L’expression [c’est bien beau de Vinf] est rare dans Frantext (seulement 6 occurrences au total, auxquelles peuvent être ajoutées trois occurrences de [c’est bien joli de Vinf]). Mais on en trouve aisément des attestations dans la presse (en particulier dans des discours rapportés directs), ou sur l’internet. Et l’on retrouve clairement en ce cas les Types d’emplois I-V dégagés plus haut à propos de AB.
– Hors concession, [c’est bien beau de Vinf] peut en effet, quoique rarement, évaluer un fait positivement (Type I) :
(I) Mes souvenirs d’émotion sont infinis. Je lis Dieu de Hugo. C’est bien beau de revoir un gnostique qui s’ignore. (M. Barrès, 1914, f ; = « c’est une belle expérience de... »)
– Plus couramment, il est au service d’un jugement négatif (Type II ; v. dans (IIa) la glose « tu as aucune chance ») :
(II) (a) Quand on te dit « C’est
bien beau de rêver » en voulant te dire tu as aucune chance,
t’es gentil(le) mais cela ne marchera pas !
Réponds : Oui c’est Beau de rêver c’est même ce qu’il y a de plus
Beau ! (web, automne 2020)
(b) C’est bien beau de traiter les gens de blaireaux et de vouloir imposer des choses pour lesquelles on a aucun recule. De plus vous privez obligatoirement de liberté toutes personnes ne pouvant se faire vacciner pour des raisons médical. (web, automne 2020, sic)
(c) C’est bien beau de savoir que la vache est creusoise si les Creusois ne peuvent pas l’acheter. (presse, La Montagne, 2010, LexisNexis)
(d) C’est bien beau de parler d’une augmentation de 40 % de l’investissement quand on a commencé par le laisser s’écrouler ! (presse, La Montagne, 2010, LexisNexis)
Dans (IIb), le contenu même des syntagmes infinitivaux coordonnés (traiter les gens de blaireaux et vouloir imposer des choses...) oriente vers une lecture antiphrastique de [c’est bien beau de Vinf]. (IIc-d) implicitent, eux aussi, l’inutilité du procès dénoté par le verbe à l’infinitif, anticipant sur l’orientation argumentative de la si-P, respectivement de la quand-P qui suit. (On pourrait reformuler ces exemples à l’aide de l’expression ironique familière « Ça nous fait une belle jambe de savoir que la vache est creusoise », etc.) Comparer la gamme d’interprétations associées à c’est une belle journée pour un pique-nique par D. Sperber & D. Wilson (1989, p. 358-360).
– [C’est bien beau de Vinf] apparaît également en contexte de coordination (Type III), dans des structures qui font fortement penser aux concessions argumentatives commentées par M.-A. Morel (1996, p. 15-18), C. Rossari (2016) et M. Svensson (2018), à ceci près qu’elles contiennent dans leur proposition initiale non pas un marqueur épistémique (certes, je sais, c’est vrai, d’accord, etc.), mais un adjectif axiologique (beau), appuyé par un bien confirmatif :
(III) (a) C’est bien beau d’investir, mais il faut pouvoir rembourser les emprunts. (Presse, Le Monde, 2003, LexisNexis).
(b) C’est bien beau de faire du jeu, mais il faut scorer. (Presse, La Montagne, 2010, LexisNexis)
(c) Car c’est bien beau d’inciter le consommateur à restituer ses déchets, encore faut-il pouvoir les lui reprendre afin de les retraiter. (Presse, Le Monde, 2002, LexisNexis)
(d) Bruno Le Maire : « C’est bien beau de distribuer du pognon, maintenant va falloir rembourser ! » (web, automne 2020)>
– Il existe, enfin, des réalisations ‘paratactiques’, correspondant à notre Type IV :
(IV) (a) C’est bien beau de faire des actions magnifiques. Il faut assumer derrière. (Presse, L’Indépendant, 2009, LexisNexis)
(b) C’est bien beau de s’amuser
Il faut penser à manger (Paroles de chanson, web)
(c) C’est bien beau de parler, il va falloir se mettre dedans (à propos d’un rallye, titre de presse, Dernières Nouvelles d’Alsace, 2012, web)
(d) En résumé : c’est bien beau de crier contre « les politiciens » et « électrons libres » de tous bords, il faut déjà assumer ses propres devoirs, comme la solidarité. (Presse, L’Est républicain, 2008, LexisNexis)
Comme (13) et (14) supra, les séries (III) et (IV) se
distinguent par la présence ou l’absence d’un connecteur intermédiaire,
adversatif ou assimilé (mais, encore + Pinv, n’empêche,
maintenant, etc.). Dans (IV), le contenu approbatif de [C’est bien beau de Vinf]> est limité, voire contredit a posteriori
par celui de la proposition qui suit et la notion d’opposition (§
1.1.2) ou d’adversation (Corminboeuf 2014) s’applique assez bien. Il
n’est pas exclu toutefois que le contenu de [C’est
bien beau de Vinf] soit
d’emblée reçu comme une approbation insincère – interprétation que le contenu
de la clause suivante ne fait alors que confirmer. Les exemples (III) et (IV)
se présentent ainsi comme deux types différents de concessions argumentatives,
l’un syndétique et l’autre paratactique. Le cas de l’actuel [C’est bien beau de Vinf] aide à comprendre comment ont pris
naissance, un certain nombre de siècles plus tôt, les diptyques concessifs avec
AB.