Indéfinis de quantité peu élevée (quelques et plusieurs)

 >Page pers.    Philippe Gréa
(07-2022)

Pour citer cette notice:
Gréa (P.), 2022, "Indéfinis de quantité peu élevée (quelques et plusieurs)", in Encyclopédie grammaticale du français,
en ligne: encyclogram.fr
DOI ; https://nakala.fr/10.34847/nkl.f4371ue5



1. Découpage du domaine.



1.1. Introduction

À première vue, la différence entre quelques et plusieurs n’a rien d’évident. Les deux sont des déterminants indéfinis qui expriment une quantité imprécise généralement conçue comme peu élevée (par opposition, par exemple, à des qui ne spécifie rien de cet ordre). Dans ces conditions, les grammaires traditionnelles ne perçoivent généralement pas de différence significative entre les deux. À titre d’exemple, Grevisse & Goosse (2008 §632-633) considèrent que « quelques indique un nombre imprécis, mais peu élevé » tandis que plusieurs « indique un nombre supérieur, soit à un, soit à deux (mais généralement peu élevé) ». Si l’on s’en tient à ces gloses, les deux déterminants sont vus comme synonymes : ils expriment une quantité imprécise à valeur de paucal et une revue des autres grammaires aboutit à peu près au même résultat (Bacha, 1997, p. 51‑52 ; Gaatone, 1991, p. 3‑4 ; Gondret, 1976, p. 146). Cette hypothèse semble être confirmée par de nombreux exemples dans lesquels quelques et plusieurs sont interchangeables et ont (à peu près) le même sens (1).

(1)  (a) Nous avons assisté à {quelques/plusieurs} réunions. (Gaatone, 1991, p. 4)

(b) Dans la salle, {plusieurs/quelques} personnes ont protesté. (Bacha, 1997, p. 53)

Comme l’ont montré de nombreux auteurs, cependant, il existe beaucoup d’autres contextes où la substitution d’un déterminant par l’autre donne une phrase asémantique ou provoque un changement de sens (notés à l’aide d’un # à l’initial de l’exemple) ou donne lieu à des phrases étranges (notées ?), voire agrammaticales (notées *).


1.2. Quelques, plusieurs et les cardinaux numéraux

1.2.1. Une première divergence très régulièrement avancée dans la littérature s’observe dans les contextes dits « restrictifs » que l’on obtient à l’aide de ne… que, seul(ement), suffire, à peine, etc. et dont on donne des exemples en (2). Dans ce contexte, quelques ne pose aucune difficulté (contrairement à plusieurs) et semble donc se rapprocher, au moins sur ce point, des déterminants numéraux (un, deux, trois, etc.).

(2)  (a) Ça coûte seulement {quelques/?plusieurs/trois} euros.

(b) {Quelques/?Plusieurs/Trois} livres me suffisent.

1.2.2. Dans une conférence de 2002, Corblin s’intéresse pour sa part à la modification des numéraux nus en (3), en vue de définir plus précisément la catégorie des déterminants indéfinis (qui occuperaient, selon l’auteur, une place intermédiaire entre quantification et référence).

(3)  {au moins/au plus/exactement/à peu près/en tout} trois personnes

À cette occasion, l’auteur étend son analyse des numéraux aux trois indéfinis imprécis que sont des, quelques et plusieurs et pour lesquels il propose les jugements suivants :

(4)  (a) *Il y avait des étudiants {exactement/en tout}.

(b) Il y avait plusieurs étudiants {?au moins/*au plus/*en tout/*exactement/*à peu près}.

(c) Il y avait quelques étudiants {?au moins, *au plus, *en tout, *exactement, *à peu près}.

Comme le souligne Corblin (2002) lui-même, ces jugements peuvent toutefois varier selon les locuteurs et de fait, Paillard (2006) en remet une partie en cause en considérant que au plus et au moins, s’ils ne peuvent effectivement modifier des et plusieurs (5a), se combinent correctement avec quelques (5b).

(5)  (a) ??J’ai vu {au moins/au plus} {des/plusieurs} films de Godard.

(b) J’ai vu {au moins/au plus} quelques films de Godard.

Selon Paillard (2006), les exemples (5) tendent à montrer que quelques fixe une quantité (comme les cardinaux) sans toutefois en spécifier le cardinal (contrairement aux cardinaux). En cela, quelques serait finalement assez différent de plusieurs et des qui, eux, sont de véritables indéfinis (ils ne fixent ni ne spécifient aucune quantité).

1.2.3. Deux autres contextes problématiques, que nous reprenons à Paillard (2006), tendent aussi à rapprocher quelques des numéraux : il entre dans la construction <à n N près> (6) ou se combine avec les déterminants définis, démonstratifs ou possessifs pour prendre une valeur adjectivale (7). On fera toutefois remarquer que dans ce dernier cas, la combinaison d’un défini avec quelques exige une relative ou un adjectif pour constituer un GN acceptable : les quelques étudiants qui se sont présentés/les quelques étudiants présents (vs. les trois étudiants).

(6)  À {dix/?plusieurs/quelques} étudiants près

(7)  {Les/Ces/Mes} {dix/?plusieurs/quelques} étudiants

Mais comme le souligne Paillard (2006), d’autres données montrent que quelques a aussi des propriétés qui l’opposent à la fois aux numéraux et à plusieurs. En effet, quelques se combine mal avec différent (8), il n’est pas capable d’opérer une partition (9), et pour finir, il ne peut pas s’employer pronominalement (10) et doit être remplacé par sa contrepartie pronominale : quelques-un(e)s.

(8)  {Deux/plusieurs/?quelques} étudiants différents

(9)  {Deux/Plusieurs/*Quelques} des étudiants

(10)  Des livres, j’en ai pris {deux/plusieurs/*quelques}.

Signalons que les exemples (9) et (10) soulèvent la question de l’analyse syntaxique de ces syntagmes nominaux. On peut ainsi se demander si nous avons affaire des emplois adjectivaux (analysés comme déterminants) ou bien des emplois nominaux (analysés comme pronoms). Dans le dernier cas, la question reste ouverte de savoir comment analyser plusieurs ou quelques-uns (Sleeman, 2003).


1.3. La quantité peu élevée

1.3.1. Une autre question récurrente à propos de quelques et plusieurs consiste à se demander quelle quantité ils dénotent (même si elle est imprécise), et si l’un des deux dénote une quantité plus importante que l’autre. Sur ce point, les avis sont très variables. Certains auteurs, en se fondant sur leur propre intuition, ont pu être amenés à spécifier une borne supérieure identique pour les deux déterminants. Ainsi, en s’appuyant sur les exemples (11), Kupferman (2013, p. 79) affirme que la borne inférieure imposée par plusieurs/quelques est de 3 (raison pour laquelle dans (11b), et selon l’auteur, ils ne peuvent pas quantifier les côtés d’un triangle – qui sont au nombre de 3 – contrairement aux côtés du carré) tandis que la borne supérieure se situe à 10 (toujours selon l’auteur).

(11)  (a) Elle a dessiné {*un triangle / un carré} : {quelques/plusieurs} côtés étaient en rouge.

(b) Dans la forêt d’à côté, on a planté {plusieurs/quelques} arbres, dont {???vingt-cinq/??quinze/?onze/neuf/sept} chênes, qui ont dû été arrachés.

1.3.2. Dans le même ordre d’idée, Bacha (1997) et Leeman (2004, p. 165) mettent en place un protocole expérimental au cours duquel on pose à des sujets (en l’occurrence, une centaine d’étudiants de l’Université Paris Nanterre et une centaine d’étudiants de la Faculté des Lettres de Sousse) les questions suivantes :

(12)  (a) J’ai invité quelques amis à dîner : combien y en avait-il à peu près selon vous ?

(b) J’ai invité 20 personnes, quelques-unes sont venues : combien y avait-il de présents ?

(c) J’ai invité 20 personnes, plusieurs ne sont pas venues : combien à peu près selon vous ?

Sans entrer dans les détails, les résultats de l’enquête (pour les locuteurs natifs du français) ne permettent pas d’affirmer que quelques et plusieurs correspondent à des quantités différentes, même si Leeman (2004, p. 166) note l’existence d’un « petit écart [qui] tendrait à faire penser que plusieurs évoque une quantité légèrement plus importante que quelques ». Pour les étudiants tunisiens, à l’inverse, la quantité associée à plusieurs s’avère beaucoup plus importante que celle associée à quelques. Bacha (1997) l’explique par le fait qu’en arabe dialectal (tunisien) « on utilise les adverbes yasser ou barcha ‘beaucoup’ pour exprimer une quantité supérieure à deux » (p. 53).

1.3.3. Ce qui n’est qu’une tendance peu significative aux yeux de Leeman se trouve affirmé avec plus de force dans plusieurs grammaires telles que Chevalier (1980) ou Arrivé et al. (1986, p. 328). Ces derniers, par exemple, considèrent que « quand il est opposé à quelques, plusieurs (peut-être en raison de son étymologie [cf. Section 3.3.3.]) vise une quantité plus importante ». Pour justifier ce point de vue, les auteurs s’appuient sur l’exemple (13), où la reprise pronominale en plusieurs est interprétée (par les auteurs) comme dénotant une quantité de verres plus importante.

(13)  Il a bu quelques verres. – Dis plutôt qu’il en a bu plusieurs.

Gondret (1976, p. 148), qui s’intéresse à un exemple similaire, en a cependant une tout autre interprétation et ne voit là aucun argument en faveur d’une supériorité de plusieurs sur quelques. Au contraire, il en vient à conclure, à contre-pied des auteurs précédents, « que dans le discours, souvent, plusieurs s’applique à une quantité plus petite que quelques ». Ce point de vue, que nous partageons, se justifie entre autres par le caractère relatif de quelques (cf. Section 1.3.5.).

1.3.4. La question de la quantité dénotée par les déterminants, dont on voit qu’elle ne fait pas consensus, se complique un peu plus lorsqu’on prend en compte une autre expérience que l’on doit cette fois à Spector (2006, p. 244‑245) et qui consiste à inverser le protocole utilisé par Leeman (2004) et Bacha (1997). Au lieu de demander aux sujets combien d’entités sont évoquées par un déterminant donné, il demande aux sujets d’évaluer la vérité des phrases (14) en relation à des feuilles de papier sur lesquels figurent un, deux, trois, ou plus de trois points.

(14)  (a) Il y a quelques points sur la feuille.

(b) Il y a plusieurs points sur la feuille.

Spector (2006) en arrive ainsi à la conclusion que quelques N s’applique finalement assez mal à une situation dans laquelle le cardinal de l’ensemble dénoté par N est égal à deux (qui, en somme, est la plus faible quantité possible au pluriel). Ainsi, l’exemple (14a) a pour effet de provoquer un certain inconfort s’il doit référer à deux points uniquement. Pour que cet énoncé soit considéré comme vrai, il faut que le nombre de points soit plus important, sans qu’il soit toutefois possible de définir précisément un seuil minimum à partir duquel la phrase serait vraie. Le cas de (14b) soulève quant à lui beaucoup moins de difficultés : Il y a plusieurs points sur la feuille est vrai à partir de l’instant où le nombre de points est supérieur ou égal à deux. Spector (2006) en conclut que quelques a une sémantique vague et qu’il s’oppose sur ce point à plusieurs (p. 246).

1.3.5. Nous pouvons appliquer aux deux déterminants une vision des choses qu’on associe traditionnellement aux adjectifs gradables (Sapir 1944) ou relatifs (Kennedy, 2007 ; Kennedy & McNally, 2005). Dans ce cadre, l’adjectif grand est qualifié de relatif parce que son standard (le degré à partir duquel l’adjectif s’applique) peut varier considérablement selon qu’il concerne un virus ou à une galaxie. Le problème que soulèvent quelques et plusieurs est comparable : ils dénotent un intervalle (sur une échelle ordonnée, en l’occurrence, l’échelle de la quantité) qui est délimité d’un côté par un degré maximum (au-delà duquel nous ne pouvons plus parler de faible quantité) mais aussi par un degré minimum (l’équivalent du standard pour un adjectif relatif) qui, dans le cas de quelques (et contre toute attente, comme nous l’avons vu) n’est manifestement pas égal à deux. Dans cette optique (qui mobilise la notion de degrés ordonnés sur une échelle), le caractère vague de quelques trouve une confirmation dans le fait que le degré minimal et le degré maximal de l’intervalle de validité varient (parfois considérablement) en fonction du nom quantifié et du contexte. Gaatone (1991, p. 4) rappelle que Whorf (1956) avait déjà identifié ce problème à propos de l’ang. some ‘quelques’ : « quelques rois, navires de guerre, ou diamants peuvent être trois ou quatre, mais quelques haricots, gouttes de pluie, ou feuilles de thé peuvent être trente ou quarante. » C’est ce qui amène Gondret (1976, p. 147) à parler de « nombre relatif ».

Considérons le syntagme quelques gouttes dans les contextes (15a) et (15b).

(15)  (a) Quelques gouttes tombent du robinet.

(b) Quelques gouttes tombent sur la région parisienne.

Dans les deux cas, il est difficile de déterminer (même approximativement) le degré minimal (bien qu’on sache qu’il n’est sans doute pas égal à deux) et le degré maximal de l’intervalle à l’intérieur duquel les deux phrases seront jugées vraies. En revanche, nous n’avons aucun doute sur le fait que ces degrés sont très éloignés les uns des autres sur l’échelle de la quantité. Dans le premier cas (15a), l’ordre de grandeur pourrait se situer entre une dizaine (degré minimal) et une centaine de gouttes (degré maximal), tandis que dans le second (15b), le nombre de gouttes requis pour obtenir une petite averse d’une demi-journée sur la région parisienne commence à un ou deux milliards (degré minimal) et peut aller jusqu’à une dizaine de milliards (degré maximal au-delà duquel le temps vire à l’orage tropical). La valeur paucal de quelques, pourtant admise par la majorité des grammaires, se trouve donc ici remise en question. Si quelques gouttes peut désigner une petite averse comme c’est le cas dans (15b), alors il faudrait en effet accepter que la notion de paucal puisse s’appliquer (dans certains contextes) à des ordres de grandeur considérable, ce qui peut poser un problème de cohérence. Comme nous le verrons dans les Sections 1.4. et 3.2., une façon de rendre compte de ce genre d’exemple consiste à poser l’existence d’une instruction selon laquelle quelques indique qu’il n’y a pas lieu de dénombrer les gouttes.

1.3.6. Les avis sont beaucoup plus variables dans le cas de plusieurs. D’après Spector (2006), nous l’avons vu, plusieurs ne se prête pas à une analyse en termes de vague (p. 249). D’autres chercheurs, à l’inverse, considèrent que plusieurs exprime une cardinalité vague, au même titre que beaucoup de (Jayez, 2005 ; Laca & Tasmowski, 2004). Pour notre part, nous retiendrons que la relativité de plusieurs est assez difficile à démontrer et que s’il existait un effet (ce que nous sommes incapable de prouver), il ne serait de toute façon pas comparable aux écarts qu’on vient d’évoquer pour le cas de quelques.


1.4. Une différence de force quantificationnelle

1.4.1. Un autre type de contexte fréquemment discuté dans la littérature a pour caractéristique d’établir une relation (de contraste ou de comparaison) avec l’indéfini singulier un (Bacha, 1997 ; Gaatone, 1991, 2006 ; Gondret, 1976). Comme on le voit dans l’exemple (16), le déterminant plusieurs s’y insère sans difficulté alors que quelques est moins naturel.

(16)  (a) Il me faut un jour, et même {plusieurs/?quelques} jours pour finir ce travail.

(b) Voulez-vous une ou {plusieurs/?quelques} réservations ?

1.4.2. Sur la base de ces observations, Bacha (1997) est amenée à conclure que « plusieurs est lié au comptage, au dénombrement » tandis que ce n’est pas le cas de quelques (p. 55). Cette hypothèse trouve une confirmation dans le fait que quelques peut se combiner avec certains pluralia tantum et plus précisément, les massifs pluriels, contrairement à plusieurs et, par définition, à l’ensemble des numéraux (Bacha, 1997, p. 55‑56 ; Gréa, 2008 ; Leeman, 2004, p. 169) :

(17)  (a) Les vrais hommes ont {quelques /#?plusieurs/#?six} rondeurs.

(b) Pourrais-tu me laisser {quelques/#?plusieurs/#?soixante-huit} pâtes ?

(c) J’ai acheté {quelques/#?plusieurs/#?trois} provisions.

1.4.3. Une autre observation, que nous avons déjà évoquée dans la section 1.3.5, vient renforcer l’idée selon laquelle quelques se caractérise par son inaptitude à dénombrer les entités. Gondret (1976, p. 76) constate par exemple que quelques cheveux peut référer sans difficulté à une chevelure (quoique clairsemée) :

(18)  Pierre a quelques cheveux et porte une fine moustache.

La situation est donc similaire à celle de l’exemple (15b), où quelques gouttes est amené à désigner une (petite) averse. Les pluriels cheveux/gouttes ne sont pas des pluralia tantum (puisque le singulier cheveu/goutte existe avec le même sens). Cependant, lorsque ces pluriels réfèrent à l’ensemble des cheveux qui poussent sur le crâne d’un humain (autour de 150 000 en moyenne pour un humain) ou à l’ensemble des gouttes qui s’abattent sur les toits de Paris un matin d’automne (plusieurs milliards), le contexte rend tout dénombrement peu pertinent. Il semblerait bien que la grammaire du français intègre cette contrainte puisque l’utilisation de plusieurs ou d’un numéral (même d’un ordre de grandeur réaliste) dans ce même contexte donne un énoncé des plus étrange :

(19)  (a) ?Pierre a {plusieurs/50 000} cheveux et porte une fine moustache.

(b) ?{Plusieurs/Deux milliards de} gouttes tombent sur Paris.

Si, dans la réalité, il n’est sans doute pas impossible de compter le nombre de cheveux d’un individu ou le nombre de gouttes d’une averse, il semble qu’il n’est pas possible d’utiliser plusieurs ou un numéral (même s’il dénote un nombre réaliste) pour désigner une pluralité d’entités qui se présentent en très grand nombre, contrainte que ne connaît pas quelques.

Il est à noter que ce phénomène semble régulier lorsque le nom introduit par quelques dénote fréquemment un élément d’un tout collectif (Gréa, 2008, 2012). Ce peut être, comme nous l’avons vu, les gouttes (pour une averse), les cheveux (pour une chevelure), les feuilles (pour un feuillage), mais aussi les lignes (pour une lettre), les pas (pour une marche), les notes (pour un petit air de musique), etc. (20) :

(20)  (a) J’ai envoyé {quelques /#plusieurs} lignes à ma famille.

(b) Faisons {quelques/#plusieurs} pas.

(c) Elle nous a joué {quelques/#plusieurs} notes de Bach.

Si l’expression nous avons fait plusieurs pas est loin d’être impossible, elle impose toutefois un sens différent (d’où le #) où les pas sont déconnectés les uns des autres, imposant un scénario dans lequel les individus qui font les pas ne sont pas à proprement parler en train de marcher : ils sont plutôt en train de compter une distance, faire de la rééducation, etc. Sur ce point, quelques a donc un comportement similaire à celui des déterminants uns/unes du moyen français (Carlier 2016) et des pluriels féminins irréguliers de l’italien (muri ‘pluralité de murs déconnectés, séparés, indépendants’ vs. mura ‘pluralité de murs connectés d’une manière ou d’une autre, de sorte qu’ils forment un complexe architectural unique’) (Acquaviva 2008 ; Wągiel 2018, 2019).


1.5. Plusieurs fois, quelques fois et quelquefois

Pour la plupart des auteurs qui s’y sont intéressés, la distinction entre quelquefois (en un seul mot) et quelques fois (en deux mots) doit être mise en relation avec une distinction aspectuelle : le premier serait lié à une valeur de fréquentatif (on parle aussi d’habitualité), tandis que le second aurait une valeur itérative ou répétitive (De Swart, 1988 ; Kleiber, 1987 ; Theissen, 2011) [Cf notice « L’Aspect verbal »].

1.5.1. Avec les adverbes temporels fréquentatifs, « nous ne sommes pas intéressé par le nombre total de fois » où un événement a lieu (De Swart 1988, p. 150). Dans cette conception (qui n’est pas exactement celle qu’on trouve dans la notice « L’Aspect verbal », cf. infra), les adverbes que retient l’auteur sont alors, entre autres, souvent, toujours et quelquefois. L’une des caractéristiques des fréquentatifs est d’imposer une distribution régulière des événements sur une période donnée. Ainsi, dans l’exemple (21), les occurrences durant lesquelles Marie a joué sont régulièrement réparties sur l’année dernière, sans que l’on s’intéresse au nombre de fois où elle a joué. Dans ce contexte, quelquefois est synonyme de occasionnellement ou parfois.

(21)  L’année dernière, Marie a quelquefois joué du piano.

1.5.2. Les adverbes itératifs, à l’inverse, permettent de compter les événements : « ils réfèrent à la cardinalité d’un ensemble de situations » (De Swart, 1988, p. 149‑150). Le fait que le nombre d’événements considérés soit déterminé ou non n’a pas d’importance et c’est sur ce point que l’approche de De Swart diverge de la notice de Gosselin. Cela conduit De Swart (1988) à placer dans cette catégorie des adverbes qui indiquent précisément un nombre (deux fois) et des adverbes qui ne spécifient pas de nombre précis (à plusieurs reprises et quelques fois). Dans tous ces cas de figure, selon l’auteur, c’est bien le nombre d’occurrences d’un événement qui est visé, qu’il soit spécifié ou non. Il faut toutefois souligner que De Swart (1988) ne donne aucun exemple de quelques fois au sens itératif. On en trouve cependant dans Le Bon Usage et dans Theissen (2011). Grevisse & Goosse (2008, §964 b) affirme ainsi que « Quelquefois ‘parfois’ et quelques fois ‘un petit nombre de fois’ sont assez proches l’un de l’autre, le second insistant sur l’idée de nombre ». Les auteurs illustrent leur propos à l’aide des exemples (22).

(22)  (a) Je l’ai rencontré quelques fois pendant les vacances.

(b) Je le rencontre quelquefois.

Theissen (2011), pour sa part, propose l’exemple (23a) dans lequel « quelques fois en deux éléments a bien un sens itératif (de faible quantité) comme en témoignent la possible substitution de quelques par un numéral cardinal [(23b)] et la difficulté qu’on a à détacher le syntagme adverbial [(23c)] » (p. 440). On ajoutera que plusieurs fois (dans le même contexte) n’a quant à lui aucune difficulté à prendre un sens itératif (23d).

(23)  (a) Nous l’avons aperçue encore quelques fois, puis elle a disparu.

(b) Nous l’avons aperçue encore deux fois, puis elle a disparu.

(c) ?Quelques fois, nous l’avons aperçue encore.

(d) Nous l’avons aperçue encore plusieurs fois, puis elle a disparu.

Aux deux critères proposés par Theissen (2011) pour identifier un adverbe itératif, à savoir la substitution par un numéral cardinal et le détachement du syntagme adverbial, il convient d’en évoquer un autre mis en avant par Kleiber (1987, p. 116) et repris par De Swart (1988) : les adverbes itératifs connaissent des contraintes temporelles et aspectuelles que n’ont pas les adverbes fréquentatifs. Par exemple, les premiers apparaissent surtout au passé simple ou au passé composé, comme c’est le cas dans (24a), mais beaucoup plus difficilement au présent de l’indicatif (24b). Les seconds, à l’inverse, n’ont pas ce genre de contrainte et peuvent apparaître dans les deux contextes (25).

(24)  (a) Marie a joué deux fois au piano. (itératif)

(b) ?Marie joue deux fois au piano. (itératif)

(25)  (a) Marie a souvent joué au piano. (fréquentatif)

(b) Marie joue souvent au piano. (fréquentatif)

Comme le montrent les exemples (22) et (26), ce critère semble s’appliquer au couple quelques fois/quelquefois et confirmer l’analyse selon laquelle le premier est itératif tandis que le second est fréquentatif :

(26)  (a) ?Nous l’apercevons encore quelques fois, puis elle disparaît. (itératif)

(b) Marie joue quelquefois du piano. (fréquentatif)

1.5.3. Si cette analyse de quelques fois vs. quelquefois paraît raisonnable à première vue, elle ne tient pourtant pas dans les faits. Theissen (2011) pressent la difficulté en soulignant que les occurrences de quelques fois au sens itératif sont « plutôt rares » (p. 139). Nous irons plus loin en affirmant qu’ils sont à peu près impossibles. Selon nous, en effet, la valeur itérative des exemples (22a) et (23a) est le fruit d’une coercition [Cf coercion dans la notice « L’Aspect verbal »] liée au passé composé dans le premier, ou à l’adverbe encore et au contexte séquentiel introduit par et puis dans le second. Si nous supprimons ces éléments dans (23a), par exemple, la situation devient beaucoup moins nette. À notre avis, la phrase (27) n’est pas itérative (quelques fois serait synonyme de plusieurs fois) et présente surtout un sens fréquentatif (où quelques fois est synonyme de occasionnellement ou parfois).

(27)  Nous l’avons aperçue quelques fois.

On peut le prouver en utilisant les trois critères de la Section 1.5.2 : l’adverbe apparaît au présent de l’indicatif (28a), il est détachable (28b) et la substitution avec un numéral cardinal ou avec plusieurs (28c) donne une phrase aussi peu naturelle que (24) ou (26).

(28)  (a) Nous l’apercevons quelques fois.

(b) Quelques fois, nous l’apercevons.

(c) ?Nous l’apercevons {deux/plusieurs} fois.

Ces exemples étant fréquentatifs, toutefois, la règle voudrait donc que la forme correcte soit écrite en un seul mot (quelquefois). On trouve néanmoins dans le corpus Frantext (duquel Theissen (2011) extrait l’exemple (23a)) de nombreuses occurrences de quelques fois (en deux mots) avec un sens exclusivement fréquentatif, et ce, dès le XVIe siècle. Ainsi, dans les exemples (29), quelques fois est synonyme de parfois ou occasionnellement et la substitution avec plusieurs fois ou deux fois provoque un changement de sens ou donne une phrase peu naturelle.

(29)  (a) Les hommes sont quelques fois pires que les bestes. [Estienne Robert, 1549, Traicté de la grammaire francoise]

(b) […] il ignore quelques fois qu’il est sans argent. [Sand George, 1843, Correspondance]

(c) Les choses mises en un lieu donné, si elles sont nombreuses, ont besoin quelques fois d’une assistance au souvenir. [Roubaud Jacques, 2008, La Dissolution]

Deux hypothèses émergent alors : soit les auteurs cités en (29) font une « faute » (il aurait fallu écrire quelquefois, en un mot), soit quelques fois (en deux mots) est une variante graphique de quelquefois . Nous ne retiendrons pas la première hypothèse car elle suppose l’existence d’une norme grammaticale qui, par sa nature même, n’apporte aucune explication au phénomène. La seconde trouve quelque crédit dans le fait qu’on ne trouve que 358 occurrences de quelques fois contre 34 234 pour quelquefois dans le corpus Frantext. Elle est renforcée par le fait qu’on trouve, dès le 14e siècle, au moins un exemple de variation libre entre quelque fois (singulier) et quelques fois (pluriel) en contexte fréquentatif (chez le même auteur). Les deux occurrences sont rapportées par Combettes (2004) :

(30)  (a) Et fut le roy couronné ; et estoit logé en Cappouanne, et quelque fois alloit au Mont Imperial. [Commynes]

(b) Et maintesfois ay ouy telles oppinions. Et le font quelques fois les capitaines pour estre estiméz de hardiesse [Commynes]

1.5.4. Quoi qu’il en soit, un dernier argument renforce l’hypothèse selon laquelle quelques fois prend très difficilement un sens itératif (sauf coercition par le contexte). Il tient à la difficulté à utiliser cette expression dans la construction classiquement employé pour identifier un processus télique : <en x temps> [Cf notice « L’Aspect verbal »]. Dans l’exemple (31), en effet, en quelques fois passe assez mal : le contexte exige qu’on puisse compter le nombre de fois en question, que ce nombre soit spécifié (comme c’est le cas avec trois fois) ou non (plusieurs fois).

(31)  Payez en {*des/?quelques/plusieurs/trois} fois.

Soulignons qu’en dehors de cette construction, la combinaison de ces déterminants avec fois est tout à fait possible : Il vient {des/quelques/plusieurs/trois} fois. Ajoutons aussi qu’il n’est pas impossible de « sauver » la phrase en rajoutant un élément restrictif (cf. Section 1.2.1) : Payez en quelques fois seulement est plus acceptable.

Si quelques fois avait vraiment un sens itératif, comme De Swart (1988), Theissen (2011) ou Grevisse & Goosse (2008) le soutiennent, alors il devrait être aussi naturel que plusieurs dans le contexte de (31). Ce n’est manifestement pas le cas, et cet exemple montre que quelques est en réalité plus proche de des, un indéfini dont la faible force quantificationnelle est justement une caractéristique bien connue (Bosveld-de Smet, 2004).

1.5.5. En conclusion, quelques fois semble difficilement prendre un sens itératif (sauf coercition) et cela s’inscrit dans la continuité des observations faites dans la Section 1.4. Quelques ne se contente pas de ne pas spécifier un nombre précis (en cela, il serait comparable à plusieurs), il suspend la possibilité même de compter. Dans la mesure où c’est justement sur ce point que se joue la distinction entre valeur itérative et fréquentative, il paraît logique que quelques fois privilégie la première au détriment de la seconde. Dans cette approche, cependant, la question de ce qui distingue quelques fois et quelquefois reste non résolue.


1.6. Quelque (singulier)

1.6.1. La plupart des auteurs s’accordent à dire que quelque est beaucoup moins fréquent que la forme plurielle et relève d’un niveau de langue plus élevé. L’une des questions qu’on est amené à se poser lorsqu’on s’intéresse à quelque est de savoir s’il s’agit de la contrepartie singulière de quelques. Certains auteurs considèrent que la différence de sens entre les deux est trop importante pour qu’on puisse les considérer comme deux formes fléchies d’un même déterminant (Flaux, 1997, p. 51). D’autres suggèrent que les deux formes relèvent de la même unité grammaticale mais sans explorer en détail les conséquences de ce présupposé (Kupferman, 2014 ; Le Querler, 1994). En pratique, la plupart concentrent leur attention sur l’une des deux formes et ne se prononcent pas sur les rapports éventuels qu’il pourrait y avoir avec l’autre, à l’exception notable de Culioli (1983), Van de Velde (2000) et Paillard (2006), qui défendent une conception unifiée de quelque(s).

1.6.2. Lorsqu’il introduit un nom comptable, la caractéristique centrale de quelque, comme le soutiennent la plupart des auteurs, est d’être incompatible avec l’assertion stricte (32).

(32  ?Paul a lu quelque livre.

Pour être acceptable, quelque N doit nécessairement s’insérer dans un contexte modal, aspectuel ou encore, un contexte qui suppose une ignorance de la part du locuteur. Culioli (1983) relève trois cas de figure distincts :

(1) Les contextes modaux qui peuvent correspondre à une éventualité, une existence hypothétique (33a), une interrogation (33b).

(2) Les contextes aspectuels itératifs (34), contextes qui, en l’occurrence, peuvent aussi être fréquentatifs (mais Culioli ne fait pas la distinction dans son article).

(3) Les contextes marquant une indéfinition, c’est-à-dire des phrases qui correspondent « to an indetermination value whereby any instantiation is equally valid » (Tovena, 2003, p. 344) ou qui mobilisent « some sort of ignorance » (Corblin, 2004) et qu’on illustre en (35).

(33)  (a) Paul aura lu quelque livre.

(b) Et quelle est cette peur dont leur cœur est frappé, Seigneur ? Quelque Troyen vous est-il échappé ? [Racine, Didot]

(34)  Tous les jours, en allant à l’école, je rencontrais, près du ruisseau, quelque clochard endormi. (Culioli, 1983)

(35)  Quelque vague général qui se trouvait disponible, se vit confier les rênes de l’état. (Culioli, 1983)

Ce jeu de contraintes sur les comptables ne fait toutefois pas l’unanimité. Si Kupferman (2014, p. 3124) convient que l’exemple (32) est plutôt mauvais, il considère aussi que (36), qui ne mobilise aucun opérateur modal explicite, est acceptable (cf. aussi ex. (41b)) :

(36)  Quelque kangourou a traversé la route.

D’une manière plus générale, Kupferman (2014) considère que les contextes épistémiques, modaux, interrogatifs, itératifs, etc. ne sont que des applications particulières et non exclusives de propriétés sémantiques plus fondamentales de quelque, à savoir la dénotation floue et l’ignorance qui en découle (cf. aussi la contrainte d’ignorance dans les travaux de Jayez & Tovena), et que d’autres contextes, comme (36), peuvent aussi bien faire l’affaire.

Les noms massifs concrets peuvent aussi entrer dans ce type de contexte modal, à la condition de prendre un sens comptable via une lecture ‘sous-type’. Ainsi, le massif (du) bois désigne un sous-type comptable dans l’expression (un) bois précieux dans (37) [Cf. Le trieur universel dans la  Notice  « L’opposition massif/comptable »].

(37)  Il aura acheté quelque bois précieux.

Il serait toutefois faux d’en déduire que quelque n’introduit que des comptables. Ce déterminant a en effet la particularité de pouvoir se combiner avec des noms massifs abstraits, particularité dont l’origine remonte à l’ancien français (Section 3.3.1, note 17). De façon remarquable, comme le soulignent Culioli (1983, p. 28) et Tovena (2003, p. 342), l’assertion stricte redevient alors possible (38).

(38)  À propos de cette affaire, j’éprouve quelque difficulté / inquiétude / étonnement / impatience / etc.

1.6.3. Dans le cadre théorique propre à Culioli, toutes ces observations s’expliquent par un principe commun : quelque N a pour effet de ne fixer aucune occurrence stable de la notion exprimée par N. Le cadre théorique culiolien se fonde, entre autres, sur la distinction entre une notion (une représentation mentale) et une occurrence ou une réalisation particulière de cette notion. Le passage de la notion à une occurrence (plus ou moins stable) se fait à l’aide d’un « schème d’individuation » dont la nature varie en fonction du type de nom : discret, dense ou compact (cf.  Notice  « L’Opposition massif/ comptable »). Cette caractérisation, qui exige une bonne connaissance du système de pensée culiolien, se trouve reformulée par Paillard (2006). Selon ce dernier, « quelque N signifie que l’occurrence de N en jeu n’est pas individuée au sens où le schème d’individuation défini par ailleurs est suspendu ». Cette suspension se produit par défaut dans le cas des massifs abstraits (les « compacts » dans la terminologie de Culioli, ex. lassitude). La raison en est que ces derniers se caractérisent justement par l’absence de schème d’individualisation interne ou externe, d’où le fait qu’ils se combinent avec quelque sans nécessiter un contexte modal/aspectuel. Dans le cas des noms comptables (les « discrets » dans la terminologie culiolienne, ex. table), qui sont des notions ayant un schème d’individuation intrinsèque, cette suspension est provoquée par le contexte modal, aspectuel ou bien par une valeur d’indéfinition. Pour finir, les noms massifs concrets (« denses » dans la terminologie de Culioli, ex. eau, boue, sable) ne se combinent pas avec quelque, parce dans ce cas, « une occurrence est nécessairement une occurrence située, ce qui est en contradiction avec la non-individuation que marque quelque » (Paillard, 2006). Dans un cadre théorique totalement différent (sémantique formelle), (Tovena, 2003) avance une explication assez similaire en concevant les noms massifs abstraits (les compacts de l’approche culiolienne) comme dénotant des entités qui manquent d’individualité (weakly discrete units).

1.6.4. Van de Velde (2000, p. 258) se démarque des autres auteurs en prenant en compte l’existence d’un emploi supplémentaire où quelque introduit un massif concret (39). Tombé en désuétude et ignoré de la plupart des études que nous avons recensées, voire considéré comme inacceptable (Kupferman, 2014, p. 3131), l’auteur en fait pourtant un élément central de son raisonnement.

(39)  On lave l’enfant avec quelque eau tiède.

En s’appuyant sur cet exemple, en effet, l’auteur parvient à mettre en relation l’indétermination qualitative qu’on trouve dans l’exemple (35) avec l’indétermination quantitative qu’on trouve dans (39) mais aussi dans les occurrences plurielles de quelques (devant des noms comptables). Tous ces exemples ont en commun de marquer une indétermination (qualitative dans le premier cas et quantitative dans les deux autres). Une conséquence de cette approche, c’est qu’on est amené à considérer le couple quelque (eau tiède)/quelques (dans un sens quantitatif) comme étant une variante paucale du couple du/des (p. 261). Par ailleurs, lorsque quelque introduit un massif abstrait (38) – ou ce que Van de Velde (1995) appelle un nom intensif – l’indétermination de quelque(s) s’applique alors au degré d’intensité et sa valeur paucale présente ce degré comme étant faible.

1.6.5. Dans un cadre formel, Jayez & Tovena consacrent une série d’articles au déterminant quelque dans lesquels ils s’efforcent de démêler précisément les différentes propriétés qui le caractérisent (Jayez & Tovena, 2011, 2012, 2002, 2008, 2005). Selon les auteurs, elles sont au nombre de deux.

Premièrement, quelque N a une dimension épistémique qui consiste à imposer une contrainte d’ignorance (Ignorance Constraint notée C-Ignorance à partir de Jayez & Tovena (2008)) sur l’agent épistémique (par défaut, le locuteur). En d’autres termes, quelque N n’est approprié dans une phrase que si celui qui communique l’information ne sait pas quelle entité satisfait la proposition (Jayez & Tovena, 2011 ex. 4). L’une des conséquences de ce principe est que quelque N est anti-spécifique (il ne peut dénoter un individu particulier identifiable, au même titre, par exemple, que l’indéfini un) . En outre, cette propriété prédit que quelque N ne sera pas acceptable dans un contexte qui suppose que le locuteur connaît l’identité de l’individu. Dans (40), par exemple, on voit mal comment l’agent épistémique (le locuteur) peut ignorer l’identité d’une personne qu’il vient de rencontrer et dont il est l’ami (sauf si, comme le remarque un relecteur, le locuteur veut justement signifier que l’identité de l’ami en question importe peu).

(40)  ??Hier, j’ai rencontré quelque amie.

Cette propriété amène les auteurs à se demander dans quelle mesure quelque peut entrer dans la catégorie des Termes de Libre Choix (TLC, ang. Free Choice Items FCI) . Sur ce point, leur avis évolue au fil des différents articles mais ils finissent par favoriser une réponse (plutôt) positive .

Deuxièmement, quelque a aussi une valeur évidentielle, qui ne doit pas être confondue avec la précédente, et qui porte cette fois sur la nature de l’information communiquée (nous ne savons pas dire si, pour les auteurs, les deux contraintes doivent être respectées). Ainsi, l’existence d’une entité de type N (et satisfaisant le prédicat verbal) n’est pas directement assertée, elle est inférée (Inference Constraint notée C-Inference à partir de Jayez & Tovena (2008)). Cette seconde propriété prédit que quelque N sera correct dans des contextes qui supposent, justement, une inférence, comme par exemple, la présence d’un opérateur modal dans (41a). Dans cet exemple, l’existence d’une amie n’est pas assertée, mais inférée sur la base d’autres indices non fournis dans la phrase. La présence d’un opérateur modal n’est du reste pas nécessaire, puisque dans (41b), c’est le contexte (une lumière allumée) qui nous permet d’inférer l’existence de l’étourdi (l’exemple (36) peut aussi s’analyser dans ce sens).

(41)  (a) Hier, Yolande a dû rencontrer quelque amie.

(b) Il y a de la lumière dans le bureau ; quelque idiot a oublié d’éteindre.

Deux phénomènes semblent échapper à cette analyse. Le premier est l’emploi habituel de quelque qu’on trouve dans l’exemple (42) (cf. aussi (34)) et qui semble remettre en cause les deux contraintes dans la mesure où le locuteur est le témoin direct de la rencontre entre Yolande et ses amies.

(42)  À l’époque, je voyais toujours Yolande avec quelque amie.

Selon Jayez & Tovena (2008) les deux contraintes sont toutefois respectées : la lecture habituelle rend possible le fait d’ignorer l’identité des amies à chaque rencontre, et par ailleurs, le contexte porte une dimension évidentielle dans le fait que le locuteur doit inférer une habitude sur la base de ce qui est perçu, initialement, comme une série de rencontres occasionnelles.

Le second phénomène concerne les noms abstraits qui, à première vue, ne mobilisent pas non plus de dimension évidentielle dans (43a) (cf. aussi (38)). Jayez & Tovena (2008, 2002 §4.2) font toutefois valoir que seuls certains noms abstraits se combinent avec quelque : courage, hésitation, etc. qui sont des états dont on doit inférer l’existence indirectement (sur la base des effets qu’ils provoquent), mais pas beauté, lenteur dans (43b), qui sont directement accessibles à la perception (et dont l’existence ne doit donc pas être inférée). Culioli (1983, p. 26, note 7) propose une explication similaire en faisant la distinction entre les « prédicats nominalisés stricts » (blancheur, la dureté du granit), qui ne se combinent pas avec quelque (*cette pierre présente quelque dureté), et les « prédicats nominalisés qui impliquent une qualification subjective » (courage, la dureté d’un père) et qui se combinent avec quelque (il manifeste quelque dureté envers ses enfants).

(43)  (a) Il a montré quelque courage / hésitation dans cette affaire.

(b) ??Il a montré quelque beauté / lenteur dans cette affaire.

1.6.6. En conclusion, toutes les études citées s’accordent à dire que quelque N marque, d’une manière ou d’une autre, le caractère non identifiable de l’entité dénotée par N. Ce caractère non identifiable est la conséquence, selon les auteurs, d’une impossibilité d’accéder à une occurrence stabilisée (Culioli, 1983), d’une absence d’occurrence individualisée (Paillard, 2006), d’une entité dénuée d’identité individuelle (Tovena, 2003), d’une indétermination (Van de Velde, 2000), d’une dénotation floue (Kupferman, 2014) ou le fruit d’une double contrainte épistémique et évidentielle (Jayez & Tovena).


1.7. Quelque(s) et la négation

1.7.1. Dans son article, Gondret (1976) évoque le problème que pose quelques (pluriel) sous la portée d’une négation (p. 144, 149). Ainsi, les exemples (44) passent relativement mal en français :

(44)  (a) ?Il n’a pas quelques livres. (Gondret, 1976)

(b) ?Il n’a pas rencontré quelques amis. (Tovena, 2003)

D’après Tovena (2003) et Corblin (2004), ces exemples n’ont qu’une seule lecture possible (en dehors de la négation métalinguistique où c’est toute l’assertion qui est refusée) [Cf notice « L’absence et la présence du ne de négation »], celle dans laquelle la négation est sous la portée de l’indéfini (on dit alors que l’indéfini a une portée large). Mais dans ce cas, la construction existentielle en il y a (pour un sens identique) semble plus naturelle que les exemples (44) qui, eux, sont perçus comme marqués (Tovena, 2003, p. 342 ; Wilmet, 2010, p. 481) :

(45)  (a) Il y a quelques livres qu’il n’a pas.

(b) Il y a quelques amis qu’il n’a pas rencontrés.

Sur ce point, quelques s’oppose donc à plusieurs qui, lorsqu’il est combiné avec la négation, est ambigu entre une portée large ou étroite (ce qui est attendu de la part d’un indéfini) :

(46)  Il n’a pas plusieurs livres. ‘Il y a plusieurs livres qu’il n’a pas.’ (portée large) vs. ‘Ce n’est pas vrai qu’il a plusieurs livres.’ (portée étroite)

1.7.2. Comme le montre Corblin (2004), quelque (singulier) manifeste la même difficulté à se combiner avec la négation. Ainsi, (47a) n’est naturel que s’il est réinterprété, par exemple, comme une question (47b). On retrouve alors le contexte modal évoqué dans la section 1.6.2.

(47)  (a) *Je n’ai pas mangé quelque pomme. (Corblin, 2004)

(b) N’ai-je pas mangé quelque pomme ?

Dans ce contexte, les chercheurs se sont naturellement demandé si quelque(s) pouvait faire partie de la catégorie des Termes à Polarité Positive (TPP, ang. Positive Polarity Items PPI) [Cf.  Notice  « L’absence et la présence du ne de négation »], dont l’une des propriétés principales est de ne pas pouvoir apparaître sous la portée d’un opérateur anti-additif (Baker, 1970 ; Szabolcsi, 2004 ; Zwarts, 1981, 1998) . Jayez & Tovena (2011, 2008) ont montré que la question se pose particulièrement dans le cas de quelque (singulier) dont le comportement correspond à toutes les propriétés caractéristiques des TPP. Ainsi, une phrase telle que (48a) redevient naturelle lorsque la négation est placée dans une clause de niveau supérieur (48b), ou lorsqu’on interpose un intervener, qui joue le rôle de « bouclier » (Szabolcsi, 2004), entre la négation et quelque, comme par exemple toujours dans (48c). Enfin, deux opérateurs anti-additifs (par exemple, deux négations) ont la propriété de s’annuler mutuellement (Baker, 1970), ce qui a pour effet de rendre la phrase (48d) acceptable.

(48)  (a) ?Yolande n’a pas dû trouver quelque fichier.

(b) Je ne pense pas que Yolande ait trouvé quelque fichier.

(c) Yolande ne trouvait pas toujours quelque excuse.

(d) Je ne pense pas que Yolanda n’ait pas fait quelque remarque.

Malgré ces similarités, Jayez & Tovena (2011, 2012, 2008) écartent l’hypothèse selon laquelle quelque serait un TPP et préfèrent les expliquer à partir des contraintes d’ignorance et d’inférence (cf. 1.6.5).


1.8. Conclusion

Si l’opposition entre quelques et plusieurs peut passer, à première vue, pour une question anecdotique et d’une portée modeste, les faits qui viennent d’être présentés laissent entrevoir un ensemble de comportements énigmatiques qui met en jeu des questions centrales en sémantique et en pragmatique : que faut-il entendre par « quantité peu élevée » lorsque la quantité en question atteint des ordres de grandeur considérables ? Pluralité et dénombrabilité sont-ils en partie dissociables, comme quelques tendrait à le suggérer ? Le cas échéant, faut-il envisager l’existence d’un « pluriel indénombrable » ? Ce type de pluriel aurait-il alors un rapport avec les pluralia tantum (et plus précisément, les massifs pluriels) ? L’indénombrabilité étant l’une des caractéristiques des noms massifs, l’opposition entre quelques et plusieurs est-elle reliée à l’opposition massif/comptable ? Comment deux formes ayant une origine commune, quelque (singulier) et quelques, ont-elles pu diverger au point que la première n’est plus permise que dans des contextes aspectuels et modaux ? En quoi la négation pose problème pour ces deux formes qui sont aujourd’hui si différentes ?



2. Références bibliographiques importantes.


Gondret, P. (1976). « Quelques », « plusieurs », « certains », « divers » : Étude sémantique. Le Français Moderne, 44, 143‑152.

L’étude de Gondret est une référence incontournable dans laquelle on trouve beaucoup des hypothèses qui sont exploitées par la suite pour rendre compte de l’opposition entre quelques et plusieurs.

Bacha, J. (1997). Entre le plus et le moins : L’ambivalence du déterminant plusieurs. Langue française, 116(1), 49‑60. https://doi.org/10.3406/lfr.1997.6231

L’article de Bacha est l’un des premiers à opposer les deux déterminants sur la base de leur orientation argumentative et à les rapprocher du couple peu / un peu. On trouve aussi une première formulation de l’hypothèse selon laquelle quelques n’est pas énumératif (contrairement à plusieurs).

Gaatone, D. (1991). Les déterminants de la quantité peu élevée en français. Remarques sur les emplois de quelques et plusieurs. Revue romane, 21, 3‑13.

Gaatone se distingue des autres chercheurs en montrant que quelques et plusieurs ont la même orientation argumentative. Il montre aussi que la sémantique de plusieurs doit beaucoup à son sens étymologique de comparatif (‘plus de un’).

Combettes, B. (2004). Quelque : Aspects diachroniques. Scolia, 18, 9‑40.

Combettes, B. (2005). L’évolution d’un quantifieur : Plusieurs en ancien et en moyen français. Scolia, 20, 83‑100.

Les deux études de Combettes s’intéressent à l’évolution diachronique des deux déterminants.

Culioli, A. (1983). A propos de quelque. In S. Fisher & J.-J. Franckel (Éds.), Linguistique, énonciation. Aspects et détermination (EHESS, p. 21‑29).

L’article de Culioli est l’un des premiers à examiner en détail le cas de quelque (singulier).



3. Analyses descriptives, résultats et modélisations.


Avant l’article de Gondret (1976), qui marque un tournant important et qui contient en germe beaucoup des hypothèses examinées par la suite, l’analyse descriptive de quelques et plusieurs est issue pour l’essentiel des grammaires qui mettent en avant deux critères : l’imprécision et la petite quantité. Dans la plupart des cas, les deux déterminants sont vus comme synonymes et lorsqu’on tente de les opposer, le sentiment qui se dégage est que quelques indique une quantité inférieure à plusieurs.


3.1. Analyses pragmatiques

3.1.1. Gondret (1976) montre toutefois que cette approche est vouée à l’échec et que « ce n’est pas une différence de nombre plus petit à nombre plus grand qui peut constituer la bonne explication » (p. 146). Si l’on considère en effet que les déterminants visent une quantité peu élevée (et que, d’après certaines grammaires, la valeur visée par quelques est inférieure à celle de plusieurs) comment expliquer que (49b) soit moins naturel que (49a) ? Dans la situation où le père de famille a trois enfants, il n’y a en effet aucune raison de préférer plusieurs à quelques.

(49)  (a) Ce père de famille a plusieurs enfants.

(b) ?Ce père de famille a quelques enfants.

L’hypothèse de Gondret (1976, p. 148), qui s’insère dans le cadre théorique guillaumien et qui va connaître un certain succès par la suite, est que quelques et plusieurs se distinguent non par leur quantité respective, mais par la perspective qu’ils imposent sur la quantité en question (l’approche est donc plus pragmatique que sémantique) : « quelques présente une petite quantité par rapport à un plus possible » et impose donc une présentation restrictive de la quantité concernée, tandis que plusieurs envisage « cette quantité par rapport à la possibilité d’un moins composé d’un ou deux éléments », imposant ainsi une présentation augmentative. Dans le cadre guillaumien, nous reconnaissons ici un exemple de schéma bi-tensif (qui est une sorte de structure cognitive que Guillaume suppose être universelle et qu’on retrouve dans différents phénomènes linguistiques) :

schéma
Figure 1. Quelques et plusieurs : schéma bi-tensif

Cette hypothèse prédit correctement les observations rapportées en (2) : quelques s’insère naturellement dans les contextes restrictifs, non pas parce qu’il est lui-même restrictif, mais parce qu’il suppose un plus possible (Cf. Section 3.1.3) représenté dans la partie gauche de la Figure 1, alors que ce n’est pas le cas de plusieurs, dont la perspective augmentative (représentée dans la partie droite de la Figure 1) entre en conflit avec le contexte restrictif.

3.1.2. Le second tournant décisif dans l’examen des déterminants de quantité peu élevée est aussi marquant que laconique. Il s’agit d’un petit commentaire de deux lignes qu’on trouve dans la Grammaire méthodique du français : « L’indéfini quelques, à la différence de plusieurs, comporte l’aspect évaluatif de la basse fréquence. Il apparaît surtout dans les phrases d’orientation argumentative négative : Il n’a que quelques jours/*Il n’a que plusieurs jours. » (Riegel et al., 1994, p. 161). En d’autres termes, sur la base du fait que quelques s’insère dans des contextes restrictifs (le neque dans il n’a que quelques jours), les auteurs en déduisent qu’il a une orientation argumentative négative. Dès lors, il ne reste qu’un pas à franchir pour que, de façon symétrique, la perspective augmentative de plusieurs soit elle-même assimilée à une orientation argumentative positive, de sorte que le couple quelques/plusieurs se rapproche d’un autre couple emblématique de la théorie de l’argumentation, peu/un peu, qui se distinguent respectivement par leur orientation négative et positive . Ce pas est franchi par (Bacha, 1997) et l’ensemble de la thèse, dont une partie est déjà officialisée par la Grammaire méthodique du français, se trouve alors reprise sans discussion, comme par exemple dans Flaux (1997, p. 51) selon qui « la différence entre les deux tient essentiellement à ce que quelques a une orientation négative tandis que plusieurs a une orientation positive. » ou encore dans Leeman (2004, p. 168, ndbp 1).

3.1.3. Ce point de vue soulève pourtant un problème que seuls deux auteurs, à notre connaissance, ont identifié. Le premier est Gaatone (1991) qui, avant la parution de la Grammaire méthodique du français, avait déjà alerté sur l’orientation argumentative de quelques. Sa démonstration se fonde classiquement sur le type d’enchaînements possibles (cf. note 12) : « La phrase j’ai quelques amis n’admettrait pas, comme j’ai peu d’amis, une séquence et même pas du tout. Bien au contraire, elle s’accommoderait très bien d’une suite telle que et même beaucoup d’amis, c’est-à-dire, d’une suite allant dans le même sens argumentatif et renchérissant sur ce qui précède. » (p. 8). En cela, Gaatone (1991) ne fait que reproduire l’analyse de Ducrot (1980) lorsque ce dernier s’intéresse à l’exemple (50). Il était en effet lui-même parvenu à la conclusion (certes, contre-intuitive) que cet énoncé est « orienté vers une conclusion positive, du type La personne en question connaît Balzac » (p. 7).

(50)  Il a lu quelques romans de Balzac.

Pour Gaatone (1991), donc, quelques et plusieurs ne s’opposent pas sur la base de leur orientation argumentative et le fait que le premier apparaisse en contexte restrictif ne démontre pas qu’il est lui-même restrictif : « la compatibilité constatée plus haut avec toutes sortes de contextes restrictifs ne permet pas de conclure au caractère restrictif de ce mot, mais seulement à sa non-incompatibilité avec la restriction. » (p. 9). Cette position sera réaffirmée en 2006 : « Manifestement, plusieurs contient un sème incompatible avec celui de la restriction, mais non quelques, ce qui n’implique pas automatiquement, notons le bien, qu’il ait lui-même un sens restrictif, autrement dit, une orientation négative, identique à celle qui opposerait peu à un peu, comme certains l’ont suggéré. » (Gaatone, 2006, p. 30). Précisons en outre qu’on trouve déjà une remarque similaire dans Gondret (1976, p. 149) lorsque ce dernier aborde la question de la négation : « si quelques suppose un plus possible, donc une restriction, il n’est pas lui-même le signe d’un mouvement restrictif ». Ajoutons toutefois que cette notion de restriction n’est pas sans difficulté si l’on s’en tient à la formulation de Gondret et de Gaatone. Comme nous le verrons, on peut se faire une idée plus précise de ce qu’il faut entendre par « restriction » en reformulant les choses dans un cadre néo-gricéen (cf. 3.1.5).

Dans cette optique, quelques serait comparable aux cardinaux numéraux (deux, trois, quatre, etc.) qui, sans être eux-mêmes restrictifs, s’insèrent parfaitement dans des contextes restrictifs (seulement deux/trois, je n’en ai que quatre/cinq, etc., cf. 1.2.1). Reste alors à expliquer la difficulté pour plusieurs de s’insérer dans les contextes restrictifs. Selon (Gaatone, 1991) la raison est à rechercher dans son étymologie (cf. 3.3.3) : plusieurs est issu du latin pluriores qui est un comparatif de supériorité. Dans ces conditions, plusieurs voit son sens se rapprocher de celui du numéral modifié plus d’un. Dans cette approche, on prédit correctement que plusieurs ne peut intégrer un contexte restrictif (Section 1.2.1 exemple (2) : Ça coûte seulement {quelques/ ?plusieurs/ trois euros}), mais aussi le fait qu’il s’insère facilement dans les contextes qui établissent une relation de comparaison avec l’indéfini un. Cette comparaison peut être explicitement marquée (par une conjonction dans (16) : Il me faut un jour, et même {plusieurs/ ?quelques} jours pour finir ce travail) ou bien rester implicite comme dans les exemples (51) que nous empruntons à Gaatone (1991). Dans ce dernier cas de figure, on peut facilement se convaincre de l’existence d’une relation de comparaison en remplaçant plusieurs par le numéral modifié plus d’un sans que cela ne provoque de changement de sens significatif (quelques, pour sa part, s’insère évidemment mal dans ces contextes).

(51)  (a) La loi interdit de cumuler plusieurs postes.

(b) Les dictionnaires sont nombreux et de plusieurs sortes.

3.1.4. Le second auteur à avoir vu le problème et tenté d’y apporter une solution est Jayez (2005). Son hypothèse principale, très proche de celle de Gaatone (1991), est que plusieurs, contrairement à quelques, asserte l’existence d’un seuil minimal (typiquement 2) au-dessus duquel on doit être pour être plusieurs (il est donc équivalent à un numéral modifié du type plus de deux, au moins deux). En parallèle, l’auteur décompose la question des contextes restrictifs et de l’orientation argumentative en deux parties distinctes. La première étape du raisonnement consiste à clarifier le statut de seul(ement) (et par extension, du moins on peut le supposer bien que ce ne soit pas explicitement dit, de l’ensemble des contextes dits « restrictifs »). Schématiquement, Jayez avance que seul(ement) impose un degré faible sur une échelle (échelle des nombres ou toute autre échelle pertinente). Dans cette optique on prédit que les expressions associées à un degré élevé ne se combinent pas avec seulement (?seulement beaucoup d’étudiants) contrairement aux expressions associées à un degré faible (seulement un petit nombre d’étudiants/seulement quelques étudiants). On constate aussi que les numéraux modifiés qui indiquent une supériorité par rapport à un seuil ne se combinent pas avec seul(ement) (?seulement plus de/au moins 10 étudiants). Du fait de l’hypothèse posée sur son sens, il en est donc de même pour plusieurs (?seulement plusieurs étudiants), de sorte qu’on rend compte de la divergence entre les deux déterminants en contexte restrictif. La seconde étape consiste à définir l’orientation argumentative sur la base d’un modèle théorique probabiliste que l’auteur reprend à Merin (1999) et qu’il est impossible d’évoquer ici. Il suffira de retenir que Jayez (2005) s’inscrit dans la continuité de Ducrot (1980) et Gaatone (1991) en considérant que les deux déterminants ont une même orientation. L’auteur rend ainsi compte du fait que les deux déterminants, bien qu’ayant une orientation identique, se comportent différemment dans les contextes restrictifs.

3.1.5. Dans un cadre néo-gricéen (Horn, 1972 ; Levinson, 1983), Spector (2006) avance une hypothèse qui n’est pas très éloignée de celles de Gondret (1976), Gaatone (1991) et Jayez (2005). Il propose que « plusieurs soit analysé comme une version lexicalisée de plus d’un » (p. 247). Ce déterminant aurait alors comme ensemble d’alternatives « à la fois les expressions du type plus de n et les numéraux modifiés du type exactement n) » (p. 249) . À l’inverse, quelques aurait comme alternative beaucoup, ce qui est une reformulation néo-gricéenne, sans doute plus précise et rigoureuse, de la « perspective restrictive » défendue par Gondret (1976), selon laquelle « quelques implique que l’on considère une petite quantité par rapport à une quantité plus grande » (p. 147).


3.2. Analyses sémantiques

3.2.1. Parallèlement à une hypothèse sur le mode de présentation d’une quantité peu élevée (restrictif vs. augmentatif) qui opposerait quelques et plusieurs, la plupart des auteurs cités jusqu’ici en évoquent souvent une seconde qui porte cette fois sur la dimension proprement quantitative des déterminants. Cette hypothèse ne concerne pas les intervalles de quantité qui leur sont associés (nous avons vu que cette option ne peut aboutir, en particulier du fait de la relativité de quelques, cf. 1.3.5) mais sur la force quantificationnelle des deux déterminants, c’est-à-dire leur capacité même à quantifier des entités . Elle apparaît dès Gondret (1976), quoique sous une forme très indirecte, lorsqu’il soutient, à propos d’exemples tels que (15) ou (18), que « quelques suppose la référence implicite à une collection assez nombreuse, alors que plusieurs s’applique à des choses apparaissant en petit nombre ou même sous l’aspect de l’unité » :

(15)  (a) Quelques gouttes tombent du robinet.

(b) Quelques gouttes tombent sur la région parisienne.

(18)  Pierre a quelques cheveux et porte une fine moustache.

Le fait que l’on puisse désigner un arbre (disons en automne) et dire de lui qu’il lui reste quelques feuilles (et non plusieurs feuilles) montre bien que le propos n’est pas de quantifier le nombre de feuilles mais d’indiquer simplement qu’il lui reste une partie réduite de son feuillage. Cette hypothèse se trouve clairement explicitée par Gaatone (1991) lorsqu’il commente l’exemple (52) en ces termes : « quelques, au fond, ne sert pas à parler de la quantité de mots, mais du désir de parler » (p. 8).

(52)  J’ai quelques mots à vous dire.

On ajoutera que le fait de substituer plusieurs à quelques dans ce contexte rend la phrase aussi étrange que les exemples (19) :

(19)  (a) ?Pierre a {plusieurs/50 000} cheveux et porte une fine moustache.

(b) ?{Plusieurs/Deux milliards de} gouttes tombent sur Paris.

3.2.2. En s’appuyant sur les exemples (16) et (17), rappelés ci-dessous, Bacha (1997) précise ce qui pourrait être à l’origine de cette faiblesse quantificationnelle de quelques : « plusieurs implique des entités que l’on peut dénombrer, il suppose du même coup une idée plus précise de l’identité propre des êtres qu’il quantifie : le sous-ensemble qu’il constitue rassemble des individus distincts non assimilables les uns aux autres, tandis que quelques regroupe plutôt des unités indifférenciées » (p. 56).

(16)  (a) Il me faut un jour, et même {plusieurs/?quelques} jours pour finir ce travail.

(b) Voulez-vous une ou {plusieurs/?quelques} réservations ?

(17)  (a) Les vrais hommes ont {quelques /#?plusieurs/#?six} rondeurs.

(b) Pourrais-tu me laisser {quelques/#?plusieurs/#?soixante-huit} pâtes ?

Leeman (2004) avance une explication similaire : « plusieurs entre dans des énoncés où il contraste avec les numéraux, on peut donc en déduire qu’il implique un nombre, ce qui n’est pas le cas de quelques, qui présente par conséquent la quantité de manière indifférenciée (c’est-à-dire sans supposer comme plusieurs que l’on pourrait compter les entités concernées) » (p. 168). On notera toutefois que cette formulation peut entrer en contradiction avec les exemples (5) et l’interprétation qu’en fait Paillard (2006) :

(5)  (a) ??J’ai vu {au moins/au plus} {des/plusieurs} films de Godard.

(b) J’ai vu {au moins/au plus} quelques films de Godard.

3.2.3. L’idée qui se dégage est donc que les entités visées par quelques présentent un faible degré d’individuation, voire qu’elles ne sont pas du tout individuées (comme c’est le cas des massifs pluriels, rondeurs, économies, etc.). Or, nous l’avons vu (Section 1.6.3), c’est justement ce genre de critère que retient Culioli (1983) pour rendre compte de quelque (singulier). C’est donc assez naturellement que Paillard (2006), dont l’intention première est d’étendre l’analyse de Culioli (1983) à quelques (pluriel), finit par aboutir à une conclusion similaire, mais avec un avantage supplémentaire, à savoir une caractérisation unitaire de quelque(s) (singulier/pluriel).

3.2.4. C’est ce même genre d’hypothèse que l’on retrouve sous la plume de Kupferman (2013), quoique formulée d’une façon un peu différente. Selon cet auteur, quelques impose une « compactisation » ou une lecture « massifiante » de la pluralité qu’il introduit tandis que plusieurs se caractérise par une lecture « discrétisante ». Plus précisément, selon cet auteur, quelques N renvoie à une organisation « où les entités sont représentées comme indistinctes l’une de l’autre, coagulées l’une avec l’autre, où leur différenciation n’est pas pertinente pour l’événement. » (p. 89) tandis que plusieurs N marque « l’irréductible altérité des entités qui le composent » (p. 91) .

3.2.5. Un faisceau de phénomènes semble aller dans ce sens et tendent à montrer que les individus quantifiés par quelques sont moins facilement accessibles qu’avec plusieurs. Pour commencer, Dobrovie-Sorin & Beyssade (2004) notent que les prédicats qui s’appliquent à des individus atomiques sont moins acceptables avec quelques qu’avec plusieurs (53).

(53)  (a) {Plusieurs/??Quelques} enfants étaient intelligents.

(b) {Plusieurs/?Quelques} enfants étaient {tristes/blonds/fatigués}.

Dans la même optique, Paillard (2006) souligne la faible compatibilité de quelques avec les adjectifs différents et distincts (cf. ex. 8 : {Deux/ plusieurs/ ?quelques} étudiants différents). Cette incompatibilité s’explique, selon lui, par la neutralisation de l’individuation des entités dénotées par quelques N.

Kupferman (2013, p. 87‑88), quant à lui, met en avant des effets de portée qui montrent, là encore, que quelques N a tendance à bloquer l’accès aux individus dénotés par N. Dans (54a), le comportement de plusieurs est celui qui est attendu de la part d’un indéfini : avec une portée large (cf. 1.7.1), il donne lieu à une lecture distributive où il y a plusieurs chats qui mangent trois souris (soit trois souris ou plus) tandis qu’avec une portée étroite, le nombre de souris ne serait que de trois. Dans (54b), en revanche, la lecture collective semble primer, de sorte que c’est un groupe de félins qui a tué trois souris.

(54)  (a) Plusieurs chats ont tué trois souris.

(b) Quelques chats ont tué trois souris.

On retrouve, toujours selon le même auteur, un effet similaire lorsque c’est l’indéfini un qui est sous la portée des deux déterminants. Ainsi, dans (55a), l’ambiguïté entre lecture collective (une seule cour) et distributive (plus d’une cour) est maintenue, alors que ce n’est pas le cas de (55b), où l’interprétation privilégiée est celle où nous n’avons affaire qu’à une seule cour (lecture collective).

(55)  (a) Plusieurs chats se sont réfugiés dans une cour. ‘une cour’ (collectif) /‘plus d’une cours’ (distributif)

(b) Quelques chats se sont réfugiés dans une cour. ‘une cour’ (collectif)

3.2.6. En résumé, beaucoup d’éléments tendent à montrer que quelques et plusieurs entretiennent un rapport assez différent avec les entités qu’ils servent à quantifier. Mais la plupart des propositions présentées ci-dessus ont le défaut d’être soit trop puissantes, soit pas assez précises. Si on admet que quelque(s) s’oppose à plusieurs par le fait qu’il porte sur des entités peu ou pas individuées, difficiles à distinguer ou à séparer, coagulées entre elles, et qu’on ne peut donc pas facilement dénombrer, comment rendre compte de la combinaison de quelque(s) avec des entités ayant un haut degré d’individuation ? Dans les exemples (56), en effet, les noms déterminés sont des comptables prototypiques qui dénotent des individus atomiques dont le dénombrement ne pose aucun problème. En d’autres termes, ils sont loin des massifs pluriels des exemples (17), rappelés ci-dessous, qui, eux, peuvent effectivement poser question quant à leur atomicité ou leur individuation.

(56)  (a) J’ai vu quelques enfants / chats / voitures / etc.

(b) Ce serait donc quelque enfant / chat / voiture / etc.

(17)  (a) Les vrais hommes ont {quelques /#?plusieurs/#?six} rondeurs.

(b) Pourrais-tu me laisser {quelques/#?plusieurs/#?soixante-huit} pâtes ?

(c) J’ai acheté {quelques/#?plusieurs/#?trois} provisions.

Il serait donc plus juste de dire que quelque(s) est capable de quantifier toutes sortes d’entités, quelles soient individuées ou non, tandis que plusieurs, à l’inverse, impose une contrainte nettement plus forte en acceptant de ne quantifier que des entités atomiques (ce qui est une condition nécessaire pour pouvoir les dénombrer et les opposer à un). On peut, du reste, facilement se convaincre du plus grand potentiel combinatoire de quelques en comparant simplement les fréquences d’occurrences des deux déterminants. Sur le corpus frTenTen12, par exemple, le nombre des occurrences de quelques N et de plusieurs N sont respectivement de 6 105 452 et 3 934 349 (au 27/07/21).

3.2.7. Cette version affaiblie de l’hypothèse de départ, cependant, ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des données et en particulier des exemples (18), (20) et (52). Par exemple, on n’explique pas le fait que pas, qui dénote un événement atomique, peut donner lieu à un tout collectif lorsqu’il est introduit par quelques (faire quelques pas, au sens de ‘marche de courte durée’) alors que faire plusieurs pas ne peut pas prendre ce sens (rien n’empêche un docteur de demander à un patient de faire plusieurs pas, mais dans ce cas il s’agit de vérifier que le patient tient debout et non de lui faire faire une petite marche). Il faut donc envisager une propriété supplémentaire propre à quelques, selon laquelle les entités (atomiques ou non) qu’il introduit sont, d’une manière ou d’une autre, connectées entre elles de façon à former un tout collectif. C’est cette dernière hypothèse qui est explorée dans Gréa (2008, 2012, En prép.).

Dans ces travaux, l’auteur reprend à son compte l’hypothèse de Gondret (1991) et de Jayez (2005) selon lesquels le sens de plusieurs se rapproche de ‘plus d’un’. En cela, il quantifie sur une pluralité constituée d’entités atomiques : le sens ‘plus d’un’ suppose en effet que l’on puisse identifier ce qui compte pour ‘un’ et les entités atomiques sont celles qui répondent le mieux à cette contrainte. On explique ainsi pourquoi les pluralia tantum ne se combinent pas avec plusieurs (Section 1.4.2.). En outre, l’auteur considère que quelques est moins contraint que plusieurs et qu’il peut aussi bien porter sur des entités atomiques que sur des entités non atomiques (comme les massifs pluriels). Le problème qui se pose alors concerne le cas des entités atomiques où, comme nous l’avons vu, les deux déterminants ont une contribution sémantique relativement proche (1) ou bien prennent des sens très différents (18, 19, 20). Pour expliquer ces derniers exemples, l’auteur fait l’hypothèse que si plusieurs N dénote une somme d’individus, quelques N pose en plus l’existence d’une relation de connexion entre ces individus, de sorte que la pluralité d’individus est désormais conçue comme un tout collectif dont la cohésion interne peut être plus ou moins forte. Ces relations de connexion dépendent du contexte et leur nature est très variable. Elles peuvent être spatiales (par exemple, une relation de contiguïté) et donner lieu à des aggrégats collectifs, comme dans à midi, j’ai mangé quelques fritesquelques frites ne désigne pas seulement une somme de frites, mais aussi et surtout, un plat. Elles peuvent être spatio-temporelles, comme lorsque l’expressions faisons quelques pas désigne une petite marche. Elles peuvent enfin être plus spécifiques, comme dans il a dit quelques mots sur la situationquelques mots désigne un message et où la relation de connexion qui s’établit entre les mots n’est pas seulement de nature spatiale mais aussi syntaxique et sémantique. À l’inverse, l’expression il a dit plusieurs mots n’impose aucune connexion entre les mots et laisse penser que nous avons affaire à une simple liste dénuée de cohérence. Il reste alors à expliquer ce que devient cette contrainte de connexion dans les exemples où quelques et plusieurs sont synonymes. Gréa (En prép.) considère que dans des cas comme l'ex. (1) ci-dessus quelques impose toujours une contrainte de connectivité, mais que cette dernière est réduite au strict minimum. Bien que minimale, cependant, cette contrainte s’exprime toujours et permet d’expliquer les phénomènes de collectivisation que nous avons passés en revue dans la Section 3.2.5.


3.3. Analyses diachroniques

3.3.1. Selon Foulet (1919), l’origine de quelque est à rechercher dans une famille de constructions fréquentes aux XIIe et XIIIe siècle qui associent un morphème interrogatif et la forme que : qui que, cui que, que que, dont que, où que, comment que (p. 220). Nous illustrons le cas de qui que en (57), que nous reprenons à Foulet (1919).

(57)  Qui q’en ait duel, Yvains est liez. [Béroul, Tristan]

Qui que ce soit qui pourrait s’en affliger, Yvain, lui, est joyeux. / On peut bien s’en affliger, Yvain, lui, est joyeux. (Nous remercions Sabine Lehmann pour ces traductions)

Ces relatifs en emploi couplé, comme Buridant (2000, p. 598 §493) les appelle, ont une valeur concessive et servent à introduire une proposition indéfinie (qui ne dénote aucun individu particulier). Quel se distingue toutefois d’un mot interrogatif comme qui sur un point important : c’est un déterminant (un adjectif dans la terminologie de Foulet et Buridant) et il est syntaxiquement lié au nom. La question se pose alors de savoir où placer le que : avant ou après le nom que quel détermine ? Dans un premier temps, comme le montre (58) emprunté à Combettes (2004), que est placé après le nom et donne la construction quel N que Prop (Prop pour proposition ou phrase).

(58)  Quel part que la pucelle vet, Arranz est toz tens an agait. [Eneas, 1150]

Quelque endroit que la jeune fille aille, Arrans est toujours aux aguets

Dans un second temps, sous l’influence de formes figées qui intègrent principalement un nom massif abstrait tel que peine ou difficulté (Combettes, 2004 ; Foulet, 1919), ainsi que sous l’influence de l’emploi pronominal quel qu’il soit (Combettes, 2004), le que postposé va progressivement occuper la position antérieure au nom, puis donner lieu à la répétition, « illogique » d’après (Foulet, 1919) mais « non pas du tout imprévue » (p. 245), d’un second que après le nom (afin de faciliter l’introduction d’une proposition). Dès lors, plusieurs constructions en viennent à coexister (Buridant, 2000, p. 670 §572) : la plus ancienne, quel N que Prop (que nous notons cstrct1), quel que N (cstrct2, où N est un massif abstrait, illustré dans la note 17), quel que N Prop (cstrct3) dont (Foulet, 1919) trouve des exemples qu’il juge « boiteux » (p. 225) et la plus tardive quel que N que Prop (cstrct4, où quel et que peuvent être soudés ou non). Comme le soulignent (Foulet, 1919) et (Combettes, 2004), il arrive régulièrement que ces constructions soient employées simultanément dans le même texte, voire dans la même phrase, comme c’est le cas en (59) que nous reprenons à (Combettes, 2004) :

(59)  Et par cel jugement puet on veoir que de [quel que chose je soie en saisine]cstrct3 et [quel saisine que ce soit]cstrct1, soit bonne ou mauvese, et de [quel que tans que ce soit]cstrct4, soit grans ou petis, qui m'oste de cele saisine sans jugement ou sans justice, je doi estre resaisis avant toute euvre, se je le requier. [Usages de Beauvoisins, 1283]

Et on peut voir par ce jugement que, quelle que soit la chose dont je sois en saisine et quelle saisine que ce soit, soit bonne soit mauvaise, et en quelque temps que ce soit, …

Selon Foulet (1919), c’est au XVe siècle que cstrct4 (quel que N que Prop) triomphe et tend à élargir son champ d’action en intégrant par exemple des adjectifs qui modifient le N. On peut supposer qu’elle en vient aussi à accepter des adjectifs seuls. Ce dernier cas de figure pourrait ainsi avoir laissé une trace en français contemporain dans le tour concessif en quelque Adj que illustré par (60).

(60)  Quelque intelligent qu’il soit, il ne comprend rien dans ce domaine. (Riegel et al., 1994, p. 513)

D’après Combettes (2004), un autre contexte important pour l’autonomisation de quelque est la combinaison de plus en plus fréquente avec des termes « généraux » tels que part ‘endroit’, leu ‘lieu’, chose, fois , manière, et le pronom un. Dans un tel contexte, le que postposé disparaît fréquemment et on tend ainsi à se rapprocher du sens contemporain de quelque comme quantificateur autonome. Foulet (1919), par exemple commente l’exemple (61) en affirmant : « Peut-être faut-il entendre : ‘vous l’avez cachée en un certain endroit, où que ce puisse être.’ Mais il est probablement tout aussi légitime de comprendre ‘vous l’avez cachée en un certain endroit’ sans plus » (p. 229).

(61)  Et le bon mary de soit courroucer, et dit : Vous avez menti, paillarde, ou vous l'avez mangée, ou vous l’avez cachée quelque part [Cent Nouvelles, 1456]

et le brave mari se courrouça et dit : vous avez menti, paillarde, ou vous l’avez mangée (= la lamproie), ou vous l’avez cachée quelque part (traduction de Combettes (2004))

L’hypothèse d’un déterminant quelque qui se dégagerait progressivement des constructions discutées plus haut et qui perdrait la valeur concessive qui caractérise ces dernières est toutefois remise en cause par Jayez & Tovena (2011). Les auteurs soulignent en effet l’existence, dès le XIIe siècle et de plus en plus fréquemment par la suite, de nombreuses occurrences de quelque N qui ne sont pas nécessairement concessives. Cela semble bien être le cas, par exemple, de (62) que nous empruntons à Jayez & Tovena (2011).

(62)  Male Bouche qui riens n’esperne trueve a chascune quelque herne. [Roman de la rose, Guillaume de Lorris, 1227]

Male Bouche, qui n’épargne rien, trouve à chacune un défaut quelconque

3.2.2. La forme plurielle quelques n’apparaît qu’en moyen français, selon Combettes (2004), et dans des contextes où le sujet de la proposition relative est lui-même au pluriel. Dans (63), par exemple, le fait que le sujet ilz soit au pluriel entraîne la pluralisation des femmes. Le pluriel quelques a alors le même sens que le singulier quelque (cf. aussi exemple (30)).

(63)  car quelques femmes qu’ilz aient, ilz croient generallement qu’elles soient meilleurs que toutes les aultres. [Quinze joies de mariage, 1390]

car quelques femmes qu’ils aient, ils croient qu’elles sont meilleures

À nouveau, il est difficile de préciser le moment où quelques devient autonome et passe de la lecture ‘X quels qu’ils soient’ au sens contemporain ‘X en nombre imprécis mais qui tend vers la petite quantité’. Les contextes, en effet, ne permettent pas de trancher la question. Dans (64), par exemple, aucun indice nous permet de dire si nous avons affaire à une pluralité de gens ‘quels qu’ils soient’ ou bien de gens ‘en petite quantité indéterminée’. Nous sommes alors dans une situation comparable à celle que note Foulet à propos de l’exemple (61).

(64)  Au charroy se rallierent quelques gens de pied bourguignons. [Commynes]

Au convoi se rallièrent des fantassins bourguignons

Combettes note toutefois une tendance de quelques (déjà présente pour quelque) à marquer un jugement dévalorisant (on estime non nécessaire d’identifier le référent dénoté par N) qui est rendu plus saillant dans les contextes partitifs. Il y voit une étape intermédiaire avant que quelques prenne le sens quantitatif qu’il a en français contemporain (dans le dernier tiers du XVe siècle) et qu’on illustre avec (65).

(65)  Le dit jour de vendredi, cinquiesme jour de juing, furent tuez quelques payges et aultres de noz gens es boys [André de La Vigne, 1495]

…furent tués des pages et d’autres de nos gens dans les bois

3.3.3. Le changement est beaucoup moins radical pour plusieurs. Il dérive du latin plures ‘plus nombreux’ et ‘assez nombreux’ (Buridant, 2000, p. 172 §139 ; Ernout et al., 2001, p. 517) dont la valeur comparative tend à disparaître avec le temps, ce qui oblige à construire un nouveau comparatif pluriores (par suffixation de -ior). Les mêmes auteurs supposent alors l’existence d’une forme intermédiaire, le latin populaire *plusiores , qui permettrait d’expliquer le passage de pluriores à plusieurs. Comme le montre Combettes (2005), la valeur de comparatif, réactivée avec le suffixe -ior, se maintient en ancien français. Dans (66), par exemple, plusieurs entre dans une construction comparative en que :

(66)  Franceis furent plusur que cil de Normandie. [Wace, Roman de Rou, XII s.]

Les Français furent plusieurs (plus nombreux) que ceux de Normandie

En dehors de ce type de construction, qui se fait plus rare au fil du temps, Combettes (2005) souligne aussi l’existence d’un emploi où plusieurs introduit un nom singulier. Il identifie deux cas de figure. Le premier met en jeu un N collectif, comme maihnie ‘famille, maisonnée’ dans (67). Dans ce cas, plusieurs prend le sens de ‘nombreux’. Le second fait appel à un nom comptable, comme langage ‘langue’ dans (68). Selon Combettes (2005), plusieurs prend alors le sens de ‘plus d’un’, ce qui est évidemment un argument fort en faveur des hypothèses discutées dans les Sections 3.1.3, 3.1.4 et 3.1.5.

(67)  Pluisor maihnie trop posseöns. [Livre de job, XII s.]

Nous possédons une famille trop nombreuse

(68)  Parler savoit plusor langage [Rigomer, XII s.]

Il savait parler plusieurs langues

Selon Combettes (2005), plusieurs peut initialement marquer différents degrés de quantité. Dans certains contextes, par exemple, le déterminant est coordonné avec maint qui marque le haut degré. Dans d’autres contextes, à l’inverse, on retrouve la relation de comparaison ou de contraste entre plusieurs et un qui est l’une des caractéristiques de plusieurs en français contemporain (cf. 1.4.1 et exemple (16)) et qui marque plutôt un faible degré de quantité.



4. Bilan



4.1 Qualité des données et études à faire

Une difficulté, qui n’est pas propre aux déterminants de petite quantité mais qui entrave sensiblement leur analyse, tient au fait que les jugements d’acceptabilité sur lesquels se fondent les travaux cités s’appuient sur des exemples forgés. Dans le cas de quelques, en particulier, la plupart des auteurs ont recours à leur propre intuition pour juger l’acceptabilité d’exemples souvent artificiels et hors-contextes, dont on trouve pourtant des attestations en corpus sous des formes à peine modifiées et dans des contextes qui les rendent acceptables. Sans entrer dans le débat classique qui oppose une linguistique fondée sur l’intuition et une linguistique fondée sur les corpus, nous nous contenterons d’illustrer le problème en reprenant l’exemple (8) à l’aide duquel Paillard (2006) conclut que quelques se combine mal avec différent(e)s : {Deux/ plusieurs/ ?quelques} étudiants différents. Le fait est qu’on trouve de nombreuses occurrences de quelques N différent(e)s dans les corpus et par conséquent, on peut s’interroger sur la validité du raisonnement qui s’appuie sur une observation aussi incertaine.

La linguistique de corpus peut apporter une aide précieuse dans ce genre de situation, et afin de rendre les choses un peu plus concrètes, nous allons montrer comment. L’exemple (8) met en jeu la construction <DET N ADJ> (pour simplifier le propos, entre autres, nous réduisons le problème à la seule question de l’adjectif postposé au nom en excluant la possibilité d’avoir un adverbe inséré entre le nom et l’adjectif et nous nous contentons de comparer uniquement quelques et plusieurs, alors qu’il faudrait comparer l’ensemble des déterminants indéfinis). Selon Paillard, lorsque la position ADJ est instanciée par différent, quelques a plus de mal à instancier la position DET. Ce genre d’affirmation peut facilement se vérifier sur un corpus, disons FrWac, en utilisant une mesure d’association statistique, par exemple, le calcul des spécificités (Lafon 1980). Pour cela il suffit de fixer 4 paramètres : N (la taille du corpus total, c’est-à-dire le nombre total d’occurrences de la construction <DET N ADJ>), n (la taille de la construction <DET N différent>), K (la fréquence de quelques dans le corpus, c’est-à-dire le nombre d’occurrences de <quelques N ADJ>), et enfin k, la variable testée, c’est-à-dire le nombre d’occurrences de <quelques N différent>. Le calcul des spécificités se fonde sur la distribution hypergéométrique, une loi de distribution utilisée pour décrire le résultat d’un tirage sans remise. Elle nous permet de savoir quelle est la probabilité d’avoir k occurrences de < quelques N différent(e)s>, étant donné que, d’une part, nous avons N occurrences de <DET N ADJ> dans notre corpus, et d’autre part, que nous avons n occurrences de <DET N différent> (d’où l’importance de compter correctement chaque DET, ce que ne permet pas toujours un étiqueteur standard, cf. Note 20). Comme on peut le constater, cette méthode n’a rien à voir avec un simple comptage d’occurrences, méthode qu’on voit parfois dans certains travaux mais qui n’apporte aucune information pertinente (et qui conduit par exemple à penser qu’une expression fréquente est statistiquement significative alors que ce peut très bien ne pas être le cas).

Dans le corpus FrWac, les paramètres mentionnés ci-dessus prennent les valeurs indiquées dans le tableau 1 (à des fins de reproductibilité, nous rapportons les requêtes CQL utilisées ).

k (variable testée)
<quelques N différent(e)s>
requête CQL:
[word="quelques"][tag="NOM"][lemma="différent"][tag!="NOM"]
73
K (fréquence de la forme)
<quelques N ADJ>
requête CQL:
[word="quelques"][tag="NOM"][tag="ADJ"][tag!="NOM]
58327
n (taille de la partie)
<DET N différent>
requête CQL:
[tag="DET.*|PRO.*"][tag="NOM"][lemma="différent"][tag!="NOM"]
26775
N (taille du corpus total)
<DET N ADJ>
requête CQL:
[tag="DET.*|PRO.*"][tag="NOM"][tag="ADJ"][tag!="NOM"]
22343981

Tableau 1. Occurrences de la construction <quelques N différent(e)s> (FrWac)

La question est alors la suivante : les 73 occurrences de quelques N différents (première case du tableau) respectent-elles la situation d’indépendance statistique, ou pour le dire autrement, ce chiffre correspond-il au nombre d’occurrences attendu dans le cas où quelques serait distribué de façon aléatoire dans le corpus, sachant que ce corpus a une taille de 22 343 981 occurrences parmi lesquelles on trouve 26 775 occurrences de DET N différent. Le calcul des spécificités (qui, redisons-le, est une méthode parmi d’autres pour quantifier une association) nous indique que c’est bien le cas : la spécificité de quelques pour la construction <DET N ADJ> est égale à 0,27 (proche de zéro), ce qui veut dire que c’est une forme « banale », c’est-à-dire une forme qui n’est ni plus ni moins fréquente qu’attendu (le lecteur intéressé pourra trouver une description détaillée de la méthode utilisée dans Gréa (2017)).

Le jugement que Paillard (2006) porte sur l’exemple (8) n’est donc pas adéquat. Mais est-il pour autant injustifié ? La réponse est non, et pour le comprendre, il faut refaire la même procédure avec plusieurs.

k (variable testée)
<plusieurs N différent(e)s>
requête CQL:
[word="plusieurs"][tag="NOM"][lemma="différent"][tag!="NOM"]
1495
K (fréquence de la forme)
<plusieurs N ADJ>
requête CQL:
[word="plusieurs"][tag="NOM"][tag="ADJ"][tag!="NOM]
46429
n (taille de la partie)
<DET N différent>
requête CQL:
[tag="DET.*|PRO.*"][tag="NOM"][lemma="différent"][tag!="NOM"]
26775
N (taille du corpus total)
<DET N ADJ>
requête CQL:
[tag="DET.*|PRO.*"][tag="NOM"][tag="ADJ"][tag!="NOM"]
22343981

Tableau 2. Occurrences de la construction <plusieurs N différent(e)s> (FrWac)

Dans cette nouvelle configuration (où plusieurs N différent(e)s apparaît 1 495 fois), le calcul des spécificités nous indique que plusieurs a une spécificité positive égale à 3 546,65. En d’autres termes, plusieurs ne se comporte pas du tout de la façon attendue si sa distribution était aléatoire. Il est au contraire très surreprésenté dans cette construction et c’est sans doute là que doit être recherché l’origine du sentiment de Paillard (2006). Ce n’est pas que quelques est impossible dans DET N différent, c’est que lorsqu’il est comparé à plusieurs, il fait pâle figure face à un déterminant qui monopolise à lui tout seul une partie significative des occurrences de la construction. L’intuition de Paillard (2006) n’est donc pas sans fondement : quelques et plusieurs ont bien des comportements distincts lorsqu’ils entrent en relation avec différent, mais le déterminant qui pose un problème n’est pas quelques, c’est plusieurs. Il existe en effet une affinité forte entre plusieurs et différents qu’on ne retrouve pas avec quelques et qui demande donc une explication.

On peut alors se demander (par curiosité) s’il existe un déterminant qui serait effectivement sous-représenté dans la construction <DET N différent>. C’est le cas de certain(e)s, dont la spécificité est négative : -32,23. Pour une raison qu’il revient au linguiste de déterminer, les 19 occurrences (dont certaines sont en réalité des verbes mal étiquetés, mais cela n’a pas de conséquence sur le résultat final) de <certain(e)s N différent(e)s> sont significativement inférieures au chiffre attendu si certain(e)s était aléatoirement distribué. Dans ce contexte, et malgré l’existence de ces 19 occurrences, le jugement d’acceptabilité suivant gagne en légitimité : ?certains étudiants différents.

k (variable testée)
<certain(e)s N différent(e)s>
requête CQL:
[word="certain.*s"][tag="NOM"][lemma="différent"][tag!="NOM"]
19
K (fréquence de la forme)
<certain(e)s N ADJ>
requête CQL:
[word="certain.*s"][tag="NOM"][tag="ADJ"][tag!="NOM]
63436
n (taille de la partie)
<DET N différent>
requête CQL:
[tag="DET.*|PRO.*"][tag="NOM"][lemma="différent"][tag!="NOM"]
26775
N (taille du corpus total)
<DET N ADJ>
requête CQL:
[tag="DET.*|PRO.*"][tag="NOM"][tag="ADJ"][tag!="NOM"]
22343981

Tableau 3. Occurrences de la construction <certain(e)s N différent(e)s> (FrWac)

Dans le cas présent, on le voit, l’intuition et les données statistiques s’avèrent complémentaires, s’éclairent mutuellement et leur confrontation engendre de nouvelles questions auxquelles on n’aurait pas nécessairement pensé si l’on s’en était tenu à la seule intuition. Ce genre de raisonnement pourrait être appliqué à plusieurs autres exemples discutés dans les sections précédentes. Par exemple, le calcul des spécificités montre clairement que quelques est sous-représenté dans la construction <en DET fois> et que l’expression en quelques fois est significativement moins fréquente que en plusieurs fois. Nous justifions ainsi les jugements d’acceptablité émis pour l’exemple (31). Cette même méthode a été appliquée avec profit aux noms qui sont introduits par quelques et plusieurs (Gréa 2008), et a permis de montrer, entre autres, que quelques manifeste une forte affinité pour des noms qui dénotent les éléments d’un tout collectif (Section 3.2.7, exemples (20)). Il serait donc intéressant d’étendre ce type de travail aux autres cas de figure présentés dans cette notice. Cela permettrait par exemple de valider (ou d’invalider) la thèse selon laquelle quelque (singulier) n’apparaît pas dans des phrases assertives (Section 1.6.2), ou encore, l’hypothèse selon laquelle plusieurs et le déterminant un(e) entretiennent une relation d’association statistiquement significative (Section 1.4.1.).


4.2. Interprétations incontestées ou contestées

Comme l’ont montré Ducrot (1980), Gaatone (1991) et Jayez (2005), quelques et plusieurs ne peuvent pas être opposés sur la base de leurs orientations argumentatives. En dépit de cela, l’idée que le couple quelques/plusieurs doit être rapproché du couple peu/un peu reste une opinion très largement répandue dans la communauté des chercheurs. Cet état de fait, qu’on doit en partie à la Grammaire méthodique du Français, ne facilite pas l’analyse des faits et montre que la recherche n’est pas toujours à l’abri d’un certain conformisme dogmatique. C’est qu’en réduisant l’opposition quelques/plusieurs à des orientations respectivement négatives et positives, on évite la pléiade de problèmes qui gravite autour de ces deux déterminants et dont nous espérons avoir donné une idée dans cette notice.

Des différents travaux présentés ici, il ressort que, malgré les emplois où ils apparaissent synonymes, quelques et plusieurs sont deux déterminants très différents. Ils s’opposent principalement sur leur manière de quantifier les entités dénotées par le nom avec lequel ils se combinent. En ne portant que sur des individus atomiques, plusieurs laisse ainsi penser que leur énumération est toujours possible. En ce sens, plusieurs reste attaché à son sens étymologique de comparatif et se rapproche de déterminants complexes tels que plus d’un ou plus de deux. Quelques, à l’inverse, peut porter sur n’importe quel type d’entité et reste indifférent à la question de leur énumération. Il se distingue en outre de plusieurs en imposant une contrainte de connectivité entre les éléments de la pluralité, de sorte que quelques N en vient à désigner un tout collectif dont la cohésion interne dépend du contexte et du nom déterminé.

Nous remercions Lucia Tovena pour sa relecture, ses commentaires et ses remarques. Toute erreur qui subsisterait est de notre responsabilité.



5. Annexe : ouvrages cités.


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