Selon Hummel & Gazdik (2021 : 43), cette idée se trouve déjà chez Henri Estienne (1565) ; Delsaut (2013 : 47-48) confirme que l’explication par l’ellipse d’un nom avait déjà cours au XVIème siècle, reconduite ensuite au XVIIIème siècle par Du Marsais et Condillac. Les illustrations dans l’histoire de la grammaire sont multiples.
Ainsi, on retrouve cette hypothèse chez Damourette & Pichon (1911-1933, t. 3, 379-394), puis chez Grundt (1972) qui propose des transformations du type :
(8) (a) Ils conduisent brutal → Une conduite brutale (exemples cités par Delsaut 2013 : 32-33)
(b) Il mange bon → Une bonne nourriture
(c) Je m’habille beau → Mes beaux vêtements
L’adjectif qualifierait donc un objet implicite, sélectionné par le sémantisme du verbe, mais sans qu’il y ait incidence au sujet.
Goosse-Grevisse analyse penser humain comme « penser qqch d’humain » : l’adjectif aurait une valeur adverbiale, mais tout se passe « comme s’il qualifiait un complément neutre implicitement contenu dans le verbe » (Delsaut 2013 : 27).
Riegel, Pellat & Rioul (2018 : 658) considèrent que l’adjectif « caractérise le verbe (mais indirectement, par l’intermédiaire d’un objet générique non-exprimé) ». Et ils ajoutent :
Cette construction s’est étendue par analogie à des verbes intransitifs (Il sent bon) et même impersonnels (Il pleut dru), qui, s’ils n’ont pas d’objet interne syntaxiquement réalisable, ont, comme les autres verbes, des correspondants nominaux caractérisables par l’adjectif associé à l’adverbe (une bonne odeur – une pluie drue).
Les auteurs de la Grammaire méthodique, loin de cantonner comme le fait Noailly la lecture ‘objet’ à une partie seulement du phénomène, ramènent en quelque sorte, par analogie, l’ensemble des exemples à des « correspondants nominaux ».
Guimier & Oueslati (2006 : 1) postulent également que l’adjectif porte sur un objet implicite : manger salé ≈ ‘manger des aliments salés’ ; offrir utile ≈ ‘offrir quelque chose d’utile’.
Confirmant son analyse de 1994, Noailly (2021 : 717), dit de l’adjectif dans manger sain ou dire vrai, qu’il « exprime une propriété distinctive du complément sous-entendu par le verbe » (‘manger des choses saines’, ‘dire la vérité’).
Sans souscrire à ce type d’analyse, Van Raemdonck (2014 : 103) écrit de manière convergente que dans « Pierre mange italien, vote utile, ou bronze idiot, on a vu un emploi adverbial de l’adjectif, tout en précisant qu’un support potentiel pouvait être trouvé à l’intérieur du verbe (objet interne, idée contenue dans le verbe…) ».