Noms collectifs

Marie Lammert 
 >Page pers.    Michelle Lecolle
(04-2023)

Pour citer cette notice :
Lammert (M.) & Lecolle (M.), 2023, « Noms collectifs », in Encyclopédie Grammaticale du Français, en ligne : http://encyclogram.fr

 


1. Découpage du domaine.


En première approche, on peut caractériser le nom collectif (Ncoll désormais) comme un nom commun dénotant, avec une morphologie au singulier, une pluralité d’objets de même type (humains, animaux, objets, éléments de la nature, notions  : équipe, meute, flotte, bouquet, liste, archipel, élite, clique, mouvement, horde, argumentaire par exemple)... En dépit de cette particularité sémantique et grammaticale, les Ncoll sont d’un usage tout à fait courant, et sont attestés dans de nombreuses langues : anglais, néerlandais, russe, grec, turc, arménien, allemand, danois, arabe, berbère, breton, gallois, russe, polonais, espagnol, italien...


1.1. Définition et délimitation du domaine

La reconnaissance des Ncoll s’appuie sur des critères morphologiques, sémantiques et syntaxiques qui permettent généralement de délimiter cette catégorie, certains noms, associés ou non à celle-ci, donnant lieu à discussion des critères définitionnels. L’approche définitoire adoptée en français se place dans une perspective sémantique, tandis que les analyses menées à propos de l’anglais sont sous-tendues par la syntaxe (en raison de phénomènes d’accord distincts de ceux du français).


1.1.1. Critères définitionnels

Le sens du Ncoll comporte deux niveaux d’Unité (cf. Arigne, 2011, 2014) : le niveau d’Unité1 (U1) ou niveau atomique, renvoyant au groupe constitué, à la collection, et le niveau U2 des éléments du groupe, les membres, qu’ils aient ou non une contrepartie lexicale. Cette « double strate de conceptualisation » constitue d’ailleurs pour Gardelle (2022 : 64) le critère définitoire des Ncoll (notamment dans la distinction qu’elle opère entre Ncoll et N d’agrégats, cf. § 1.1.2.4.). Cette conceptualisation duelle implique certaines propriétés sémantiques et distributionnelles que nous exposons ci-après.

1.1.1.1. Discordance morpho-sémantique

L’un des principaux critères de reconnaissance des Ncoll, qui s’inscrit dans la tradition grammaticale, repose sur l’apparente discordance entre une morphologie singulière, autrement dit l’absence d’une marque flexionnelle de pluriel, et un sens pluriel, le nom désignant une pluralité d’individus : ces noms renvoient à un ensemble d’éléments rassemblés sous une étiquette lexicale singulière. Cette pluralité sémantique peut être assimilée à une pluralité dite « interne » (cf. Guillaume, 1964, Furukawa, 1977, Moignet, 1981), qui permet une appréhension singulière, en tant qu’entité, de la collection ainsi formée.

Cette particularité confère aux SN ayant pour tête un Ncoll des propriétés distributionnelles comparables aux SN pluriels, notamment pour ce qui concerne certains prédicats verbaux (verbes de rassemblement : (se) rassembler, (se) réunir, (se) (re)grouper, etc. ; verbes de dispersion : (se) disperser, (se) séparer, etc. ; verbes de modification de la collection précisant les sous-ensembles : éclater, (se) décomposer, etc., cf. Dubois et Dubois-Charlier, 1996, Borillo, 1997, Flaux, 1998 et 1999, Gross M., 1999) :

(1)  Jeudi, Vingegaard doit continuer les célébrations dans sa ville de Glyngøre, dans l’ouest du pays. Plus de 10000 personnes sont attendues, six fois plus que le nombre d’habitants de la bourgade. « Il a rassemblé la nation. C’est vraiment grand », s’est réjoui Claus, son père, au micro de la télévision nationale DR. Une marée rouge et blanche a fêté son maillot jaune, mercredi sur la grand-place de la capitale danoise. (Midi Libre, 28/07/22)

De même, des adjectifs tels que nombreux, pléthorique, unanime, clairsemé, disparate, discordant, également compatibles avec des SN pluriels, peuvent être employés avec les Ncoll (cf. Riegel, 1985) :

(2)  La première soirée de la cinquième édition des Mercredis du Brivet a rassemblé un public nombreux. (Ouest France, 23/07/22)

Tandis que des adjectifs comme fourni, dense, restreint, homogène, hétérogène, composite (cf. Dubois et Dubois-Charlier, 1996, Borillo, 1997) révèlent la structure interne des Ncoll :

(3)  Une foule dense et compacte a assisté à la Fête vénitienne, mardi, après deux ans d’absence. (Ouest France, 04/08/22)

C’est également la pluralité interne des Ncoll qui leur permet d’être utilisés avec les adverbes en masse, d’un commun accord, à la majorité, comme un seul homme, à l’unanimité (cf. Borillo, 1997), qui mettent en évidence la cohésion des éléments formant la collection.

(4)  Le conseil municipal a décidé, à l’unanimité, d’augmenter tous les tarifs de 3 %. (La Nouvelle République, 19/07/22)

Enfin, dans le cas de certains Ncoll, une reprise anaphorique par le pronom pluriel ils référant aux éléments de la collection, met en exergue leur pluralité interne (Jespersen, 1924, Reichler-Béguelin, 1993, Borillo, 1997, Flaux, 1999) :

(5)  Toutes les entrées sur le terrain, il y avait vraiment ce côté décalé, qui sert à ce groupe pour enlever toute la pression autour des matches. L’équipe aide beaucoup. Au début il y a de la pression, mais la façon dont ils prennent les matches, on dirait presque qu’ils ne prennent pas les choses au sérieux, mais ils sont très professionnels, j’ai retrouvé le plaisir de jouer comme quand tu es enfant, tu y vas pour t’amuser. (L’indépendant, 30/07/22)

La morphologie singulière des Ncoll leur confère également des propriétés distributionnelles particulières : considérés comme des « atomes » (cf. Landman, 1989, Barker, 1992), ils sont incompatibles avec les adverbes distributifs et de simultanéité tels que simultanément, conjointement, séparément, alternativement, chacun de son côté, à tour de rôle, un à un, etc. (Borillo, 1997). Ceux-ci vont en effet à l’encontre de la solidarité interne des Ncoll : les éléments de la collection, du fait de l’unité qu’ils présentent, ne peuvent être atteints par la distributivité et la simultanéité.

(6)  *L’équipe s’entraîne chacun de son côté. vs Les joueurs s’entraînent chacun de leur côté.

Ce fait indique qu’un SN ayant pour tête ce Ncoll n’est pas équivalent à un SN pluriel désignant les éléments. Bien que les deux expressions soient comparables à certains égards, de nombreuses différences apparaissent, ce qui sera illustré dans la suite du développement.

1.1.1.2. Homogénéité interne

La pluralité interne des Ncoll se caractérise par une certaine homogénéité, qui consiste en une identité catégorielle des éléments de la collection : un bouquet est composé de fleurs. Dans le cas général, comme elle est le fait du regroupement d’entités individuelles préexistantes, cette homogénéité interne peut être qualifiée de « discontinue », de la même façon que l’homogénéité qui émerge d’un SN pluriel (des fleurs). Ces particularités opposent Ncoll et noms massifs (cf. § 1.1.2.3). En réalité, l’homogénéité sémantique des Ncoll peut être tout à fait relative selon le point de vue où l’on se place, ou selon certains paramètres, comme la manière dont est constituée ou conçue la collection, l’existence ou non de lexème dénotant l’élément de la collection, la manière dont se réalise le rassemblement des éléments : ainsi, on peut opposer les cas où la collection est constituée d’éléments qui sont nécessairement affiliés à une collection donnée (ex : les soldats d’une armée) à ceux où les éléments ne font a priori pas partie d’une collection, sont indépendants d’un ensemble quelconque et peuvent prendre part à une collection a posteriori (les éléments d’une foule, de l’opinion publique, d’un mouvement). Ces points sont développés dans ce qui suit, et particulièrement en § 4.

1.1.1.3. Rapport membre / collection

La discordance entre morphologie et sens qui caractérise les Ncoll s’accompagne, sur le plan lexico-sémantique, d’une hétérogénéité entre le niveau des éléments rassemblés (des joueurs par exemple) et celui de la collection ainsi désignée (une équipe). Les éléments en question sont rassemblés selon différents principes (cf. § 4.), ce à quoi s’ajoute un lien sémantique – qu’il soit ou non lexicalement marqué – entre membre et collection. Ainsi, les Ncoll peuvent être décrits en termes de relation entre des éléments (ou membres) d’un côté et un ensemble (une collection) de l’autre. Néanmoins, les conceptions qui sous-tendent cette relation diffèrent : méronymique, d’un côté, ensembliste de l’autre (voir infra).

Dans le cadre d’une conception méronymique, la relation membre / collection prend place aux côtés d’autres relations « partie / tout », développées notamment en psychologie (cf. Winston, Chaffin & Hermann, 1987, Iris, Litowitz & Evens, 1988). Suivant cette perspective méronymique, Cruse (1986) distingue quatre relations impliquant des Ncoll, selon la nature ontologique et le type de regroupement des éléments (fonctionnel, appartenance à une classe, spatial) : (a) group-member (orchestre / musicien), (b) class-member (aristocratie / comte), (c) collection-member (bibliothèque / livre), enfin (d) une relation intermédiaire entre le group et la collection qui concerne les [+ animés, - humains] (essaim / abeille).

Dans le cadre d’une conception « ensembliste » (Lecolle, 2019), la relation membre / collection se laisse décrire comme une relation élément / ensemble, qui opère en quelque sorte comme un « patron » (Lecolle, 1998), y compris pour les nombreux Ncoll qui n’ont pas de nom d’élément lexicalement apparié (famille, société, génération – voir infra). Selon le point de vue défendu, cette description se rapproche plus nettement de la relation linguistique membre / collection que la description méronymique traditionnellement défendue, et notamment par l’homogénéité qu’elle suppose entre les éléments. Elle permet de rendre compte des gloses en termes d’appartenance (faire partie de, être membre de, appartenir à), qui vont du membre à la collection, et de la relation inverse, allant de la collection au membre : ainsi, administration, par exemple, est défini dans le TLFi comme « Ensemble des personnes chargées d’administrer, dans les domaines public ou privé ».

Dans ce cadre, le « tout » (la collection) peut connaître deux niveaux distincts de structuration : celui qui lie l’élément à l’ensemble et celui qui lie le sous-ensemble (une partie, elle-même un ensemble) à l’ensemble : soldat / brigade ; soldat / armée pour la relation membre / collection et brigade / armée pour la relation partie / tout – description ayant parfois une contrepartie lexicale, pour les groupes humains en particulier, avec certains Ncoll qui ont dans leur signification le trait /partie/ : faction, mouvance, section, élite, par exemple.

Le lien sémantique entre élément ou membre et collection transparaît aux niveaux cognitif, sémantique et syntaxique. Cognitivement, le Ncoll implique une pluralité d’éléments. Ceux-ci apparaissent comme définitoires de la collection (en témoignent les définitions lexicographiques comme celle d’administration mentionnée ci-dessus, formées sur le même schéma : trait [+ collectif] exprimé par groupe, collection, rassemblement, ensemble, etc., puis précision des éléments, ex : « essaim : Groupe d’abeilles qui quittent la ruche mère lorsque celle-ci est surpeuplée pour aller s’établir ailleurs et former une colonie nouvelle », TLFi) ; ces éléments peuvent être, ou non, lexicalement déterminés et avoir, ou non, une étiquette propre, selon les Ncoll. Ainsi une armée est-elle composée (principalement) de soldats, tandis qu’un troupeau peut contenir des bêtes, des chèvres ou des vaches et qu’une famille, une communauté, une société est composée, simplement, de membres ; dans ce dernier cas, Lecolle (2019) parle de « nom collectif indivis » (cf. § 4.1).

Syntaxiquement, les syntagmes binominaux du type [Dét Ncoll de (dét) Nélément] explicitent le contenu de la collection et sont paraphrasables par « Dét Ncoll composé de Nélément ». La composition des collections peut être fixe, et nécessite dans ce cas la présence d’un modifieur pour justifier l’utilisation de cette structure (cf. (7) vs (8)), ou être variable, lâche ou non fixée (cf. (9)-(11)) :

(7)  [...] Au lieu qu’un seul chef et un guide unique, avec ses tentes, ses pavillons, son armée de soldats dévoués, pouvait se ranger en bataille contre tant de sectes nouvelles, les écraser et remettre tout, dans la soumission et dans le devoir. (E. Bourges, Le Crépuscule des dieux, 1884)

(8)  [...] Au lieu qu’un seul chef et un guide unique, avec ses tentes, ses pavillons, *son armée de soldats, pouvait se ranger en bataille contre tant de sectes nouvelles, les écraser et remettre tout, dans la soumission et dans le devoir.

(9)  Voici une nouvelle maison que je quitte, une ville qui s’éloigne derrière les vitres du taxi. Encore un consulat, encore une gare et des champs qui fuient derrière le train. Ce bouquet d’arbres, ce lac paisible, cette route blanche que je ne reverrai plus. Voici de nouveau un pays auquel je dis adieu. (T. Torrès, Une Française libre : journal 1939-1945, 2000)

(10)  Un long moment, tous deux se taisent, plongés dans leurs pensées. Une petite fille de deux ou trois ans passe devant eux, un bouquet de fleurs à la main. (M. Borie, Dulce de leche, 2021)

(11)  Le lecteur serait-il carrément en voie de disparition ? Et le roman destiné au plaisir d’une petite coterie de lettrés ? (Télérama, 19/08/2015).

Le rapport membre / collection se manifeste également discursivement par le biais d’anaphores associatives (Kleiber, 2001) dans lesquelles un SN ayant pour tête un Ncoll constitue l’antécédent et l’expression anaphorique consiste en un SN défini pluriel qui précise les membres de la collection :

(12)  Ça sent bon, hein ?, Maman. — Délicieux... — C'est pour toi mais il faudra mettre le bouquet tout de suitedans un vase quand on rentrera à la maison... — Bien sûr... — Pour pas que les fleurs se fanent... (P. Forest, L'enfant éternel, 1997)

(13)  Il restaitune demi-douzaine de personnes pour écouter la musique de jazz. Le petit orchestre de la boîte était plutôt bon. Les musiciens se laissaient aller, maintenant qu’ils jouaient pour eux-mêmes. (J. Semprun, L’écriture ou la vie, 1994)

1.1.1.4. Dualité sémantique

Les caractéristiques décrites jusqu’ici expliquent la dualité sémantique présentée par les Ncoll (cf. notamment Lammert et Lecolle, 2014, Lecolle, 2019). Dans leurs emplois, comme les différentes propriétés distributionnelles exposées ci-dessus ont pu le montrer, le focus peut être mis sur la collection – est alors soulignée l’unité, la singularité atomique U1 –, sur les membres (U2) – à travers la mise en exergue de la pluralité interne et de l’homogénéité –, ou encore sur le rapport hétérogène existant entre la collection et ses membres. Le Ncoll équipe pourra ainsi, par exemple, donner lieu à trois types de reprises anaphoriques, selon le focus adopté : une reprise directe avec elle lorsque le focus est mis sur U1 (ex. 14), une référence aux membres (U2) par le biais du pronom ils (ex. 15) ou par une anaphore associative avec tous les joueurs (ex. 16) :

(14)  Au cours de ma troisième année, pour cause de restriction budgétaire, le principal dut se résoudre à démanteler l’équipe de crosse qui coûtait trop cher au lycée par rapport à ce qu’elle lui rapportait. (J. Dicker, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, 2012)

(15)  Je me souviens d’avoir pris une part modeste à la création d’un journal gauchiste, Libération, avec une équipe marxiste, unie, courageuse, enthousiaste. Or ils cessèrent vite de s’aimer les uns les autres. Au bout de quelques mois, munis du bras séculier, ils se fussent exterminés. (C. Mauriac, Et comme l’espérance est violente, 1976)

(16)  C’est une équipe qui travaille et qui a fait des bons matchs amicaux. On verra le rapport de force de demain. Une rencontre qui va permettre à tous les joueurs de reprendre le rythme d’une Ligue 2 qui cette année sera de haute volée. (Le Courrier de l’Ouest, 30/07/22)

Un quatrième type de reprise s’observe également en discours, dans lequel la collection apparaît à nouveau sous un autre Ncoll, procédant alors à une recatégorisation qualitative ou appréciative de celle-ci :

(17)  Restait à trouver une jeune première. On dénicha une exquise blonde, frisée, aiguë, guère plus de vingt ans, intelligente à ne pas croire et se plaisant à le montrer. La fine équipe ! La petite blonde se nommait - se nomme encore, Dieu merci ! - Mireille. Le zest qu’elle a mis dans son jeu, chacun aujourd’hui l’imagine, la Mireille de vingt ans ! Barstoff, confortablement dodu, gras et jovial, régnait sur ce peu de tribu. (D. Arban, Je me retournerai souvent... : souvenirs, 1990)

(18)  D’ailleurs Pottier d’Issy avait ses familiers, une bande confuse éparpillée entre les contreforts de Vanves et Clamart, et son plus proche, avant mon arrivée, dans l’équipe, était surnommé Béru. (Bayon, Le Lycéen, 1987)

La question de l’accord que soulèvent les Ncoll fait également ressortir cette ambivalence sémantique (voir § 3.1 pour une présentation détaillée).


1.1.2. Délimitation de la catégorie

Les contours de la classe des Ncoll doivent, dans certains cas, être précisés : en effet, des rapprochements avec d’autres catégories sont souvent effectués, qui peuvent s’expliquer par des propriétés communes : rapprochement avec certaines catégories grammaticales (pronoms, déterminants, substantifs quantificateurs), avec d’autres classes de noms (noms à référence massive, noms d’« agrégats »), ou d’autres expressions de la pluralité (SN définis pluriel – par exemple exprimant les éléments de la collection – ou pluriels lexicaux). Par ailleurs, la possible référence collective de noms a priori non collectifs est également à prendre en compte dans la délimitation de la catégorie des Ncoll. Enfin, les Ncoll peuvent être comparés à différents titres à certaines catégories ou certains emplois de noms propres (Npr).

1.1.2.1. Noms collectifs vs pronoms, déterminants

En synchronie, se pose la question de la délimitation de la catégorie Ncoll avec celle des déterminants : la plupart, la majorité de + N, et celle des pronoms : la plupart, la majorité, ou encore tout le monde. La question peut se formuler en termes d’autonomie référentielle : des Ncoll comme police, gouvernement, bouquet, famille, foule, régiment (que certains auteurs étiquettent sous le terme de Ncoll « déterminé », voir notamment Pusch, 2020 – nous parlons pour notre part de « lexicalement déterminé ») désignent des entités isolables référentiellement – même si ce n’est pas par un lexème dédié –, à la différence de noms tels que majorité, minorité, moyenne, liste, plupart, série, infinité, kyrielle, ou encore dizaine, douzaine, etc., qui nécessitent un complément, selon la structure [Dét. majorité de (dét) Npl] dans laquelle Npl spécifie le contenu du groupe. La distinction opérée ici peut donc être décrite, mais elle est graduelle, selon plusieurs dimensions, diachroniques et synchroniques (pour cet aspect, voir infra § 1.1.2.2). Ainsi, plupart par exemple (étymologiquement (1395 – TLFi), la pluspart signifie « la plus grande partie de quelque chose ») était anciennement considéré comme un Ncoll, de même que majorité et d’autres : dans l’article « collectif » de l’Encyclopédie (1751-1772), l’auteur, Dumarsais, mentionne multitude, le plûpart (sic), quantité, aux côtés de régiment, troupe. Et Beauzée, dans sa Grammaire Générale ou exposition raisonnée des éléments nécessaires du langage (1767), étiquette, au sein de la section sur les « Noms numéraux » (p. 347), couple, dixaine, douzaine, quinzaine, sous le terme de « nom collectif ». Par ailleurs, un nom comme kyrielle, qui n’est pas lexicalement déterminé et fonctionne uniquement comme déterminant nominal quantifieur (voir § 1.1.2.2.) évoquant la grande quantité (comme ribambelle, flopée), avait anciennement le sens plein de « suite interminable de paroles ou de mots » (Wikictionnaire), en référence aux paroles de la liturgie catholique (kyrie).

Il semble qu’il y ait actuellement globalement consensus pour ne pas considérer ces noms comme des Ncoll, et pour les ranger dans la catégorie des déterminants (déterminants nominaux quantifieurs – dans la structure [dét. N1 de (dét) N2pl] : la plupart/la majorité des gens – voir, à l’inverse, Arigne, 2011, 2014, pour laquelle ces noms sont des Ncoll) ; on peut hésiter, pour certains, à les ranger aussi dans les pronoms (la plupartplupart est considéré comme un nom par les dictionnaires TLF, Académie). La question de la délimitation entre Ncoll et déterminant se pose néanmoins, parce que certains noms ont plusieurs significations, l’une, à « sens plein » (la /une foule, le /un bouquet, la /une forêt), ayant une autonomie référentielle, l’autre fonctionnant simplement comme outil de pluralité (une foule de sensations ; un bouquet de souvenirs ; une forêt de mains – voir sur ce point infra, § 1.1.2.2), et parce qu’on peut postuler une évolution descriptible en termes de perte sémantique touchant plusieurs noms collectifs. Si de fait ce processus est évolutif, on peut alors l’envisager en termes de grammaticalisation : une perte sémantique pour foule et d’autres s’accompagnerait alors d’une sortie de la catégorie nominale. Mais les deux significations (sens plein autonome et simple pluralité) peuvent aussi coexister à une même période, comme cela semble être le cas par exemple pour multitude (« Ceux qui forment le plus grand nombre, la masse du peuple, le commun des hommes »)

(19)  Sitôt que cette multitude est ainsi réunie en un corps, on ne peut offenser un des membres sans attaquer le corps (Jean-Jacques Rousseau, le Contrat social).

et (avec compl. de nom) « Très grand nombre (d’êtres ou de choses concrètes ou abstraites, de même espèce) » – TLFi), comme population dans sa signification statistique (une population d’oiseaux, la population de résineux de cette forêt) et sa signification de Ncoll humain (la population française), ou comme pour majorité qui, en tant que terme politique, a un sens plein (voir majorité1 dans l’exemple ci-dessous), alors qu’il a (au moins) deux autres significations : une signification quantitative et partitive (voir ici majorité2), et celle de quantifieur : la majorité des salariés de l’entreprise s’opposent à cette mesure.

(20)  Selon les résultats définitifs publiés par le ministère de l’Intérieur qui a compilé, lundi 20 juin, les sièges par nuances politiques, la majorité1 présidentielle dispose de 245 députés à l’Assemblée nationale, et n’atteint pas la majorité2 absolue (289 députés). (Site web de RTL)

Il en est de même d’ailleurs pour minorité qui, en outre, présente avec l’expression (généralement au pluriel) « minorités visibles », une autre signification supposée porter des informations sociologiques ou démographiques, mais est plutôt prisée par la presse, sans réelle valeur scientifique.

On a donc ici des frontières théoriques, avec, d’un côté et d’autre, des exemples bien nets (pour les déterminants nominaux quantifieurs des mots comme liste, série, quantité, infinité, qui nécessitent une détermination externe par un complément de nom ; pour les Ncoll, des exemples comme police, gouvernement, parlement, église, peuple, noms pourvus d’une autonomie référentielle et qui ne prennent généralement pas de complément de nom) et des exemples manifestant des zones de chevauchement ou d’hésitation provenant de plusieurs sources ; enfin des cas qui, comme majorité vu ci-dessus, connaissent une ou des significations comme Ncoll ou entité composite : liste (électorale), série (comme « œuvre de fiction découpée en plusieurs épisodes, mettant souvent en scène des personnages récurrents », Le Robert).

1.1.2.2. Ncoll et Substantifs quantificateurs

Comme évoqué plus haut (cf. § 1.1.1.3), la structure [Dét Ncoll de (dét) N2pl] permet de spécifier en N2 les éléments formant la collection. Les Ncoll entrent ainsi dans la même structure syntaxique que celle des « substantifs quantificateurs », SQ désormais (Benninger, 1999 a et b, 2001 a et b), aussi appelés « noms déterminatifs » (Borillo, 1997), « déterminants nominaux » (Dessaux, 1976) ou « déterminants nominaux quantifieurs » (Buvet, 1993 et 1994). Un rapprochement peut ainsi être fait entre ces deux catégories, ou en tout cas entre certains Ncoll et les SQ (comme ce sera également évoqué dans la section 4). Sont plus particulièrement concernés les Ncoll lexicalement sous-déterminés, c’est-à-dire les Ncoll pour lesquels les éléments doivent être spécifiés en contexte (pile, file, lot, infinité, multitude, etc.) et les emplois métaphoriques des Ncoll lexicalement déterminés (une armée de sauterelles, une forêt de mâtsvoir aussi § 1.1.2.1 supra). Les premiers jouent le rôle de SQ dans la plupart de leurs emplois. Les différents tests identificatoires mis en évidence par Benninger (1999 a :173-183) , à savoir (i) la possible substitution hyperonymique de Dét-N1-de par une certaine quantité de / un certain nombre de ou la substitution par une quantification générale comme un peu de / beaucoup de, (ii) la pertinence de la question en Combien de N2 ?, (iii) la possibilité d’être précédé par un marqueur d’interprétation quantitative tel que tout, (iv) l’effacement possible du bloc Dét-N1-de, (v) l’effacement impossible de N2 montrent que les exemples ci-dessous (repris de Lammert, 2010 : 282) sont des SQ :

(21)  Elle tenait un livre qu’elle glissa dans un casier, avec soin, en arrière des piles d’ouvrages de classe ; puis, examinant toujours autour d’elle, elle ressortit sur la pointe des pieds. (Daniel-Rops, Mort, où est ta victoire ?, 1934)

(22)  D’abord on se trouvait sur le bord d’un canal bordé de peupliers, on longeait une écluse, des péniches chargées de gravillon, des files de pêcheurs, puis l’on s’enfonçait dans une forêt plantée d’arbres sombres [...] (G. Perec, Un cabinet d’amateur : histoire d’un tableau, 1979)

(23)  [...] pour le plus grand dam de son mobilier qui en avait déjà vu et devait encore en subir de bien drôles dans [toute] une série de déménagements de Suisse en Egypte, en Italie, puis à Paris, à Londres, tantôt dans des demeures de riches, tantôt dans des logis de pauvres (…) (B. Cendrars, Bourlinguer, 1948)

Lorsque les Ncoll sont lexicalement déterminés, l’emploi quantificationnel peut être fait sur la base d’une analogie qui concerne la pluralité interne des collections (ex. (24)), la forme des collections et des éléments des collections (ex. (25)), une fonctionnalité commune (ex. (26)) (voir également Leroy, 2005).

(24)  Et certains soirs, m’étant endormi sans presque plus regretter Albertine – on ne peut regretter que ce qu’on se rappelle – au réveil je trouvais toute une flotte de souvenirs qui étaient venus croiser en moi dans ma plus claire conscience, que je distinguais à merveille. (M. Proust, A la recherche du temps perdu, 1922)

(25)  [...] ensuite de petites maisons d’habitation où logent juifs et étrangers, toutes pareilles, avec réservoir sur la terrasse et une forêt de manches à balais, antennes pour radio. (P. Morand, New-York, 1930)

(26)  Je souris, je savais que je n’en ferais rien. Pourtant, je connaissais toute une panoplie de supplices raffinés qui l’auraient mis sur le flanc. (C. Aventin, Le Coeur en poche, 1988)

Borillo (1997) et Flaux (1997) proposent plusieurs tests (reprise anaphorique démonstrative, par un pronom personnel notamment), qui permettent d’expliciter le statut syntaxique des N, selon qu’ils sont employés comme Ncoll ou comme SQ. En tant que quantificateurs, ils ne constituent pas la tête du syntagme binominal, puisqu’elle est dévolue à N2, qu’ils déterminent. Cette configuration particulière, réunissant un N1 singulier et un N2 pluriel donne lieu à des fluctuations d’accord du verbe lorsque la structure binominale est en position sujet (cf. § 1.1.1.4 et 3.1 infra).

1.1.2.3. Ncoll vs Noms à référence massive

Comme évoqué ci-dessus (§ 1.1.1.2 et § 1.1.1.3), les Ncoll présentent une homogénéité interne et une hétérogénéité entre élément et collection. La combinaison de ces deux propriétés permet une nette distinction d’avec les noms massifs. Noms massifs et Ncoll ont en effet en commun une homogénéité qui, alors qu’uniquement interne pour les Ncoll, est totale pour les noms massifs : du riz est composé de riz, du sable est composé de grains de sable qui restent du sable, alors qu’une équipe est composée de joueurs (discontinus). Autrement dit, la substance prise comme « partie » est de même nature que celle formant l’ensemble. L’homogénéité qui réunit ces deux types de noms a pour conséquence des propriétés communes relatives : le principe de référence cumulative (Quine, 1960 : 91), par exemple – principe de ‘physique de sens commun’ considéré comme critère de reconnaissance des massifs  > Notice  – peut s’appliquer, tout comme aux SN pluriels, aux Ncoll : un bouquet + un bouquet = un plus gros bouquet. Ceux-ci présentent en revanche la possibilité d’une « référence cumulative hétérogène » (Flaux, 1999), à la manière des noms d’individus atomiques : un bouquet + un bouquet = deux bouquets.

Par ailleurs, comme le signalait déjà Meigret (1550) dans la qualification de collectif de certains emplois de du (cf. § 1.2.1), certains emplois du partitif sont considérés par certains auteurs comme des emplois collectifs (cf. Furukawa, 1977, Galmiche, 1986, 1987, 1989, dont nous reprenons les exemples) :

(27)  Il y a de la gifle dans l’air.

(28)  Il y a du sanglier dans ces forêts.

Le partitif entraîne une multiplication des référents, le SN désignant ainsi une pluralité d’entités sous une étiquette singulière. Pour autant, ce phénomène syntactico-sémantique ne peut être assimilé aux Ncoll pour deux raisons (pour plus de détails, voir Lammert, 2010 : 143-146). Premièrement, la pluralité d’entités n’est obtenue qu’au niveau du SN et non du N, comme c’est le cas pour les Ncoll. Deuxièmement, avec le SN massif, l’homogénéité est totale, alors qu’elle n’est qu’interne pour les Ncoll.

Reste la question des Ncoll qualifiés de « massifs », tels que bétail, mobilier, outillage, etc., qui seront abordés ci-dessous.

1.1.2.4. Ncoll vs agrégats et pluriels lexicaux

Les noms tels que bétail, mobilier, vaisselle, argenterie, etc., sont, selon les auteurs, intégrés ou non à la classe des Ncoll. Les différentes étiquettes employées pour les désigner reflètent les diverses manières de les appréhender et leur ambivalence : « collective supercategories » (Wierzbicka, 1984 et 1985 a et b), « collective mass nouns » (Bunt, 1985), « N massifs à individuation intrinsèque du référent » (Kleiber, 1990), « noms de masse à référence hétérogène » (Wiederspiel, 1992), « count-mass nouns » (Doetjes, 1997, repris par Smith, 2012), « collectifs massifs » (Nicolas, 2002, Lammert, 2010), « aggregates / agrégats » (Joosten, 2003, 2006 et 2010, Gardelle, 2022), « object mass nouns » (Barner & Snedeker, 2005), « furniture-nouns, fonctionnal aggregates » (Grimm & Levin, 2012), « noms de collections » (Fasciolo, 2016). Par la suite, nous utiliserons les étiquettes de collectif massif et d’agrégat pour marquer respectivement l’appartenance ou la non appartenance à la catégorie des Ncoll, en fonction des auteurs.

Agrégats

Sans entrer dans le détail de l’analyse, pour laquelle nous renvoyons à Joosten (2006 et 2010), Lammert (2010), Gardelle (2022), différents arguments (exposés par Joosten, 2006) plaident en faveur d’une séparation des Ncoll et des agrégats. Le principal concerne le caractère comptable vs massif qui les distingue, et qui se reconnaît au fait que les Ncoll, contrairement aux noms d’agrégats, ne s’emploient ordinairement pas avec un déterminant partitif : Voici du bétail, de la vaisselle vs ? Voici de l’équipe, du club

Joosten (2006) souligne cependant qu’une définition plus restreinte des Ncoll, entraînant le rejet des agrégats, soulève certains problèmes : des noms comme noblesse, prolétariat ou clergé n’entrent vraiment dans aucune des deux catégories et semblent se situer entre Ncoll et agrégats, et certains N, notamment en néerlandais, peuvent, en discours, appartenir aux Ncoll ou aux agrégats.

Malgré ces différences entre Ncoll et agrégats, certaines études intègrent ces derniers dans la classe des Ncoll, leur assignant cependant une place particulière dans la catégorie en tant que collectifs massifs. Ces noms présentent en effet des propriétés qui se rapprochent de celles des Ncoll, tout en manifestant certaines spécificités :

- une discordance morpho-sémantique, mais impliquant une pluralité de types d’éléments ;

- une homogénéité interne, cette fois due à une appartenance catégorielle et à une fonctionnalité commune des différents éléments ;

- une hétérogénéité dénominative entre la collection et les éléments.

Pluriels lexicaux

Pour ce qui est des pluriels lexicaux, qualifiés d’agrégats par Gardelle (2022), seuls Asnes (2004) et Lauwers (2014) en considèrent certains comme collectifs, notamment parmi les pluralia tantum (par ex. viscères, commodités, vivres, intempéries, déchets, excréments, agrès, mauvaises herbes chez Lauwers, 2014 : 125-126), en les rapprochant de noms tels que mobilier ou quincaillerie, autrement dit de ce que d’aucuns considèrent comme des collectifs massifs et d’autres comme des agrégats. Le rapprochement effectué est fondé sur la pluralité partagée par les deux types de noms. Pour une analyse détaillée des caractéristiques des pluriels lexicaux comparés aux Ncoll, voir Lammert (2015 et 2016).

1.1.2.5. Dérivation sémantique

La délimitation de la catégorie des Ncoll est parfois délicate du point de vue sémantique : parallèlement à des lexèmes qui en possèdent toutes les caractéristiques, et qui, de surcroit, sont les plus souvent cités (équipe, armée, peuple, foule, public, forêt, etc.), de nombreux autres noms ne sont pas dans leur sens premier des Ncoll mais prennent cette signification par une dérivation sémantique, ou encore relèvent d’une polysémie régulière : cette section propose, pour le français, un aperçu de certains de ces mécanismes réguliers, dont on peut observer, en français contemporain et sans préjuger d’une antériorité diachronique, qu’ils donnent lieu à des faits de polysémie (une ou plusieurs significations du nom a-ont le trait /collectif/ et d’autres non, comme dans les exemples monde, jeunesse, patronat, rédaction). En exposant ces régularités, on laissera de côté des faits conjoncturels ou attachés à un seul item pour s’attacher aux grands traits des dérivations sémantiques.

Pour aborder les régularités étudiées, nous nous inspirons, sans nous y limiter, de la notion de « polysémie régulière » – « logical polysemy » chez Pustejovsky (1996 [1995]) : « nouns seem to have systematically related senses » (p. 31), dont Container/Containee, Process/Result, Product/Producer, Place/People. Signalons que plusieurs de ces catégories recoupent des types de métonymies (Place/People, Container/Containee), mais nous laissons de côté le choix de terminologie (et donc de tradition) et cherchons simplement à cerner les faits en termes de « patrons » de construction de Ncoll par dérivation sémantique. On retiendra les patrons suivants : actanciel (noms processuels ou d’activité), situatif (noms de lieux et de temps), les dérivations à partir d’une notion (descendance), d’une propriété (jeunesse, humanité, autorité), d’un statut (patronat, magistrature), par exemple, et enfin la dérivation du mode de structuration à ce qui est structuré (hiérarchie), qu’on peut peut-être considérer comme un cas particulier des « actanciels ». Dans les faits, ces patrons ne cadrent pas totalement avec les exemples de Pustejovsky, ni totalement avec les métonymies répertoriées (pour la métonymie, voir Bonhomme, 2006).

- Le patron actanciel concerne les noms de procès, en général des déverbaux dérivés, ou issus de conversion (Aliquot-Suengas, 1996). Il y a essentiellement deux cas de dérivation : procès/agent et procès/résultat ou patient. La signification processuelle du nom est considérée comme première, puisqu’elle exprime, comme nom, le même noyau de signification que le verbe dont ce nom dérive morphologiquement.

On peut schématiser le premier ainsi :

Procès > agent du procès. Exemple : rassemblement-procès = « action de se rassembler » > rassemblement-agent = « ceux qui se rassemblent ».

Sont concernés de nombreux noms collectifs humains (Ncoll-H) : (e.g. rassemblement, manifestation, direction, entourage, rédaction, assistance, collaboration, escorte, garde, ligue et parfois non-humains : vol (d’oiseaux)).

On peut schématiser le second de la manière suivante :

Procès > résultat (ou parfois patient) du procès – ce sur quoi s’exerce le procès. Exemple : sélection-procès = « action de sélectionner » > sélection-résultat = « ce qui est sélectionné ».

Sont concernés : division, formation (synonyme d’orchestre), production-résultat, sélection, succession, amas, assortiment, alimentation, bavardage ; expédition, cible : ce/ceux qu’on expédie, qu’on cible – cible, issu de ce processus, n’est d’ailleurs pas seulement un Ncoll. Quelques questions à propos de ce « patron » sont abordées, sinon épuisées dans Lecolle (2019, chapitre 7) : outre la question plus générale, déjà traitée par des morphologues, portant sur la possibilité même de la dérivation sémantique (par exemple en -age) pour tel lexème et pas tel autre, qu’est-ce qui préside à l’attribution du sens /collectif/, et du trait /humain/ pour tel lexème et pas tel autre (par exemple bavardage et non lavage) ? Certains cas présentent aussi des situations intermédiaires, dans lesquelles plusieurs traits sémantiques trouvent à s’exprimer simultanément, comme avec soulèvement dans l’exemple suivant, qui a la signification processuelle et agentive-collective (exprimant la composition dudit soulèvement).

(29)  [à propos de soulèvements au Sri Lanka, en 2022] Ce soulèvement populaire est hétérogène, sans structure ni leader. Il défie les étiquettes de classe bien définies. Son origine au sein de cette catégorie floue qu’est la « classe moyenne » a façonné son caractère et sa conscience. Cependant, au fil du temps, il s’est diversifié, recevant le soutien d’étudiants universitaires, de travailleurs salariés journaliers, de citadins pauvres, de retraités, de personnes handicapées, de syndicalistes, de membres du clergé et de la communauté LGBTQI. (Blog CADTM, 11/08/22, site du Club de Médiapart)

À ces dérivations sémantiques basées sur un nom de procès, il faut ajouter les noms d’activités, susceptibles de dérivations sémantiques donnant des Ncoll-H. À notre connaissance, cette dérivation reste conjoncturelle (il s’agit dans ces cas d’une métonymie – un trope, non lexicalisé). En voici des exemples :

(30)  Le ski français a le sourire (L’Équipe, 19/02/2013, en titre, accompagné de la photo d’une athlète souriante). La France a remporté quatre médailles des Championnats du monde du ski.

(31)  Le patinage perdrait donc la tête ? (Journal, France Inter, 29/3/2000)

- le patron situatif couvre l’espace (« situatif-locatif ») et, plus marginalement, la temporalité – noms d’époque (le Moyen Âge croyait...). Dans le premier cas, sont concernés les noms propres de lieux habités (villes, pays, continents – voir infra § 1.1.2.6) et des noms communs. Le procédé est productif et, comme le remarque Koch (1997), ne se limite pas au français. Il donne lieu de manière très régulière à des Ncoll intégrés dans le lexique : nid, fourmilière, ruche (pour les collectifs animaux), et (pour les humains) auditoire, cité, ville, pays, quartier, maison (dans le sens de maisonnée), ou encore sphère, milieu, monde (le monde, tout le monde = les gens). Ceux-ci sont plus ou moins spécialisés (la rue pour « les manifestants », « le peuple » ; parquet, barreau dans le cadre de la justice). Le procédé donne lieu aussi à des interprétations collectives conjoncturelles, favorisées par le contexte, sans que le nom acquière durablement le trait /collectif/ :

(32)  Le bocage en piste pour la riposte (titre Politis, 30/01/2014)

(33)  Il a neigé sur les Pyrénées. Les stations se frottent les mains. (Sud Radio, 17/11/99)

On trouve ce même patron situatif, à quoi s’adjoint parfois la référence à l’agentivité, avec des noms dérivés en -erie (bijouterie, quincaillerie, horlogerie), désignant l’ensemble de ce qui est dénoté dans le nom base, la pratique correspondante (le métier), le lieu de vente (voir infra § 3.2). Enfin, il convient de citer les Ncoll droite et gauche dans le domaine politique, dont le sens collectif est totalement lexicalisé.

Une dernière série est proche de la précédente, mais doit être considérée à part : église, banque, école-scolaire, entreprise, laboratoire, ministère, université, ou encore gendarmerie (parmi les suffixés, voir infra 3.2) dénotent des organismes professionnels et/ou institutionnels – on parle de « personnes morales » –, qui sont aussi des lieux, et des lieux de vie ou de travail. Certains de ces noms ont déjà été analysés  ; ils ont tous une même richesse sémantique régulière – les mêmes « facettes » – correspondant aux acceptions : ‘lieu’, ‘collectif’, ‘institution’. Leur signification est donc intrinsèquement composite, mais les traits /humain/ et /collectif/ sont prégnants, puisque à ces noms correspondent des types d’activité humaine. On peut rapprocher ces cas du précédent (pays, ville, etc.), où la signification ‘institutionnelle’ est prégnante, au même titre que la signification ‘locative’.

- On ajoutera à ces patrons ceux fournis par des dérivations à partir d’une notion, une propriété, un statut. Le mécanisme opère, comme le dit Flaux (1999 : 495), le « passage de la qualité non pas au porteur individuel de la qualité mais à l’ensemble des individus porteurs de la qualité en question ». En voici des exemples, choisis parmi les Ncoll-H : jeunesse, noblesse, vieillesse ; bourgeoisie ; chrétienté, humanité, négritude ; enfance présente la même double acception (Koch, 2012 : 295). Selon un processus proche de celui-ci, avec -at, on trouve aussi plusieurs cas dans lesquels on peut repérer une relation sémantique entre ‘fonction (sociale)’ et ‘ensemble des personnes exerçant cette fonction’ (en particulier avec les suffixés en -at, mais aussi avec certains noms en -ure : magistrature).

- Du « mode de structuration » à « ce qui est structuré »

On peut poser une dérivation sémantique régulière :

« mode ou principe de structuration » > « ensemble des éléments structurés selon ce principe »

Sont concernés, entre autres, les Ncoll (concernant des groupes d’animés, sinon humains) coopérative, organigramme, organisation (qui, d’ailleurs, relève également du « patron actanciel »), organisme, réseau, unité.

D’autres patrons existent, mais nous en avons cité l’essentiel. On remarquera que, dans nos exemples, la plupart constituent des polysémies vives, à l’exception peut-être de barreau, et parquet (métonymies spatiales), qui ont acquis un sens institutionnel dans le cadre de la justice ne concordant pas avec leur origine.

1.1.2.6. Nom collectif et nom propre

Paradoxalement, on peut rapprocher, du point de vue sémantico-référentiel, les Ncoll des noms propres (Npr)  > Notice  . D’abord, dans une relation de contraste : le Npr est a priori le nom d’un individu ; de plus, il a en principe une référence univoque – si l’on considère comme homonymes les noms de personnes (Paul Dubois1 et Paul Dubois2), et même les noms de ville ayant un même signifiant (Paris, France et Paris, Texas). On a vu inversement que les Ncoll renvoient à une pluralité d’individus, parfois non délimitée, et réfèrent dans une dualité potentielle : référence au tout (le groupe) et aux membres du tout (individus, éléments du tout).

De nombreux travaux sur le Npr sont rapportés dans la notice « nom propre » ; partant des caractéristiques principielles des Npr, ils montrent néanmoins que le rapport Npr / référent peut être plus complexe dans les usages. C’est le cas avec les noms patronymiques : par exemple les Dubois (voir aussi les Bourbons) permet de désigner la famille Dubois, donc un groupe, ou une lignée, ce qui nous rapproche de la sémantique des Ncoll. De fait, défendant « une appréhension collective de la référence », la notice Nom propre classe ce cas sous le label de « noms collectifs », arguant qu’il ne s’agit pas d’un pluriel de un Dubois. Le sens dégagé par les Dubois se fonde sur l’idée de cohésion, de groupe, qui correspond à la notion de ‘collectif’ (mais non de « nom collectif ») telle que présentée ci-dessous dans la section 1.2. C’est pour les mêmes raisons que figurent également sous cette étiquette des noms géographiques : archipels ou chaines de montagnes comme les Cyclades ou les Abruzzes – d’abord qualifiés dans la notice « d’individus collectifs » (voir Gary-Prieur, 2001).

Si l’on compare les Npr ou les emplois de Npr cités à l’aune de la notion de Ncoll, il y a néanmoins des différences : d’abord, le pluriel morphologique définitoire des catégories mentionnées dans la notice « nom propre », qui s’oppose au singulier morphologique afférent à la définition du Ncoll ; ensuite, d’un point de vue sémantico-référentiel : les Dubois permet, certes, de nommer un groupe, mais on peut revenir à l’individu, que ce soit conceptuellement ou par la nomination : Paul Dubois peut être individué comme un membre des Dubois, et ceci de la même manière qu’un élément d’un ensemble dénoté par un Ncoll : tel membre de la famille est un individu. Contrastivement, la question est plus discutable pour les noms géographiques, en particulier les noms de chaines de montagnes : celles-ci figurent une continuité solidaire, même si tel ou tel mont reçoit le plus souvent un nom, et que le nom Alpe peut aussi être utilisé au singulier en Suisse romande. Enfin, on notera une proximité entre les Npr géographiques pluriels « collectifs » et les pluriels lexicaux présentés ci-dessus en § 1.1.2.4.

D’autres Npr peuvent être considérés comme des Ncoll tels que décrits ici : tout d’abord, les noms de groupes sociaux constitués (noms de partis politiques et de syndicats : Parti socialiste, Mouvement Démocrate (Modem), Confédération Générale du travail, d’associations ou de groupes militants : Médecins du Monde, Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes, Génération précaire, Emmaüs ; de groupes musicaux : Indochine, Chanson plus bifluorée, Tryo, ou, en classique : Orchestre de radio France), dont Lecolle (2014) défend qu’il s’agit bien de Npr, malgré le fait qu’ils ont, en tant que noms de groupes, une sémantique plurielle. Sur le plan sémantique, ce rattachement aux Npr repose sur l’argument du double niveau, définitoire des Ncoll (§ 1.1.1.4) : certes, une pluralité interne (U2), mais groupée sous une unité supérieure, celle du groupe (U1), qui s’avère cruciale dans le cas de ces groupes, déclarés comme tels et nommés sur la scène publique. Sur le plan formel, les Npr de groupes sociaux sont généralement polylexicaux : dans le cas des partis politiques, la tradition (aujourd’hui bouleversée) privilégiait naguère des Npr descriptifs dont le premier nom est un Ncoll (Parti socialiste, Parti de gauche, Front national, Ligue communiste révolutionnaire, Mouvement démocrate). La création lexicale est maintenant (stratégiquement) plus libre et diverse (voir En marche, Horizons, ou encore le Npr au pluriel Les Républicains, entre autres), et différente selon les domaines (les productions d’associations ou de groupes culturels en termes de Npr étant parfois très créatives). Enfin, concernant des Npr de partis ou de groupes culturels comme les Verts, les Républicains, les Innocents, les Beatles, ils représentent sémantiquement une unité, celle de U1, alors même que leur forme en [les + N] pose le problème de leur intégration dans la catégorie des Ncoll.

Deux autres catégories de Npr peuvent être rapprochées des Ncoll : il s’agit des noms d’entreprises (voir infra) et des Npr de lieux habités (Npl-H : noms de villes, de pays, de continents), déjà rencontrés en 1.1.2.5 à propos de la dérivation sémantique situative . Ces noms sont polysignifiants, et comprennent des dimensions ‘collective’ et ‘politique’ (voir Cislaru, 2005 ; Cislaru et Lecolle, 2010 ; Lecolle, 2015a) : la description proposée initialement par Cislaru (2005) pour les noms de pays – et qui est, selon nous, tout aussi pertinente pour les noms de villes – consiste à considérer le sens des Npl-H comme un « complexe sémantico-référentiel » : Cislaru souligne « l’hybridité » de leur sens conceptuel, ayant une dimension /spatiale/, /collective/ (les habitants) et /politique/. La dimension spatiale est congruente avec un sens « habitants », et la dimension politique avec un sens « citoyens ». On conçoit en outre que l’espace d’une ville, d’un pays ou d’une région n’est pas un simple espace, mais un espace géré par et pour l’humain, donc ayant intrinsèquement une dimension sociale et politique, donc collective. Les noms de continents peuvent également entrer dans la description, dans une certaine mesure.

Voici quelques exemples, comprenant l’une ou l’autre de ces dimensions :

(34)  Paris a froid Paris a faim. (Éluard, Au rendez-vous allemand, 1942).

(35)  La Martinique s’indigne, crie, se soulève… Les Martiniquais veulent vivre mieux. [...] Aujourd’hui, la Martinique et la Guadeloupe, aux voix trop souvent ignorées, veulent être entendues. (Mireille Fanon-Mendès France, Politis, 5 mars 2009).

(36)  L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar. (titre d’un livre de Gassama Makhily (dir.) (2008)).

La polysignifiance des Npr de villes et de pays comprend également (en particulier dans la presse, mais aussi dans les conversations ordinaires) l’emploi très fréquent du Npr pour le groupe que constitue une équipe sportive (parfois culturelle), principalement dans le cadre de compétitions, comme dans les exemples ci-dessous. Cet emploi ne concerne pas, à notre connaissance, les noms de continents – la contrainte est, non pas linguistique, mais « mondaine », sociale en l’occurrence :

(37)  La France va perdre, à moins d’un miracle. (Radio)

(38)  Dimanche 15 septembre, rencontre entre le PSG et Cannes. (Le Monde, 1994-1995)

Une dernière catégorie rapproche les Npr des Ncoll : celle des noms propres d’entreprises, au sens large : on peut y intégrer les banques, universités, ministères et diverses institutions, dans la mesure où toutes comprennent des activités humaines. Comme il a été signalé en 1.1.2.5, le sens de ces noms reçoit les acceptions : ‘lieu’, ‘collectif’, ‘institution’. Voici des exemples, à partir des noms d’entreprises Total, Dell et Valéo : dans les trois premiers ((39)-(41)), les Npr ont un sens ‘institutionnel’, mais dans le dernier (42), Valéo renvoie au personnel, donc au collectif dans son versant ‘pluralité de membres’ :

(39)  Total est implanté au Nigeria et en Birmanie.

(40)  Dell ne perd pas d’argent à Limerick. (Télérama, 27/2/11)

(41)  Jusqu’à maintenant, il n’y avait eu que de petits mouvements d’humeur, mais cette fois le personnel de Valéo, sous l’impulsion de syndicats unis, a décidé de passer à la vitesse supérieure. (Le Post, 30/03/2009)

(42)  Châtellerault : Valéo décide de se mettre en grève (en titre, le Post, 30/03/2009).


1.2. Questions de terminologie

Le terme de nom collectif fait plutôt consensus, c’est-à-dire qu’on ne trouve pas une pluralité de labels pour désigner la même notion, même si tous les chercheurs ne rangent pas les mêmes données sous ce terme – voir plus haut la question des « agrégats ». Ce qui pose davantage problème est le terme collectif lui-même, qui a pu être utilisé, comme le signale Corbett (2000 : 13) à propos de la catégorie du nombre dans la description des langues, selon une quantité « déroutante » de manières .


1.2.1. Collectif et description du nombre

Il existe d’évidentes affinités entre le sens collectif et la quantification marquée par le pluriel morphologique. Dans certaines langues indo-européennes anciennes (grec, latin), certains noms singuliers collectifs en *‑ā/a ont ainsi été recatégorisés en formes de pluriel de noms neutres. En grec, ces pluriels neutres continuent de s’accorder avec le verbe au singulier. En grec et latin, quelques noms se sont retrouvés avec deux formes de pluriel, dont l’une, issue d’un collectif, en conserve certains traits de sens (p. ex. en grec, le sing. mēros (cuisse) fait au pluriel mēroï (les cuisses) et mēra (des cuisses = du gigot)), voir Meillet & Vendryes (1966 : 533, 599), Colombat (1993 : 30). Fugier (1965 : 447) considère cependant que « le collectif en latin n’est pas un nombre » ; le neutre pluriel collectif consisterait alors en « un ‘second pluriel’ qu’une nuance sémantique sépare du premier », se situant ainsi à un niveau lexical et non à un niveau grammatical. On trouve enfin des cas où le collectif apparaît en « extra », en surplus, avec certains noms, pour marquer ce que l’on peut considérer comme une sorte d’emphase (à propos de l’arabe, Corbett, 2000 : 32 parle de « ‘plurals of abundance’ »).

Qu’appelle-t-on alors « sens collectif » ? Peut-on en dessiner des caractéristiques stables ? On ne cherchera pas à répondre à la question dans un cadre étendu de linguistique générale, mais en se basant sur les écrits grammaticaux et sémantiques à propos du français, de l’anglais ou l’allemand, ou de langues romanes, et en recourant à des grammaires d’époques antérieures.

Arigne (2014) parle, pour l’anglais, du trait /collectif/ comme d’une catégorie sémantique (p. 6), qui implique la pluralité, mais qui inclut, outre les Ncoll, les SN pluriel, et donc ne s’attache pas à la morphologie singulière (voir ci-dessus, pour le français, le cas des Npr de groupes sociaux en [les + Npl]). Mais, plus souvent, le mot collectif est employé à propos de l’objet désigné comme équivalent de « groupe ». Comme ici chez Gillon (1996 : 54), il s’agit en tous cas de signaler ce qu’apporte en plus sur le plan sémantique le groupe (le collectif – collective, pour l’anglais) par rapport à une simple pluralité :

A plurality is not the same as a collective, or a group: a plurality is nothing more than the sum of its atomic constituents, whereas a collective is more than the sum of its atomic consitutents. [...] What is crucial to collectives is that they are subject to constituting conditions which determine how the members of the collective constitute the collective of which they are members; whereas pluralities do not have such constituting conditions.

Un collectif (un groupe) possède un principe de constitution, qui fait qu’il est un collectif. C’est cette même conception qu’on trouve chez Kemmer (1993 : 92) qui parle également de « unitary conceptual frame » à propos de la notion de « collectif » comme catégorie sémantique. On trouve ceci exemplifié dans l’extrait suivant, issu de l’interview d’un chercheur à propos du Contrat Social de Rousseau (avec le Ncoll peuple) :

(43)  Le contrat dont parle Rousseau est le contrat par lequel un agrégat désuni d’individus s’unit en un peuple. (Pierre Crétois, cité dans Télérama, 18/04/2012)

Le terme collectif est employé en linguistique ou en grammaire pour des catégories grammaticales différentes : verbes et nom chez Kemmer (op. cit.), mais aussi plus anciennement dans des grammaires, où le mot est pris dans des acceptions disparates et mal définies. On le trouve à propos de différentes catégories : prépositions, adverbes, pronoms.

La 8e édition du Dictionnaire de l’Académie (1932-1935) parle de « sens collectif » pour des pronoms : autrui (glosé par « les autres, le prochain »), beaucoup, maint, au titre qu’ils désignent une pluralité. Plus récemment, Goudet (1983) et Kleiber (1994) parlent de « ils collectif » pour les emplois du pronom dans les exemples du type :

(44)  Ils ont encore augmenté les impôts.

où le pronom n’a pas d’antécédent identifié d’un point de vue extensionnel, et Schnedecker (2003), à propos du pronom les uns, renvoie, même si elle n’utilise pas le mot collectif, à ce même sens de pluralité en une unité. Enfin, Anscombre (2010 : 39) parle de « voix collective et anonyme, aux limites floues » à propos du ON-locuteur, notion importante dans les théories de la polyphonie.


1.2.2. Collectif vs distributif

On peut penser que c’est sur les bases sémantiques de cohésion et de mode de constitution du groupe, exprimées par la notion de « collectif » chez Gillon et Kemmer (entre autres), que « collectif » est également employé dans le cadre de l’opposition sémantique « collectif » vs « distributif » (dite aussi « totus / omnis » (« tout » / « tous ») – voir Martin, 1984), comme qualifiant des modes d’appréhension des référents des SN en discours : dans cette conception, « collectif » renvoie au regroupement en un tout, une prise en compte globale du référent, tandis que « distributif » renvoie à une prise en compte des individus constituant le groupe :

[collectives/distributives] Each specifies a way of viewing members of a group. Distributives indicate that they should be individuated, considered separately, while collectives [...] indicate that they should be considered together as a unit. (Corbett 2000 : 118)

On trouve cette opposition dans des exemples classiques avec des SN pluriels (exemple (45) de Lyons, 1978 : 153 ; voir aussi plus récemment Vries, 2017 ; Lecolle, 2020) :

(45)  Les enfants de Paul ont acheté une maison.

Dans cet exemple, on peut considérer soit qu’il s’agit d’une seule maison – interprétation collective de les enfants –, soit d’une maison par enfant – interprétation distributive. Pour les Ncoll, c’est le contexte, et plus précisément le cotexte étroit (principalement les prédicats, déterminants, ou épithètes utilisés) qui orientent de manière décisive ou tendanciellement vers l’une ou l’autre interprétation. Ainsi, dans l’exemple suivant monde paysan renvoie à une conception « collective » :

(46)  Le monde paysan est-il condamné ? (En Une, Télérama, 17/04/2010)

(47) met en évidence, comme un paradoxe, les deux modes d’appréhension simultanément, puisque des éléments dits divers (appréhension distributive) sont dits, dans le même temps, unis et constitués en groupe (appréhension collective), dont l’existence elle-même est posée :

(47)  « Uni dans la diversité », le peuple rom existe dans de multiples variantes en Europe. (Politis, 5/07/2012)

De nouveau, cette opposition ne concerne pas les seuls Ncoll, et le sens de « collectif », ainsi que l’opposition de « collectif » vs « distributif » est pertinent pour d’autres catégories. Cette opposition entre dans le sens lexical de certains verbes qui manifestent, pour le référent de leur COD, le passage de l’une à l’autre appréhension (disperser, du groupe aux éléments, rassembler, des éléments au groupe). Certains pronoms ou déterminants sont « dédiés », au sein du SN, à l’une ou l’autre appréhension (chaque, chacun, tous, tout) (Flaux et Van De Velde, 1997 et Kleiber, 2012). Joosten et al. (2007) montrent, sur la base de questionnaires auprès de locuteurs à propos du néerlandais, que l’opposition d’appréhension entre collectif et distributif est présente dans la signification lexicale de certains Ncoll : certains sont conçus préférentiellement comme un tout, alors que d’autres sont plutôt abordés comme une pluralité de membres du tout : selon les auteurs, le niveau des membres serait très accessible pour bemanning (‘équipage’) et on trouverait à l’opposé, sur un axe graduel, vereniging (‘association’) pour lequel le niveau des membres est difficilement accessible.


1.2.3. Générique

L’article collectif du Dictionnaire de l’Académie (de la 6e édition à l’actuelle 9e) indique qu’un mot au singulier peut avoir un sens ou une valeur collective lorsqu’il désigne « une classe entière d’objets » :

Sens collectif, valeur collective, Le sens, la valeur que prend un mot au singulier qui n’est point collectif de sa nature, lorsqu’il sert à désigner une réunion, une classe entière d’objets. Dans cette phrase, Le lion est courageux, le mot lion a une valeur collective. Prendre, employer un mot dans un sens collectif. (Dictionnaire de l’Académie française, 6e Edition, 1832-5).

Cet emploi particulier relève d’une lecture que la littérature qualifie de générique, débouchant « sur un effet de sens de pluralité occurrentielle » (Kleiber, 1990 : 25). Même si cette pluralité permet un rapprochement entre référence collective et référence générique, d’autres éléments plaident pour une nette distinction entre ces deux phénomènes et l’utilisation d’étiquette distinctes (cf. Lammert, 2010 : 140-143 pour une analyse détaillée) :

- la référence générique s’établit au niveau du SN, alors que la référence collective des Ncoll est lexicale,

- les Ncoll peuvent donner lieu à une lecture générique,

- le générique renvoie à l’ensemble d’une classe, tandis que les Ncoll réfèrent à des éléments particuliers qui font partie d’une collection particulière (hors emplois génériques, bien sûr),

- la pluralité occurrentielle (dans les termes de Kleiber) du générique implique une homogénéité référentielle fondée sur l’identité des occurrences (l’homme en lecture générique : occurrences = des hommes), tandis que la pluralité interne des éléments est nécessairement hétérogène avec la collection désignée par le Ncoll (les joueurs ¹ une équipe) ; la pluralité est donc différente dans les deux cas,

- en découle une pluralité des Ncoll plus accessible discursivement que pour les SN génériques (cf. une reprise par un ils collectif moins fréquente pour un SN générique comme l’homme que pour le Ncoll équipe).

 


2. Références bibliographiques importantes.



2.1. En linguistique française

Les références sont données en ordre chronologique de parution.

Aliquot-Suengas S., 1996, Référence collective, sens collectif. La notion de collectif à travers les noms suffixés du lexique français, Thèse de doctorat, Université de Lille III.

Après un panorama très fouillé portant sur les relations partie / tout d’un point de vue sémantique et lexical, l’ouvrage développe une analyse morphologique de Ncolls construits par suffixation ; il étudie le sens apporté par les bases et les suffixes et le sens de la construction elle-même. Il discute l’existence et la validité de suffixes propres au collectif.

Lammert M., 2010, Sémantique et cognition : les noms collectifs, Genève, Droz.

L’ouvrage dresse un état des lieux des différentes approches des Ncoll prenant en compte leurs aspects sémantiques, syntaxiques et morphologiques. À travers l’utilisation d’un modèle cognitif, l’auteur propose une conceptualisation des Ncoll selon les types d’espaces à l’origine du regroupement des éléments, aboutissant à une typologie générale des Ncoll, ainsi qu’une analyse détaillée de trois Ncoll particuliers, groupe, ensemble et collection, qualifiés de « méta-termes collectifs » ou « métacollectifs ».

Tristram A., 2014, Variation and Change in French Morphosyntax. The Case of Collective Nouns, London, Legenda.

Propose une étude sociolinguistique sur la variation de l’accord avec les Ncoll. Selon l’auteure, l’accord au pluriel deviendrait plus fréquent en français.

Lecolle M., 2019, Les noms collectifs humains en français. Enjeux sémantiques, lexicaux et discursifs, Limoges, Lambert-Lucas.

À partir des études sur les Ncoll, l’ouvrage s’attache plus spécifiquement aux noms collectifs humains. Après avoir discuté les critères d’appartenance de noms à cette catégorie, l’ouvrage propose la distinction de trois profils sémantiques, puis opère une description de Ncoll et Ncoll-H par dérivation sémantique régulière. Enfin, il analyse l’emploi de Ncoll-H en discours, et envisage les enjeux rhétoriques des Ncoll et de la pluralité.

Remarque  : Certains noms collectifs ont déjà fait l’objet d’études spécifiques, en linguistique et dans d’autres disciplines. La notion de nom collectif n’est pas toujours exploitée en tant que telle, mais les études apportent des éléments à la sémantique et parfois à la grammaire des Ncoll.  > Références 

En linguistique

Bonnet Valérie, n.d., « Corps », SELP Société d’études des langages du politique, https://selp.eu/lexique/corps/.

Bonnet Valérie, n.d., « Cellule », SELP Société d’études des langages du politique, https://selp.eu/lexique/cellule/.

Bonnet Valérie, n.d., « Mouvement », SELP Société d’études des langages du politique, https://selp.eu/lexique/mouvement/

Branca-Rosoff Sonia, 2001, « La sémantique lexicale du mot “quartier” à l’épreuve du corpus Frantext (XIIè-XXè siècles) », Langages et société 96, 45-70.

Flaux Nelly et Lagae Véronique, 2022, « L’oeuvre d’une linguiste : à propos d’un nom collectif pas comme les autres », in Moline, E. et Velicu A.-M. (éds), mETA : modalité, évidentialité, temporalité, aspectualité et autres gourmandises linguistiques. Hommages à Eta Hrubaru, Bucaresti, Pro Universitaria, 149-171.

Lammert Marie, 2008, « Ensemble, groupe et collection : des noms collectifs bien particuliers », Scolia 23, 85-107.

Lecolle Michelle, 2007, « Enjeux argumentatifs de la nomination : le cas du nom collectif communauté dans les discours publics contemporains », in Boix, C. (éd.), Argumentation, manipulation, persuasion, Paris, l’Harmattan, 227-247.

Lecolle Michelle, 2008, « Identité/altérité et noms collectifs humains. Le cas de communauté », Questions de Communication, 13, 323-342.

Lecolle Michelle, 2015b, « Public (lexique) », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 21 juin 2021. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/public-lexique.

Lecolle Michelle, 2016, « Audience (lexique) », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 19 octobre 2016. Dernière modification le 25 novembre 2019. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/audience-lexique.

Lecolle Michelle, 2020, « Société civile (lexique) », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 06 juillet 2020. Dernière modification le 28 mai 2021. http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/societe-civile-lexique.

Pordeus Ribeiro Michele, 2015, « Droite » et « gauche » dans les discours d’un événement électoral. Une étude sémantique et contrastive des presses brésilienne et française. Les élections présidentielles de 2002 au Brésil et de 2007 en France, thèse de doctorat en Sciences du langage de l’Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris 3.

Rémi-Giraud Sylvianne, 1996, « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, État, pays, patrie », dans Rémi-Giraud, Sylvianne & Rétat, Pierre (éds), Les mots de la nation, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 19-39.

Rémi-Giraud Sylvianne, 2006, « Relation partie-tout et relation taxinomique : le mot race est-il dans l’impasse ? », dans Kleiber, Georges, Schnedecker, Catherine & Theissen, Anne (éds), 2006, La relation partie-tout, Louvain/Paris, Peeters, 138-151.

Sériot Patrick, 1997, « Ethnos et demos : la construction discursive de l’identité collective », Langage et société 79, 39-51.

Tamba Irène, 2012, « “Le peuple” : un nom collectif, une notion ambivalente », dans M. Wieviorka (dir.) Le peuple existe-t-il ?, Les entretiens d’Auxerre, Auxerre, Éditions Sciences Humaines, 17-26.

En Sciences humaines et sociales

Bourdieu Pierre, 1973, « L’opinion publique n’existe pas », Les Temps Modernes 318, 1292-1309.

Dudouet François-Xavier, 2018, L’élite et le pouvoir. Contribution à une sociologie des concepts sociologiques, Dossier pour l’habilitation à diriger des recherches en sociologie, Volume 3, École normale supérieure Paris-Saclay.

Dufoix Stéphane, 2012, La Dispersion. Une histoire des usages du mot diaspora, Paris, Éditions Amsterdam.

Kaufmann Laurence, 2002, « L’opinion publique ou la sémantique de la normalité », Langage et société 100, 49-79.

Kaufmann Laurence, 2022, « Communauté (1). Du concept au ‘Peuple-Un’ », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 08 mars 2022. Dernière modification le 18 mars 2022. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/communaute-1.

Kaufmann Laurence, 2022, « Communauté (2). Du communautarisme aux collectifs », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 08 mars 2022. Dernière modification le 18 mars 2022. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/communaute-2-du-communautarisme-aux-collectifs.

Le Bras Hervé, 2012, « Origines du peuple. Le sang, le sol et l’État », dans M. Wieviorka (dir.) Le peuple existe-t-il ?, Les entretiens d’Auxerre, Auxerre, Éditions Sciences Humaines.

Mauss Marcel, 1969 [1920], « La nation », Œuvres 3. Cohésion sociale et division de la sociologie, 573 à 625, Paris, Les Éditions de Minuit, Collection : « Le sens commun ». Édition électronique établie par Jean-Marie Tremblay, et mise à disposition sur le site de l’Université du Québec à Chicoutimi, [en ligne].

Oger Claire, 2015, « Elite(s) », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 08 juillet 2020. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/elites.

Renan Ernest, 1997 [1882], Qu’est-ce qu’une nation ?, Paris, Mille et une nuits.


2.2. En linguistique générale

Le collectif n’a pas été étudié uniquement au sein des langues indo-européennes (Fiedler, 1981), mais également dans les langues afro-asiatiques comme le copte (Fecht, 1982) ou le maltais (Gil, 1996), la plupart des langues eurasiatiques (Greenberg, 2003 : 167-168), les langues austronésiennes comme le nauruan (Dixon, 1982) ou le tolai (Mosel, 1982) et les langues nigéro-cordofaniennes comme le swahili (Contini-Morava, 2000). Parmi les langues indo-européennes, de nombreuses études ont été faites sur l’anglais, comme le montrent les références déjà citées, ainsi que Vries (2021) pour un état des lieux. Les langues romanes ne sont pas en reste, en témoignent les travaux de Mihatsch (2015 et 2021) et Kleineberg (2022), même si la littérature sur le français est plus abondante que pour les autres langues romanes (signalons notamment Magni, 2018 sur l’italien et Mihatsch, 2000 sur l’espagnol).

La description des Ncoll dans les langues du monde peut être intégrée à des ouvrages plus généraux, comme Corbett, Greville G. 2000. Number. Cambridge, Cambridge UP :

L’ouvrage de référence de Corbett porte, comme son nom l’indique, sur le nombre ; il couvre de nombreuses langues, en mettant au jour le système du nombre dans plusieurs d’entre elles. Le collectif se trouvant au sein de ces systèmes, il est tout naturellement intégré dans l’analyse. Le livre traite plus incidemment des Ncoll.


2.3. Études sur différentes langues

Les Ncoll ont pu être étudiés dans d’autres langues que le français. Cette section propose quelques exemples et indications de lecture.

Mihatsch Wiltrud, 2015, « Collectives », in P.O. Müller, I. Ohnheiser, S. Olsen, F. Rainer (eds), HSK Word-Formation. An International Handbook of the Languages of Europe, Berlin, Mouton De Gruyter, 1183-1195.

L’article porte sur les caractéristiques des Ncoll dans de nombreuses langues, indo-européennes et non indo-européennes. Après avoir présenté les propriétés reconnues largement aux Ncoll (classement dans les noms comptables, pluralité interne, principe d’unification), et discuté le rapprochement des noms collectifs avec les génériques, l’auteure se centre sur la formation des Ncoll et le-s principe-s à l’œuvre, dans une langue donnée, ou à travers plusieurs langues. Les analyses se basent sur des exemples de différentes langues, et explorent aussi bien les formations morphologiques (dérivation et composition) que les changements sémantiques.

Grondeux Anne (2003) « Turba ruunt (Ov. Her. 1, 88 ?) : Histoire d’un exemple grammatical », Archivum latinitatis medii aevi (Bulletin du Cange) 61, 175-222.

L’article étudie le parcours dans les grammaires latines de l’exemple latin Turba ruunt, qui associe un nom collectif au singulier turba avec un verbe accordé au pluriel. À partir d’Abélard (12ème siècle), l’exemple entre dans la tradition rhétorique pour illustrer, en contraste avec les figures de locution, les figures de construction, lesquelles reçoivent, comme figures, plusieurs dénominations. Dans le cours de cette histoire, l’exemple entre dans des débats grammairiens, mais aussi philosophiques et théologiques.

Arigne Viviane, 2014, Les noms discrets collectifs. Essai de typologie et problèmes de classification (Volume 3 du dossier Subjectivité et référence. Questions de sémantique, dossier soumis pour l’Habilitation à diriger des recherches, Université Paris-Sorbonne (Paris 4)), HAL-SHS,  https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01022791/document (consulté le 26/06/2022).

L’ouvrage porte sur l’anglais. Il est consacré à la description des « noms discrets collectifs », dont il délimite la catégorie et les critères qui la constituent : « discret » s’oppose à massif, et « collectif » correspond à la pluralité interne. Le nom discret collectif (Ndc) renvoie à une unité unique regroupant des sous-unités multiples. L’ouvrage en propose une classification, en se basant sur un corpus de noms entrant dans la structure [N1dc of N2pl].

Gardelle Laure, 2019, Semantic Plurality. English collective nouns and other ways of denoting pluralities of entities, Amsterdam, John Benjamins.

L’auteure propose une étude comparative des différentes manières de référer à une pluralité d’entités en anglais, qu’elle soit marquée morpho-syntaxiquement ou lexicalement. Sont ainsi pris en compte les SN pluriels, simples ou binominaux (cows, a number of cows), les pluriels lexicaux (cattle), les Ncoll (a herd), les agrégats ou noms singuliers non comptables (furniture), mais aussi les emplois métaphoriques des quantifieurs complexes (a string of) et les termes désignant des groupes d’animaux tels que a parliament of owls. Plus particulièrement, Laure Gardelle fait une distinction nette entre Ncoll et agrégats et en propose une typologie fondée sur des critères ontologiques.

 


3. Analyses descriptives.



3.1. Approches syntactico-sémantiques et morphosyntaxiques

Les approches syntactico-sémantiques mettent en évidence les contreparties syntaxiques des propriétés sémantiques des Ncoll. C’est ce que nous avons largement exposé en section 1.1.1.

Les questions d’accord sont au cœur des approches morphosyntaxiques des Ncoll. Plus particulièrement, la structure [Dét Ncoll de (Dét) Npl] en position sujet peut donner lieu à de nombreux accords dits « sylleptiques » dans la tradition grammaticale ou accords « associatifs » (Berrendonner et Reichler-Béguelin, 1995), c’est-à-dire qu’il s’agit d’accords fondés sur le sens et non sur la morphosyntaxe : une équipe de marins sont arrivés vs une équipe de marins est arrivée. Ainsi, la Banque de dépannage linguistique de l'Office québecquois de la langue française  > OQLF  oppose, à propos de l’accord du verbe, ces deux exemples (où l’on retrouve l’opposition entre appréhension collective et distributive) :

(48)  Une collection de coquillages peut s’enrichir chaque été. (C’est la collection qui s’enrichit.)

(49)  Une bande d’enfants ont escaladé la falaise. (On considère ici que ce sont les enfants qui ont fait l’action d’escalader.)

Des accords sémantiques peuvent également être observés, de manière plus anecdotique, dans les constructions du type [Dét Ncoll + V] où le nom morphologiquement singulier peut engendrer un accord pluriel  :

(50)  Toute la famille ont adoré le pain et les gâteaux (web)

Cet accord – réprouvé par la norme – peut être trouvé associé à certaines expressions, notamment en français du Québec avec tout le monde, ou le monde (les gens), comme dans ce titre du Devoir : « Le monde sont fous » (25/01/2008).

La variation d’accord de la première structure est signalée depuis longtemps dans les grammaires et les dictionnaires (cf. notamment Dumarsais, 1751-1772, Féraud, 1787-1788, Gougenheim, 1938, Hamon, 1992 ; voir aussi Pusch, 2020 pour l’oral), puisqu’on la trouve déjà évoquée dans le Dictionnaire de l’Académie :

Une infinité de perſonnes regit le pluriel. M. de Malherbe, J ay eu cette conſolation en mes ennuis, qu’une infinité de perſonnes ont pris la peine de me teſmoigner le deſplaiſir qu’ils en ont eu. Cela ne ſe fait pas à cauſe que le mot d’infinité eſt collectif, & ſignifie beaucoup plus encore que la pluralité des perſonnes, mais parce que le genitif eſt pluriel, qui en cet endroit donne la loy au verbe contre la regle ordinaire de la Grammaire, qui veut que ce ſoit le nominatif qui regiſſe le verbe.

On relève ainsi des hésitations d’accord avec le Ncoll singulier ou les éléments au pluriel présents dans la structure syntaxique.

En opposant les deux exemples ci-dessous : 

(51)  « On a affaire à une minorité qui fait la loi à l’université » (Ouest France, 23-24 mai 2009 : 13, version originale)

(52)  « On a affaire à une minorité qui font la loi à l’université »

Tristram (2010) note que : « Il est vraisemblable qu’il y ait ici une légère différence d’interprétation selon l’accord : le singulier met l’accent sur l’unanimité (réelle ou imaginée) du groupe ; le pluriel change la focalisation de la phrase, en la transférant sur les individus qui forment ce groupe, au lieu du groupe comme unité (cf. Corbett, 2006 : 165) ».

D’autres phénomènes morphosyntaxiques sont à relever, en lien avec les cas de reprise anaphorique par le pronom de 3e personne plurielle (voir (53) en contexte d’interview audiovisuelle), mais aussi via d’autres expressions anaphoriques, signalées par Reichler-Béguelin (1993) avec l’exemple (54) (déterminant possessif) :

(53)  « En quoi la caste des Ponts est-elle responsable de cette stagnation ? » « [...] ils sont de fait responsables » (Interview Le Média, 01/2023, de Paul-Antoine Marin, à propos de son livre Le Clan des Seigneurs, immersion dans la caste d’État)

(54)  Le groupe Cartier espère donc que leurs collègues et concurrents reviendront sur leur décision l’an prochain (…). (La Suisse, 16/04/91)

Entendu (radio), une reprise avec eux :

(55)  (radio, France Culture, interview à propos d’un reportage sur l’accueil des exilés en France, août 2022) « C’est des familles qui accueillent chez eux [...] C’est un acte d’une infinie générosité. »


3.2. Approches morphologiques (morphologie lexicale)

Cette section traite pour l’essentiel des Ncoll ou Nélément apparentés morphologiquement, construits en français par dérivation, puis des noms composés, en français principalement.

Auparavant, il convient de mentionner quelques Ncoll français, issus du latin, et dont la forme permet de signaler le nombre des éléments (duo, trio, quatuor, quatrain, octet), en sus de leur spécialisation (trait /humain/ et musique, ensemble de vers).

Parmi l’ensemble des Ncoll du français, une bonne partie sont des noms construits suffixés avec pour base le nom de l’élément (Nélément), et certains suffixes reviennent régulièrement comme formant des Ncoll (mais pas uniquement, voir infra). C’est le cas par exemple de -ure (mature, denture, voilure, ossature), de ‑age (feuillage, cordage), de -ail et -aille (bétail, marmaille, valetaille), de -èle (clientèle, patientèle, parentèle), de -ée (chambrée, tablée, couvée, maisonnée). Inversement, des noms d’éléments sont dérivés à partir du Ncoll : avec -ier (policier, équipier, brigadier), avec -ien, -en (académicien, plébéien, milicien). Le suffixe peut alors être considéré comme formant un singulatif (« Formation dérivée qui fournit un singulier à une forme de pluriel, ou plus généralement qui caractérise un individu en l’opposant à un ensemble », TLFi).

Cette section porte sur les dérivés, dans le sens ‘élément’ > ‘collection’ et ‘collection’ > ‘élément’, et sur les suffixes concernés ; à partir d’une liste de suffixes tirée de Apothéloz (2002), elle est largement inspirée des travaux d’Aliquot-Suengas (1996 et 2003), portant (notamment) sur les procédés de suffixation des Ncoll en français, et plus généralement sur la relation de méronymie (partie / tout). Aliquot-Suengas traitant, à partir des suffixes, les Ncoll de manière quasi-exhaustive, elle est amenée à citer des exemples qui n’ont plus réellement cours en français contemporain. Nous en resterons à des Ncoll courants, sans prétention à l’exhaustivité. En dernière partie de cette section, nous analysons également plusieurs cas de composition en français.


3.2.1. Dérivation

Notons que des phénomènes comparables de dérivation sont également présents dans d’autres langues : en allemand, certains Ncoll sont construits par préfixation avec Ge-, sur base nominale, mettant alors en œuvre formellement un rapport Nmembre / Ncoll : Schwester  sœur ») > Geschwister (« frères et sœurs ») ; Berg (« montagne ») > Gebirge (« ensemble de montagnes ») ; Rede (« parole, discours ») > Gerede (« série de discours, bavardage ») – voir Mihatsch (2015) pour un panorama de données concernant les procédés de suffixation dans plusieurs langues, principalement dans les langues romanes.

Après avoir passé en revue de nombreux suffixes, dont nous rappelons quelques-uns ici, Aliquot-Suengas (1996) conclut sur la difficulté, et même l’impossibilité (hormis pour -ail, -aille, pourvus également du trait /péjoratif/ – auquel, pour notre part, nous ajoutons -èle) de trouver un suffixe exclusivement dédié aux collectifs, que ce soit dans le sens ‘élément’ > ‘collection’ ou ‘collection’ > ‘élément’. C’est aussi la conclusion à laquelle parvient Mihatsch (2021).

Voici une liste assez large de suffixes, que nous assortissons de commentaires, à partir de l’auteure ; pour un complément à cette discussion, voir Aliquot-Suengas (1996, 2015), Lammert (2010) et Lecolle (2019), qui discutent différents cas.

Dérivés Nélément > Ncoll :

-ie (bourgeoisie, confrérie, bureaucratie, aristocratie). En réalité, ce suffixe est discutable comme suffixe de Ncoll (bourgeoisie est peut-être d’abord un nom d’état, de statut) ;

-erie (argenterie, joaillerie, bijouterie, billetterie (de spectacle), bimbeloterie). Le suffixe n’est pas spécialisé : comme on l’a vu en 1.1.2.5, il sert également à construire des noms de domaines d’activité (bijouterie, horlogerie, joaillerie), et des lieux de vente (bijouterie, horlogerie ; bimbeloterie, plutôt rare (bien que répertorié dans le TLFi aux côtés d’autres raretés), a pu être observé en 2022 sur une enseigne en Auvergne). Parmi les Ncoll humains (Ncoll-H), on trouve gendarmerie (‘institution’, ‘ensemble de gendarmes’, ‘lieu’). Par ailleurs -erie permet de former d’autres suffixés, sans rapport avec ce qui nous occupe : déverbaux exprimant une action ou un processus (forgerie, flatterie, cachotterie) ; désadjectivaux (bizarrerie, espièglerie). Plus largement, sur le suffixe -erie, voir Temple (1996) ;

-age (feuillage, cousinage, voisinage, outillage). Le suffixe n’est pas réservé à l’expression du collectif (laitage, lainage) – voir les analyses de Berrendonner et Clavier (1997) portant sur les suffixés en -age sur base nominale. Par ailleurs, il permet de construire des déverbaux (affichage, arbitrage), dont certains peuvent être des Ncoll : entourage, bavardage. On peut ici postuler l’action du processus de dérivation sémantique actantiel indiqué en 1.1.2.5 ;

-aie (cerisaie, chênaie, peupleraie ainsi que fougeraie, fraiseraie), mentionné aussi par Mihatsch (2015) pour d’autres langues romanes, parait réservé à la dénomination d’un lieu planté d’arbres ou plus généralement de plantes (voir Apothéloz, 2002) ; par ailleurs, les suffixés en -aie entrent dans une polysémie régulière situative (un rapport lieu/contenu du lieu), tout à fait courante en français et dans d’autres langues, et non réservé aux suffixés (voir Koch 1997, Mihatsch 2015) ;

-aire (argumentaire, bestiaire) ; le suffixe permet aussi de construire des déverbaux (incendiaire) ;

-ade, qui n’est plus réellement un affixe vivant pour les Ncoll. Il permet de former colonnade, mais aussi peuplade (qui a pour base un Ncoll) ;

-at (électorat, lectorat, patronat), le suffixe entre dans des dérivés ayant le sens de « fonction » (patronat, califat, professorat) ;

-ée (cordée, chambrée, tablée, maisonnée, nichée – mais aussi pelletée, cuillerée) : les dérivés avec ce suffixe donnant des Ncoll ou des noms de contenants, ils peuvent être vus comme relevant de la dérivation sémantique contenant/contenu mentionnée en 1.1.2.5.

-ure mentionné plus haut donne bien des Ncoll (denture, ossature), etc. Mais aussi, des désadjectivaux (devanture, droiture), ou encore des déverbaux (peinture, bavure). Par ailleurs, certains Ncoll d’humains en -ure (magistrature) entrent dans la polysémie régulière mentionnée aussi avec -at (‘fonction sociale’ et ‘ensemble des personnes exerçant cette fonction’).

On peut conclure à ce stade que même si les suffixes eux-mêmes ne sont pas spécialisés, des régularités sémantiques sont néanmoins observables, qui mettent en relation, dans le cadre des suffixés, une signification collective avec une autre ou d’autres significations.

Dérivés Ncoll > Nélément.

De ce côté, il parait également difficile de parler de suffixes qui seraient spécifiques à des singulatifs (de tels suffixes sont connus pour plusieurs langues, comme le breton, le gallois, des langues slaves – voir Mihatsch, 2015 : 1185). Le suffixe -ier, qui donne policier sur police, donne aussi fermier sur ferme et permet de former des adjectifs, comme laitier sur lait. D’autres suffixes permettent de construire des noms d’éléments. En voici quelques-uns :

-iste (syndicaliste, phalangiste, avant-gardiste, choriste) : on sait (Roché, 2011) que -iste a de nombreux emplois nominaux (voir parachutiste, staliniste), et il est difficile d’y voir un suffixe spécifiquement singulatif ;

-ien, -en donne bien, comme mentionné ci-dessus, académicien, plébéien, milicien mais aussi grammairien. D’après le TLFi, le suffixe entre « dans la construction de très nombreux adj. et subst., exprimant l’idée d’origine, d’appartenance ou d’agent » : agent, pour grammairien, mais appartenance pour académicien et plébéien. Le suffixe est donc peu spécifique au rapport membre / collection.


3.2.2. Composition

En allemand et en anglais, la composition morphologique donne plusieurs cas réguliers de Ncoll composés avec des formants eux-mêmes collectifs (VolkLandvolk, WerkSchuhwerk, ZeugBadezeug, LeuteBergleute), ou en anglais (stufffoodstuff, warekitchenware) ; certains composants, pour l’allemand, sont grammaticalisés et devenus des affixes (-schaft) – pour ces données, voir Mihatsch (2015 : 1187-1188).

En français, on trouve aussi des noms composés qui peuvent être considérés comme des noms collectifs : (a) avec soudure, comme les composés avec sphère (cathosphère), dont certains formés à partir de Npr de personnes notoires, en particulier d’hommes politiques (mélenchonsphère, formé sur le nom de l’homme politique Jean-Luc Mélenchon ; macronsphère, formé sur le Npr Macron – le Ncoll désigne l’entourage politique de l’homme politique) ; (b) sans soudure et plus ou moins figés, comme sphère publique, sphère privée, formés selon le format [Ncoll + modifieur (adjectif ou complément de nom)], et dont la signification n’est pas toujours compositionnelle : on peut considérer que conseil d’administration, comité d’entreprise, société savante, corps médical, corps diplomatique ont un sens compositionnel, mais le cas est différent pour société civile, dont la signification, très labile, tient beaucoup à l’histoire et à la diversité de ses domaines d’emploi (voir Lecolle, 2020). La structure à partir de corps est assez productive, mais parfois surprenante : si corps médical, corps enseignant, corps diplomatique dénomment bien l’ensemble des professionnels d’un secteur, le composé corps social construit une autre signification (c’est un parasynonyme de société). Quant à opinion publique, chacun des mots le composant, dans le cadre même de la composition, est questionnable (cf. Lecolle, 2019 : 125) : on peut analyser opinion dans son sens étymologique (synonyme de jugement) et opinion publique comme renvoyant à l’addition d’opinions individuelles, comme l’envisage Bourdieu (1973). On est dans une interprétation différente avec celle glosée par « opinion du public », où opinion serait également synonyme de jugement et public la supposée collection des « gens » (citoyens, consommateurs, voire électeurs). Mais opinion publique (souvent abrégé en opinion) n’a, semble-t-il, pas cette signification, et doit être pris globalement (et non compositionnellement) comme renvoyant à un groupe, celui des citoyens supposés avoir une opinion (voir (56)).

(56)  Vers la fin du XVIIIe siècle, régnait en Grande-Bretagne un fort clivage au sein de l’opinion publique entre la « société constitutionnelle » et la « société de la Révolution », chacune ayant sa propre interprétation des soulèvements révolutionnaires en France. (Tavakkoli Amirpasha, Publictionnaire, http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/burke-edmund/)

Un autre Ncoll composé, majorité silencieuse, est lui aussi tout aussi questionnable : il est décrit par Paissa (2018) comme mettant en oeuvre une présupposition qu’on peut dire double : celle signalant qu’il existe une majorité, et que celle-ci est silencieuse. D’autres noms composés encore, plus ou moins figés (minorités visibles – toujours au pluriel) font souvent l’objet de commentaires métalinguistiques sur la scène publique. Outre le qualificatif visibles, est en cause ici, comme avec majorité ou opinion publique, le caractère collectif de la dénomination, qui crée discursivement un groupe, dont les limites, et même l’existence sont discutables. On le voit, certains Ncoll composés en français (et certainement dans d’autres langues) posent des questions intéressantes, notamment du point de vue de la sémantique du collectif et de tel Ncoll, ou du point de vue de la polysémie qui s’exerce, révélée ou démultipliée par la composition.


3.3. Approches sémantico-cognitives

Dans le cadre d’une linguistique cognitive proposant une caractérisation schématique générale des noms, Langacker (1987 et 1991) considère que des noms tels que orchestre, trio, famille, mais aussi puzzle, corporation, jeu de cartes, outillage, portée (de chatons), qu’il ne qualifie pourtant pas de Ncoll, « [mettent] en profil une collection limitée d’éléments distincts qui forment une région cohérente parce qu’ils sont conçus comme des parties qui interagissent dans une entité plus grande, trouvant ainsi leur unité de façon fonctionnelle plutôt que structurale » (Langacker, 1991 : 116) . Plus particulièrement, il existe, selon lui, une mise en saillance différente selon que l’on conceptualise trois mêmes éléments comme « étant ensemble » ou comme « formant un groupe ». Langacker compare ainsi trois conceptualisations schématisées de la manière suivante :

 

Figure 1

Figure 1 – Langacker (1991 : 125)

Le schéma (a) « présente l’essentiel du contenu conceptuel partagé par ensemble et groupe, en termes des événements cognitifs requis » (Langacker, 1991 : 125). Pour le schéma (b) qui correspond à la conceptualisation amenée par un énoncé comme :

Pierre, Paul et Jacques sont ensemble.

ce sont les « opérations de coordinations [e4], [e5] et [e6] » qui sont prédominantes (marquées en gras) : elles « représentent l’enregistrement de la proximité spatiale de chaque paire » (Langacker, 1991 : 125). L’emploi d’un Ncoll comme le métacollectif groupe dans l’énoncé suivant :

Pierre, Paul et Jacques forment un groupe.

met en profil un autre aspect, inhérent aux collections, traduit dans le schéma (c) (Lammert, 2010 : 365 parle d’ensemblisation). Ce ne sont plus les opérations de coordination qui sont mises en relief, mais les éléments composant le groupe. Cependant, il faut noter que : « ils n’atteignent pas cette saillance individuellement, mais collectivement ; les lignes brisées indiquent que c’est seulement en tant qu’aspects de la région [[e1] [e2] [e3]] qu’ils sont mis en profil. Cette région est décrite par le cercle en trait gras et constitue le niveau le plus élevé de l’organisation conceptuelle » (Langacker, 1991 : 126).

Dans la sémantique cognitive de Talmy (2000), les Ncoll sont appréhendés sous l’angle de la quantité. Les quatre catégories d’attributs de Talmy, à savoir le domaine, la « plexité », l’état de délimitation et l’état de division, par leurs intersections, permettent de différencier les dispositions de la quantité :

Figure 1

Figure 2 – Talmy (2000 : 59)

Les Ncoll constituent ainsi une des manières de conceptualiser la quantité, ils correspondent au schéma A de la figure 2. Ils sont considérés comme des multiplex discrets et bornés, c’est-à-dire des entités formées de plusieurs unités, comptables et avec des limites propres. Pour comparaison, les agrégats (Talmy donne les exemples de timber et furniture) sont quant à eux des multiplex discrets et non-bornés.

Dans un autre cadre théorique, la théorie du sens linguistique développée par Jackendoff (1990) se place au niveau des représentations mentales qui soutiennent la pensée, correspondant à une I-sémantique (internalized semantics). Les structures lexicales conceptuelles expriment ainsi les représentations mentales en question. Celles-ci sont censées être communes à toutes les langues naturelles, puisqu’elles ne proviennent pas de langues particulières, mais de ce qui est commun à toute conceptualisation humaine. Les traits [± borné] et [± structure interne] servent alors à caractériser les individus (un chat, [+ borné, – structure interne]), les groupes (un comité, [+ borné, + structure interne]), les substances (de l’eau, [– borné, – structure interne]) et les agrégats (du riz, des chats, du bétail [– borné, + structure interne]). Ces caractérisations font ainsi la part entre « groupes » et agrégats, rejoignant les discussions sur la délimitation de la classe des Ncoll (voir § 1.1.2.4). Dans le cadre de cette théorie sémantique, The Lexical Conceptual Structure, Jackendoff (1991) a introduit des fonctions permettant d’expliciter certains phénomènes sémantiques. Parmi elles, la fonction composed of (COMP), fonction inclusive en opposition à la fonction extractive element of (ELT) , met en jeu les Ncoll (tout en ne s’y restreignant pas : les exemples anglais donnés par Jackendoff pour l’illustrer sont a house of wood, a house of bricks, a flock of birds). Cette fonction schématise les relations unissant collection et élément dans des SN comme : un bouquet de fleurs, un troupeau de chèvres, une troupe de comédiens, etc. (mettant en exergue le lien méronymique ou ensembliste exposé au § 1.1.1.3), et explicite ainsi quels sont les éléments de la collection, considérés comme homogènes :

 

Figure 1

Figure 3 – Fonction COMP de Jackendoff (1991)

Les différentes approches sémantico-cognitives abordent ainsi les Ncoll dans une appréhension globale des concepts à l’œuvre dans la représentation des entités, que ce soit sous l’angle de la nomination ou de la quantification.


3.4. Approches psycholinguistiques

Des études de psycholinguistique se sont attachées à explorer certaines caractéristiques des Ncoll . Un pan de la littérature est en effet consacré aux différences de conceptions entre classes et collections (en anglais) au cours du développement de l’enfant (voir Markman, 1973, 1978, 1979, 1982 ; Markman et Seibert, 1976 ; Markman et al., 1980 ; Dean et al., 1981), mettant notamment en évidence la différence que font les enfants entre ces deux types d’ensembles. L’étude de Joosten et al. (2007), partant de la dualité sémantique observée pour les Ncoll (cf. § 1.2.2), porte sur la manière de conceptualiser ces noms en discours (en néerlandais). Une analyse de corpus (propriétés distributionnelles et accords) et une expérimentation menée avec un eye-tracker conduisent les auteurs à établir un classement des Ncoll selon le degré d’accessibilité de leurs membres. Bloom et Kelemen (1995) s’intéressent quant à eux à l’acquisition des Ncoll par les enfants (en anglais), en se fondant sur les aspects syntaxiques. Les travaux de Huntley-Fenner (1995) sur l’anglais le conduisent à considérer que les Ncoll ne sont pas faciles à conceptualiser et à apprendre pour les enfants d’âge pré-scolaire, et que des analyses erronées persistent jusqu’à l’âge de 4 ans. Lammert et al. (2022) se fondent sur les propriétés sémantiques et distributionnelles des Ncoll pour éclairer la compréhension et la conceptualisation de ces N en français auprès d’apprentis lecteurs (CE1) et de lecteurs plus avancés (CM2). Par le biais de différentes tâches, elles mettent en évidence des différences de traitement entre les Ncoll et les SN pluriels, mais également une différence de traitement des Ncoll entre les élèves de CE1 et les élèves de CM2.


3.5. Approches pluridisciplinaires (sciences sociales)

Les Ncoll sont un lieu favorable de rencontre des problématiques qui intéressent sciences du langage et sciences sociales – on pense particulièrement aux Ncoll-H, parce qu’ils dénomment des groupes qui trouvent pour la plupart leur fondement dans le cadre de la vie en société. On esquissera ici plusieurs thèmes constituant des points de rencontre.

Tout d’abord, envisagés d’un point de vue sémantico-référentiel, les Ncoll posent de manière cruciale la question du rapport entre langage et réalité : quel est ce groupe, dénommé par un Ncoll, quelle identité a-t-il ? Quels sont ses contours ? Quelle est sa composition ? Comment intervient la question de la primarité du groupe ou celle de l’individu, par exemple quand un groupe se constitue, ou change, alors même qu’il conserve la même étiquette ? En bref, quelle est la part de performativité du langage dans la conception, comme un groupe et comme tel groupe, d’une entité lorsqu’elle est désignée par un Ncoll ? Il y a là une question métaphysique, mais également un enjeu de dénomination des réalités sociales, que les sciences sociales sont amenées à se poser. On peut le voir dans l’extrait suivant :

(57)  [...] l’analyse de la catégorisation permet de poursuivre autrement des enquêtes comme celle de Briones et Gentile (2014), concernant les rapports conflictuels entre certains mouvements indiens argentins et l’État. Il est possible de se demander quelles sont les procédures, de nature discursive, politique et culturelle, permettant d’associer, pour une activité concrète, une catégorie ethnique aux termes « diversité », « reconnaissance » ou « identité » au lieu de l’associer aux termes « nation », « justice sociale » ou « peuple ». (texte d’annonce, séminaire « Catégorisation, inégalité et discrimination », 05/2017, EHESS, Paris)

Par ailleurs, la sémantique des Ncoll-H comprend des questions de constituance qui peuvent mobiliser les sciences sociales – le rapport groupe / élément, la partition des groupes, qui rencontrent des questions comme celles du rapport à l’autre et des interrelations, de l’appartenance et de l’identité, de l’altérité au sein d’un groupe ou d’une société. On pense ici à des questions sociales, historiques et politiques, telles que celle de l’immigration, des disparités sociales, de l’altérité, portées par des Ncoll courants (mais interrogés ou à interroger dans un cadre scientifique) comme communauté (plus précisément dans la structure [communauté + adjectif catégorisant], voir Lecolle, 2008 : la communauté immigrée, radio 09/2022), minorités visibles, diversité (comme dans « un préfet issu de la diversité » pour parler de la couleur de peau dudit préfet), populations issues de...

 


4. Critères de distinction des noms collectifs (entre eux).


Alors même que la catégorie des Ncoll ne se laisse pas aisément délimiter, pour les différentes raisons présentées en § 1.1 et § 1.2, faire une typologie des Ncoll dans leur ensemble est une entreprise qui rencontre également de nombreuses difficultés, et ceci pour plusieurs raisons : d’abord, les Ncoll sont extrêmement divers, allant de la grande spécialisation (fourmilière, ruche, cavalerie, conclave, argumentaire, chorale, bijouterie) à la généralité sémantique (assemblée, collectivité, groupe, société), de la précision référentielle (on peut citer et compter les éléments : association, gouvernement, chorale, cheptel) au plus grand flou (horde, mouvance, nébuleuse, foule, entourage). Certains critères syntaxiques ou distributionnels (principalement les déterminants) permettent de caractériser des types de Ncoll, mais ils ne sont pas discriminants sur la totalité d’entre eux ; en outre, ils ne font souvent que confirmer des catégories fondées par ailleurs sur des critères sémantiques (voir la question des agrégats § 1.1.2.4). Pour le français, l’accord avec le verbe ou par reprise anaphorique pronominale présenté supra (§ 3.1) n’est généralement intéressant que pour les Ncoll employés en N1 dans le cadre de la structure [dét N1 de (dét) N2], ce qui ne couvre pas tous les Ncoll. Le critère de morphologie dérivationnelle (§ 3.2) n’est pas suffisant non plus, d’une part parce qu’il ne concerne qu’une petite partie des Ncoll, d’autre part parce qu’on trouve très peu, voire pas du tout de suffixes permettant de construire des Ncoll de manière univoque.

Nous n’entreprenons donc pas de typologie , mais proposons plutôt plusieurs critères permettant de départager des sous-ensembles de Ncoll entre eux.

Comme d’autres noms, les Ncoll sont marqués par une grande polysémie, ce qui rend difficile une typologie claire et nette. C’est pourquoi les distinctions – d’ordre lexico-sémantique – que nous faisons dans cette section ne s’excluent pas mutuellement ; du fait de la polysémie, plusieurs critères, en principe discriminants, peuvent concerner un même Ncoll : ainsi par exemple groupe a (au moins) deux acceptions, dont l’une (+ H) concerne des éléments lexicalement déterminés (groupe (de musique) / musicien), et l’autre des éléments lexicalement non déterminés, pouvant entrer dans des domaines sémantiques divers (un groupe d’amis, un groupe d’arbres, etc.). Majorité, comme on l’a vu, fonctionne comme quantifieur dans l’une de ses acceptions (une majorité de gens / la majorité de la population) et a également une signification « pleine » en politique lorsqu’il est en emploi absolu (De par ce vote, la majorité est défaite à l’Assemblée). Liste a un statut de quantifieur également, mais un sens plein dans son acception (+ H) de « liste électorale ».

Certains Ncoll présentent aussi de manière régulière une polysémie entre signification objective, parfois spécialisée, et signification subjective, souvent dépréciative : voir horde, meute (employés aussi pour la grande pluralité), lobby, clan (terme historique employé à propos de l’organisation politique de l’Écosse notamment), tribu (permettant de décrire la situation politique dans certains pays comme la Lybie), ligue, et de nombreux autres.

Enfin, avant de présenter les critères de classement retenus, nous isolons certains Ncoll qui sont en quelque sorte hors classement dans la mesure où, en tant que tels, ils n’évoquent que la pluralité interne, et généralement la grande pluralité, sans apport sémantique supplémentaire, comme par exemple infinité, multitude ; foule a aussi cette valeur de grande pluralité, mais présente de surcroît, dans l’un de ses emplois, un apport sémantique de regroupement spatial d’humains. Ces Ncoll, outre qu’ils désignent le grand nombre – un grand nombre d’objets ou de personnes, sans guère d’autre précision –, se situent, comme on l’a vu, à la frontière du statut de déterminant – les deux faits étant à envisager comme corrélatifs.


4.1. Critère portant sur l’expression lexicale de l’élément et sur l’appariement collection / élément

Ce premier critère distingue les Ncoll qui ont un Nélément (ou des Néléments) qui leur est/sont apparié-s de manière privilégiée – nous parlons d’éléments « lexicalement déterminés » (voir Lammert, 2010, Lecolle, 2019). C’est le cas pour de nombreux Ncoll, que le rapport Nélément / Ncoll soit biunivoque ou pas :

armée / soldat ; équipe / joueur ; police / policier ; fourmilière / fourmi ; ruche / abeille ; public / spectateur ; bouquet / fleur ; squelette / os ; denture / dent ; clavier / touche ;

troupe / danseur, comédien ; chœur / choriste, chanteur ; groupe / musicien, chanteur ; flotte / bateau, avion ; orchestre, duo, trio / musicien.

Les noms d’« éléments privilégiés » sont plus facilement identifiables pour les Ncoll morphologiquement construits (cf. voisinage / voisin). Pour les autres, on peut considérer que des éléments sont prototypiquement associés aux Ncoll . La présence d’un élément lexicalement déterminé permet de poser (en reprise anaphorique, par exemple) une équivalence sémantico-référentielle (fût-elle en partie factice) entre le Ncoll et le SN défini au pluriel désignant les éléments (par exemple : le bouquet... les fleurs). Par ailleurs, la présence d’un élément lexicalement déterminé impose deux niveaux d’analyse lexicale : celui de l’élément et celui de la collection, à quoi s’ajoute le sens apporté par la manière dont les éléments sont regroupés, ce qui les lie.

Inversement, pour d’autres Ncoll (les « Ncoll indivis » – voir § 1.1.1.3 : association, famille, foule, racaille, organisation, tablée, mouvement, stock, assortiment, lot, sélection, éventail), la place des éléments est bien existante dans la structure sémantique du Ncoll, mais ces éléments doivent être spécifiés en discours, ou dans une structure syntaxique du type [dét N1 de (dét) N2pl], quand elle est possible : une association de locataires/de riverains, un mouvement de jeunes entrepreneurs. Pour les Ncoll indivis, le membre de la collection peut être désigné par les noms « postiches » membre (plutôt pour un humain), élément.

Cette distinction entre Ncoll aux éléments lexicalement déterminés et Ncoll indivis a sans doute des conséquences – qui seraient à explorer, et sont probablement complexes – sur la conceptualisation de la collection : primarité du groupe sur l’appréhension des éléments ; groupe vu comme un tout vs pluralité ; isolement conceptuel des éléments ou de l’un d’entre eux ; plus ou moins grande précision sémantique du Ncoll.


4.2. Vocabulaires de spécialité : le critère du domaine d’activité

Il y aurait lieu de distinguer des Ncoll selon leur sphère d’emploi. En effet, alors que beaucoup d’entre eux appartiennent au vocabulaire commun et sont d’usage courant, certains relèvent de domaines de spécialité. En voici quelques-uns.

Des Ncoll-H tels que comité, conseil, conseil d’administration, usuels dans les entreprises et administrations, sont spécifiques à ce type d’organisation au sein du monde professionnel.

Le monde de la justice a des Ncoll d’usage général (magistrature) et d’autres plus spécialisés (parquet, barreau) ; le domaine de l’armée, celui de la religion fournissent aussi des exemples de vocabulaire spécialisé brigade, escouade, contingent ou encore marine, aviation pour l’armée ; synode, conclave, congrégation, confrérie pour les assemblées dans les Églises).

Dans le domaine des sciences sociales ou en sciences de la nature, certains Ncoll polysémiques fonctionnent dans une de leurs acceptions – dite « taxinomique » – comme outils de classement : famille, classe (au sens de classe sociale), population, cohorte ; ainsi, on a un emploi taxinomique ou statistique dans une famille de plantes, une classe de phénomènes, une population d’oiseaux, une cohorte (de lycéens, d’étudiants).


4.3. Distinctions ontologico-sémantiques

Certains traits peuvent servir pour distinguer entre elles des séries de noms collectifs (ex. humain vs non humain), mais non la totalité. Ici aussi, le critère est imparfait, car des Ncoll peuvent être strictement humains (gouvernement, parti, bourgeoisie, humanité, chorale), tandis que d’autres couvrent les catégories /+Humain/ et /-Humain +animé/ sans réelle discrimination (communauté, organisation, race, colonie, progéniture). Par ailleurs, il faut mentionner les nombreux cas où un Ncoll animal peut servir métaphoriquement (souvent de manière dépréciative) pour désigner des humains (meute, horde, ruche, fourmilière, vermine). Ces cas ne sont en principe pas un obstacle lorsqu’on a affaire à une métaphore vive, mais rendent l’interprétation difficile pour les métaphores lexicalisées.


4.3.1. Noms collectifs humains

Les Ncoll humains (Ncoll-H) constituent le groupe le plus important quantitativement (Lecolle, 2019 en relève 354, pour 115 non-humains – chiffres donnés à titre provisoire), groupe très varié également. Il y a sans doute là une réponse à un besoin de dénomination, parfois fine, de ce qui fait la structuration et les relations humaines (voir § 4.4). Comme on a pu le voir en 4.2, on trouve ici des Ncoll spécialisés et aussi parfois de véritables zones de concentration du vocabulaire collectif.


4.3.2. Noms collectifs non humains, animés et inanimés

4.3.2.1. Groupements d’animaux et Ncoll animaux

Il paraît pertinent de distinguer les Ncoll dénommant des collections d’animaux, en ce que ces collections se rapprochent souvent de collectifs d’êtres humains : on trouve des groupements chez les animaux ayant une vie sociale comme les loups ou les daims, avec des dénominations par des Ncoll plus ou moins spécialisés comme meute, horde, essaim. Plusieurs Ncoll animaux rendent compte du regroupement spatial (nid, nichée) et d’un mode de vie collectif ou organisé : colonie, ruche, fourmilière. Enfin, des Ncoll rendent compte du regroupement d’animaux opéré par l’être humain : troupeau, bétail, cheptel.

4.3.2.2 Inanimés

Le critère opposant l’animé à l’inanimé permet de rendre compte de Ncoll désignant des ensembles d’objets « naturels », rassemblés spatialement : forêt, bosquet, bouquet, verger, ou selon une identité commune (ou les deux) : feuillage, ramage, denture, chevelure, chênaie, olivaie. Enfin, les Ncoll désignant des artefacts sont en nombre significatif, avec des spécialisations plus ou moins importantes, qui rendent compte de la diversité de l’activité humaine et du rapport de l’humain à l’environnement : mercerie, quincaillerie, colonnade, cordage, littérature, argumentaire


4.4. Modes de regroupement

Comme le dit Arigne (2014 : 7), pour décrire le sens des Ncoll (« nom discret collectif » dans ses termes), il convient d’ajouter aux deux niveaux d’unité que sont le tout et les éléments « la référence au principe qui préside au regroupement ou en d’autres termes à la façon dont sont regroupées ou agencées les unités multiples ». Ce fait est souvent signalé à propos de la sémantique des Ncoll. Ainsi, en complément des critères proposés dans les sections précédentes, des distinctions supplémentaires peuvent être faites selon la manière dont les éléments sont rassemblés dans la collection.

Lammert (2010) propose de distinguer des regroupements d’un point de vue spatial, fonctionnel et social ; ces critères peuvent fonctionner avec des collectifs d’animés et d’humains, voire, pour les deux premiers, avec des artefacts et des objets naturels. On peut noter ainsi :

- parmi les regroupements spatiaux : archipel, constellation, cortège, fagot, mais aussi horde ou foule ;

- parmi les regroupements fonctionnels : armée, cordée, équipe, orchestre, dynastie, parentèle, électorat, ainsi que herbier, vocabulaire, troupeau ;

- parmi les regroupements sociaux : aristocratie, bourgeoisie, caste, ainsi que foule et multitude.

Lecolle (2019) et Schnedecker (2015a et 2015b) se limitent aux Ncoll-H. Schnedecker les intègre à une classification plus générale des noms d’humains, selon trois catégories (qui sont ensuite subdivisées), dans lesquelles des Ncoll-H sont associés à des Noms d’individus humains. Les catégories se départagent selon trois paramètres : « faire » (le trait d’agentivité y est fondamental – piétaille en face de piéton, mais aussi chorale), « interagir » (foule, ainsi que comité et des noms de « classes sociales » – bourgeoisie), « être » (marmaille, racaille pour ce qui est des Ncoll-H). Les critères de Lecolle (2019) sont assez proches, mais les répartitions de Ncoll-H y sont différentes. L’auteure distingue trois « profils » : les Ncoll-H basés sur :

- un principe de « faire avec », qui regroupe les Ncoll-H basés sur un objectif commun. Ils sont donc proches du « regroupement fonctionnel » de Lammert (chorale, association, armée, équipe, cordée) ;

- un principe du « être (comme) », pour des Ncoll-H basés sur une similitude ou une identité, réelle ou idéelle (valetaille, bourgeoisie, clientèle, descendance, patronat, droite, gauche) ; ce profil comprend des noms de catégorisation humaines (classe, caste, ethnie), ainsi que les Ncoll-H dépréciatifs (racaille, canaille, lie), supposés rassemblés sur la base d’une identité posée par le regard, le point de vue d’autrui. On trouve ici de nombreux Ncoll suffixés ayant pour base morphologique le Nélément ;

- enfin un profil basé sur le principe du « être avec » (contiguité, spatiale ou temporelle – comme chez Lammert). Y sont classés notamment parterre (dans un théâtre), cortège, cordée, harem, tablée.

 


5. Bilan.



5.1. Notions importantes pour le domaine étudié

La pluralité, la dualité sémantique et le rapport membre / collection (dans une perspective méronymique ou ensembliste, selon les auteurs) sont les notions principales dans l’étude des Ncoll.


5.2. Interprétations incontestées ou contestées

Un consensus existe dans l’identification des Ncoll prototypiques. C’est la délimitation de la catégorie qui peut être contestée, notamment pour ce qui concerne l'incorporation ou non des agrégats ou collectifs massifs ou des pluriels lexicaux.


5.3. Études à faire

L’analyse individuelle de certains noms collectifs, notamment humains, serait intéressante à mener (cf. § 2.1. Remarque). Les Ncoll qui désignent des duos, parmi lesquels les Ncoll-H couple, duo, tandem ainsi que paire pour les Ncoll (-H) forment, de leur côté, une série intrigante : y a-t-il là des traits spécifiques d'un point de vue lexical, sémantique, syntaxique ? Peut-on établir un rapport entre cette expression lexicale du duel et la catégorie du duel dans certaines langues ? Plus généralement, les Ncolls auxquels sont associés un nombre de membres lexicalement défini (quatuor, trio, etc.) présentent-ils des spécificités ?

L’étude des Ncoll dont les contours référentiels ne sont pas lexicalement marqués et doivent être précisés en discours, tels que mouvement, mouvance, nébuleuse ou collectif a été amorcée par Lecolle (2019) et pourra être poursuivie. Ces noms (re)posent notamment la question de la délimitation intrinsèque des Ncoll et des collections elles-mêmes, d’un point de vue référentiel (cf. § 1.1.2.3).

Comme signalé § 4, les Ncolls sont marqués par une grande polysémie. L’analyse de Ncoll tels que bourgeoisie, chrétienté, humanité, etc. (parfois qualifiés d’abstraits), qui tirent leur référence collective d’une dérivation sémantique, mériteraient une attention particulière. Il y aurait aussi des études à mener ou à compléter à propos des types de polysémie régulière touchant les Ncoll ; outre les polysémies présentées ici, on pourrait s’intéresser aux Ncoll qui ont des valeurs dépréciatives : on trouve d'une part les Ncoll animaux employés pour des humains (cf. troupeau) où l’on peut voir une métaphore, mais aussi d’autre part des Ncoll-H comme lobby, clan, ligue, secte, bande, dont on peut se demander si la pluralité, le trait collectif interviennent dans leur caractère péjoratif.

 


6. Annexes.



6.1. Liste des ouvrages et articles cités

Académie Françoise [Thomas Corneille], 1704, Observations de l'Académie Françoise sur les Remarques de M. de Vaugelas — 1703-1704, In-4°, [52] - 617 - [1], Classiques Garnier Numérique, Éditeur scientifique : Caron Philippe.

Aliquot-Suengas Sophie, 1996, Référence collective / sens collectif. La notion de collectif à travers les noms suffixés du lexique français, Thèse de Doctorat, Université de Lille III.

Aliquot-Suengas Sophie, 2003, « Les dérivés français à référence collective », Langages, 152, 33-50.

Anscombre Jean-Claude, 2010, « Autour d’une définition linguistique des notions de voix collective et de ON-locuteur », dans Colas-Blaise M., Kara M., Perrin L. et Petitjean A. (éds), La question polyphonique ou dialogique en sciences du langage, Recherches linguistiques, 31, 39-64.

Apothéloz Denis, 2002, La construction du lexique français. Principes de morphologie dérivationnelle, Paris, Ophrys.

Arigne Viviane, 2011, « La figure du tout intégré et les noms discrets collectifs », Anglophonia, 30, 59-99.

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Dictionnaire de l'Académie française, 1879 [Septième édition] (Collection privée) Firmin-Didot et Cie

Dictionnaire de l'Académie française, 1932-1935 [Huitième édition] (Collection privée) Hachette


6.2. Liste des abréviations utilisées

Ncoll : nom collectif
Ncoll-H : nom collectif humain
SN : syntagme nominal
Nmembre : nom de membre
Nélément : nom d’élément
Npr : nom propre
Npl : nom au pluriel

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Note 9:

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