)

(b) C’est bien beau de s’amuser
  Il faut penser à manger (Paroles de chanson, web)

(c) C’est bien beau de parler, il va falloir se mettre dedans (à propos d’un rallye, titre de presse, Dernières Nouvelles d’Alsace, 2012, web)

(d) En résumé : c’est bien beau de crier contre « les politiciens » et « électrons libres » de tous bords, il faut déjà assumer ses propres devoirs, comme la solidarité. (Presse, L’Est républicain, 2008, LexisNexis)

Comme (13) et (14) supra, les séries (III) et (IV) se distinguent par la présence ou l’absence d’un connecteur intermédiaire, adversatif ou assimilé (mais, encore + Pinv, n’empêche, maintenant, etc.). Dans (IV), le contenu approbatif de [C’est bien beau de Vinf]> est limité, voire contredit a posteriori par celui de la proposition qui suit et la notion d’opposition (§ 1.1.2) ou d’adversation (Corminboeuf 2014) s’applique assez bien. Il n’est pas exclu toutefois que le contenu de [C’est bien beau de Vinf] soit d’emblée reçu comme une approbation insincère – interprétation que le contenu de la clause suivante ne fait alors que confirmer. Les exemples (III) et (IV) se présentent ainsi comme deux types différents de concessions argumentatives, l’un syndétique et l’autre paratactique. Le cas de l’actuel [C’est bien beau de Vinf] aide à comprendre comment ont pris naissance, un certain nombre de siècles plus tôt, les diptyques concessifs avec AB.

42.2.2. Changement B.– Réanalyse syntaxique du SV [avoir [beau Vinf]]. Le deuxième changement à l’œuvre, tout aussi précoce que le précédent, a pour effet que « il a (beau faire) becomes il (a beau) faire » (Faye 1934, p. 1008). Autrement dit, le syntagme verbal où beau est épithète ou attribut d’un infinitif construit directement (= Analyse 1 ; v. ex. (15)) est réanalysé comme une suite [auxiliaire modal + infinitif] (= Analyse 2) :

Analyse 1 : [avoir [beau rire]SN] ou [[avoir [beau]]Vattr [rire]SN]    
Analyse 2 : [[avoir beau]aux. modal rireVinf]

Ce déplacement de frontière syntaxique a pour corollaire une transcatégorisation de beau, qui devient composant d’un auxiliaire modal bien spécifique (dont le sémantisme mériterait d’être confronté à celui de faillir, ou penser en ce sens où il était utilisé au XVIIe siècle : « Cette gorge est de neige, elle m’a pensé faire perdre un œil [...] », Ch. Sorel, 1627, f). Ainsi réinterprété, [AB + Vinf] signifie que le procès désigné par Vinf a lieu pleinement, sans entraîner pour autant une conséquence, un résultat que l’on serait en droit d’attendre. L’accent peut être mis, selon les contextes, soit sur l’inefficacité du procès, soit au contraire sur son accomplissement ‘dans les formes’ (§ 42.2.1). Favorisé, sans doute, par le déclin de l’usage substantivé de l’infinitif (Orr 1963, p. 111), la réanalyse est confirmée par les faits suivants (Béguelin & Conti 2010) :

(i) Beau tend à se fixer phonologiquement, y compris devant voyelle, au détriment de bel, attesté plus anciennement : « Il a bel estre mutiné, / Car de son régne saillira. » (Myst. Viel test., DMF s. v. beau).

(ii) En tant que lexie verbale, [avoir beau + Vinf] admet la position ‘haute’ du clitique complément (voire du ne de ne... que ou ne... pas). L’exemple (15d), reproduit ci-dessous, remonte à la deuxième moitié du XIIIe siècle. Il témoigne de la précocité du changement B, tout en montrant que celui-ci ne suppose pas l’aboutissement du changement A faire favorablement > faire en vain (Goosse 1991, p. 343, Béguelin & Conti 2010, p. 52-53 n. 17).

(20)  (= 15d) Et des autres conditions qui sont entre les autres sers estrangers, nous nos en avons biau taire, par ce que nostre livre si est des coustumes de Biavoisis. (Ph. de Beaumanoir XLV, 32) [= « il nous est bien loisible de nous taire à ce propos » / « nous pouvons bien ne rien en dire »]

Cf. également :

(21)  (a) [...] veu qu’ilz n’entreprenoient riens sur lui, et qu’il s’en avoit beau passer. (Doc. Poitou G., t. 8, 1445, 233, in DMF)

(b) [...] vous l’aurez beau prescher, et dire qu’elle est belle... (P. de Ronsard, 1578, f)

(iii) Avoir beau devient transparent aux restrictions sélectives et partant, se combine avec tout type de sujet et tout type de Vinf (Béguelin & Conti 2010) :

[[avoir beau] être régulier] : Vinf attributif 
[[avoir beau] ne pas mentir] : Vinf nié 
[[avoir beau] pleuvoir] : Vinf impersonnel, etc.

Il y aurait sans doute une intéressante étude à faire sur la typologie des V construits avec AB à travers l’histoire du français. Relevons en outre le fait que avoir beau, pendant environ deux siècles, peut se construire avec un infinitif précédé de à :

(22)  (a) Mais elle avoit beau à attendre, car il ne souvenoit audit Charles de promesses qu’i luy eust faict non plus que des vielles matines [...] (Ph. de Vigneulles, 1515, f)

(b) Mme de Nemours fut desservie auprès du roi, Puysieux eut beau à la donner comme peu mesurée avec un prince du sang. (Saint-Simon, apud Littré)

Cela traduit vraisemblablement une interprétation concurrente de type avoir avantage à, beau jeu de (dans (22), beau ne saurait quoi qu’il en soit être épithète ou attribut de l’infinitif).

Au même titre que les sens positif et négatif de AB, les Analyses 1 et 2 du syntagme verbal [avoir beau + Vinf] ont coexisté pendant plusieurs siècles (Faye 1934, p. 1012-1013). D’ailleurs, l’Analyse 1 reste accessible de nos jours, notamment dans les formules avoir beau dire, avoir beau faire, avoir beau rire, etc. : du fait que dire, faire, rire sont en français contemporain à la fois des infinitifs et des noms verbaux (voir ). ces formules demeurent étymologiquement transparentes, sujettes à remotivation (cf. Béguelin 1993).

NB. Beaucoup de dictionnaires mentionnent AB sous une rubrique d’emplois ‘adverbiaux’ de beau. C’est le cas entre autres de Furetière 1690, Landais 1834, du Dictionnaire de l’Académie, 9e éd. (v. § 33 supra), du DHF, du TLFi, du DMF, suivi par É. Oppermann-Marsaux (2020, p. 172). Cette option est, me semble-t-il, incompatible avec celle présentée ci-dessus, qui fait de beau soit un adjectif (à fonction d’épithète ou d’attribut : « beau forms either a junction or a nexus with infinitive », Faye 1934, p. 018 ; = Analyse 1), soit le constituant d’une périphrase modale formant « un tout pour ainsi dire ‘concrétionné’ » (Orr 1963, p. 101 ; = Analyse 2). É. Oppermann-Marsaux motive en ces termes son choix de traiter beau comme un adverbe : « Nous nous conformons ici à l’analyse proposée par le DMF, étant donné que dans le tour on a beau dire, l’infinitif peut construire un complément et conserve donc des propriétés verbales. » (2020, p. 172 n. 8) L’analyse morpho-syntaxique visée ici (beau = adv. modifieur du Vinf, si je comprends bien) devrait cependant être étayée, et surtout confrontée aux thèses solidement argumentées de P.-L. Faye, J. Orr, O. Soutet et A. Goosse sur la genèse d’un V modal AB.

42.2.3. Changement C.– ‘Couplage’ de la clause modalisée en AB avec une autre proposition. Inspirées par la pragma-syntaxe du Groupe de Fribourg, les études de Conti & Béguelin 2010, Béguelin & Conti 2010 ont décrit la construction moderne avec AB comme reflétant le couplage, potentiellement suivi de coalescence syntaxique, de deux énonciations successives ℰ(A) et ℰ(Z). Dès le XVe siècle, [avoir beau Vinf] peut en effet, on l’a vu, être suivi d’une clause [Z] exprimant la négation d’une conséquence prévisible de l’action dénotée par le verbe à l’infinitif (ex. (14)) . Mais il ne s’agit pendant longtemps que d’une option parmi d’autres possibles, ainsi que l’illustre (23) :

(23)  (a) Il [= « mon pere »] estoit bien heureux de ramener ses desirs à sa fortune, et de se sçavoir plaire de ce qu’il avoit. La philosophie politique aura bel accuser la bassesse et sterilité de mon occupation, si j’en puis une fois prendre le goust comme luy. Je suis de cet avis, que la plus honnorable vacation est de servir au publiq et estre utile à beaucoup. (M. de Montaigne, 1592, f)

(b) Quand je prens des livres, j’auray apperceu en tel passage des graces excellentes et qui auront feru mon ame ; qu’un’autre fois j’y retombe, [j’ay beau le tourner et virer, j’ay beau le plier et le manier,]A [c’est une masse inconnue et informe pour moy.]Z (M. de Montaigne, 1592, f)

Ces deux extraits des Essais montrent, une fois encore, la liberté syntaxique et l’ambivalence argumentative de [AB + Vinf] à cette époque. Dans (23a), il est probable que aura bel accuser, qui constitue une ‘principale’, signifie non pas « accusera inutilement » mais « aura belle occasion / toute raison d’accuser » (Type 1), comme l’indique a posteriori la fin du passage, qui est un plaidoyer en faveur de l’engagement public du citoyen, non pour un repli de chacun sur sa sphère privée et sa propre fortune. L’extrait (23b) préfigure quant à lui le schème concessif ‘moderne’ [AZ] : AB y vise l’accomplissement non suivi d’effet des procès exprimés par les Vinf tourner et virer, plier et manier, et le contenu de [Z] confirme l’absence de répercussions de ces procès (Type 4). Il n’aurait pas été exclu cependant, à l’époque, d’enchaîner avec un [Z] orienté dans l’autre sens, du genre « j’en retire plus de plaisir encore ». On voit, à partir de tels exemples, à quel point le contexte était alors déterminant pour fixer l’interprétation de [AB + Vinf]. Du fait de sa sous-spécification sémantique, l’énonciation de [AB + Vinf] laissait donc souvent présager la réalisation d’un nouvel acte énonciatif destiné à stabiliser l’état de M. La relation de discours, marquée ou inférée, entre [AB + Vinf] et sa suite pouvait être alors aussi bien de justification que d’opposition (on rencontre après AB, comme après PB de nos jours (v. § 43), non seulement mais (13), mais aussi car ((16a), (18a)) ou puisque («Vrayement, vous avez beau vivre, puisque sçavez tant de mestiers », P. de Larivey, 1579, f). Chez La Fontaine, quelques décennies plus tard, ce sont les Types 2 et 4 qui sont attestés en alternance :

(24)  (a) Hélas ! [J’ai beau crier :]A [il est sourd à ma plainte.]Z (J. de La Fontaine, 1671, f)

(b) Il en coûte à qui vous réclame, / Médecins du corps et de l’âme. / Ô temps, ô mœurs ! J’ai beau crier, / Tout le monde se fait payer. (J. de La Fontaine, 1671, f)

(c) [...] quelque jour vous vivrez d’ambrosie ; / mais Alcandre lui-même aurait beau l’espérer, / s’il n’implorait mon art pour la lui préparer. (J. de La Fontaine, 1671, f = « l’espérerait en vain, s’il n’implorait... ») Cf. (12d) et, pour la présence de la si-P, (12a) et (23a).

(d) Ce discours éloquent ne fit pas grand effet : / L’auditoire était sourd aussi bien que muet. / Tircis eut beau prêcher : ses paroles miellées / S’en étant aux vents envolées, / Il tendit un long rets. Voilà les poissons pris, / Voilà les poissons mis aux pieds de la Bergère. (J. de La Fontaine, 1679, f) [ = « Tircis prêcha en vain » (i .e. usa en vain de persuasion pour convaincre les poissons de se laisser attraper)]

Dans (24a-b), il se peut que le contexte initial, dysphorique, impose d’emblée une interprétation défavorable de [A] (= « crier sans succès »), corroborée par le contenu de [Z]. Mais cela ne signifie nullement qu’il existe entre [A] et [Z] une dépendance d’ordre syntaxique, puisque La Fontaine use aussi de l’emploi ‘en principale’, non corrélé, à sens de vanité (24c-d). Quoi qu’il en soit de l’auteur des Fables, connu pour son style archaïsant, les suites pragma-syntaxiques où l’énonciation ℰ(A) est suivie de ℰ(Z), qui elle-même asserte une conséquence niée du procès dénoté par Vinf (23b, 24a-b, Type 4), connaissent un essor majeur au cours du XVIIe. La construction moderne en AB est la conséquence d’un entichement généralisé pour les emplois ‘anticausaux’ dans certains styles discursifs (une étude auteur par auteur pourrait se révéler utile). La suite ℰ(A) ℰ(Z) a pu, en ce type d’emploi, se routiniser et être ressentie comme une période de type [Préparation + Action] (Groupe de Fribourg 2012, ch. 9 ; cf. le cas des pseudo-clivées, ibid. ch. 10) :

Il faut entendre par là que : (i) la première énonciation accomplit sur M [= mémoire discursive, MJB] une action communicative A1, et ouvre du même coup l’attente d’une autre action A2 (but prévisible) ; la seconde énonciation sature l’attente, en effectuant A2. (Groupe de Fribourg 2012, p. 187 ; sur la notion d’attente, cf. Béguelin & Corminboeuf 2016)

(Cette question serait à reprendre et à creuser, dans le cadre d’une analyse pragma-syntaxique fine et contextualisées des dispositifs paratactiques à vocation concessive.) Non seulement les emplois de Type IV tendent à détrôner les autres emplois, qui se raréfient peu à peu (Béguelin & Conti 2010), mais ils entrent en concurrence avec les concessives en bien que, quoique (v. extrait de Richelet au § 3.3). Rapproché de celles-ci, le diptyque avec AB a pu être ressenti comme une « construction » du français, (voir  Notice  'Construction', § 1.1.1), accomplissant un seul acte énonciatif plutôt que deux. Avec pour conséquence la réanalyse de [A] comme un complément adjoint de [Z]. Il y aurait eu, dès ce moment-là, variation entre deux grammaires pour l’analyse de nos diptyques :

Grammaire 1 : [AZ] = routine pragma-syntaxique (= discursive) ℰ(A) + ℰ(Z) (énonciation préliminaire d’une clause [A] + énonciation-action d’une clause [Z] niant une implication de [A])

Grammaire 2 : [AZ] = énonciation unique ℰ(AZ), dont la clause contient deux constituants en relation de dépendance unilatérale (une concessive liée, une ‘principale’ libre) (Conti & Béguelin 2010)

Les emplois ‘syndétiques’ de Type III, avec un coordonnant adversatif devant [Z], fréquents jusqu’à la fin du XVIe, ne disparaissent jamais totalement, on l’a vu (13), mais le tour IV passe en gros de 70% à 90% des emplois entre l’époque pré-classique et l’époque classique (Béguelin & Conti 2010, p. 68, Tableau 4). Un point qui mériterait d’être creusé est de savoir si des interventions normatives ont pu jouer un rôle dans cette réduction très nette de la diversité des emplois. Cf. :

C’est probablement parce que toute phrase où se trouve quoique ne prend jamais et devant le verbe de la proposition qui vient après, que l’on ne met jamais non plus cette conjonction devant le verbe de la proposition qui suit avoir beau : [...] Courrier de Vaugelas, 1872, III, p. 132-133, cité par Faye 1931, p. 28 ; noter que l’ex. (8c) supra se caractérisait précisément par une telle présence de et)

Résumons-nous. En moyen français et en français préclassique , l’hypothèse de l’autonomie énonciative de [AB + Vinf] est hautement vraisemblable, du fait que AB apparaît couramment aussi à l’état libre, avec un statut de ‘principale’, et dans le cadre de routines justificatives. Au cours du XVIIe en revanche, les conditions sont réunies pour une réinterprétation micro- au moins optionnelle (peut-être à considérer comme un fait de ‘grammaire seconde’ au sens de Blanche-Benveniste 1990 ; Elalouf 2012) de [AB + Vinf] en tant que ‘subordonnée’ sans marqueur, régie par [Z]. La section 5 traitera des incidences morphosyntaxiques de ce processus de coalescence relativement discret dans ses manifestations, dont il y a toute raison de penser qu’il est actuellement à l’œuvre dans le cas de PB (Gachet & Béguelin 2016 ; § 43).

NB. Dans le diptyque avec AB, certains ont postulé, entre [A] et [Z], l’effacement d’une « conjonction causale » (Orr 1963, p. 107) ou d’un « outil grammatical de justification » (Soutet 1992, p. 83). L’existence bien avérée de parataxes adversatives en tout genre (Béguelin 2010, Corminboeuf 2014, infra ex. (29)-(30)) rend cependant cette hypothèse superflue ; les causes d’un tel effacement resteraient d’ailleurs à expliciter.


42.3. AB en français du Québec

Trois emplois modernes de Type I de AB (au sens de « avoir beau jeu pour, avoir toute facilité pour ») sont signalés par Goosse-Grevisse (131993, § 300) en français du Québec :

(25)  (a) Vous avez beau coucher encore icitte à soir tous les deux (L. Hémon, Maria Chapdelaine, 1913, cité par Goosse-Grevisse, loc. cit.)

(b) (= (13h) ci-dessus) Elle a beau partir : personne ne l’arrête. (Une Québécoise, 29 mars 1983, ibid.)

(c) – Est-ce que je peux m’asseoir ? – T’as bien beau. (Dit par la même, ibid.)

À la différence du français d’Europe où *j’ai beau tout court est agrammatical (Soutet 1992, p. 78 ; Morel 1996, p. 72 ; § 52.1.3), le Vinf peut ici être ellipsé (25c). Les emplois de ce genre semblent toujours bien vivants. Il est frappant aussi de constater que les sites internet québécois livrent de nombreux exemples d’une variante [avoir bien/ben beau ± Vinf], inusitée de l’autre côté de l’Atlantique, dont les emplois se laissent répartir, comme ceux également attestés de AB, entre les Types I-IV distingués au § 41.  Exemples 

Ces emplois de avoir (bien/ben) beau en français du Québec ont été récoltés sur l’internet (cas par défaut, non signalé spécifiquement) et dans le corpus oral CFPQ de l’Université de Sherbrooke. La variante avec bien/ben, plus facile à détecter, est surreprésentée dans les données issues du web présentées ci-dessous, qui seraient donc à compléter.

– Type I. – Emplois isolés, au sens positif d’« avoit tout loisir de faire » (cf. (11), (25) et plus particulièrement (25c)).

(I)  (a) D’ailleurs, si vous avez des suggestions pour améliorer des sections, ne vous gênez pas. FCLR, si tu veux ajouter le lien sur ton site web, tu as bien beau ! [= « tu as bonne occasion , cela t’est permis  »]

(b) Si vous voulez faire venir le fonctionnaire pour l’assermenter, vous avez bien beau, sauf que nos documents ne disent pas cela. (Journal des Débats de l’Assemblée nationale du Québec, en ligne) [= « vous pouvez bien le faire »]

(c) LOL ce n’est pas tes mots qui me dérangent ou que je ne comprend pas mais bien ton savant calcul qui n’apporte rien ici. Tu as bien beau utiliser les mots que tu veux.
Si un montant devrait être versé aux joueurs alors une formule devrait être prise mais ce n’est pas le cas ici. À quoi bon nous en faire la démonstration. [= « Tu as toute liberté d’utiliser les mots que tu veux »]

(d) Au final, si tu as un koni scrap, tu rachètes un koni (pas cher), ou tu le fais revalver chez Koni. Si tu as n’importe quel autre amortisseur, tu as bien beau allez chez Selex pour tester un de leurs produits. (saut de § ; sic) [= « Tu as toute possibilité d’aller... »]

– Type II. – Emplois isolés, avec sens négatif de « faire inutilement » :

(II)  (a) (...) mais là, franchement, j’espère que t’es pas sérieux...         
– T’as bien beau pas m’croire, Luc. Y en a d’autres avant toi qui y ont pas cru, mais ils y ont goûté pareil. (I. Grégoire, Sault-au-Galant, web) [= « c’est inutilement, à tes dépens, que tu ne me crois pas »]

(b) Vous avez bien beau me faire accroire qu’on rationalise puis qu’on fait plus avec moins, là. Ça, c’est des histoires, vous pouvez m’en conter, à moi. (Journal des Débats de l’Assemblée nationale du Québec, en ligne, 1994) [= « C’est inutilement que vous me faites accroire... , que vous m’en contez » ; noter l’emploi alterné de avoir bien beau et de pouvoir]

(c) Malheureusement, quand l’argent prend le contrôle d’une organisation il est impossible de revenir en arrière. C’est un peu comme un cancer incurable.., vous avez bien beau lui faire faire tous les traitements de chimio… Quand la corruption a pris racine, aucun pesticide ne peut venir à bout de la toute-puissance de l’argent facile. [= « c’est sans succès que... »]

(d) je dis •>° jʼai dit [•jʼai beau lʼécrire° (en levant sa main, paume ouverte, comme en signe dʼimpuissance) (oral, CPFQ, transcription et commentaire fournis sur le site)

– Type III. – Emplois en coordination avec marqueur adversatif (surtout mais) :

(III)  (a) Merci, vieux. Je crois que je vais aller faire un tour là-bas. 
Tu as bien beau. Mais cette fois je crois que tu perds ton temps. (Rémi Courbin, Le Marchand de la mort, web)

(b) Alors Frédé46, tu as bien beau faire ce que tu veux et c’est ton droit mais je persiste à dire que c’est inutile.

(c) Ben beau me donner des cadeaux, mais là, je suis fâché en «tabarnak », t’sais.

(d) Tu as bien beau prévenir ses parents, mais le jeune qui vend arrêtera pas de vendre à cause que ses parents l’ont averti.

(e) Mais là, là, je veux savoir, pour 2017, qu’est-ce que vous injectez, M. le ministre, comment vous allez faire pour y parvenir. Vous avez bien beau à dire tout ce que vous voudrez, là, mais, moi, là, ça fait depuis ce matin que je vous écoute, vous ne m'avez donné aucune réponse concrète, puis pas juste à moi, là, c’est aux gens qui nous écoutent... (Journal des Débats de l’Assemblée nationale du Québec, en ligne, 2012 ; noter la préposition à devant l’infinitif (exemple non isolé) ; cf. § 42.2.3 ci-dessus, point (iii))

(f) J’ai bien beau crier mais personne m’entend.

(g) Les casinos en ligne ont bien beau être virtuels, néanmoins, les risques sont bels et biens réels. (sic)

(h) [face à la perspective de danser nue] j’ai ben beau être toute seule avec un: (.) un petit gars (.) pis trouver les fins de mois difficiles des fois mais va falloir qu’on me paye (oral, CFPQ)

(i) [à propos des tomates du jardin] é:COUte [j’ai beau en manger j’adore ça là mais euh (.) t’en viens pas à bout là (oral, CFPQ ; la présence de mais semble fréquente dans les exemples oraux)

– Type IV. – Emplois en coordination asyndétique, conformes à l’emploi ‘normatif européen’ de AB, à la présence près du bien :

(IV)  (a) [T’as bien beau porter un masque]A [si tu ne laves pas régulièrement tes mains ça sert à RIEN !]Z

(b) [J’ai bien beau de rêver à avoir une Ferrari.]A [Ce n’est pas aller voir un psy qui va m’aider à l’avoir !] Z (exemple non isolé avec de avant Vinf : cf. c’est bien beau de Vinf)

(c) [J’ai bien beau chercher]A [je ne trouve pas.]Z

(d) T’as bien beau être en amour avec ton mec batard, pense avant d’agir!

(e) faire ce voyage m’a fait prendre conscience que [t’as bien beau être solitaire, indépendante et tout ce que tu veux,]A [parfois il te manque quelqu’un à tes côtés pour partager tout ça.]Z

(f) Tsé la maternité, ça arrive pis [tu as bien beau avoir lu le Guide Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à deux ans, guide qui pourrait clairement assommer un cheval,]A [ça ne se passe jamais de même.]Z

(g) t’as ben beau être en maths>> les fautes doivent compter là (oral, CFPQ)

La répartition des emplois de [avoir (bien/ben) beau ± Vinf] en français québécois ressemble ainsi, à bien des égards, à celle de AB dans les données écrites du moyen français et du français du XVIe siècle. Il serait fort intéressant d’étudier, de manière plus méthodique et exhaustive qu’il n’est possible de le faire ici, la distribution de AB et de sa variante avoir bien/ben beau dans les variétés américaines du français.


43. L’interprétation concessive de PB

Plus transparent à nos yeux de modernes, le cas de PB pose des problèmes moins complexes que celui de AB. Il invite néanmoins à préciser le rôle, dans l’émergence de nos concessives modales, des calculs de pertinence informationnelle.

43.1. Comme cela a été relevé plus haut (§ 32, ex. (9)), [pouvoir Vinf], avec ou sans le renfort de bien, toujours, tout ce que..., fonctionne le plus souvent en français moderne hors concession, avec un sens modal de capacité, de possibilité, d’éventualité, de permission... Cf. :

(26)  (a) Tout le monde a des soucis. Tu peux me dire les choses. (V. Mréjen, 2004, f)

(b) « Vous pouvez bien venir : il n’y a que nous, à la messe. » (P. Michon, 1984, f)

(c) Que sais-je de vos histoires ? Je peux toujours comprendre que ce n’est pas gai, d’être orphelin de guerre, ni d’être adopté, pas tout à fait comme les autres. (A.-M. Garat, 2010, f)

(d) « Tu peux me demander tout ce que tu veux ! » avait-elle souri sous les spots [...] (C. Férey, 2012, f)

Or, dans cet emploi non corrélé, il arrive que le contexte induise fortement, voire impose, une inférence d’inutilité, suggérant que le procès exprimé par Vinf – tout permis, plausible, vraisemblable qu’il puisse être – n’entraîne pas la conséquence que l’on serait en droit d’attendre. Ce renversement n’est bien sûr pas sans rappeler le Type II illustré plus haut par (12). Cf. :

(27)  (a) Mon frère avait ceci de particulier qu’il ne pouvait pas parler d’une femme qu’il trouvait jolie sans ajouter à mon intention : « Tu peux courir », ou à celle de ma mère : « Ta fille peut toujours courir. » (M. Duras, 2006, f)

(b) Oh! si, dit-elle, ils veulent ce que tu as mais ils peuvent se fouiller ! (J. Giono, 1957, f)

(c) Pour savoir ce qu’il a fait à Saint-Crépin je peux toujours repasser. (J. Giono, 1951, f)

(d) Ah, Barbier, je t’ai bien eu, et en beauté. Ta putain pourra toujours t’attendre. Ah j’irai pas en Corse dans huit jours ! Demain t’entends j’y serai, t’entends ? Il éclata de rire mais le son de son rire le désarçonna. (R. Fallet, 1956, f)

(e) [...] adieu feux de bois que je n’ai jamais faits parce que trouver du bois en ville tu peux toujours courir [...] (J.-L. Benoziglio, 1980, f)

(f) En voilà une manchote ! Si c’est comme ça que tu faisais la vaisselle chez Madame, tu peux toujours courir avant qu’elle t’embauche ! (A.-M. Garat, 2006, f)

(g) autrement elle était gentille comme ju- comme euh | _ | jument | _ | je pouvais en faire ce que je voulais | _ | je l’attelais et | _ | voilà quand elle avait pas envie quand elle était dans le pré et puis quand tu voulais l’attraper tiens c’était si elle avait pas envie tu pouvais toujours courir | _ | ah elle se sauvait à toute vitesse et elle te renarguait (oral, CFPR)

C’est pouvoir seul, et pouvoir combiné à toujours, qui semblent concernés plus particulièrement en ce cas. Lorsqu’elle s’applique à certains verbes comme courir (27a, e, f, g), repasser (27c), etc., l’inférence d’inutilité est quasi lexicalisée : le TLFi mentionne ainsi, s. v. pouvoir, une série d’expressions qualifiées d’argotiques telles que pouvoir se fouiller (27b), se palper, se brosser, utilisées, comme pouvoir courir, par ironie et en exclamatives. Ce sens a même rejailli sur toujours, dont l’une des acceptions répertoriées est la suivante : « Marque l’idée que ce qui est envisagé n’aura, en tout état de cause, aucune sorte d’effet ; signifie l’indifférence ou le refus » (TLFi s. v. toujours ; cf. cause toujours ! = « tu peux bien dire ce que tu voudras », sous-entendu : « ça ne servira à rien »). Quand pouvoir s’accompagne d’autres verbes comme attendre, chercher, demander, supplier, essayer, rêver, poireauter, le rôle du contexte reste cependant essentiel pour déclencher ou inhiber le sous-entendu de type « vanité annoncée » (Béguelin & Gachet 2021, p. 172-174).

43.2. Quand la clause avec PB est suivie d’une coordonnée, celle-ci peut être, de manière assez banale, précédée d’un connecteur adversatif (28a-c), ou justificatif (28d) : c’est d’ailleurs, souvenons-nous-en, ce qui se passait avec AB en moyen français. Le verbe pouvoir véhicule alors les mêmes gammes de sens que dans les exemples (26). Cf. :

(28)    (a) Nous pouvons nous écrire librement aussi, mais on nous a recommandé de ne pas en abuser. (M. Blocher-Saillens, 1938-1945 (1998), f)

(b) [...] si un obstacle se présente, l’eau pourra toujours s’écouler, mais les poissons amenés avec le flot seront retenus par cet obstacle. (A. Boyer, 1967, f)

(c) Tu peux bien le répéter, mais je t’aurai à l’œil. (R. Queneau, 1965, f, cité par Gachet & Béguelin 2016)

(d) Ma mère me faisait jurer « sur sa tête » que je ne me donnerais jamais à Léo : « Tu peux faire exactement tout ce que tu veux, mais ne couche pas avec lui, [...] » (M. Duras, 2006, f)

(e) [...] les visages de mes parents, le visage de T., le visage de Y., le visage de C., le visage de M., le visage de P., le visage de F., même le visage mort de B., même des visages que je ne revois plus jamais, ils sont dans des couches de proximité différentes, et je peux bien les faire passer d’un magasin à l’autre, les avancer ou les reculer, car il m’arrive de faire du rangement dans ces magasins, [...] (H. Guibert, 1981, f)

43.3. Il arrive néanmoins aussi que [pouvoir Vinf] figure dans la première clause d’une routine adversative et/ou concessive de structure [AZ] (Gachet & Béguelin 2016 ; Béguelin & Gachet 2021) :

(29)  (a) J’ai vu des volumes de 400 pages où il n’y avait point de chapitres, point même d’alinéas : [ils pouvaient être excellents,]A [ils étaient illisibles.]Z (G. Lanson, 1890)

(b) – [...] J’aurais dû me présenter chez elle ce soir, mais on me dit qu’elle est âgée. Femme de tête, certes, mais comment dire... Entière. Un volcan, n’est-ce pas ? — [On peut avoir des raisons de le penser.]A [On peut se tromper...]Z (A.-M. Garat, 2008, f)

Appuyés par des parallélismes syntaxiques, (29a-b) se présentent comme des juxtapositions de clauses indépendantes de même rang, interprétées comme des oppositions ou des concessions argumentatives (§ 11). Ainsi, dans (29a), l’énonciateur admet l’excellence possible de livres dépourvus de chapitres et d’alinéas, pour nier dans un second temps une propriété en principe attendue d’un livre excellent : celle d’être lisible. Dans cet exemple comme dans (29b), [Z] restreint la portée argumentative de [A]. Il en va de même dans (30), où [A] se laisse gloser tantôt à l’aide de AB, tantôt par une concessive-conditionnelle en même si :

(30)  (a) [Quelques sots peuvent essayer de pratiquer de ces jeux dits parallèles qui ne font que des divisions ;]A [la volonté nationale saura faire justice de leurs absurdes intrigues.]Z (Ch. de Gaulle, 1940-1946 (1970), f)

(b) [...] cours, attrape-moi, rattrape-moi, [tu peux courir,]A [toujours je serai devant...]Z (Y. Berger, 1962, f)

(c) Le mensonge et le faux-semblant pouvaient bien m’être devenus une seconde nature, j’étouffais de malaise quand j’y devais mêler la religion et je croyais y perdre la raison ; [...] (F. Chandernagor, 1981, f)

(d) L’Europe peut bien avoir tous les défauts, elle a une herbe incomparable : [...] (N. Bouvier, 1981, f)

(e) Cependant, dit-elle vivement, avec l’intention de le blesser, [vous pouvez bien partir :]A [ici ou ailleurs, on ne se quitte guère soi-même.]Z On s’emporte avec les bagages, quel que soit le voyage. (A.-M. Garat, 2006, f)

(f) Mais il suffit d’un moment d’inattention, et pfoutt ! plus de Claude. Alors là, [je peux toujours chercher !] A [Elle n’est nulle part.]Z (M. Tournier, 1978, f)

(g) [Tu peux me raconter tout ce que tu veux,]A [moi je sais qu’un homme, c’est un homme, et une femme, c’est une femme.]Z (A. Jaoui et J.-P. Bacri, 1994, f)

Dans ces exemples, on peut relever que [A] et [Z] sont tantôt regroupés dans une même phrase graphique, tantôt non.

43.4. F. Gachet & M.-J. Béguelin (2016) ont décrit l’interprétation concessive d’exemples analogues à (30) comme le produit d’une interaction entre le contenu de la clause avec PB et l’état courant de la mémoire discursive (M, = état évolutif des informations partagées, § 42.2.3). Ainsi, l’interprétation concessive se déclenche de manière quasi automatique quand la clause avec PB évoque un fait déjà présent dans M, dont il est, au plan informationnel, incongru d’évoquer la possibilité (p. ex., en cas de pluie notoire : « il peut bien pleuvoir,... », qui remet en question la validité d’un fait par ailleurs évident) ou, au contraire, quand elle désigne à des fins d’hyperbole un fait hautement invraisemblable (« Le ciel bleu sur nous peut s'effondrer / Et la Terre peut bien s’écrouler... », paroles de chanson) : dans ces deux cas, la clause avec PB laisse très fortement attendre une suite de type conséquence niée. D’autres fois, il arrive que l’idée de cause ineffective ait été installée au préalable, i. e.qu’elle soit déjà valide en M au moment où survient la clause avec PB :

(31)  Un paysan sur son tracteur s’arrêta en le voyant en vain tambouriner à la porte. « Vous pouvez toujours essayer... Il est là, mais il n’ouvre à personne. » [C. Roy, 1979, f, cité par Gachet & Béguelin 2016]

La séquence en italiques dans le discours direct de (31) peut être lue soit comme une invitation à essayer (au sens de essayez, vous verrez bien), soit comme une invitation à renoncer (au sens de inutile d’essayer), cf. (18) ci-dessus. Le fait que la vanité des efforts ait été installée au préalable dans la diégèse (le voyant en vain tambouriner) fournit un indice fort, quoique non contraignant, en faveur de la seconde interprétation. Dans les exemples (30), ce type de calcul de pertinence (Sperber & Wilson 1989) suffit à déclencher l’interprétation concessive, sans qu’il y ait lieu de supposer l’effacement d’un connecteur entre [A] et [Z]. La pragma-syntaxe des structures de cette famille mériterait, comme celle des structures avec AB, une investigation plus fouillée.

43.5. Parmi les exemples (30), plusieurs se laissent analyser comme des concessions argumentatives ‘en deux temps’, produites dans des contextes qui relèvent manifestement du débat d’idées (30a, b, e, g plus particulièrement ; cf. § 11). Au plan syntagmatique, il est plausible de considérer qu’elles sont composées de deux énonciations successives ℰ(A)PB + ℰ(Z). Dans d’autre cas en revanche (30c, d, f), l’interprétation par une concession logique (§ 12) n’est pas exclue : il est envisageable que l’on ait affaire à une seule énonciation ℰ([A]PB→[Z]), où [A] est une ‘subordonnée sans marqueur’, impliquée unilatéralement par [Z] (§ 42.2.3). Dans le cas de PB, cette seconde interprétation a aujourd’hui un caractère optionnel.

 


5. Morpho-syntaxe des diptyques modernes.


Venons-en maintenant aux diptyques modernes et aux analyses qui en ont été proposées par les syntacticiens du français moderne. Une fois encore, c’est AB qui tient la première place dans les descriptions.


51. La relation A-Z

Dans la foulée de M.-A. Morel (1980), O. Soutet a dépeint les structures actuelles avec AB comme des suites « nécessaires », « solidaires » et, dans une moindre mesure, « ordonnées » (1992, p. 69-71). Ces différents points donnent toutefois lieu à débats.


51.1. [Z] est-il « nécessaire » ?

51.1.1. Beaucoup d’auteurs estiment en effet, comme O. Soutet, que la protase avec AB, paraphrasable à l’aide une subordonnée en bien que, quoique, etc. (§ 13.3), ne peut constituer une énonciation à soi seule. Effaçable alors que [Z] ne l’est pas, [A] serait à considérer comme une proposition « indépendante en apparence », que suit « la véritable principale » (Gougenheim 1962, p. 346). Cela revient à postuler, entre [A] et [Z], une relation d’implication unilatérale [A→Z]. Cf. :

O. Soutet : « Si l’on désigne par q un énoncé à noyau verbal avoir beau et par p l’énoncé qui lui est associé, on doit considérer que ces deux énoncés forment malgré les apparences un système asymétrique dans la mesure où, si l’énoncé p peut faire sens à lui tout seul, en revanche l’énoncé q ne peut se concevoir sans l’énoncé p. On ne saurait donc valablement parler de la succession de deux propositions indépendantes juxtaposées. (1992, p. 69)

P. Le Goffic : « La structure en avoir beau ne peut constituer une énonciation indépendante. Cf. bien que. » (1993, p. 507)

M.-A. Morel : « Avoir beau ne peut [...] en aucun cas fonctionner dans une proposition indépendante isolée, même dans le cas de l’expression figée on a beau dire. » (1996, p. 72)

C. Blanche-Benveniste et al. : « Mais si l’on met [dans un ‘noyau’ comme il a une carte, MJB] un modal comme avoir beau, cette réalisation morpho-lexicale particulière déclenche une situation particulière : la séquence ne peut plus former un noyau » [sauf à produire un « effet d’incomplétude »]. « C’est devenu un élément différent : destiné à exiger un noyau, et à se placer linérairement juste avant ce noyau : il a beau avoir une carte il est perdu ; jamais après (d’après nos exemples, en tout cas) : (?) il est perdu il a beau avoir une carte. » (1990, p. 115-116 ; v. aussi p. 130)

C. Benzitoun & F. Sabio : « Les exemples pour lesquels la construction initiale est le plus dépourvue d’autonomie sont ceux qui font usage du verbe modal avoir beau » (2010, § 83 ; il est question ici des ‘regroupements’ de constructions verbales dont la première n’est pas négativable)

V. en ce sens également Hess 1924, p. 283 ; Faye 1931, p. 29 ; Bonnard dans le Grand Larousse de la langue française (1972, p. 975) ; Leeman 2002, p. 46 ; Mejri 2019 ; Abeillé et al. 2021, qui parlent de « constructions binaires » à ordre fixe, et pour qui « une phrase indépendante avec avoir beau n’est pas acceptable » (Ch. I, § 4.6.2 ; Ch. XIV, § 5.1.3).

51.1.2. D’autres auteurs, moins nombreux, admettent avec J. Damourette et É. Pichon la possibilité d’emplois autonomes de AB :

Les exemples cités ci-dessus nous montrent que, presque toujours, la locution j’ai beau faire est suivie par une proposition qui précise ce à quoi l’activité déployée s’oppose en vain. Il arrive cependant que la locution j’ai beau faire ait son sens de vaine persévérance sans que la proposition adversative soit exprimée. (Damourette & Pichon § 1129).

Les auteurs de l’Essai de grammaire de la langue française citent plusieurs exemples où la structure avec AB semble fonctionner sans corrélat (v. également G. & R. Le Bidois 1938, II, p. 502 ; Conti & Béguelin 2010). Un examen attentif des données enseigne qu’en réalité, les emplois d’avoir beau ‘non corrélés’ (i. e. sans membre [Z] consécutif) ne sont pas absents du français post-classique :

(32)  (a) Mais tu ne me dis point quelle raison cette femme avait d’en agir ainsi. – Voilà, monsieur, le merveilleux de l’histoire ! Que croyez-vous que ce puisse être ? – J’aurais beau chercher ! dis-le tout de suite, car il se fait tard. (G. Sand, 1858, f)

(b) [Le narrateur a éteint sa cigarette dans une goutte de café.] C’est alors, c’est précisément alors qu’il s’éleva au-dessus de la goutte un petit nuage blanc, exactement rond, de la grosseur d’une bille ; c’est alors que le nuage devint plus blanc que la neige, d’une splendeur matinale, puis, tournant et comme roulant sur lui-même, redescendit, vint se poser sur le plateau, après quelques instants s’écrasa devant moi qui le regardais de tous mes yeux, et ne laissa enfin à la place où il s’était posé qu’une légère buée pâle, que j’effaçai du doigt.     
J’eus beau dans la suite recommencer l’expérience avec de nouvelles cigarettes, et de nouvelles gouttes de café.         
Comme entre temps nous avions repris des forces [...] (J. Paulhan, Guide d’un petit voyage en Suisse, 1947, p. 74-75)

(c) Je dévore tout ce qu’il y a dans mon assiette et souvent quand je l’ai vidée Vera m’offre ce qui reste dans la sienne... « Finis-le si tu veux, moi, je n’en peux plus, j’ai beau me forcer... » (N. Sarraute, Enfance, 1983, p. 132)

(d) À cause de cette souillure, il [= le vieux tapis à frange] est devenu tout à fait impraticable pour la sculpture, et tu as eu beau le savonner (A. Rychner, L’Atelier, 2013 ; pas trace de membre [Z] dans la suite).

Sont concernés également des emplois parenthétiques de AB, ou en incise de discours rapporté :

(33)  (a) Le pharmacien ajouta : -– Son billard, vous avez beau dire, est plus mignon que le vôtre ; [...] (G. Flaubert, 1857)

(b) Caporal Carco, vous n’étiez pas un gradé sévère, ai-je beau me réciter pour ne point m’attendrir, un autre poème que Derème m’adressa monte en moi, comme un cri : [...] (F. Carco, 1936, f)

(c) Or justement – et c’est ce qui le rend si attachant – il n’y a rien en lui, rien d’autre, on aurait beau l’interroger, il aurait beau chercher, rien que le désir ardent, fervent de bien entretenir, de toujours embellir ce trésor inestimable qu’il a la chance de posséder, ce modèle d’amitié. (N. Sarraute, L’Usage de la parole, 1980, p. 26-27)

51.1.3. Face à (32), l’hypothèse d’un statut toujours « dépendant » de [AB + Vinf] peut cependant être préservée en postulant un effet d’aposiopèse (= action de s’interrompre en parlant, comme celui qui affecte assez souvent, en français d’aujourd’hui, au cas où, quoique, sauf que, encore que, fils ou fille de, etc.). L’interprète serait alors incité à reconstituer le contenu sémantique du membre supposé absent (= « effet d’incomplétude » ou « interprétation “suspensive” » chez Blanche-Benveniste, 1990, p. 115 et 130 ; « structure laissée en suspens » chez Morel 1996, p. 72). À l’appui d’une telle explication, on rencontre parfois des traces d’interruption, tels les points de suspension dans (32c) . Et c’est peut-être pour bénéficier des atouts liés à cet effet suspensif que l’on utilise volontiers [AB + Vinf] seul dans des titres (de chansons, de chapitres, etc.) :

(34)  (a) Vous avez beau faire et beau dire (titre de poème et de chanson, F. Coppée, 1878)        
(b)T’as beau pas être beau (titre de chanson de L. Chedid, 1976)
(c) T’as beau t’appeler Van Gogh (titre de comédie musicale, Les Octaves, 1982) 
(d) J’ai beau tenter d’aller le plus loin possible (titre de chapitre, H. Murakami, 1Q84, traduit par H. Morita, livre 1, 2011, p. 457)                      

Comme d’autres titres sont des P elliptiques (« Quand la Chine s’éveillera », « Si Versailles m’était conté », « Quand passent les cigognes », etc.), cela incite à interpréter (34a-d) comme des diptyques [A → ØZ].

51.1.4. Toutefois, l’effet d’incomplétude, plausible dans certains contextes, l’est beaucoup moins dans d’autres, comme (32c, 33). Une autre explication – qui n’exclut que la précédente puisse être valide dans certains cas – consiste à voir dans (32c), (33) une actualisation du sens ‘négatif’ de AB (notre Type II supra, v. ex. (12)). Il y aurait alors un parallèle à faire avec le cas des emplois non corrélés de pouvoir (toujours) (ex. (27)). La routine 'syndétique’, où la clause avec AB est suivie d’une coordonnée introduite par mais, est un autre contexte qui se prête mal à l’hypothèse d’un statut obligatoirement dépendant de [AB + Vinf] :

(35)  (a) – Monsieur Charon, vous avez beau sourire, mais nous n’avons jamais été reçus à l’Élysée sous la dernière présidence ! (écrit, Débats du Sénat, 11.12.2012, web)

(b) Vous avez beau soigner vos pâtisseries et vos boutiques mais il y en a ras le bol de vos détritus d’invendus que vous déposez (enfin vos jeunes commis) sauvagement place saint Étienne à Arras (écrit, web) [≅ « Je reconnais que vous soignez bien vos..., mais... ; vous soignez bien..., j’en conviens... mais...»]

On peut par ailleurs aussi supposer, pour certains exemples comme (32d), qu’il y a une ambiguïté de construction, ou une métanalyse, entre ℰ(A) (= Type 2) et ℰ(A→Ø) (Type 4 avec ellipse de l’apodose).

51.1.5. Un autre argument en faveur d’une autonomie possible de [AB + Vinf] est d’ordre informationnel : dans certains contextes, la restitution inférentielle d’un membre [Z] se révèle pragmatiquement inutile, du fait que l’information correspondant à la conséquence niée fait déjà partie de M – i. e. du bagage de connaissances partagées par les interlocuteurs – au moment où survient [AB + Vinf]. C’est le cas de « elle faisait semblant de ne pas me voir » dans (36a) et de « il ne voulait rien faire » dans (36b) :

(36)  (a) Lorsque la tante Olga venait à la maison, elle faisait semblant de ne pas me voir. Pour elle je n’existais pas car vous ne lui aviez pas envoyé de faire-part. Ta mère avait beau dire à sa sœur : « Mais, Olga, la petite est née en mai 68, il n’y avait même pas d’essence, tu crois que René a pu faire imprimer des faire-part ?» (A. Goscinny, 2012, f, fin de section)

(b) mais c’était un | _ | petit qui voulait jamais rien faire on avait beau lui dire pis c’est vrai que | _ | je pense c’est le le plus gros échec que j’ai eu c’est que j’ai jamais pu lui faire faire quoi que ce soit il v/ il voulait rien (oral, OFROM ; | _ | note une pause)

L’inférence d’un corrélat n’a pas non plus de raison d’être dans (37), où [AB + Vinf] apparaît comme dans (33c) en incise de discours rapporté, dans un contexte où l’inanité des efforts argumentatifs du narrateur est déjà parfaitement notoire :

(37)  = (12i) J’avais beau leur répondre que j’avais des amis dans l’endroit et qui m’attendaient. Je bafouillais. « Des amis ? qu’ils faisaient comme ça eux, des amis ? mais ils se foutent bien de ta gueule tes amis ! Il y a longtemps qu’ils t’ont oublié tes amis !... – Mais, je veux voir des Américains moi ! que j’avais beau insister. Et même qu’ils ont des femmes comme il y en a pas ailleurs !... – Mais rentre donc avec nous eh bille ! qu’ils me répondaient. C’est pas la peine d’y aller qu’on te dit ! (L.-F. Céline, 1932, f)


51.2. L’ordre [AZ] est-il fixe ?

Ici aussi, une opinion majoritaire coexiste avec une opinion minoritaire.

51.2.1. Selon M.-A. Morel (1996, p. 72), les marqueurs concessifs AB et PB ont pour particularité que « les deux propositions qu’ils servent à lier se suivent dans un ordre fixe et ne sont pas permutables ». Cette position est aussi celle de G. Gougenheim (1962, p. 346 n.) et de C. Blanche-Benveniste et al. (1990). C. Benzitoun & F. Sabio estiment également que ce type de structure obéit à « un ordre linéaire tout à fait contraint » (2010, § 78).

51.2.2. Dans le cas de AB, la possibilité d’une permutation est au contraire admise par O. Soutet, sur la foi d’une intuition :

Au vu [...] de tous les exemples cités, il semble que l’ordre des énoncés soit toujours q, puis p. Il ne paraît néanmoins pas agrammatical de concevoir une suite comme 

Le mois d’août est souvent moins beau que le mois de juillet, on a beau dire. (Soutet 1992 : 71)

Or, les données confirment ce pressentiment d’O. Soutet :

(38)  (a) Et lui aussi! Il va solliciter! Voilà les gens qui obtiennent toutes les places, tandis que nous autres nous avons beau nous mettre sur les rangs ; aussi, morbleu ! Plutôt mourir que de rien leur devoir! (E. Scribe, 1833, f ; on hésite ici à poser l’ellipse d’un membre [Z] « nous n’obtenons rien », car cette information, déductible de « Voilà les gens qui obtiennent toutes les places » figure déjà en M, cf. (36) supra)

(b) – Ma sœur, Simon... Une dernière fois…
  – [Je ne peux pas...]Z [J’ai beau essayer...]A
  – Quel entêtement, mon Dieu ! (Y. Gibeau, 1952, f)

(c) Dans sa boîte crânienne au couvercle doré un prince s’est enfermé
  Dans sa cage cérébrale il ne cesse de tourner
  Une folle fille d’Éros voudrait le délivrer
  Si la cage est fragile les barreaux sont solides elle a beau les secouer
  Oh folie d’Ophélie os fêlés d’Hamlet (J. Prévert, Charmes de Londres, 1952)

(d) « Oh, moi, ce que je vous en dis, c’est pour Alain surtout. [Il ne peut pas travailler quand je suis là.]Z [J’ai beau ne pas faire de bruit... ]A Ça lui ferait le plus grand bien. » (N. Sarraute, Le Planétarium, 1959, p. 115)

(e) – J’ai peur qu’on ne soit pas désespérées du tout pour le moment.
  – Hélas non on l’est pas. [J’arrive pas à l’être du tout]Z [j’ai beau essayer]A. (C. Rochefort, 1975, f)

(f) « Je ne sais comment, tu arrivais toujours à retrouver ce livre et tu l’ouvrais sur cette image, et [tu n’arrêtais pas de regarder, ]A [j’avais beau essayer de t’en distraire]Z. C’était même assez pénible. » (Z. Oldenbourg, 1977, f)

(g) Je me revois lui expliquer la hiérarchie. Un homme c’est mieux qu’une femme. (Comme amant.) Un médecin c’est mieux qu’un ouvrier, un Blanc c’est mieux qu’un Noir. [Elle était scandalisée.]Z [J’avais beau préciser « aux yeux de la société ».]A (C. Angot, L’Inceste, 1999 : 34)

(h) – Un exemple de démarche similaire en Suisse romande ?
  – Non, j’ai beau chercher. Par contre, le modèle des boîtes à chaussures érigées à côté des sorties d’autoroute a été très pratiqué. (presse, Le Temps, 17.3.2007)

En revanche l’ordre [ZA] semble inattesté dans le cas de PB qui, une fois n’est pas coutume (v. § 33), ne fournit pas pour les extraits (38) de paraphrase véritablement satisfaisante. Cf :

(38’)  ? J’arrive pas du tout à être désespérée. Je peux (bien/toujours) essayer.
 ? Elle était scandalisée. Je pouvais (bien/toujours) préciser « aux yeux de la société ».
 ? Je ne peux pas. Je peux (bien/toujours) essayer.


51.3. Nature de la relation [AZ]

Sans doute est-ce sur ce point que les avis divergent le plus. La caractérisation de la relation entre [A] et [Z] dans nos diptyques va, selon les auteurs, de la subordination pure et dure à l’indépendance des deux segments, conçus comme un couple de « principales ». La terminologie utilisée est d’une variété troublante et renvoie souvent elle-même à des notions problématiques (subordination, coordination, parataxe, construction corrélative...). L’état des lieux établi par Conti & Béguelin 2010 est en gros le suivant.

51.3.1. Dépendance / forme de subordination. – Bon nombre de grammairiens décrivent le statut du segment avec AB en termes de subordination, quitte à prévoir un type de subordination ad hoc. (Il est ainsi question de « subordination » chez Leeman 2002, p. 50 ; de « véritable subordonnée sans conjonction » chez Wartburg & Zumthor 1958, p. 111 ; de « subordination lexicale » chez Marcotte 1997, p. 15-16 ; de « subordination implicite » chez Morel 1996, p. 72, qui étend cette analyse au cas de PB ; AB et PB entrent dans des « juxtaposées subordonnées » chez Abeillé et al. 2021, Ch. I, § 4.6.1). D’autres auteurs se contentent d’invoquer une ressemblance : le terme [A] assume le « rôle d’une subordonnée concessive » (Orr 1963, p. 112), ou alors une « fonction comparable à celle d’une proposition subordonnée » (Soutet 1992, p. 70) (mes italiques). Pour R. Wagner & J. Pinchon (1962, § 715), le cas relève d’une « dépendance implicite », marquée « par l’absence d’une conclusion mélodique » à la fin du terme [A].

51.3.2. Juxtaposition / dispositif paratactique. – Parallèlement à cette « dépendance implicite », il est cependant aussi question chez Wagner & Pinchon de juxtaposition : « la proposition concessive se juxtapose à la principale » (ibid.). D’autres auteurs recourent à la notion de ‘parataxe’ (« paratactic relation » chez Faye 1931, p. 29). P. Le Goffic (1993, § 345) mentionne AB dans un chapitre de sa Grammaire de la phrase française intitulé « Parataxe à l’indicatif », tout en le comparant fonctionnellement à bien que (v. citation supra, § 51.1). Le recours à la notion de parataxe ménage un certain flou, car sous ce terme, les grammairiens visent tantôt une situation d’indépendance entre deux structures juxtaposées, tantôt une forme de subordination non marquée (v. Béguelin 2010a).

51.3.3. Coordination zéro / structure corrélative.– Dans sa Grammaire critique du français, M. Wilmet (32003, § 680) se distingue des précédents en faisant l’hypothèse d’une « coordination zéro », relevant de la ‘phrase multiple’ plutôt que de la ‘phrase complexe’ – cela bien que AB figure dans un paragraphe intitulé « Enchâsseur zéro » ; cette option est confirmée dans la 5e édition de l’ouvrage (52010, § 675). Quant à la Grammaire méthodique du français (Riegel et al. 42009), elle ne cite AB ni dans son index, ni dans les pages qu’elle consacre aux concessives. Mais dans leur chapitre XIX intitulé « Juxtaposition et coordination », les auteurs présentent, parmi d’autres, un exemple bicéphale « Il peut sonner tout le temps qu’il voudra / Il aura beau sonner, je ne lui ouvrirai pas ». Leur commentaire est le suivant :

Ce type de construction corrélative, s’il est formellement paratactique, relève également de la subordination. La première proposition y est dépourvue d’autonomie syntaxique et énonciative et ne fonctionne donc pas comme une proposition vraiment indépendante. Comme, de surcroît, elle équivaut sémantiquement à une subordonnée dont la principale serait le deuxième terme juxtaposé […], le double rapport entre les deux propositions a souvent été décrit comme un phénomène de subordination implicite. (Riegel et al. 42009, p. 873, caractères gras d’origine)

On voit se superposer dans ces lignes – un peu comme chez Wagner & Pinchon et chez Le Goffic – une strate de description formelle (parataxe pris, est-on en droit de penser, plutôt au sens étymologique de juxtaposition) et une strate de description sémantique (corrélation, équivalence de [A] avec une subordonnée), plaidant en faveur d’une relation de dépendance syntaxique entre [A] et [Z]. Un certain malaise transparaît toutefois dans ce propos ambivalent : «... ne fonctionne pas comme une proposition vraiment indépendante » (mes italiques) – la juxtaposition étant censée caractériser des entités « ayant même fonction » (ibid., p. 872).

51.3.4. Indépendance syntaxique. – Une vue encore différente, attachant plus de prix à la forme qu’au sémantisme, s’exprime chez K. Togeby, pour qui les propositions avec AB, « bien que pouvant avoir la valeur d’une subordonnée, gardent leur qualificatif de principales à cause de leur structure et de leur absence d’introducteur » (1983, V, p. 85). En dépit de sa fonction sémantique de concessive, la proposition contenant AB demeure donc indépendante aux yeux du linguiste danois, cela même si, écrit-il, elle « ressemble d’autant plus à une subordonnée qu’elle est obligatoirement suivie d’une principale » (ibid.). (On a pourtant vu, au § 51.1, que le caractère obligatoire de [Z] n’est pas avéré.)

51.3.5. « Préfixe ‘pur’ » ou « préfixe spécialisé ». – C. Blanche-Benveniste et ses collègues du Groupe aixois de recherches en syntaxe (GARS) estiment quant à eux que AB ne peut contribuer à former ce qu’ils appellent un ‘noyau’, c’est-à-dire une proposition autonome (1990, p. 115). Toutefois, au contraire des auteurs cités au § 51.3.1, ils se refusent à considérer le segment avec AB comme un cas de subordination :

Pour le GARS, la tournure ne peut être étudiée que en macro-syntaxe (donc jamais comme une subordonnée syntaxique), c’est pourquoi il est dit qu’elle figure presque toujours comme préfixe. (C. Blanche-Benveniste, communication personnelle, 29.5.2007).

Dans la terminologie syntaxique du GARS, inspirée de la morphologie, ce segment est donné comme un exemple-type de « préfixe ‘pur’ » ou « spécialisé » (Blanche-Benveniste et al. 1990 : 129-130) – i. e. comme une unité macro-syntaxique, non régie par le V du membre adjacent. Dans cette lignée, C. Benzitoun & F. Sabio (2010 : 19) analysent notre diptyque [AZ] avec AB comme une suite [Pré-Noyau + Noyau] où la construction initiale est non négativable, ne réalise aucun acte illocutoire, est « totalement dépourvue d’autonomie » et « fortement liée au noyau qui suit, au plan linéaire et au plan intonatif ». (À noter que pour l’école aixoise, l’autonomie énonciative n’est pas un critère définitoire des unités qualifées de macro-syntaxiques, et que la rection est le fait du verbe et ne peut être étendue à la proposition).

51.3.6. Cas de métanalyse.– Les études réalisées dans le cadre du modèle pragma-syntaxique fribourgeois ont conclu à l’impossibilité d’assigner à nos diptyques une analyse grammaticale univoque (Conti & Béguelin 2010, Béguelin & Conti 2010, Béguelin 2010, Gachet & Béguelin 2016, Béguelin & Gachet 2021). Les auteurs sont d’avis que ces diptyques, dans les usages qu’en font les sujets parlants d’aujourd’hui, relèvent toujours et encore de la double analyse grammaticale présentée ci-dessus à l’issue de la partie diachronique (§ 42.2.3) :

Grammaire G1 : deux énonciations consécutives ℰ(A) ℰ(Z), réalisant une période de type [Préparation + Action] (Groupe de Fribourg 2012, ch. 9).

Grammaire G2, à la fois postérieure et concurrente de la précédente : une énonciation ℰ(AZ), réalisant une clause unique où [A] est réanalysé comme une ‘subordonnée sans marqueur’ régie par [Z].

Cela conduit à admettre l’existence en français moderne d’une variation G1/G2 sur nos structures, – au même titre qu’il peut y avoir, dans d’autres domaines de la langue, des variations morpho-syntaxiques ou lexicales. À relever que dans le cadre de G2, les membres du Groupe de Fribourg considèrent que [A] est régi non par le verbe de [Z], mais par la proposition [Z] dans son ensemble.


52. Arguments invoqués

Les adeptes d’une dépendance d’ordre syntaxique entre [A] et [Z] et du caractère obligatoire de [Z] ont fait valoir le caractère figé de la syntaxe interne de [A] ; la réponse positive de [A] au test de la pronominalisation cataphorique ; enfin, le comportement du diptyque en subordination. Voyons ces arguments d’un peu plus près.


52.1. Syntaxe interne de [A]

52.1.1. En français actuel, plus d’un auteur a relevé que [A] est toujours à la forme positive : il ne peut être nié, ni interrogé, ni mis à l’impératif ou au gérondif (Soutet 1992, p. 71, Morel 1996, p. 76 ; Benzitoun & Sabio 2010). Cf. :

(39)  [*Tu n’as pas beau supplier]A [...]Z (l’emploi de type (16c) ci-dessus n’est plus possible aujourd’hui)

*[As-tu beau supplier ? / *Aie beau supplier]A [...]Z

NB. Tu as beau ne pas supplier, avec la négation portant sur le groupe infinitival, ne pose bien évidemment pas problème.

Le figement modal est moins directement observable dans le cas de PB, en raison de la polysémie de pouvoir (§§ 32 et 43) : Il ne peut pas supplier tant et plus / Peut-il toujours supplier ? etc., sont ainsi parfaitement grammaticaux ; cependant, ils ne seront pas interprétés comme des protases concessives (Abeillé et al. 2021, loc. cit.).

52.1.2. Le membre [Z] admet, quant à lui, l’éventail complet des modalités ‘phrastiques’ (40a-e), et peut aussi se présenter sous forme averbale (40f-g) :

(40)  (a) Tu as beau expliquer, ils ne comprennent pas / n’écoutent personne. (= (1a) remanié)

(b) Les tenants de la GPA [= gestation pour autrui, MJB] ont beau arguer que, dans certains couples classiques, il existe aussi des bizarreries affectives, sentimentales, sociologiques, affectives : est-ce la preuve que la bizarrerie de ces vieux couples devrait servir de boussole aux bizarreries des couples post-modernes ? (écrit, M. Onfray, web)

(c) La maison est déserte, elle peut bien appeler — qui l’entendra ? (M. Ndiaye, 2005, f)

(d) Tu as beau être petite, faible en apparence, ne laisse personne t’humilier sur ça, montre leur ce qu’est la force d’une personne faible d’apparence. (écrit, web, sic)

(e) Elle peut habiter des maisons nombreuses, joyeuses, bruyantes, comme elle est seule, toujours ! (O. Mirbeau, cité par Sandfeld 1977 : § 240, p. 398)

(f) Salomé eut beau crier après lui : impossible d’avaler un morceau. (R. Rolland, 1907, f)

(g) Ah oui mais la politique c’est pff (.) on a beau dire hein tous des pourris (rire). (MPF, Anaïs3)

(Les extraits qui contiennent AB dans leur forme originale accueilleraient aux mêmes conditions l’une des tournures avec pouvoir, et vice versa).

Il arrive cependant, on l’a vu au § 42.2.1, que [Z] inclue une expression contenant un anaphorique (en... pas moins, pour autant), interprété par rapport au contenu informationnel de [A] (41a-b), un adverbial concessif (quand même, tout de même, ex. (19)), ou encore un comparatif faisant écho à un autre comparatif présent dans [A] (41c) :

(41)  (a) [On peut toujours trahir pour la bonne cause,]A [on n’en est pas moins traître.]Z (A.-M. Garat, 2006, f, in Béguelin & Gachet, 2021)

(b) [On a beau être de l’autre côté de l’Atlantique, sous les tropiques, alourdies d’appareils photo, environnées de peaux d’autres couleurs,]A [on n’est pas pour autant ailleurs.]Z (E. Viennot, 2012, f, ibid.)

(c) Si les premiers sont nerveux et mal portants, ils ont beau être moins nombreux, la charge est plus lourde. (J. de Romilly, 1993, f)

La présence d’un marqueur dans [Z] en réponse à celui de [A] rapproche un peu ces exemples des corrélations classiques de type plus on mange, plus on grossit (v. Savelli 1993 ; Deulofeu 2001 ; Roig 2015 ; Inkova & Hadermann 2013 ; Roig & Schnedecker 2021). Cependant, le marquage ‘binômial’ est, dans le cas des concessives modales, parfaitement facultatif.

52.1.3. Au chapitre de la syntaxe interne de [A], il a en outre été relevé que AB et PB ne peuvent se passer de l’infinitif (ou du groupe infinitival) qui les suit (Soutet, 1992, p. 71 ; Morel 1996, p. 72) – ce qui ne vaut pas, semble-t-il, pour le français du Québec (§ 42.3), et qui devrait être vérifié dans le cas de PB, où l’ellipse du Vinf ne semble pas impossible. AB et PB ne sont pas non plus en principe, en français actuel, précédés d’un pronom clitique, alors que la position ‘haute’ du clitique objet était bien attestée, on l’a vu, en moyen français et en français classique (§ 42.2.3). Cf. :

(42)  (a) On a beau le savoir l’entendre le répéter on a du mal à croire que ça peut arriver. (C. Delaume, 2001, f)
  *On l’a beau ; *On l’a beau savoir, entendre, répéter (ex. remanié)

(b) Tu peux toujours le presser de questions, il ne répond qu’en secouant la tête [...] (A-M. Garat, 2008, f)
  ? Tu le peux toujours ; *Tu le peux presser de questions (ex. remanié)

NB. Le ne de négation ou le ne du restrictif ne... que est également placé d’ordinaire devent le Vinf ; mais dans de rares cas, il peut apparaître en position haute :

(43)  (a) Tu n’as beau être équipé que de windows 98, tu as beau planter sans arrêt, tu as beau mettre dix minutes pour te mettre en route, je t’aime, petit pc. (web, frWaC,)

(b) Cet hiver ce cher Potter n’as beau pas dégner pointé le bou de son nez et se reservé pour une saison plus chaude la magie elle est toujours aussi présente avec Le prestige il y a quelques semaines et aujourd’hui l’illusioniste ». (web, frWaC, sic)

Dans le style parfois elliptique du journal intime, il semble envisageable d’employer beau sans avoir, même hors cas de coordination (cf. (54a) infra) :

(44)  brusquement j’ai de toi un tel manque, une telle absence se creuse, peux plus composer, je compose ton numéro, beau le connaître par cœur, je l’ai toujours à portée, sur mon bloc-notes, sur mon bureau, [...] (S. Doubrovsky, Le Livre brisé, 1989, f)

Enfin, D. Apothéloz me signale l’existence, aux formes composées ou surcomposées de [AB + Vinf], de variantes où le participe suit beau (« on a beau eu chauffer ») au lieu de le précéder (« on a eu beau chauffer ») comme c’est le cas dans l’usage convenu. Absentes de Frantext, ces variantes en beau eu se trouvent néanmoins très facilement sur l’internet.  Exemples 

« On a beau eu chauffer, c’est irrécupérable » : après l’épisode de gel, ces agriculteurs ont tout perdu. (écrit, web, mars 2022)

On a beau eu jouer ça, on n’a pas vu beaucoup de soleil lors de la Foire au pré à Thiers... (écrit, web, mars 2022)

L’autopsie a beau eu conclure au suicide du détenu, sa famille refuse d’y croire. (écrit, web, mars 2022)

Sa conjointe, blessée lors d’une violente dispute, a beau eu le défendre à la barre, cet homme de 48 ans a été condamné à trois mois de prison avec sursis.

C’était une émission tout en japonais bien sûr et j’avais beau eu avoir une traductrice, je n’avais rien compris de ce qu'elle disait en français. (écrit, web, mars 2022)

J’ai beau avoir eu fait l’apprentissage moultes fois en piscine, quand un givrage massif de premier étage survient à 40 m et + en pleine eau, par définition dans le froid et a fortiori dans une visi nulle, il y a urgence à se faire aider par son binome. (écrit, web, mars 2022, sic)

52.1.4. Que peut-on conclure des observations faites ci-dessus ? Incontestablement, la syntaxe interne de [AB + Vinf] et de [PB + Vinf] est relativement figée. Cependant, il ne semble pas que l’on puisse tirer de leur stabilité modale la conclusion qu’il s’agit de termes forcément dépendants (v. (32), (33), (35)), et dépourvus en toute occasion de potentiel illocutoire  (cf. Verstraete 2005). Voilà donc encore une question qui méritera d’être reprise sur de nouveaux frais.


52.2. Test de la pronominalisation cataphorique

AB a été soumis au test dit ‘de la pronominalisation cataphorique’, qui serait possible, dans une phrase complexe, entre une subordonnée initiale et une principale subséquente (Lorsqu’ili est malade, mon voisini m’appelle), mais non entre une principale et une subordonnée subséquente (*Ili m’appelle quand mon voisini est malade), ni entre deux juxtaposées ou coordonnées (Pinchon 1975, p. 40, apud Soutet 1992, p. 70). Or, l’exemple suivant témoignerait d’une telle pronominalisation :

(45)  Élise a beau être totale, malveillante avec ellei, peut-être pour se la rendre agréable, au moins supportable, Célinei transpose tout ce qui lui vient d’elle. (Jouhandeau, cité par J. Pinchon et repris par O. Soutet, loc. cit. ; les indices sont de moi)

Dans ce passage plutôt alambiqué, que je n’ai pas (encore) réussi à retrouver pour vérifier le contexte, il se pourrait cependant que le référent du nom propre Céline soit déjà validé dans M au moment de la réalisation du elle en italiques, qui serait en ce cas non pas cataphorique, mais anaphorique. L’exemple suivant, qui figure en tête d’un article de presse, est certainement plus probant :

(46)  LOS ANGELES. Ellei a beau afficher des courbes parfaites, AnnaLynne McCordi avoue ne pas faire d’efforts particuliers pour les obtenir. (presse, 20minutes, 15.12.2010, p. 22)

Cependant, le test lui-même est discutable : il est ainsi facile de montrer qu’il existe des cataphores entre propositions juxtaposées de même rang (p. ex. « Ils s’étaient redressés dans le lit, le jour tombait. Laure tendit la main vers la lampe de chevet. “N’allume pas”, dit Pierre. » (D. Sallenave, La Vie fantôme, 1986, début du roman). En réalité, les particularités de la pronominalisation au sein de nos diptyques resteraient à documenter largement, dans des contextes aussi naturels que possible, sur la base d’une théorie ‘mémorielle’ et non segmentale de l’anaphore.


52.3. Comportement en subordination

52.3.1. O. Soutet (1992, p. 70) emprunte à la thèse de M.-A. Morel (1980) quelques illustrations destinées à montrer que les diptyques avec AB seraient enchâssés comme une entité unique, la protase ne pouvant être enchâssée à elle seule. Cet exemple-ci est authentique :

(47)  Je vous dirai que ça me faisait beaucoup de peine à cause du pauvre Robert, parce qu’il avait beau ne pas être un aigle, il s’en apercevait très bien, [...] (Proust, 1922, cité par O. Soutet, loc. cit. ; en = « du fait que son épouse Gilberte le trompait »)

Les trois autres, vraisemblablement forgés, sont selon Soutet « de grammaticalité douteuse et d’interprétation malaisée » (ibid.). Pourtant, même (47) est litigieux, car il n’est pas certain que parce que y soit un subordonnant : il peut s’agir ici d’un parce que « insubordonné », à fonction de connecteur (cf. Debaisieux 2013, p. 226-228).

52.3.2. Délicate, cette question de la subordination mérite d’être envisagée à la lumière de données plus consistantes. Or, celles que j’ai pu récolter au cours des années écoulées, avec le concours de V. Conti et de F. Gachet, orientent vers deux conclusions opposées.

52.3.2.1. Comme le relève M.-A. Morel, il arrive, en français moderne, que dans une relative, une complétive ou une consécutive, le diptyque avec AB soit subordonné « tel quel », i. e. sans réitération du complémenteur :

(48)  (a) Comme c’est aimable à toi [...] de ne pas oublier ce 5 juillet qui a beau m’ajouter des années, il me réjouit toujours comme s’il m’en ôtait, puisqu’il me renouvelle le doux souvenir de mes amis éloignés. (G. Sand, Correspondance, 5.7.1868)

(b) J’ai gagné beaucoup de batailles dans ma vie, mais j’ai mis beaucoup de temps à me faire à l’idée qu’on a beau gagner des batailles, on ne peut pas gagner la guerre. (R. Gary, La Promesse de l’aube, 1960)

(c) Mais en même temps, rappelez-vous qu’il a beau avoir des problèmes de confiance, cela ne doit pas donner lieu à des gros problèmes dans votre relation. (presse, Cosmopolitan, web)

(d) Avec Junichi, son collègue également, lorsqu’elle se rendra compte, trop tard, qu’il a beau prétendre être vide, il n’en est pas une poupée pour autant. (web)

(e) En attendant, pendant que tu largues tes amarres, moi, ma barque est au port et elle est si pleine que j’ai beau faire, elle n’en sortira pas de sitôt. (B. & F. Groult, 1968, f)

(f) Il se souvint soudain qu’Hervé avait beau être notaire il n’était pas issu d’un milieu aisé, bien au contraire. (M. Houellebecq, Anéantir, Flammarion, 2022, p. 87)

On peut noter, dans le même sens, que le diptyque est susceptible de constituer ‘en bloc’ le second membre d’une pseudo-clivée :

(49)  (a) Non, ce qui nous touche vraiment avec cet artiste, c’est qu’il a beau être multi-casquettes (musicien, dessinateur, romancier), tout ce qu’il touche se transforme en or : [...] (web)

(b) Le pathétique de l’histoire, c’est qu’il (= mon personnage) a beau se dissimuler dans les endroits les plus évidents, personne ne le cherche. C’est un livre sur la solitude. (presse, E. Vila Matas, Le Temps, web)

(c) Ce qui me déglingue, c’est que j'ai beau tourner autour du pot, je ne vois qu’un papa possible. (D. Pennac, 1995, f)

Voici en outre un exemple avec PB où [AZ] semble servir globablement de ‘principale’, régissant la si-P initiale :

(50)  [Si, intérieurement, je mets en branle la chaîne ouvrière du plaisir,]si-P [le corps pourra bien subir quelque déplaisir,]A [celui-ci ne suffira pas à enrayer la chaîne.]Z (C. Millet, La Vie sexuelle de Catherine M. précédé de Pourquoi et Comment, apud Gachet & Béguelin 2016, p. 81) 

L’interprétation sémantique de (50) conduit à penser que la si-P ne dépend pas de la proposition adjacente [A], mais bien de la séquence [AZ] dans son entier, donnant un indice fort que cette dernière est traitée comme une construction micro-syntaxique. À l’appui d’une relation de dépendance entre [A] et [Z], il est éventuellement possible aussi d’invoquer des exemples où un que figure avant le second constituant :

(51)  (a) Cette fille-là t’aurais beau payer cent francs un mendigot pour qu’il la grimpe qu’il voudrait pas. (R. Queneau, 1938, f)

(b) t’as beau avoir des amis qui sont extrêmement proches de toi | _ | qui entre au entre guillemets sont aussi des gars assez uniques hein | _ | euh | _ | que quand tu rencontres un gars comme ça euh ça fait du bien (oral, Ofrom)

V. Conti & M.-J. Béguelin (2010, p. 279, n. 16) ont vu dans de tels exemples un que « de continuité clausale », comme ceux que l’on trouve après certaines hypothétiques inversées (Corminboeuf 2009:267).

NB. Les exemples (48) ci-dessus ne sont cependant pas jugés probants par tous :

Le critère d’enchâssement sous un verbe supérieur [...] ne suffit sans doute pas, puisqu’on peut enchâsser des constructions énumérées (je suis sûr que dès le matin il partait, il courait partout, il faisait mille bêtises). (C. Blanche-Benveniste, communication personnelle, 29.5.2007)

Nos couples concessifs ‘adversatifs’ peuvent-ils toutefois être mis sur le même plan que des contructions énumérées de même orientation argumentative ? Est-il certain, dans le cas des premiers, que [A] et [Z] occupent une même position syntaxique ? On peut en douter. Mais ce qui serait en revanche envisageable, c’est que dans (48b-e), le membre avec AB soit parenthétique (cf. voir  Notice  'Rection' § 3.6.1).

52.3.2.2. Parallèlement à ces cas où [AZ] fonctionne ‘en bloc’, il en existe d’autres qui contiennent une répétition du complémenteur devant [Z], parfois même précédé de et :

(52)  (a) Chopin est tout étonné de suer. Il en est désolé, il prétend qu’il a beau se laver, qu’il empeste ! (G. Sand, 1846, f)

(b) Et dire qu’on est toujours dupe, qu’on a beau se croire inventif, que la réalité vous écrase toujours. (G. Flaubert, 1853, f)

(c) L’un d’eux s’en va trouver le doyen et lui dire qu’ils avaient beau frapper, et que leur maître ne leur ouvrait pas. (E. Sue, 1843, f)

(d) Lipp est à coup sûr un des endroits, le seul peut-être, où l’on puisse avoir pour un demi le résumé fidèle et complet d’une journée politique ou intellectuelle française. On comprend mieux ainsi qu’à deux heures et demie du matin le personnel lippien ait beau éteindre toutes les lumières de cette agence, de cette cour des comptes de l’événement parisien, qu’il ait beau refuser aux retardataires toute espèce de consommation, et qu’il faille pousser les poubelles dans les jambes des clients pour les mettre dehors. (L.-P. Fargue, 1939, web)

(e) Et dire que je pourrais consacrer tout un chapitre à la description de mes perles, du parangon et des deux princesses, énumérer sur des pages et des pages tous les noms des femmes que je connais, et que j’ai beau descendre au plus profond de moi-même, là où tout est sincérité, et que je ne retrouve pas le nom, le vrai nom de la môme fil de fer qui ressemblait comme une sœur à ma petite cousine de Londres, et que l'on pourrait me battre à mort sans que son nom chrétien, son simple petit nom de baptême me revienne ! (B. Cendrars, 1948, f)

(f) Depuis le matin, il souffre de son malaise chronique, les palpitations cardiaques qu’il a beau savoir inoffensives, qu’il ne peut s’empêcher de suivre, un doigt sur la tempe ou discrètement glissé sous la manchette. (G. Bernanos, 1948, f)

(g) Elles font partie de ces endroits, que vous avez beau avoir vu des milliers de fois en photo, et qui pourtant, imposent un regard neuf et émerveillé une fois que vous les découvrez à votre tour. (genevachapter.com, web)

Ces exemples semblent incompatibles avec l’idée d’une construction unique et traitée d’un seul tenant : il y a tout lieu de penser, au contraire, que ceux qui usent de cette forme de redoublement du que traitent les constituants [A] et [Z] comme des entités de même rang. Une autre manière plus rare, mais non moins suggestive, de placer [A] et [Z] sur un pied d’égalité, consiste à « mettre en liste » leurs SV respectifs, selon un usage attesté au XVIIIe :

(53)  (a) Il est beau, viril, courtois, elle ne doute pas un instant qu’il puisse ne pas l’aimer, avec sa beauté et sa richesse. Elle s’en ouvre à son papi, lequel a beau détenir les clés de l’Europe, tente de forcer le beau comte, qui lui avoue ne pas vouloir de sa chère petite-fille, vu qu’il est engagé ailleurs. (Libération, 13.8.2020, p. III)

(b) [...] illusion qu’on ne retrouve plus chez ses imitateurs, qui ont beau appeler un singe Bertrand et un chat Raton, ne montrent jamais ni un chat ni un singe. (S. de Chamfort, 1774, f)

52.3.2.3. Le traitement égalitaire de [A] et [Z] se manifeste parfois, dans la graphie, par la présence d’une ponctuation forte entre deux, [A] et [Z] semblant suivre chacun un destin morpho-syntaxique propre :

(54)  (a) J’irai pas chez les fous !... Et chez les Sœurs non plus que je te dis !... T’auras beau faire et beau mentir !... Tu m’auras pas, petit vendu !... (L.-F. Céline, 1932 < f ; on peut voir à l’œuvre ici, en quelque sorte, une routine [Z]-[A]-[Z’] où la conséquence niée est exprimée à la fois avant et après la structure avec AB)

(b) Et la il a beau dire quil est ouvert. Je sais que non (écrit, What’s up Switzerland ?, spk 1268, sic)

(c) [...] car ces pauvres créatures, dont tu parles toujours avec un mépris un peu bourgeois, exhalent pour moi un tel parfum d’ennui que j’aurais beau me forcer maintenant : les sens s’y refusent. (G. Flaubert, 1883, f)

(d) Tout est si vaste et si homogène que l’on aurait beau bouger ; il est impossible de changer de place. (P. Claudel, 1938, f, apud Béguelin & Gachet 2021)

(e) 21 novembre. Heures où l’attention est comme un âne qu’on a beau tirer par le licou : il ne veut pas venir. (J. Renard, 1910, f, apud Béguelin & Gachet 2021)

Le découpage graphique, aléatoire et soumis aux caprices des interventions éditoriales, ne fournit pas en lui-même une analyse linguistique fiable (Béguelin 2002). On peut remarquer néanmoins qu’il n’y a pas d’obstacle à ce que la clause avec AB, via la ponctuation, soit ‘mise au même rang’ que ses voisines (54a-b), cf. (30f). Dans (54c-e), la solidarité grammaticale de [AB + Vinf] semble s’établir avec ce qui précède : il constitue le second membre d’une structure consécutive dans (54c-d) et dans (e), il figure au sein d’une relative dont semble exclu le corrélat sémantique. Cela concorde avec d’autres faits plus probants, révélateurs d’une autonomie possible de [AB + Vinf] (v. ex. (13), (32), (33), (35)).

NB. Notons aussi que nos protases concessives peuvent contenir l’inversion du clitique sujet déclenchée par un adverbe antéposé à [AZ] (55a-b) :

(55)  (a) Aussi ont-ils beau juxtaposer les états aux états, en multiplier les contacts, en explorer les interstices, le moi leur échappe toujours, si bien qu’ils finissent par n’y plus voir qu’un vain fantôme. (H. Bergson, 1934, f)

(b) Le temps restait un peu venteux, mais la douceur de l’automne l’emportait et la lumière était parfaite, les couleurs vibraient. Idéal pour les affaires, prétendait mon père qui en jubilait presque. Ainsi avait-il beau disparaître pour la journée, enchaînant les visites, ne rentrant plus avant le soir, assommé de fatigue, je n’en vivais pas moins dans la perpétuelle angoisse qu’un détail, qu’une marque ne me trahisse. (P. Djian, Dispersez-vous, ralliez-vous !, 2017 (= 2016), p. 23)

Une telle inversion serait exclue, bien évidemment, dans les ‘subordonnées’ conjonctives correspondantes :

(55’)  *Aussi quoique juxtaposent-ils...
* Aussi même si disparaissait-il...


52.4. Bilan intermédiaire

Le statut syntaxique de [A] dans nos diptyques a donné lieu de la part des spécialistes à des verdicts contrastés. La cause en est sans doute que nos diptyques sont soumis à un processus de coalescence – plus ou moins abouti, plus ou moins réversible. Or les linguistes, en fonction des données dont ils se servent et des objectifs argumentatifs qu’ils visent, sont portés à focaliser de ce processus tantôt le point d’arrivée, tantôt le point de départ – et quelquefois les deux à la fois. Ce qui semble toutefois avéré, c’est que la thèse de l’incomplétude sémantique de [A] et celle de la fixité de l’ordre [AZ] ne s’appliquent pas à l’ensemble des faits.


53. Rendements spécifiques

Nos concessives en diptyque ont d’autres particularités encore, dignes d’être relevées.

53.1. D’abord, elles peuvent présenter, entre [A] et [Z], des indices d’une syntagmatique de type inférentiel :

(56)  (a) Diego – [...] Je vis pour ma cité et pour mon temps.
  La Peste – Le temps des esclaves !
  Diego – Le temps des hommes libres !
  La Peste Tu m’étonnes. J’ai beau chercher. Où sont-ils ? (A. Camus, L'État de siège, 1948, f)

(b) Personne ne m’acceptera plus désormais J’ai beau / demander la charité Madame l’aumône ou ma vie / Que me répondrait-elle par une chaleur si suffocante (L. Aragon, 1921-1925, f)

(c) Il a beau être convaincu que ce saphir qu’on lui propose est le même que celui qui lui a été volé dix-neuf ans plus tôt, que peut-il prouver ? (presse, Le Temps, 9.1.2016, p. 3)

(d) Si un truc pareil arrivait à sa fille... Mais qu’est-ce que tu veux faire ? Xavier en parle souvent avec Sélim et il a beau prétendre qu’il enfermerait la petite, c’est un peu court. (V. Despentes, Vernon Subutex, t. 3, 2017 : 141)

Dans (56a-c), [Z] est doté d’une modalité interrogative, et la conséquence niée (respectivement « je ne trouve pas », « elle ne répondrait rien », « il ne peut rien prouver ») n’en est qu’un sous-entendu : si couplage il y a, il est d’ordre pragma-syntaxique (ou discursif), au sens développé par le Groupe de Fribourg (2012). Dans (56d), et si tant est que cela soit nécessaire, il est difficile de restituer un stéréotype inférentiel contrarié (§ 12) ; c’est un peu court se présente plutôt comme un commentaire méta- du contenu propositionnel de [AB + Vinf], c’est-à-dire des vaines menaces du père du la petite.

53.2. D’autres données de corpus, particulièrement intéressantes, mettent en jeu du discours rapporté, voire des structures dialogiques complexes :

(57)  (a) Le feu qui meurt a beau nous faire signe : « Allez vous coucher, mes enfants ! » les bougies ont beau crier : « Au lit ! au lit ! Nous sommes brûlées jusqu’aux bobèches. » – « On ne vous écoute pas », leur dit Jacques en riant, et notre veillée continue. (A. Daudet, 1880, f)

(b) Cette enfant de huit ans se refusait en effet à éprouver la moindre douleur. On avait beau l’opérer d’un panaris, ou lui ôter une écharde du doigt. « Tu as mal ? » demandaient les parents. « Non », disait-elle. (J. Paulhan, Guide d’un petit voyage en Suisse, 1947, p. 34)

(c) Nietzsche a beau nous recommander une danse de la plume : « Savoir danser avec les pieds, avec les idées, avec les mots : faut-il que je dise qu’il est aussi nécessaire de le savoir avec la plume, - qu’il faut apprendre à écrire ? ». Flaubert savait bien, et il avait raison, que l’écriture ne peut être dionysiaque de part en part. « On ne peut penser et écrire qu’assis », disait-il. (J. Derrida, 1967, f)

(d) L’éducateur a beau lui répéter : « Tout ça n’est pas de ta faute », il répond : « En vrai de vrai, si, c’était de ma faute. Quand t’es dans la rue, avec ton joint et tes yeux explosés, que t’es habilllé comme un clochard... Les gens qui donnent les conseils, ils vont pas venir te voir, ils vont avoir peur. [...] » (presse, Le Monde, 5.6.2021)

(e) Là, on parle de toi De ton boulot Tes deux enfants Tes problèmes de dos On a beau en faire un drame On a beau verser des larmes Je ne sais plus qui m’a dit " Tu t’en remettras " (écrit, frWaC, web, sic)

Dans (57a) et (57e), [AB + Vinf] figure dans la diégèse, alors que l’expression de la cause contrariée figure dans un discours direct ; et dans (57b), elle consiste même en un petit échange question-réponse ! Le contenu des discours directs est également mobilisé dans (57d) pour l’élaboration de la relation concessive (§ 12). À l’évidence, il paraît difficile de traiter les séquences de ce type en termes de dépendance syntaxique ou de subordination. Il y a là un rendement spécifique aux concessives modales : s’il serait envisageable dans (57) de remplacer AB par PB, il serait bien plus difficile d’y faire figurer bien que ou même si.

53.3. Le marqueur concessif modal est particulièrement prisé aussi dans les listes énumératives et autres anaphores rhétoriques, qu’elles soient de niveau infra-clausal (58a) ou de niveau clausal (58b-c). Déjà illustré chez R. Garnier à la fin du XVIe, ce rendement fort utile mériterait, me semble-t-il, d’être pris en compte dans les ouvrages à vocation didactique :

(58)  (a) L’oncle Édouard a eu beau faire, beau s’évertuer, s’époumoner... ils démordaient pas de leur avis. (L.-F. Céline, 1936 in TLFi, s. v. beau)

(b) J’ai beau dire qu’il ne faut pas diaboliser Sarkozy. J’ai eu beau dire et répéter que « Sarko = facho » est un mot d’ordre débile Il a vraiment, là, franchi la ligne jaune. (presse, Le Nouvel Observateur, 3.5.2007)

(c) Le gouvernement a eu beau passer un accord avec Yahoo, Google et les autres moteurs de recherche, pour « purger » les informations qu’un internaute chinois peut trouver en tapant « Tiananmen » ; il a eu beau faire en sorte que les manuels scolaires « oublient » les évènements ; il a beau, encore, bloquer depuis mardi les sites Twitter, Flickr, Hotmail et les journaux télés étrangers ; il a eu beau, même, multiplier les arrestations d’opposants ces derniers jours ; il a eu beau, enfin, envoyer des centaines de policiers occuper la place Tiananmen, dès mercredi, – histoire d’éviter que les étudiants ne remettent le couvert – rien n’y fait. Pékin ne passera pas à travers les mailles du filet. (presse, Le Journal du Dimanche, 4.6.2009)

(d) J’ai beau savoir que la mer est d’huile au large de Gozo. J’ai beau savoir qu’on frise les 35 degrés sur les plages bituminées de Malte et ses façades de mer hyper-construites. J’ai beau savoir que les seuls icebergs qu’on peut trouver dans les fonds sous-marins ressemblent davantage aux zodiacs de la sécurité militaire de Malte ou aux vedettes rapides que les paparazzi s’arrachent à prix d’or.           
J’ai beau savoir ça, ll me semble que la température a fortement baissé tout à coup. (écrit, web, sic, apud Conti & Béguelin 2010, p. 283).

Autre exemple particulièrement développé:  Exemple 

    Vous avez beau savoir qu’autour de la cinquantaine la femme vit et éprouve quelques bouleversements physiologiques et psychologiques car vous vivez dans une société de surinformation, vous avez beau lire la presse féminine, l’éplucher au bureau, à la cantine ou chez vous, en recueillir les témoignages et conseils, passer d’un magazine à l’autre, zapper les articles trop compliqués, les interviews de Nobel de médecine, vous avez beau consulter les gynécologues ou fréquenter les centres de consultation spécialisés comme le recommandent les grandes campagnes de santé publique, vous avez beau entendre parler de dépistage des cancers dits féminins, d’examens de mammographie, du risque de l’ostéoporose, de mises en garde et de tout un arsenal de mesures de prévention, vous avez beau faire main basse sur des stocks de capsules de soja ultra concentrées et autres dérivés miracles anti-ménopause, anti-âge vendus dans les pharmacies et parapharmacies, vous avez beau savoir que tout ça c’est la faute aux œstrogènes qui foutent le camp, fuguent et désertent la maison ovarienne, que cet abandon progressif puis définitif du domicile va marquer un coup d’arrêt irréversible à l’horloge biologique féminine qui s’était mise en route il y a quelques décennies, vous avez beau savoir que la machine ovarienne en cessation d’activité dépose le bilan hormonal de la vie des femmes avec pour solde des bouffées de chaleur, des sueurs nocturnes et avec pour corollaire des draps trempés qui bousillent vos nuits, une libido capricieuse qui flanche, une ostéoporose qui tricote de la dentelle, une prise de poids assortie de mauvaise humeur et du syndrome de la bedaine, et autres joyeusetés, vous avez beau savoir que la ménopause signe la fin d’un cycle naturel, celui de la fécondité féminine, elle sonne pourtant pour la plupart des femmes le glas du vieillissement de l’horloge biologique, du vieillissement tout court. Vous avez beau savoir que la ménopause n’est pas une maladie, vous n’arrivez pas à vous résoudre à ce déterminisme, à subir le sabotage et la mort des hormones, même si en réalité les règles et ses manifestations n’ont jamais été auparavant une partie de plaisir. (web)

Resterait à vérifier si PB connaît, lui aussi, de tels rendements. Et à s’intéresser, dans une perspective inter-linguistique, aux traductions auxquelles peuvent donner lieu les emplois de ce genre.

 


6. Réflexion sur les données.


61. Beaucoup de descriptions des concessives modales ont été proposées sur la base de documentations très limitées, ou faisant appel à des données forgées pour les besoins de la démonstration. C’est le cas dans les passages cités plus haut de la Grande grammaire du français (Abeillé et al. 2021), où les concessives avec AB et PB ne sont pas illustrés par des exemples sourcés. À cet égard, il ne serait pas inutile de s’inspirer des médiévistes et des auteurs d’études diachroniques qui, par la force des choses, ne peuvent travailler que sur des données attestées. La vigilance du philologue ne devrait-elle pas être préconisée même quand il s’agit de français contemporain ? À défaut, on risque de céder à l’illusion normative, de limiter la description au ‘déjà connu’ et de passer à côté des faits les plus significatifs.

62. Qui aurait prédit par exemple, sur la seule base de l’intuition, ces deux emplois de AB :

(59)  (a) Sara Forestier est une joyeuse tornade, même si elle a beau prévenir d’une éventuelle baisse de régime. Ses premiers mots : « J’ai dormi une heure. Je ne sais même plus comment je m’appelle ! » (presse, Libération, 24.7.2019, p. 24) [ = « même si elle peut (bien / toujours) prévenir d’une éventuelle baisse de régime »].

(b) merci également à Stéphane Robert \ alors (sur registre bas, signalant la transition vers un autre sujet) si le dossier retraites a beau occuper l’essentiel aujourd’hui du débat politique il n’apparaît pas en revanche (respiration) dans l’agenda public du chef de l’État en ce début d’année le président préfère lui s’afficher sur ses autres priorités les crises internationales nous y reviendrons mais aussi la lutte contre le communautarisme la défense du climat sans oublier l’attractivité économique de la Francef (oral, France Culture, Journal de 12h30, 13.1.2020 ; clair effet de redépart sur le si, puis prononciation « d’une seule traite », sans rupture après État ; f en exposant = intonème final. L’exemple a été vérifié sur le podcast de l’émission.)

Notre marqueur apparaît ici dans des protases hypothétiques où il est utilisé comme simple verbe modal, surmarquant une relation d’opposition sémantique entre la si-P et la ‘principale’. De même, un exemple atypique comme (60) – où [AB + Vinf] figure dans une relative appositive, alors qu’une relation de ‘causalité niée’ est exprimée dans la ‘principale’ – est aussi important pour l’argumentation linguistique que les diptyques [AZ] de Type 4 qui se présentent par centaines, mais dont la structure syntaxique est équivoque :

(60)  Lors de la diffusion d’une finale Angleterre/Italie, il [= Nino, le héros du film Pain et chocolat] se mêle aux clients d’un bistrot, supporters pour l’occasion de l’équipe anglaise. Mais Nino, qui a beau siffler la Squadra Azzura pour complaire aux autochtones, va finalement hurler sa joie quand un de ses compatriotes marque le but de la victoire. (T. Benacquista, Porca miseria, 2022, p. 119)

On voit qu’il reste du travail à fournir pour documenter nos structures aussi largement que possible, notamment en faisant place aux données orales.

63. D’après un premier sondage effectué dans le corpus Orféo, j’ai pu observer que [AB + Vinf] n’est pas aussi fréquemment attesté en français parlé qu’on pourrait l’imaginer ; et quand il est utilisé, le corrélat [Z] n’est pas forcément présent comme il l’était dans (4c-e) présentés au début :

(61)  (a)
L1 : c’est ils sont ils sont délirants quoi ça enfin et puis alors faut pas leur parler des Boches hein parce que c’est encore c’est encore bien là hein ah ouais ouais ouais ils ont beau euh ils ont beau essayer de s’ouvrir euh
L2 :  et ça se transmet de génération en génération parce que ces gens ils ont quelles
L1 : ben ouais parce que moi enfin si je connais le mot Boche c’est bien pour parce qu’on me l’a dit hein et puis on me l’a répété hein (oral, Orféo, CRFP)

(b)
L1 : mais je pense que ce qui lui a mis un coup c’est de voir euh | _ | l’école et pis les copains parce que là il se rend compte que il a beau poser des questions à sa fille euh 
L2 : ben ouais où il se rend compte ben ouais qu’elle est dans un | _ | ben dans un milieu comme ça pis c'est vrai que c’est important de bien la | _ | la cadrer la surveiller (oral, Ofrom)

(c)
L1 : évidemment on aura beau leur dire mais vous savez tous les allemands sont pas comme ça puis c’était les allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale ils étaient comme vous enfin ils essayaient de se démerder comme vous et caetera bon ben après c’est pas c’est bon mais nan hein 
L2 : en plus ici il y a une espèce de mémoire permanente non euh de de ce qui s’est passé (oral, Orféo, CRFP)

(d)
L1 : c’est des choses qu’on nous dit nous aussi en oral et euh moi j’ai je je j’ai eu quelques profs tu sais tu te dis ouais mh euh euh ben faut faire cours à des petits quoi faut pas faire cours à quatre-vingt jeunes adultes \ c’est pas un problème d’intérêt tu vois tu as beau être intéressé \ tu mets des gens euh tu mets des gens de quarante-cinq ans euh des in- des intellectuels si tu veux à mon avis dans un colloque où tu as un un mec qui est en train de s’endormir sur sa feuille et qui lit mot pour mot avec le nez collé qui regarde jamais son public 
L2: mh mh ouais ouais ouais 
L1: mh mh euh je il y en a quelques-uns qui vont s’endormir 
L2: ouais 
L1: tu vois (oral, Orféo, TUFS)

(e)
L1 : par exemple on avait beau chercher quelque chose ma mère voulait voir un petit film que mon fi- mon mari avait fait - et puis je trouvais pas alors je dis à Christopher où tu vas voir les photos que papa fait (?)
L1/L2 : [1] il a trouvé [2]mais euh mais ouais 
L2 : c’était évident 
L1 : trois ans 
L2 : exactement (oral, Orféo, CFPB 1050-1, minute 46:10)

Dans (61a-b), [AB + Vinf] est assorti de marques d’hésitation (piétinement, euh), qui se soldent par un abandon du tour de parole, comme si le locuteur avait omis de planifier la suite de son propos. Dans (c), la séquence transcrite par « bon ben après c’est pas c’est bon mais nan hein » – plutôt indistincte à la vérité – laisse penser que le locuteur ne réussit pas à renouer, à l’issue d’un long discours rapporté direct, avec le fil de son propos. Quant à (61d), il présente, si diptyque il y a, un ordre [ZA], v. (38) supra, ce qui n’est pas, dans les corpus consultés, un cas isolé. Dans (e) enfin, l’explication la plus plausible est qu’il s’agit d’un emploi indépendant de Type II, non concessif, au sens de « on cherchait vainement quelque chose ». De plus amples recherches seraient bien entendu à mener, pour lesquelles il faudrait pouvoir disposer de très importants corpus oraux (pour donner un ordre de grandeur, Ofrom, qui compte un peu plus d’un million de mots, contient 8 occurrences de AB ; et dans CPFQ (712 300 mots), on peut relever une petite vingtaine d’exemples de avoir (ben) beau).

64. Sans surprise, les analyses et descriptions proposées pour nos diptyques dépendent crucialement des faits pris en compte, ou au contraire ignorés, par les différents auteurs. Fidèle aux objectifs de l’Encyclopédie grammaticale du français, j’ai choisi dans cette notice de mettre à disposition beaucoup de données authentiques, afin que chacun soit en mesure d’évaluer la robustesse des modèles descriptifs en circulation et d’en proposer d’autres le cas échéant. J’ai aussi mis en avant certains spécimens atypiques, non par goût pervers pour le fait bizarre, mais parce que les données marginales peuvent être, plus que les données majoritaires, révélatrices de la façon dont les locuteurs perçoivent et segmentent les structures syntaxiques à l’étude. Cependant, quel que soit l’empan des corpus prospectés, et même quand il s’agit de l’époque moderne, le chercheur est confronté au caractère lacunaire des corpus à disposition, qui restent trop limités et qui sont encore loin d’illustrer dans son ampleur réelle la variété des parlures et des genres discursifs.

 


7. Conclusion.


Les principaux enseignements que l’on peut retenir de cette notice sont les suivants.

La thèse d’une subordination (ou d’une stricte « préfixation ») de [A] dans les concessives modales de structure [AZ] s’appuie essentiellement sur des arguments que l’on retrouve d’une étude à l’autre, comme l’« incomplétude » sémantique de [A] (et sa contrepartie, la « nécessité » de [Z]) ; l’équivalence entre [A] et les structures en bien que, quoique... ; l’ordre, jugé fixe, des deux membres du dyptique, leur contiguïté, syntagmatique et intonative ; enfin, leur comportement comme un tout en subordination. Or, on a vu qu’aucune de ces considérations ne résiste à un examen attentif des données.

On a pu voir notamment que les concessives modales du français ont un fonctionnement bien à elles, et qu’elles ne commutent pas en toutes circonstances avec les ‘subordonnées’ concessives ou concessives-conditionnelles dont on a coutume de les rapprocher. Certes, il se pourrait que le sentiment d’une équivalence avec la structure en bien que, quoique, ait joué au XVIIe (en français d’Europe tout au moins) en faveur d’une extension des emplois ‘paratactiques’ de AB, au détriment de ses emplois syndétiques de Type III (§ 41.1.3), suivi d’une coalescence de [A] et [Z]. Mais, en contrepartie, la proximité fonctionnelle de AB avec PB et avec [c’est bien beau de Vinf] a pu contribuer, plus récemment, à la reviviscence d’emplois de Types I-III. Raison pour laquelle il a paru utile de rapprocher ici ces structures qui semblent osciller entre concession argumentative, en deux étapes, et concession logique, en une étape.

À cet égard, j’espère avoir montré ci-dessus le caractère général, panchronique, des calculs de pertinence qui déterminent l’interprétation de certaines locutions à vocation concessive : non seulement AB et PB, mais aussi [c’est bien beau de Vinf], voire [avoir beau jeu de Vinf]. J’espère avoir montré en outre qu’il convient d’examiner avec soin la nature du contexte sémantique dans lequel interviennent nos locutions, avant de tirer des conclusions hâtives sur leur éventuelle incomplétude syntaxique.

Il s’est avéré, à propos de nos diptyques [AZ], que ni l’hypothèse du caractère dépendant de [A], ni celle de son caractère indépendant, ne pouvaient rendre compte avec généralité des données observables. Pour la période moderne, il est possible de relever, comme pour les périodes précédentes, des faits allant dans le sens d’une coalescence aboutie, d’autres allant dans le sens d’une possible autonomie. Cela invite le grammairien à revisiter quelque peu ses pratiques : sa propension pour les segmentations univoques et les catégories bien tranchées risque en effet de lui faire manquer un aspect essentiel du fonctionnement linguistique : les réinterprétations auxquelles les locuteurs soumettent à tout moment la langue. Ainsi, l’exemple suivant est analysable de deux manières, dont il serait scientifiquement peu rigoureux de préconiser l’une au détriment de l’autre :

(62)  Ces ânes ont la peau si dure, que j’ai beau piquer des deux, ils n’en vont pas plus vite. (Diderot, 1762, f)

G1 : ℰ (Ces ânes ont la peau si dure, [que j’ai beau piquer des deux]), ℰ (ils n'en vont pas plus vite).

G2 : ℰ (Ces ânes ont la peau si dure, [que j’ai beau piquer des deux, ils n’en vont pas plus vite])

Et pour l’époque moderne, si (48-51) reflètent selon toute apparence G2, c’est G1 qui explique le mieux (52)-(53), (56)-(57). Quant à (3)-(6), ils peuvent être indifféremment analysés à l’aide de G1 et de G2, ce qui justifie, d’un certain côté, les hésitations des grammairiens.

Les divergences de points de vue sur la relation entre [A] et [Z] dans nos binômes sont donc en elle-mêmes instructives. Elles reflètent non seulement une attention insuffisante aux différentes possibilités de segmentation, mais des dissensions plus générales, qui concernent en particulier :

(i) Le fonctionnement et les limites de la rection. voir  Notice 

(ii) La définition des unités maximales de la micro-syntaxe (Groupe de Fribourg 2012 ; Béguelin, Corminboeuf & Lefeuvre 2020). Voir  Notice  'Phrase' ;

(iii) L’empan des données à décrire, le statut à conférer aux faits linguistiques marginaux ou récessifs. (Béguelin et al., à par.)

(iv) La façon de décrire les phénomènes de coalescence, où l’on tend à voir systématiquement des évolutions diachroniques, alors qu’il s’agit vraisemblablement parfois, comme dans le cas des concessives modales, de changements, synchroniques et réversibles, au sens où l’entendait H. Frei (1982 = 1929, p. 29).

L’unification des savoirs en syntaxe restera me semble-t-il hors de portée tant que des réponses consensuelles n’auront pas été apportées à ces questions épistémologiques de fond.

 


8. Annexes.



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Note 1:

Note 2:

Note 3:

Note 4:

Note 5:

Beau. Son sens est toujours énigmatique, surtout dans la locution avoir beau : « On a beau dire... » « J’ai beau faire, tout m’intéresse » (Valéry) ; « On a beau être bien conservé, ce n’est jamais que de la conserve » (René Dorin) ; « J’ai beau en écouter, je n’arrive pas à aimer Wagner. – Ça ne fait rien, Madame » (Debussy ?). Chamfort renchérit dans ces deux citations assez perverses : « Un homme disait à table : ‘J’ai beau manger, je n’ai plus faim’ », et : « Un homme fort riche [peut-être le même] disait en parlant des pauvres : ‘On a beau ne rien leur donner, ces drôles-là demandent toujours.’ » Cette remarque est restée d’actualité, tant l’ingratitude nourrit l’obstination. Et encore, imparable, je ne sais plus où chez Giono : « Ils avaient beau se surveiller, ils se surveillaient trop. » (G. Genette, 2006, f, cité par Béguelin & Gachet 2021)

Note 6:

Note 7:

Note 8:

Il avançait le pas comme un dératé. Mais il avait mauvais marcher sur ces pentes de pierres, de fougères, de racines. (H. Pourrat, 1930, f ; relevé par Damourette & Pichon § 1129. t. III, p. 599 ; v. plus bas (17a))

Note 9:

In a group adjective + infinitive like beau faire, the adjective may either remain a mere determinant of the verbal substantive or receive predicative value (cf. Paul, 1890, p. 135, §§ 206-207). Compare I see the red chair with I see the chair red. (1934, p. 1008)

Note 10:

(...) presque toujours, la locution j’ai beau faire est suivie par une proposition qui précise ce à quoi l’activité déployée s’oppose en vain. (§ 1129, t. III, p. 599)

Note 11:

Note 12:

Note 13:

Note 14:


 

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