La notion d'énonciation (Annexe 3)

1. Origine.

Le terme d’énonciation a été mis en usage par É. Benveniste, qui le définit ainsi :

L’énonciation est [la] mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation. (1967 : 80)

Selon cette conception originelle,

- Les énonciations sont des réalités d’ordre praxéologique : des actions et non des signes.

- Chaque énonciation est un événement singulier, accompli par un individu particulier dans des circonstances particulières (genre d’interaction, état de l’univers référentiel…).

- L’énonciation consiste à utiliser des signes de la langue pour communiquer, mais la nature et la dimension de ces signes n’est pas considérée : on peut parler d’énonciation aussi bien à propos d’un mot que d’une phrase ou de tout un discours. (Le plus souvent d’ailleurs, on dit « l’énonciation » (SN défini singulier) sans dire de quoi, pour désigner globalement l’activité de parole en cours). 

2. Les linguistiques de l’énonciation.

Selon la conception structuraliste classique, ce que la linguistique se donne pour objet à décrire, c’est « la langue envisagée en elle-même et pour elle-même » (Saussure, CLG : 317), c’est-à-dire considérée comme un système de signes immanent, abstraction faite de ses mises en usage et des facteurs qui y interviennent. Cette perspective implique que les actes d’énonciation n’ont pas à faire l’objet d’une modélisation dans la grammaire. Ce sont des réalités ‘extra-linguistiques’ et idiosyncratiques, des ‘faits de parole’ dont le linguiste n’a pas à rendre compte :

Les linguistes sont également unanimes à reconnaître l’impossibilité de constituer en objet d’étude l’énonciation ainsi conçue : c’est en effet « l’archétype même de l’inconnaissable ». (Kerbrat-Orecchioni citant Todorov, 2002 : 32)

Cet immanentisme prend une forme particulièrement stricte chez Ducrot, qui définit l’énonciation comme une pure inconnue impliquée par l’existence d’un énoncé :

Ce que je désignerai par ce terme, c’est l’événement constitué par l’apparition d’un énoncé. […] On remarquera que je ne fais pas intervenir dans ma caractérisation de l’énonciation la notion d’acte – a fortiori, je n’y introduis donc pas celle d’un sujet auteur de la parole et des actes de parole. Je ne dis pas que l’énonciation, c’est l’acte de quelqu’un qui produit un énoncé : pour moi, c’est simplement le fait qu’un énoncé apparaisse […]. Je n’ai pas à décider s’il y a un auteur et quel il est. (1984 : 179)

Si le linguiste n’a pas à proposer un modèle des énonciations, il peut et doit en revanche décrire l’existence, dans la langue, de signes et de constructions qui fonctionnent comme des traces codées de leur énonciation. Soit qu’ils y réfèrent en tant que repère pour situer des êtres, des lieux ou des moments (embrayeurs, déictiques) ; soit qu’ils indiquent les effets informationnels qu’elle vise à produire (modalisateurs, marqueurs argumentatifs ou de ‘force illocutoire’) ; soit qu’ils signalent son rôle dans l’interaction (‘phatiques’, ‘particules énonciatives’, marques de discours rapporté…). Ces signes constituent dans la langue ce qu’il est convenu d’appeler ‘l’appareil de l’énonciation’. Il en existe des conceptions plus ou moins larges, les unes réduites aux indices de la subjectivité du locuteur (‘subjectivèmes’, Kerbrat-Orecchioni 2002), les autres étendues à la totalité du signifié verbal, p. ex. chez Ducrot :

[Ma conception] revient à considérer le sens comme une description de l’énonciation. Ce que communique le sujet parlant au moyen de son énoncé, c’est une qualification de l’énonciation de cet énoncé. (1984 : 182)

(Cette conception ouvre notamment la voie aux analyses polyphoniques : on peut envisager que dans le sens d’un énoncé soient représentés les rapports entre son énonciation et d’autres énonciations évoquées, attribuées à des énonciateurs différents.)

En résumé, ce qu’on nomme communément linguistique de l’énonciation n’est pas un modèle de la praxis langagière elle-même, mais une description sémantique de ses marques dans les énoncés. Elle n’atteint donc les énonciations qu’indirectement, à travers la représentation que le matériau verbal utilisé donne de son utilisation. Cette approche est néanmoins révélatrice de la façon dont les sujets parlants conçoivent et structurent mentalement leurs opérations énonciatives, et elle apporte par là un éclairage important sur la cognition. 

3. L’énonciation dans les linguistiques du discours.

Si on se fixe pour but de décrire non la langue, mais les structures des discours, la perspective change : on ne peut le faire sans figurer explicitement les actions dont ces discours sont composés, leurs caractéristiques intrinsèques, et les relations qui les lient. Face à cette tâche, deux orientations se sont fait jour :

(i) Sans recourir à la notion d’énonciation.

Les travaux consacrés à l’analyse des interactions font généralement appel à d’autres types d’unités d’action. C’est le tour de parole, effectif ou potentiel (TCU), qui est pris pour unité discursive de base. Il s’y ajoute le plus souvent une notion d’acte de langage héritée des sémantiques énonciatives, qui recouvre en fait les valeurs illocutoires ou argumentatives signifiées dans les contenus d’énoncés (voir § 5).

(ii) En recourant à la notion d’énonciation.

C’est la perspective adoptée par le Groupe de Fribourg (§ 412), qui fait des énonciations les unités de base dont sont composés les discours (monologaux). Par énonciation, on entend alors non la représentation sémantique qu’un énoncé donne de son dire, mais bien ce dire lui-même, c’est-à-dire l’action concrète de prononcer une clause, exécutée par un locuteur en situation. Cette conception constitue un retour à la notion benvenistienne d’origine, mais définie toutefois plus restrictivement, en tant qu’opération effectuée sur un type particulier d’unités linguistiques, les clauses. 

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