Les Modalités

 >Page pers.    L. Gosselin
(05-2024)

Pour citer cette notice:
Gosselin (L.), 2024, "Les modalités", in Encyclopédie grammaticale du français,
en ligne: encyclogram.fr
DOI: https://nakala.fr/10.34847/nkl.d75er13x



1. Découpage du domaine.


Le domaine des modalités linguistiques est traditionnellement considéré comme particulièrement difficile, sinon impossible, à circonscrire précisément. Meunier (1981) en parle en termes de « nébuleuse ». Force est de constater, en effet, que la question du découpage du domaine est source de nombreuses difficultés et incohérences, tant les réponses apportées, qu’elles soient explicites ou implicites, peuvent différer dans la littérature linguistique et grammaticale, tant aussi elles peuvent varier d’une page à l’autre à l’intérieur même de certains ouvrages (voir infra, § 1.3.2.). Le premier objectif de cette notice sera donc d’exposer différentes approches de cette question, de préciser les problèmes qu’elles rencontrent, et les solutions qu’elles proposent.


1.1. Définition et délimitation du domaine

La délimitation du domaine des modalités résulte, ou devrait résulter, de la définition qui en est proposée et, plus généralement, de la conception qui en est adoptée.

1.1.1. Le partage entre le modal et le non modal

À première vue, les choses sont assez simples dans les grammaires et les études consacrées aux modalités en français : la modalité y est définie comme exprimant le point de vue du locuteur sur un contenu propositionnel qui décrit une situation (Le Querler 1996, Riegel et al. 2014 : 975, Abeillé & Godard 2021 : 133). Cette définition est généralement illustrée au moyen d’exemples typiques :

(1)  (a) Je crois qu’il pleut
(b) Certainement qu’il pleut
(c) Il doit pleuvoir

dans lesquels il est d’usage, à la suite de Bally (1932 : 32), d’isoler d’une part un segment à valeur modale (ou modus) qui exprime le point de vue du locuteur (je crois que / certainement que / doit), et d’autre part un contenu propositionnel non modal (dictum) dont le rôle est de décrire une situation (il pleut) .

Mais en réalité, l’utilisation de la catégorie de la modalité dans ces mêmes grammaires s’avère beaucoup plus complexe, et ne correspond pas toujours à la définition proposée. Par exemple dans l’énoncé :

(2)  En Angleterre, il faut rouler à gauche

il faut est ordinairement identifié comme modus, alors qu’il ne correspond pas à l’expression du point de vue du locuteur : l’instance qui valide le jugement prescriptif (le « sujet modal » selon Bally 1932 : 37) est de type institutionnel (le code de la route britannique), et ne renvoie pas à une subjectivité individuelle.

Inversement, il paraît difficile de dire qu’un simple dictum (normalement dépourvu d’élément modal) comme :

(3)  Il a fait une grosse bêtise

n’exprime pas le point de vue du locuteur sur une situation.

Au total, la double question de la définition et de la délimitation du domaine des modalités, et donc du partage entre le modal et le non modal, paraît particulièrement délicate, et demande une mise au point préalable, sous peine de confusions dénoncées à juste titre par différents auteurs :

Parler de modalités, sans plus de précision, c’est s’exposer à de graves malentendus. (Meunier 1974 : 8)

La notion de modalité paraît à la fois indispensable et chargée d’ambigüité. (Monte 2011 : 85)

[…] unlike the categories of time and aspect, which, inspite of disputes, can be defined in straightforward and coherent semantic terms, modality turns out to be very hard to delineate in simple, positive terms. (Nuyts 2006 : 1)

1.1.2. Une notion transdisciplinaire

Une des sources de ces confusions tient à ce que le concept de modalité apparaît dans différentes disciplines avec des acceptions qui peuvent être partiellement distinctes : dans le champ philosophique (métaphysique, épistémologie, philosophie juridique…), dans celui de la logique mathématique et de ses applications à l’informatique, dans celui de la sémiotique (analyse du récit, du mythe, du film…), ou dans celui des sciences du langage (grammaire, sémantique, pragmatique, psycholinguistique…).

Certains concepts du domaine ont ainsi connu une migration étonnante, comme celui de monde possible (cf. infra, § 1.2.1.) : il provient de la métaphysique (Leibniz l’introduit pour résoudre des problèmes de théodicée), il est repris en logique mathématique (Carnap 1947), puis considérablement développé dans une perspective logico-métaphysique (Hintikka 1957, Kripke 1963, 1980, Lewis 1973, 1986) et théologique (Plantinga 1974). On le retrouve enfin en sémiotique narrative (Greimas et Courtès 1986 : 144,), appliquée à la littérature (Eco 1985, Pavel 1988), au mythe ( Guillen 2022 ) ou au cinéma (Boillat 2013, Besson 2015), ainsi qu’en sémantique linguistique (Martin 1983, 1987, Kratzer 1977, 1981, 1991, Kronning 1996, Portner 2009, Mari 2015a, entre autres).

Nous adopterons, dans cette notice, un point de vue rigoureusement grammatical, tout en signalant, au passage, les liens (les emprunts, ressemblances et différences) à d’autres perspectives.

1.1.3. Les modalités en linguistique

Mais même à l’intérieur du champ grammatical, le terme de modalité est parfois utilisé pour désigner des phénomènes de natures différentes, qui peuvent aussi bien concerner la forme de la phrase (déclarative affirmative ou négative, interrogative, interronégative, impérative…), la présence de marqueurs « modaux » (les coverbes de modalité devoir et pouvoir, les adverbes modaux …), que l’emploi de la phrase dans une situation d’énonciation particulière (ordre, requête, demande d’information, promesse, assertion…).

Par souci de précision, Meunier (1974) a proposé de distinguer entre « modalités de phrase », « modalités d’énoncé » et « modalités d’énonciation ». Ainsi le fait d’utiliser une forme interrogative plutôt qu’une forme déclarative relèverait de la « modalité de phrase », tandis que la « modalité d’énoncé » concerne la modalité sémantique (l’expression du nécessaire, du possible, du certain, de l’obligatoire, de l’interdit, etc. au moyen de marqueurs modaux), et que la « modalité d’énonciation », correspond à l’expression de forces illocutoires (assertion, demande, ordre, conseil, promesse, etc.). Il est clair que ces différents niveaux d’analyse ne sont pas sans lien entre eux ; par exemple, l’emploi d’une forme interrogative et la présence d’un marqueur de modalité peuvent permettre d’atténuer la force illocutoire d’une requête (par rapport à un impératif) :

(4)  Pouvez-vous me passer le sel ?

Mais, d’un point de vue grammatical, il paraît indispensable de distinguer ces différents plans .

Pour essayer d’éviter toute confusion, dans cette notice, nous parlerons, pour le niveau syntaxique, de types de phrase (voir également Abeillé & Godard 2021 : 11) ; pour le plan sémantique, de modalités (qui seront l’unique objet de cette notice) ; et pour le niveau pragmatique, de forces illocutoires, qui concernent les relations entre locuteur et allocutaire et qui « ne sont pas des valeurs codées en langue, mais des effets interprétatifs inférés en contexte » (Berrendonner 2021 :  Notice  sur La notion de phrase). Il suit que nous ne retiendrons pas la catégorie de modalités « allocutives » (Charaudeau 1992, Détrie 2010) ni celle des modalités « intersubjectives » (Le Querler 1996) qui nous paraissent relever de la force illocutoire et non de la modalité sémantique :

[Charaudeau 1992] considère que l’interpellation est une modalité allocutive spécifique, au même titre que l’injonction, l’autorisation, l’avertissement, le jugement, la suggestion, la proposition, l’interrogation, et la requête. L’interpellation, tout comme l’injonction, signale un sujet parlant « en position de supériorité par rapport à l’interlocuteur », la « mainmise » du locuteur sur l’interlocuteur établissant « entre les deux un rapport de force ». (Détrie 2010)

Les modalités intersubjectives sont du domaine de l’ordre (marqué par l’impératif, mais aussi, bien sûr, par d’autres marqueurs), du conseil, de la suggestion, de la prière, du reproche […]. (Le Querler 1996 : 56)

1.1.4. Une notion controversée

Comme on l’a rappelé ci-dessus, la plupart des théories des modalités se fondent sur une conception dichotomique de l’énoncé, qui oppose la modalité (modus) au contenu pro­positionnel (dictum). Or selon Ducrot (1993), cette analyse de l’énoncé, consubstantielle à la notion même de modalité, est éminemment contestable, et doit être abandonnée :

À quoi renvoie donc cette opposition ? J’essaierai de montrer qu’elle renvoie à l’opposition, traditionnelle dans la pensée occidentale, entre l’objectif et le subjectif, entre la description des choses et la prise de position vis-à-vis de ces choses (ou de la description qu’on en a donnée ...). (p. 112)

Enfin j’indiquerai schématiquement pourquoi j’aimerais, sans en être vraiment capable pour l’instant, me passer de la notion générale de modalité : c’est que je crois les mots de la langue incapables, de par leur nature même, de décrire une réalité. Certes les énoncés se réfèrent toujours à des situations, mais ce qu’ils disent à propos de ces situations n’est pas de l’ordre de la description. Il s’agit seulement de montrer des prises de position vis-à-vis d’elles. (p. 128)

Cette critique repose sur deux arguments que l’on retrouve chez d’autres auteurs :
a) l’assimilation de la structure modus /dictum à l’opposition subjectif / objectif, ce qui revient à identifier la modalité à l’expression de la subjectivité ;
b) la contestation de la possibilité pour le langage d’exprimer un jugement objectif.

Au premier argument, on peut objecter que ramener la structuration modus / dictum à l’opposition subjectif / objectif n’est pas légitime, pour deux raisons :

1) la modalité n’est pas nécessairement subjective, puisque le jugement peut être présenté comme objectif, comme le montrent les exemples (5a,b) qui illustrent respectivement les modalités aléthiques du nécessaire et du possible  :

(5)  (a) Dans l’équation d’Einstein complète, comme le photon n’a pas de masse, la partie (mc2)2 est nécessairement égale à zéro, explique Mme Vachon. (Cyberpresse, 14/03/2010, Europresse)

(b) La commune se situe à trente minutes de la gare de Bordeaux, d’où il peut se rendre à Paris en deux heures. (Le Figaro, 02/11/2021, Europresse) ;

2) le contenu, aussi bien chez Brunot que chez Bally (qui fait pourtant l’objet des critiques de Ducrot), n’est pas nécessairement conçu comme objectif (cf. également Kerbrat-Orecchioni 1980, Kronning 1996 : 45, Vion 2004 : 96-97, Monte 2011) :

La modalité est aussi incorporée dans le dictum sous la forme d’un adjectif de jugement ou d’appréciation : Cette hypothèse est fausse (= Je nie que telle ou telle chose soit) ; Ce fruit est délicieux (= J’ai du plaisir à le manger). Un cas plus délicat est celui où l’adjectif cumule les significations de qualité objective et d’appréciation subjective : Ce sermon est monotone (= Je m’ennuie à écouter ce sermon parce qu’il est uniforme). (Bally, 1965, § 47)

En généralisant et systématisant cette dernière analyse, Gosselin (2010, 2015) a proposé de distinguer deux domaines syntaxiques pour les modalités : d’une part les modalités extrinsèques, externes au contenu propositionnel et correspondant à ce que l’on désigne classiquement comme modus ; d’autre part, les modalités intrinsèques aux lexèmes constitutifs du dictum. Dans ce cadre toute représentation est porteuse, via son contenu lexical d’au moins une modalité intrinsèque. Par exemple, dans l’énoncé

(6)  (a) Malheureusement, c’est un malhonnête

on distingue une modalité extrinsèque appréciative (modalité du désirable / indésirable, cf. infra, §3.2.4.), marquée par malheureusement, et une modalité axiologique (modalité du louable / blâmable, cf. infra, § 3.2.5.), intrinsèque au lexème malhonnête, interne au dictum :

(6)  (b) malheureusement, c’est un malhonnête

  Modi(extrinsèque)    Modj (intrinsèque)

On verra (au § 3.3.) qu’il est encore nécessaire de distinguer plusieurs niveaux de modalités extrinsèques et de modalités intrinsèques.

Quant au second argument (l’impossibilité d’exprimer un jugement objectif), il est ainsi étayé par Martin (1987 : 38) :

La vérité de toute phrase déclarative étant une vérité subjectivement assumée par un locuteur, une vérité prise en charge, le vrai « objectif » n’a pas de réalité linguistique.

(Voir également Halliday 1994: 362).

À cet argument, on objectera qu’il y a une différence de nature modale entre les énoncés (7a) et (7b) :

(7)  (a) Cette table est rectangulaire
(b) Cette table est magnifique.

Le locuteur de (7a) présente le contenu de son assertion comme vrai indépendamment du fait qu’il le considère comme tel. Il le présente donc comme intrinsèquement objectif (i.e. indépendant de sa propre subjectivité). Ce n’est pas le cas en (7b). Un test syntaxique corrobore cette distinction : il s’agit de la compatibilité avec l’expression « je trouve que », dont le rôle est d’attribuer à l’opinion personnelle du locuteur la subjectivité intrinsèque au dictum (cf. Gosselin 2018a). Cette expression est effectivement très difficilement compatible avec un dictum présenté comme objectif :

(8)  (a) ??Je trouve que cette table est rectangulaire / ??Je la trouve rectangulaire
(b) Je trouve que cette table est magnifique / Je la trouve magnifique.

De façon plus générale, c’est l’adoption d’une perspective proprement linguistique (et non philosophique) qui, paradoxalement, autorise à parler d’objectivité dans l’analyse sémantique modale des énoncés, car la modalité retenue est celle qui est présentée par l’énoncé. Énoncer « Il pleut », c’est présenter le contenu propositionnel comme objectivement vrai, i.e. comme vrai indépendamment du fait qu’un sujet le considère comme tel.


1.2. Une double tradition

Les modalités, telles qu’elles sont étudiées dans le champ linguistique, relèvent d’une double tradition : logique et grammaticale.

1.2.1. La tradition logique

1.2.1.1. La logique aristotélicienne

La tradition logique trouve son origine chez Aristote, à qui l’on doit à la fois les principes de la logique standard (bivalente) et de la logique modale. Or ce qui peut intéresser le linguiste, c’est qu’Aristote a introduit les modalités pour pallier les difficultés d’application de la logique bivalente à certains énoncés du langage ordinaire. Résumons la démarche.

La logique bivalente, élaborée dans l’intention explicite de régir la mise en œuvre des énoncés assertifs (logos apophantikos) constitutifs du discours scientifique, repose sur trois principes :

a)  le principe de non-contradiction (p et non p ne peuvent être vraies simultanément, Métaphysique IV, 3),

b)  le principe de bivalence (toute affirmation est nécessairement soit vraie, soit fausse, cf. Vuillemin 1984 : 163),

c)  le principe du tiers exclu (il n’y a pas d’intermédiaire entre p et non p : si p est vraie, non p est fausse ; si p est fausse, non p est vraie, Métaphysique IV, 7 et Seconds Analytiques 77a 22) .

Or Aristote montre, aux chapitres VII et IX du traité De l’interprétation, que l’on éprouve les plus grandes difficultés à rendre compte, en respectant simultanément ces trois principes, de la validité d’énoncés apparemment très ordinaires comme (9) et (10) :

(9)  Les hommes sont blancs

(10)  Il y aura une bataille navale demain

L’énoncé (9) n’est ni totalement vrai, ni absolument faux, mais tantôt vrai, tantôt faux (i.e. vrai seulement de certains membres de la classe des hommes ). On obtient donc une sorte de valeur intermédiaire entre le toujours vrai et le toujours faux, au sein d’un premier système modal qui oppose le nécessaire (toujours vrai), l’impossible (toujours faux) et le contingent (tantôt vrai, tantôt faux). Cette modalité du contingent (endechomenon), qui fonde la catégorie ontologique de l’accident, possède deux caractéristiques remarquables :

a) elle n’est pas adéquatement représentable au moyen d’une valeur discrète, mais plutôt par un continuum : il y a du plus ou moins vrai, au sens où il peut y avoir une proportion plus ou moins importante d’hommes blancs au sein de la classe des hommes ;

b) la variation des valeurs de vérité que cette catégorie subsume (le « tantôt vrai, tantôt faux) s’applique aussi bien à l’ensemble des individus d’une classe (on parlera de « contingence référentielle » , cf. Gosselin & François 1991 : 66) qu’à la succession des moments du temps (« contingence temporelle »). Et ce qui est remarquable d’un point de vue grammatical, c’est que ce sont les mêmes marqueurs linguistiques qui permettent de baliser le continuum de la contingence référentielle (11a) et celui de la contingence temporelle (11b) :

(11)  (a) Et puis, les espions les plus dangereux de Vladimir Poutine, les tueurs et les saboteurs, sont rarement [parfois / souvent / habituellement / généralement / toujours] des femmes. (Le Monde, 30/10/2023, Europresse)

(b) La porte d’entrée principale […] est rarement [parfois / souvent / habituellement / généralement / toujours] ouverte. (L’Est Républicain, 22/08/2021, Europresse)

L’énoncé (10 : « Il y aura une bataille navale demain ») et l’analyse qu’en propose Aristote ont suscité d’innombrables commentaires d’ordre logique et/ou métaphysique (car les questions du fatalisme, du déterminisme et de la liberté de l’homme y sont crucialement en jeu). Du point de vue retenu ici (celui de la mise en cause de l’universalité des principes de la logique bivalente), ce qui nous importe dans l’analyse aristotélicienne, c’est que – selon l’interprétation de Vuillemin (1984 : 161 sq.) – le principe de bivalence paraît ne plus pouvoir s’appliquer légitimement aux propositions singulières décrivant des événements futurs. En effet, si toute proposition (y compris celles qui portent sur des événements futurs) était nécessairement, au moment où elle est énoncée, soit vraie, soit fausse, cela impliquerait que toute réalité future est prédéterminée, et donc un nécessitarisme métaphysique radical (interprété comme fatalisme ou comme déterminisme), qui refuse toute liberté à l’homme. C’est parce qu’il en rejette les conséquences pratiques (la négation de la liberté et la vanité de toute déli­bération) qu’Aristote renonce ici au principe de bivalence : les propositions portant sur des événements futurs ne sont actuellement (au moment où elles sont énoncées) ni vraies, ni fausses (De l’interprétation 9, 19a 39) ; elles relèvent de la modalité du possible (dynaton) – qui correspond à la catégorie ontologique de la « puissance » (dynamis) dans le cadre de la problématique de la puissance et de l’acte (Métaphysique IX).

Partis d’une logique strictement bivalente, on aboutit donc à une logique modale à quatre valeurs : le nécessaire (absolument vrai), l’impossible (absolument faux), le contingent (à la fois vrai et faux) et le possible (ni vrai ni faux). Ce sont là les quatre valeurs de la logique modale aléthique (modalité de la vérité objective, caractéristique du discours scientifique).

1.2.1.2. Évolutions de la logique modale

À la suite d’Aristote, deux grandes tendances se dessinent dans cette tradition de la logique modale : 1) l’extension du domaine modal (en direction des modalités épistémiques et déontiques) et 2) la formalisation mathématique de la logique modale. Précisons ces deux points.

1) Si l’on quitte le champ des assertions visant la vérité objective pour se tourner vers les discours de persuasion (qui sont l’objet de la rhétorique et de la poétique), on constate plus encore l’inaptitude de la logique bivalente à rendre compte des énoncés concrets. Tout d’abord, dans ce domaine des vérités d’opinion, la valeur de vérité des propositions ne varie plus seulement en fonction des objets considérés, mais aussi selon les sujets qui les considèrent (c’est pourquoi l’on parle de « vérités subjectives »). Ensuite, ces jugements subjectifs, même pris dans leur singularité, ne paraissent pas régis par une logique strictement bivalente, mais doivent, au contraire, être représentés par des continuums correspondant aux divers degrés de croyance ou d’assentiment.

À côté des modalités du « vrai objectif » (modalités aléthiques), apparaissent ainsi, dès l’aristotélisme (en particulier dans la Rhétorique et les Topiques) les prémices de ce qui deviendra des systèmes de modalités portant sur le « vrai subjectif » (modalités épistémiques) et sur les appréciations d’ordre affectif et/ou esthétique (modalités appréciatives), ou d’ordre moral (modalités axiologiques).

Enfin, la prise en compte des « raisonnements pratiques » (i.e. des raisonnements qui visent à déterminer ou justifier une action et non à établir ou justifier une vérité, cf. Éthique à Nicomaque VII, 4, 1147a 30 sq.), conduit Aristote à identifier des modes de validation des propositions qui ne relèvent plus de la vérité (qu’elle soit objective ou subjective), c’est-à-dire d’une forme d’adéquation au monde, mais de l’obligation ou du désir. On trouve là l’origine des modalités déontiques et bouliques.

Cette extension du champ modal apparaît clairement dès le XIIème siècle, dans la Terminologique Logique de Maïmonide, manuel de présentation de la logique aristotélicienne :

Parfois, le prédicat est accompagné de quelques termes indiquant la modalité de la liaison du prédicat au sujet ; tels que : possible, impossible, probable, nécessairement, forcé, nécessaire, blâmable, agréable, convenable, il faut, etc. [...] Nous les appelons modes. (Maïmonide, éd. 1982 : 36-37)

2) Concernant la formalisation mathématique de la logique modale, il est d’usage de distinguer le plan syntaxique du plan sémantique. La syntaxe de la logique modale a été reformulée par C. I. Lewis (1918) et Lewis & Langford (1932), qui proposent de traiter les modalités du nécessaire et du possible comme des opérateurs (notés respectivement □ et ◊) portant sur des propositions , et d’autoriser l’itération de ces opérateurs (i.e. le fait qu’un opérateur puisse porter sur un autre opérateur, ex. : « il est nécessairement possible que p » : □ ◊ p). Cette démarche les conduit à définir différents systèmes axiomatiques des modalités, chacun de ces systèmes étant caractérisé par les axiomes qu’il admet et par ceux qu’il exclut.

Au plan sémantique (celui de l’interprétation des formules), c’est le recours à la notion leibnizienne de « monde possible » qui a révolutionné la logique modale. Résumons très schématiquement la démarche.

Avant l’apparition de la sémantique des mondes possibles dans les années cinquante-soixante, la logique modale était considérée comme « non standard », car elle ne possédait pas les propriétés de vérifonctionnalité de la logique standard (bivalente), dans la mesure où la vérité d’une formule (comme « possible que p ») ne paraissait pas déductible de la valeur de vérité de p associée à un opérateur de quantification portant sur les réalités dénotées. En d’autres termes, la logique modale ne semblait pas pouvoir produire une sémantique strictement référentielle (extensionnelle) et vériconditionnelle. Comme le notait Blanché (1968 : 87) :

Le calcul des propositions se trouve donc pris dans ce dilemme : ou bien intégrer expressément les notions modales, mais sacrifier l’extensionnalité, ou bien conserver celle-ci, mais renoncer à exprimer de façon directe les nuances de la pensée modale.

C’est l’introduction de la notion de « monde possible » – correspondant à un ensemble maximal de faits compatibles entre eux, et susceptible d’être décrit par un ensemble consistant de propositions régies strictement par la logique bivalente – qui a permis de résoudre ces difficultés. En faisant porter la quantification sur les mondes possibles dans lesquels la proposition considérée est vraie ou fausse, on a pu construire des modèles extensionnels de la logique modale qui préservent les principes de la logique bivalente. Soit les définitions désormais bien connues (cf.  Bradley & Swartz 1979) :

Une proposition est

nécessaire si et seulement si elle est vraie dans tous les mondes possibles ;
possible ssi elle est vraie dans au moins un monde possible ;
impossible ssi elle est fausse dans tous les mondes possibles ;
contingente ssi elle est vraie dans le monde réel, mais fausse dans au moins un monde possible.

La vériconditionnalité de la sémantique est ainsi conservée. Simplement, au lieu de référer à une seule réalité, une proposition modalisée renvoie à un ensemble de mondes possibles, dans lesquels elle est soit vraie soit fausse.

Ces deux évolutions de la logique modale (ouverture sur les modalités autres qu’aléthiques, et formalisation mathématique) ont partiellement convergé, dans la mesure où les logiciens sont parvenus à formaliser la logique épistémique et la logique déontique en plus de la logique aléthique, mais en laissant de côté le traitement des modalités appréciatives, axiologiques et bouliques.

La formalisation des logiques épistémique (Hintikka 1962) et déontique (von Wright 1951, 1963), a été rendue possible, au plan syntaxique, par l’extension de l’axiomatique des systèmes de C. I. Lewis (1918), dans lesquels les opérateurs de savoir (épistémique) et d’obligation (déontique) se sont substitués à l’opérateur de nécessité (aléthique), tandis que les opérateurs de croyance et de permission ont respectivement remplacé celui de possibilité.

Au plan sémantique, c’est en imposant des restrictions sur l’ensemble des mondes possibles à prendre en compte que l’on est parvenu à trouver des équivalences pour définir d’une part le certain épistémique et l’obligatoire déontique à partir du nécessaire aléthique, et, d’autre part, le probable épistémique et le permis déontique sur la base du possible aléthique.

Ainsi, pour définir les valeurs épistémiques, au lieu de retenir l’ensemble des mondes possibles, on ne prend en compte que le sous-ensemble des mondes possibles compatibles avec le savoir du sujet. Le certain correspond alors à ce qui est vrai dans tous les mondes compatibles avec le savoir du sujet, tandis que le probable est vrai dans au moins un de ces mondes.

De même, les valeurs déontiques vont être définies au moyen de l’ensemble des mondes admissibles. L’obligatoire correspond à ce qui est vrai dans tous les mondes admissibles, alors que le permis se trouve défini comme ce qui est vrai dans au moins un monde admissible (Gardies 1979 : 87).

1.2.1.3. Sémantique formelle

La sémantique formelle consistant à appliquer des modèles issus de la logique à l’analyse de la sémantique des langues naturelle, il n’est pas étonnant que les développements de la logique modale que nous venons d’évoquer aient été utilisés pour analyser les modalités linguistiques et tout particulièrement les coverbes modaux des langues germaniques et des langues romanes (Kratzer 1977, 1981, Portner 2009), puis, par extension certains adverbes et adjectifs modaux. Schématiquement, on considère que ces coverbes modaux expriment une quantification sur les mondes possibles. Par exemple, devoir marque la quantification universelle, tandis que pouvoir exprime la quantification existentielle (cette différence entre les deux quantificateurs constitue la force modale). C’est le contexte ou l’arrière-plan conversationnel qui permettent de restreindre le sous-ensemble des mondes possible à prendre en compte, sous-ensemble qui constitue ce qu’on appelle la base modale. Par exemple, dans (12a) :

(12)  (a) Le franchissement du feu rouge n’est permis qu’aux feux équipés d’un panneau. En l’absence de panneau, le cycliste doit s’arrêter au feu rouge. (La Voix du Nord, 08/08/2014, Europresse)

(b) D’après ce que je sais, le camion a dû mordre l’accotement à droite et le chauffeur a donné un coup de volant pour redresser, mais il n’est pas parvenu à le contrôler. (Centre Presse, 18/03/2020, Europresse)

c’est sur le sous-ensemble des mondes possibles admissibles au regard du code de la route qu’est effectuée la quantification universelle marquée par devoir : d’où sa valeur déontique d’obligation. En revanche, en (12b), ce sont les connaissances du locuteur (« d’après ce que je sais ») qui servent de base modale et déclenchent l’interprétation épistémique de forte probabilité.

La signification des coverbes modaux est donc sous-déterminée relativement aux catégories modales exprimées (épistémique, déontique…). C’est le contexte ou l’arrière-plan conversationnel qui permettent de fixer cette catégorie modale en restreignant le sous-ensemble des mondes possibles sur lequel porte la quantification. Comme la restriction opérée n’est pas toujours aussi explicite que dans les exemples (12a,b), il a été proposé de recourir au principe de pertinence (Sperber et Wilson 1989) pour l’identifier en contexte (cf. Papafragou 1998).

Enfin, la seule opposition entre la quantification universelle et la quantification existentielle ne permettant pas de rendre compte des valeurs modales qui s’échelonnent selon des continuums (comme les degrés de croyance), Kratzer (1981, 1991) a ajouté la notion de « source d’ordre » (ordering source), qui organise les mondes possibles en fonction de leur distance relativement au « cours normal des événements ». C’est ainsi que dans le domaine épistémique, les croyances vont s’échelonner selon des degrés de plausibilité correspondant aux distances respectives entre les mondes qu’elles convoquent et le cours normal des événements. Ce dispositif permet de rendre compte de la différence entre les marqueurs de certitude et de quasi-certitude (très forte probabilité), qui partagent la même force modale (la quantification universelle) et la même base modale (les connaissances du sujet), mais qui diffèrent relativement à la source d’ordre. Ce qui est certain pour un sujet est vrai dans tous les mondes possibles compatibles avec le savoir de ce sujet (ex. « Je suis absolument certain qu’il va venir »), tandis que ce qui est quasi-certain pour un sujet est vrai dans tous les mondes possibles compatibles avec le savoir de ce sujet et relativement proches de ce qu’il considère comme le cours normal des événements, ce qui laisse ouverte la possibilité que les choses se passent de manière totalement inattendue (ex. « Je suis presque certain qu’il va venir »). On trouvera une présentation claire de cette modélisation formelle des modalités en termes de force modale, de base modale et de source d’ordre, dans Mari (2015a : 28-35).

Cette conception des modalités s’inscrit naturellement dans le cadre d’une sémantique vériconditionnelle, et adopte une définition « étroite » des modalités (cf. infra, § 1.3.1.) qui suppose que toute valeur modale peut se ramener à une forme de nécessité ou de possibilité (Kratzer 1991 : 639).

1.2.2. La tradition grammaticale

1.2.2.1. Les modalités linguistiques

Parallèlement à la logique modale, s’est développée, dès les grammairiens grecs et latins, une tradition qui articule la notion de modalité, prise dans une acception large (cf. infra, § 1.3.2.), à certaines catégories grammaticales, en particulier aux modes verbaux et aux coverbes modaux. Ainsi selon Priscien (cité par Meunier 1981 : 128) :

Modi sunt diversae inclinationes animi, vario ejus affectus demonstrantes (les modes sont les diverses inflexions de l’esprit, manifestant ses différents états affectifs).

Dans les premières années du vingtième siècle, Brunot et Bally reprenaient à cette tradition grammaticale le concept de modalité au sens large dans le but de lui donner un véritable statut linguistique. Pour Brunot (éd. 1936 : 507) :

Une action énoncée, renfermée, soit dans une question, soit dans une énonciation positive ou négative, se présente à notre jugement, à notre sentiment, à notre volonté, avec des caractères extrêmement divers. Elle est considérée comme certaine ou comme possible, on la désire ou on la redoute, on l’ordonne ou on la déconseille, etc. Ce sont là les modalités de l’idée.

On doit à Ch. Bally (1932) d’avoir introduit en linguistique l’opposition, héritée de la scolastique médiévale, entre modus et dictum :

Logiquement, une phrase est une représentation virtuelle actualisée par une assertion.

Une représentation est virtuelle tant qu’elle n’est pas conçue comme vraie, fausse ou possible par un sujet pensant. C’est alors une simple vue de l’esprit [...]. C’est l’assertion qui actualise la représentation en la localisant dans un sujet, qui devient ainsi le lieu du jugement, par le fait qu’il pose la représentation comme vraie, fausse ou possible [...].

La représentation ainsi actualisée peut être appelée dictum et l’assertion qui l’actualise modus. (Bally, 1932 : 31-32)

Il apparaît vite cependant que le concept d’assertion est trop restrictif :

En fait l’acte d’assertion […] peut exprimer non seulement la vérité, la fausseté ou la possibilité du dictum, mais tous les mouvements de l’âme susceptibles d’accompagner l’affirmation, la négation ou le doute : plaisir ou déplaisir, désir ou crainte, éloge ou blâme, etc. (Bally 1932 : 33)

C’est pourquoi Bally (éd. 1965 : 216) affirmera plus tard que le modus correspond à une « réaction » vis-à-vis d’une représentation, cette réaction pouvant être de type intellectuel, affectif ou volitif.

Ainsi, selon la perspective définie par Bally (1932), des énoncés comme :

(13)  (a) Peut-être que Pierre viendra
(b) Je doute que Pierre vienne
(c) Je sais que Pierre viendra
(d) Il est à craindre que Pierre vienne
(e) Il faut absolument que Pierre vienne
(f) Je ne veux pas que Pierre vienne 
(g) Je redoute que Pierre vienne

sont composés d’un même « contenu représenté » (dictum) sur lequel peuvent porter divers jugements, sentiments, volontés (modus).

En dépit de l’importance qu’y attachaient leurs auteurs – Bally (1932 :34) considère la modalité comme « l’âme de la phrase – ces conceptions, encore nettement empreintes de « psychologisme » (Brunot parle de « modalités de l’idée » tandis que Bally y voit une « opération psychique »), n’allaient guère retenir l’attention des linguistiques structurales, génératives et formelles, qui, lorsqu’elles en traitent, préfèrent généralement adopter une conception étroite (d’inspiration logiciste) de cette notion (voir infra, § 1.3.).

1.2.2.2. La modalisation

C’est dans le cadre de la sémantique énonciative que la modalité, prise dans cette acception large (incluant les dimensions volitive et affective) allait trouver de nouvelles perspectives de développement (cf. Vion 2001, Monte 2011, Gévaudan 2013). Au seuil des années quatre-vingt, E. Roulet dresse le constat suivant :

Les recherches n’ont guère progressé depuis cette date [Bally 1943], car les courants dominants dans les années quarante à soixante, structuralisme et générativisme, ne s’intéressaient généralement pas aux modalités de l’énoncé. Il faut attendre le début des années soixante-dix pour que la linguistique s’ouvre à nouveau aux problèmes de l’énonciation et redécouvre les modalités qui, comme les marques argumentatives et illocutoires, constituent des traces privilégiées de l’activité énonciative dans l’énoncé. (Roulet, 1979 : 41)

L’étude des modalités dans une perspective énonciative a donné lieu à de nouvelles typologies (classifications) des modalités (que nous évoquerons au § 1.3.2.), et à l’analyse des procédés de modalisation (cf. Haillet 2004a, 2004b). Ces procédés consistent à ajouter à la simple expression d’un dictum un ou plusieurs marqueurs à valeur modale, dans un but discursif, pragmatique (illocutoire) et/ou rhétorique (argumentatif) :

Le concept qui peut rendre compte de la présence des valeurs dans le discours est celui de modalisation discursive que nous définirons rapidement comme l’inscription dans l’énoncé, par une marque linguistique (modalité), de l’attitude (valeur modale) du sujet communiquant à l’égard du contenu propositionnel de son énoncé et de la fonction que cet énoncé est censé avoir dans l’interaction verbale dont il participe. (Galatanu 2019)

L’un des procédés de modalisation les plus étudiés est celui de l’atténuation (Haillet 2004a, 2007 : 168-175). Il consiste, par exemple, à ajouter au dictum (ou préjacent) un marqueur de modalité épistémique, comme peut-être ou à mon avis pour atténuer l’engagement pragmatique du locuteur dans son acte illocutoire assertif (il endosse une responsabilité moindre, cf. Borillo 2004), ce qui affaiblit corrélativement ses effets perlocutoires (l’énoncé sera moins convaincant) :

(14)  (a) Il pleut
(b) Peut-être que / à mon avis il pleut

Il est évidemment possible de renforcer (au lieu d’atténuer) l’engagement du locuteur :

(14)  (c) Je t’assure qu’il pleut.

L’exemple (4) (« Pouvez-vous me passer le sel ? »), montre que l’emploi d’un marqueur modal peut également atténuer la force d’un acte illocutoire directif.

Un autre procédé de modalisation consiste à associer au dictum des marqueurs de modalités appréciatives, qui indiquent quelle est l’opinion du locuteur vis-à-vis du contenu représenté. Ce procédé de modalisation peut aussi avoir des effets perlocutoires importants dans le discours. On se souvient, par exemple, du scandale provoqué par la déclaration du cardinal Barbarin, à propos de faits de pédophilie dans l’Église :

(15)  La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits. (Le Monde, 17/03/2016, Europresse)

Les émoticônes (emojis) servent, aujourd’hui, à marquer ce type de modalisation dans la communication électronique (cf. Halté 2018).

On voit comment, par le biais de l’étude des processus de modalisation, on passe sans transition de la sémantique énonciative de l’énoncé à la sémantique discursive. De nombreuses et importantes recherches ses sont ainsi donné pour tâche d’étudier le rôle de la modalisation dans l’illocution (Roulet 1980, Anscombre 1980, 2004, Anquetil 2014, Gorshkova-Lamy & Ruchot 2020), l’argumentation et les interactions discursives (Haillet 2004a, 2007, Vion 2004, 2005, 2011, Galatanu 2002, 2019).

1.2.2.3. Les marqueurs modaux

La première tâche à laquelle on se trouve confronté, dans les perspectives grammaticale et énonciative / discursive, consiste à circonscrire la classe morphosyntaxique des marqueurs modaux. La tradition saussurienne conduit à considérer comme marqueur modal tout signe qui associe à un signifiant particulier un signifié modal qui lui est propre. Or les mécanismes qui président à l’expression des modalités paraissent difficilement compatibles avec ce type d’approche, car les relations entre marqueurs et valeurs modales sont loin d’être biunivoques et présentent des difficultés d’appréhension particulières, que l’on peut ainsi résumer :

a) Les marqueurs modaux sont souvent polysémiques : à un marqueur peuvent correspondre plusieurs valeurs modales en contexte (voir la  Notice  sur les verbes modaux).

b) Nombre de marqueurs modaux présentent des relations de quasi-synonymie (ex. pouvoir / être capable de / avoir la capacité de / être en {capacité / mesure / état} de, être à même de, avoir la force de / être de force à + Verbe à l’infinitif).

c) Un même marqueur peut exprimer simultanément plusieurs modalités différentes ; Pottier ( 1992 : 217, 1998) parle dans ce cas de « modalités complexes ». Ainsi la locution avoir l’opportunité de dans un exemple comme (16a) :

(16)  (a) « Alors qu’on est minoritaires, on avait l’opportunité de montrer qu’on pouvait jouer un rôle pivot mais on a échoué sur cette séquence des retraites », déplore l’eurodéputée Agnès Evren. (Le Monde, 27/03/2023, Europresse)

indique que le procès exprimé par le dictum (« montrer qu’on pouvait jouer un rôle pivot ») constitue une possibilité, mais une possibilité contingente, à la différence d’être en mesure de, par exemple :

(16)  (b) Alors qu’on est minoritaires, on était en mesure de montrer qu’on pouvait jouer un rôle pivot.

De ce fait, avoir l’opportunité de est à rapprocher d’avoir l’occasion de, mais, à la possibilité contingente, avoir l’opportunité de ajoute encore une modalité appréciative positive (absente de la modalité complexe associée à avoir l’occasion de). Pour résumer, être en mesure de exprime une simple possibilité, avoir l’occasion de une possibilité contingente, et avoir l’opportunité de une possibilité contingente jointe à une appréciation positive.

d) Certains lexèmes verbaux contiennent un trait modal, mais leur sémème ne s’y réduit pas. Il s’agit, selon Pottier (1998 : 230-231) de modalités « intégrées » à la structure sémique des verbes. C’est, par exemple, le cas d’un verbe illocutoire, comme déplorer que p, qui dénote un acte de langage et exprime simultanément une modalité appréciative négative.

e) Plus redoutable encore est le fait qu’une modalité est rarement exprimée par un seul marqueur modal, mais résulte souvent de l’interaction « d’éléments linguistiques divers, qui ne sont pas eux-mêmes spécifiquement modaux mais qui ont un aspect modal » (Martin 2005 : 15). On prendra pour exemple les énoncés étudiés par Tamba (2010) :

(17)  (a) Les plaies, ça se désinfecte
(b) Les plaies, ça s’infecte

qui donnent lieu à des paraphrases faisant apparaître un marqueur modal :

(18)  (a) Les plaies, ça doit se désinfecter / il faut que ça se désinfecte
(b) Les plaies, ça peut s’infecter / il est possible que ça s’infecte.

C’est l’interaction de la construction réfléchie, du présent et du pronom ça en position de sujet qui induit une lecture générique et une interprétation modale, et c’est le contenu du dictum, avec éventuellement la prise en compte du contexte, qui détermine le choix de la valeur modale sélectionnée : obligation ou possibilité. Mais les énoncés (17a et b) ne contiennent aucun élément spécifiquement modal. Ce type d’énoncé générique à lecture modale a donné lieu, sous le nom de « modalité couverte » (covert modality), à une abondante littérature et de nombreuses hypothèses explicatives (Bhatt 2006, Abraham & Leiss eds 2012, Mari 2015b, Haßler 2022b ).

f) Il est enfin des cas où la modalité est bien exprimée par un marqueur modal, mais où sa valeur se trouve modifiée par la présence d’un autre marqueur, qui n’est pas lui-même spécifiquement modal. C’est par exemple l’imparfait dit « d’atténuation » (voir la  Notice  sur l’imparfait) qui accompagne des marqueurs de modalité volitive, et qui atténue la force du désir exprimé, dans le cadre d’une stratégie discursive de politesse :

(19)  (a) Je voulais vous demander un petit service (Berthonneau & Kleiber 1994, Abouda 2004, Patard & Richard 2011)

(b) Il me fallait de la menthe, aussi ; vous en avez ? (Haillet 2004c).

g) Signalons en outre que certains types de marqueurs, comme les contours intonatifs, ont été décrits en termes modaux (Martin 2022) sans qu’une distinction nette soit opérée entre modalités de phrase, d’énoncé ou d’énonciation :

La modalité de phrase est toujours indiquée par l’intonation, que le texte de la phrase comporte ou non un marqueur de modalité spécifique, son absence laissant le contour intonatif terminal conclusif dominant dans la modalité décodée par l’auditeur. Les variantes des modalités déclaratives et interrogatives de base, à savoir impératif, implicatif, surprise et doute, sont toutes liées à des contours mélodiques finaux réalisés avec des formes spécifiques. (Martin 2022 : 568)

Au total, il apparaît indispensable de distinguer différents types de marqueurs modaux et/ou de marqueurs ayant un « aspect modal » (selon l’expression de R. Martin citée supra), et de donner un contenu plus précis à cette notion « d’aspect modal ». Mais cela suppose que l’on adopte un modèle de l’interaction de ces différents marqueurs dans l’énoncé.


1.3. Conceptions étroite et large des modalités 

À l’intérieur même du champ linguistique, il est des conceptions très diverses des modalités (cf. Nuyts 2006). Elles se laissent néanmoins regrouper assez naturellement en deux grandes familles (Le Querler 1996 : 50 sq.) : les conceptions « étroites » centrées sur les verbes modaux et les notions de nécessaire et de possible, et les conceptions « larges » qui intègrent toute une variété de marqueurs modaux (locutions verbales, adverbes, modes verbaux, lexèmes, etc.) et qui admettent l’existence de valeurs modales non réductibles au nécessaire et au possible, comme les modalités appréciatives, axiologiques, bouliques…

1.3.1. Les conceptions étroites

Elles présentent une double caractéristique :

a) au plan morphosyntaxique, elles sont centrées sur les coverbes modaux, au point que lorsqu’on parle sans plus de précisions de « modaux » (modals), c’est uniquement aux coverbes modaux qu’il est fait référence (voir, à titre d’exemple, le titre de l’ouvrage de Depraetere et al. (éds, 2023) : Models of Modals) ;

b) au plan sémantique, elles ne retiennent que des valeurs réductibles au nécessaire et au possible aléthique (valeurs que l’on préfère nommer « dynamiques »), et à leurs correspondants dans les domaines épistémique et déontique.

Selon la structuration la plus courante (Palmer 1986 : 103-104), les emplois des coverbes modaux se répartissent en emplois radicaux (dynamiques et déontiques) et en emplois épistémiques (voir la  Notice  sur les verbes modaux).

Ces conceptions président au traitement des modalités en sémantique formelle (voir supra, § 1.2.1.2.), mais concernent aussi la plupart des autres approches : en sémantique énonciative (Deschamps 1998, Gilbert 2001, Douay 2003, Souesme 2005), pragmatique (Papafragou 1998, 2000), cognitive (Talmy 1988, Kronning 1996, Mortelmans 2002, Narrog 2005, Nuyts 2001), typologique (van der Auwera & Plungian 1998, Narrog & Abe 2022), diachronique (Kronning 1990, Mortelmans 2012, Vetters 2012, Barbet & Vetters 2013), contrastive (Rossari et al. 2007), en grammaire de constructions (Hilpert, Cappelle & Depraetere 2021), en psycholinguistique expérimentale (Barbet 2015), etc.

Elles présentent un double intérêt :

a) elles concernent un domaine grammatical homogène et relativement bien circonscrit : les coverbes modaux, les adverbes aléthiques (nécessairement), épistémiques (certainement, probablement) et déontiques (impérativement, obligatoirement), les adjectifs modaux correspondants (certain, probable, obligatoire), ainsi que certains verbes d’attitude propositionnelle (je crois que / je sais que) ;

b) elles disposent, pour traiter ce domaine grammatical, d’outils de modélisation sémantique appropriés, centrés sur les notions de possible et de nécessaire.

Comme l’ont observé Lampert & Lampert (2000), quelle que soit la perspective sémantique retenue, ces conceptions étroites, centrées sur les coverbes modaux, sont actuellement quasi-hégémoniques dans le champ de la linguistique anglo-saxonne (voir, par exemple, Portner 2009, et Nuyts & van der Auwera 2014, qui n’évoquent, au sein de panoramas généraux, que marginalement les modalités bouliques et les « attitudes émotionnelles »).

1.3.2. Les conceptions larges

Elles proviennent de la tradition grammaticale (grecque et latine) et embrassent, outre les notions de possible et de nécessaire, tout le champ des attitudes adoptées par le locuteur vis-à-vis du contenu propositionnel de son énoncé (y compris les désirs, les souhaits, les appréciations, les jugements moraux, les regrets, etc.).

Adoptées par Brunot (1922) et Bally (1932) (voir supra, § 1.2.2.1.), les conceptions larges ont donné lieu, depuis les années soixante-dix, à diverses typologies des modalités, parmi lesquelles celles de Pottier (1976), Culioli (1983-84), Charaudeau (1992), Le Querler (1996, 2022), Gosselin (2005, 2010), Badir (2020). Ces typologies ont fait l’objet de discussions critiques (voir Vion 2001, Monte 2011, et la critique de Gosselin 2010 par Badir, sous presse). Outre le fait qu’elles ne respectent pas toujours la distinction entre types de phrase, modalités d’énoncé et forces illocutoire (voir supra, § 1.1.3.), ces typologies se heurtent à un double problème :

a) l’ensemble des marqueurs modaux à prendre en compte paraît radicalement hétérogène : grammèmes (auxiliaires, modes, suffixes…), lexèmes (verbes, adjectifs, adverbes, noms), locutions diverses, constructions syntaxiques, interjections, intonation (Martin 2022), cogestualité, émoticônes (Halté 2018), structuration textuelle (Rabatel 2022), etc., de sorte qu’il semble difficile d’obtenir un modèle global cohérent en prenant appui sur une démarche sémasiologique ;

b) elles ne disposent pas de modèles formels prédéfinis des modalités appréciatives, axiologiques ou bouliques (à la différence des modalités aléthiques, épistémiques et déontiques, voir supra, § 1.2.1.2.).

Et pourtant, dans une perspective grammaticale, l’adoption d’une conception large des modalités paraît difficilement évitable. En effet, bien que la plupart des grammaires paraissent de prime abord adopter une conception étroite, elles ont, en réalité, recours à des conceptions plus ou moins larges qui restent généralement implicites, et elles n’hésitent pas à parler de « valeur modale » à propos d’éléments de natures très diverses.

La même conception n’est d’ailleurs pas toujours maintenue sur l’ensemble de la grammaire, comme il est explicitement reconnu dans Abeillé & Godard (2021 : 1237) :

Dans cette grammaire, le terme adverbe modal renvoie à la notion large de modalité et inclut des formes comme apparemment, certainement […]. Nous restreignons en revanche le terme verbe modal ou adjectif modal à ceux qui expriment la nécessité (devoir, nécessaire) et la possibilité (capable, pouvoir) […]. Nous n’appelons pas modaux les verbes d’identité (il semble, il parait que), d’opinion (je crois que) ou de désir (je voudrais que).

On peut également se demander si, dans les différentes notices de l’Encyclopédie grammaticale du français, les emplois des termes modal et modalité renvoient toujours à la même notion. Car on ne voit pas immédiatement ce qu’il y a de commun entre les interjections modales (  Notice  de M. Świątkowska sur les interjections), les emplois modaux de l’imparfait (  Notice  d’A. Patard sur l’imparfait) et les modalités hypothétiques (  Notice  de G. Corminbeuf sur les constructions en SI) ou un auxiliaire modal comme avoir beau (  Notice  de M.-J. Béguelin sur certaines constructions concessives). Une réponse sera proposée aux § 3.1. et 3.4.

Au total, le grammairien se trouve confronté à une alternative : soit restreindre (mais jusqu’où ?) la conception de la modalité et récuser une bonne part des emplois du terme modal dans les grammaires et les travaux sur les procédés de modalisation dans le discours, soit, à l’inverse, essayer de donner à ces emplois, apparemment divers, une base théorique cohérente. C’est la deuxième voie qui sera empruntée dans la suite de la notice (§ 3.).


1.4. Les modalités au sein du TAM

Du point de vue de la linguistique générale, la catégorie de la modalité prend place au sein du domaine plus vaste du TAM (temps, aspect, modalité, cf. Tournadre 2004), qui depuis quelques années intègre également l’évidentialité (d’où le nouveau sigle de TAME). Reste qu’à l’intérieur de ce domaine, la question des relations entre la modalité et les autres catégories est loin d’être simple et suscite des réponses divergentes. Sans entrer ici dans le détail de ces conceptions diverses (cf. Gosselin 2005, Celle 2006, Milliaressi & Vogeleer 2015, Barbet & Saussure 2012, Böhm 2022), nous souhaitons mettre en cause une conception généralement implicite des relations entre temps et modalité qui sous-tend l’approche de la plupart des grammaires françaises, et que l’on retrouve également aussi bien dans le cadre de la sémantique énonciative (cf. Franckel 1989) que dans celui de la sémantique formelle (cf. Giannakidou 2014). Cette conception suppose qu’il existe une dichotomie exclusive entre temps et modalité, qui oblige, entre autres, à opter soit pour une analyse temporelle, soit pour une analyse modale des différentes formes verbales. C’est cette dichotomie qui est au principe de l’analyse des temps et des modes : les modes autres que l’indicatif présentent des valeurs exclusivement modales, non temporelles. Quant aux temps de l’indicatif, ils prennent, en contexte, soit des valeurs temporelles (non modales), soit des valeurs modales (non temporelles) :

Figure 1 : la dichotomie traditionnelle entre temporalité et modalité

Prenons quelques exemples :

L’imparfait dans les hypothétiques prend des valeurs classiquement répertoriées comme potentiel ou irréel. Partant, ces valeurs sont considérées comme modales et non temporelles :

L’imparfait de l’indicatif dénote un procès situé hors de l’actualité présente du locuteur. Il prend une valeur temporelle quand le procès est décalé dans le passé et une valeur modale quand le procès est envisagé comme possible hors de l’univers réel. (Riegel et al., 1994 : 305)

Le subjonctif (mode « intemporel » selon Guillaume 1929) ne situe pas le procès dans le temps, parce qu’il exprime une modalité (le possible, le douteux, le non asserté …), et réciproquement :

Le procès au subjonctif reste de l’ordre de la virtualité, du possible […] tandis que le procès à l’indicatif est de l’ordre de la réalité, puisqu’il est inscrit dans une époque. (Leeman-Bouix, 1994 : 85)

Quant au futur simple, même si on laisse de côté son emploi « conjectural » (ex. « On sonne. Ce sera le facteur »), il est habituellement conçu comme un temps verbal à valeur modale, exprimant la virtualité et l’incertitude, voire comme un mode à part entière. Par exemple, Lagerqvist (2009 : 52) le tient pour un « mode virtuel ‘par nature’ », distinct de l’indicatif.

Ces analyses reposent sur des présupposés contestables : l’assimilation de temporel à réel, certain, connu, asserté et celle de modal à irréel, incertain, douteux, non-asserté. Dès lors, l’avenir étant conçu comme possible, non certain, on en déduit que le futur qui indique l’avenir, exprime le possible, le non certain, et donc, qu’il est fondamentalement modal.

Or si l’on admet les conceptions courantes du temps – comme localisation dans une époque, déterminée par rapport au moment de l’énonciation (« temps absolu ») ou à un autre point de repère (« temps relatif ») – et de la modalité – comme attitude du locuteur ou comme mode de validation d’un contenu –, il suit, d’une part, que ce qui est simplement possible est aussi bien situable dans le temps que ce qui est irrévocable (ex. « il est possible qu’il revienne samedi prochain / l’an prochain »), et d’autre part, que l’irrévocabilité est une modalité au même titre que la possibilité (cf. infra, § 3.2.2.). Il nous paraît donc beaucoup plus cohérent d’adopter la perspective alternative selon laquelle tout procès (état ou événement) est situé, de façon plus ou moins précise, dans le temps, et présenté sous un certain aspect et selon une (ou plusieurs) modalité(s) (cf. également Wilmet 1997, Vetters et Skibinska 1998, Álvarez Castro 2010, Patard 2011, Vetters 2017, Böhm 2022).

Quant aux relations entre modalité et évidentialité (la source de l’information et/ou sa fiabilité), la situation, qui est encore source de nombreux débats (cf. Dendale 1994, Kronning 2003, De Cesare 2022, Guentchéva 2022 : 617), est bien résumée par Barbet & Saussure (2012 : 4) :

En fait, on peut considérer que modalité et évidentialité sont (i) exclusives, (ii) que l’une (souvent l’évidentialité) subsume l’autre […], ou encore (iii) qu’elles ont des propriétés communes (cf. Cornillie 2009 pour une présentation récente de ces différentes approches). La troisième position est celle, par exemple, de J. van der Auwera et V. Plungian (1998 : 85-86) qui considèrent que modalité et évidentialité se chevauchent au niveau de l’évidentialité inférentielle.



2. Références.


Bally Ch. (éd. 1965/1932). Linguistique générale et linguistique française, 4ème édition revue et corrigée, Berne : Francke. [Ouvrage fondamental, avec La pensée et la langue de F. Brunot (1922), pour l’étude linguistique des modalités en français]

Le Querler N. (1996). Typologie des modalités. Caen : Presses Universitaires de Caen. [Survol rapide et clair des différentes modalités en français, utile pour une première approche]

Gosselin L. (2010). Les modalités en français, Leiden : Brill-Rodopi. [Présentation approfondie des différentes modalités en français, selon une conception large]

Nuyts J. & van der Auwera J. (eds) (2014). The Oxford Handbook of Modality and Mood , Oxford: Oxford University Press. [Panorama très large des différents aspects de la modalité, prise dans une conception étroite ; à compléter avec le Manuel des modes et modalités, dirigé par G. Haßler (2022) ; on consultera également avec profit Flaux & Lagae (2014) ]

Portner P. (2009). Modality, Oxford: Oxford University Press. [Présentation approfondie des différentes modalités, dans le cadre de la sémantique formelle principalement inspirée de Kratzer (1981)]



Analyses descriptives et modélisation.


Le choix des principes de classement et de modélisation est directement lié au type de conception, étroite ou large, adopté. Nous présentons ici des éléments de modélisation adaptés à la conception large des modalités. Il s’agit de ceux développés dans le cadre de la Théorie Modulaire des Modalités de Gosselin (2010).


3.1. Principes de classement et de modélisation

Prise dans une acception large, la modalité désigne tout mode de validation / invalidation d’un contenu propositionnel (Gosselin 2010, § 7.2.). La validation / invalidation d’un contenu constitue un jugement. Elle doit être distinguée de la validité des jugements – dont l’étude relève des approches logico-philosophiques – car la validation renvoie à un processus proprement linguistique qui consiste à présenter comme valide un contenu propositionnel. Ainsi conçue, la modalité apparaît comme un phénomène fondamentalement hétérogène, qui implique la prise en compte de caractéristiques lexicales, syntaxiques, logiques, sémantiques et parfois pragmatiques. Du fait de cette complexité et de cette hétérogénéité, elle paraît résister à une approche de type nomologique (i.e. sous forme de principes généraux et de règles prédictives). Pour répondre à ce défi, la Théorie Modulaire des Modalités recourt à des outils théoriques développés en particulier par l’informatique théorique, spécifiquement conçus pour traiter de façon nomologique des phénomènes complexes et hétérogènes : a) une architecture modulaire (au sens de Nølke 1994), et b) le métamodèle des espaces conceptuels de Gärdenfors (2000).

Nous ne développerons pas ces aspects techniques ici (cf. Gosselin 2010 : 143-153). On se contentera de signaler que les modalités sont traitées selon un formalisme informatique de type « orienté-objet ». C’est-à-dire que toute modalité est conçue comme un objet porteur d’attributs (ou paramètres) susceptibles de prendre différentes valeurs. Un système de règles a pour rôle de créer, sur la base de l’analyse des marqueurs de l’énoncé, ainsi que de la prise en compte du contexte, des modalités (comme objets) et d’attribuer des valeurs à leurs attributs (paramètres). Nous présentons très rapidement les paramètres et les catégories modales qu’ils permettent de définir.

Chaque modalité est porteuse de neuf paramètres. On distingue, d’une part, les paramètres conceptuels qui définissent les catégories modales (ex. aléthique, épistémique, boulique ...) et les valeurs modales (ex. nécessaire, possible, interdit, certain ...), et, d’autre part, les paramètres fonctionnels qui rendent compte du fonctionnement de la modalité dans l’énoncé. Ainsi, une même valeur modale, comme, par exemple, la probabilité épistémique, pourra être exprimée à des niveaux fonctionnels différents par des expressions comme « il est possible / probable que », probablement, sûrement, pouvoir épistémique, etc.

À ces deux classes de paramètres s’ajoute un « métaparamètre » qui indique si les valeurs obtenues pour les autres paramètres l’ont été par marquage linguistique ou par inférence. Dans ce dernier cas seulement, elles seront annulables en contexte.

Le tableau 1 présente l’organisation des différents paramètres :

Tableau 1 : les paramètres

Prenons dès maintenant un exemple pour illustrer le rôle de chacun de ces paramètres, ce qui nous oblige évidemment à anticiper sur des concepts qui seront précisés ultérieurement. Il s’agit d’un texte relatif au confinement pendant l’épidémie de Covid :

(20)  Le confinement s’assouplit dans plusieurs pays, notamment en Espagne où les enfants ont le droit de sortir depuis ce week-end., (Ouest-France, 27/04/2020, Europresse)

Notre analyse va concerner la modalité marquée par avoir le droit de. Cette modalité porte sur la relation entre le prédicat (sortir) et son sujet (les enfants), qui constituent le dictum ou contenu propositionnel : [les enfants sortir]. Soit la structure modale :

Modi (sortir (les enfants))

L’instance de validation (I) de Modi est de nature institutionnelle et renvoie à l’État espagnol, dans la mesure où l’autorisation donnée émane et se trouve garantie par l’État.

Même si, au plan pragmatique, l’acte de langage est assertif, du point de vue de l’analyse sémantique des modalités, la direction d’ajustement (D) associée à Modi est injonctive, c’est-à-dire que le monde doit se conformer à un dire qui précède la situation qu’il évoque, une autorisation étant, par essence, préalable à ce qu’elle permet, et donc orientée vers l’ultériorité.

La force (F) correspond au permis, équivalent du non interdit. Du point de vue du classement conceptuel, cette modalité relève donc de la catégorie modale du déontique, avec la valeur modale de permis.

Au plan syntaxique (N), Modi est un opérateur de prédicat (voir infra, § 3.3.1.), c’est-à-dire qu’elle est de re (intraprédicative) et véridicible. Il s’agit d’une modalité de re dans la mesure où elle affecte la relation entre le prédicat sortir et son sujet les enfants : la permission de sortir est attribuée aux enfants. Remarquons que ce n’est pas le cas de toutes les modalités déontiques, car certaines sont de dicto (extraprédicatives), par exemple la modalité à valeur de permis marquée par les deux occurrences de pouvoir dans l’exemple suivant :

(21)  Certaines personnes, autres que les enfants, peuvent être comptées fiscalement à charge et augmenter ainsi le quotient familial du contribuable. Il s’agit des titulaires de la carte d’invalidité qui vivent au domicile du contribuable . […] Les enfants reconnus par les deux concubins peuvent être intégrés dans le foyer fiscal de l’un ou l’autre des parents. (Droit-Finances, 13/10/2022, Europresse)

Dans ce cas pouvoir déontique, qui porte sur le dictum pris globalement, ne saurait être remplacé par avoir l’autorisation de ( ?? Les enfants ont l’autorisation d’être intégrés dans le foyer fiscal…).

Modi est véridicible au sens où elle peut être niée ou interrogée :

(22)  (a) Les enfants n’ont pas le droit de sortir

(b) Les enfants ont-ils le droit de sortir ?

Du point de vue de la portée dans la structure logique de la phrase (P), Modi a une portée directe sur le prédicat (sortir). On aurait une portée indirecte dans un exemple comme :

(23)  Les enfants ont le droit de savoir s’ils peuvent sortir

Modi Modj Modk (sortir (les enfants))

où Modi : déontique permis, Modj : épistémique certain, Modk : déontique permis

Par ailleurs, la modalité Modi pourrait elle-même entrer dans la portée d’autres modalités :

(24)  Les enfants doivent savoir s’ils ont le droit de sortir

Modg Modh Modi (sortir (les enfants))

où Modg : déontique obligatoire (ou épistémique probable), Modh : épistémique certain, et Modi : déontique permis

Le paramètre de l’engagement du locuteur (E) indique le degré de prise en charge de la modalité (cf. Nølke 1994, Dendale & Coltier 2004). À partir de la forme assertive simple, qui indique que le locuteur s’associe (au sens de Nølke) au point de vue exprimé :

(25)  (a) Les enfants ont le droit de sortir

divers marqueurs peuvent être ajoutés, qui ne déclenchent pas la construction d’une modalité supplémentaire, mais qui viennent modifier et préciser le degré d’engagement du locuteur, en le renforçant :

(25)  (b) Je vous assure / garantis que les enfants ont le droit de sortir

ou en marquant l’accord du locuteur avec un point de vue antérieur (qui prend valeur de présupposé) :

(25)  (c) Comme / étant donné que les enfants ont le droit de sortir…

ou encore en indiquant le rejet d’un point de vue antérieur (le locuteur se dissocie, au moyen de la négation polémique, du point de vue exprimé) :

(25)  (d) Il n’est pas vrai / il est faux que les enfants aient le droit de sortir

ce rejet pouvant aller jusqu’au mode sarcastique (Haiman 1995) qui consiste à présenter le point de vue comme ridicule :

(25)  (e) Comme si les enfants avaient le droit de sortir !

La modalité peut être présentée comme congruente ou non congruente avec des éléments du contexte. Cette relation au contexte est indiquée par le paramètre R (relativité de la modalité). Dans l’exemple (20), la modalité est congruente avec le contexte (« Le confinement s’assouplit dans plusieurs pays, notamment en Espagne »). Elle serait présentée comme non congruente dans le cas, entre autres, d’une relation concessive :

(26)  (a) L’épidémie ne faiblit pas. Toutefois, les enfants ont le droit de sortir depuis ce week-end

(b) L’épidémie a beau se renforcer, les enfants ont le droit de sortir depuis ce week-end.

Avoir beau peut être considéré comme un auxiliaire modal (comme il est proposé dans la  Notice  sur les constructions concessives à auxiliaire modal), non parce qu’il déclenche la création d’une modalité particulière, mais parce qu’il fixe la valeur d’un paramètre d’une modalité construite par ailleurs (en l’occurrence, par avoir l’autorisation de). La même analyse vaut pour les « modalités hypothétiques » (voir la  Notice  sur les constructions en SI), qui peuvent marquer la congruence (26c) ou la non congruence (26d) de la modalité contenue dans l’apodose avec la réalisation de la possibilité exprimée par la protase :

(26)  (c) Si l’épidémie faiblissait, les enfants auraient le droit de sortir

(d) Même si l’épidémie se renforçait, les enfants auraient le droit de sortir.

Du point de vue de la temporalité (T : temps et aspect), à la différence d’une modalité indiquée par un adverbe épistémique comme probablement ou certainement, la modalité Modi, marquée par avoir le droit de, accepte à la fois la variation temporelle :

(27)  (a) Les enfants ont / avaient / ont eu / avaient eu/ auront le droit de sortir.

et la variation aspectuelle :

(27)  (b) Les enfants commençaient à / continuaient de / cessèrent d’avoir le droit de sortir.

(c) Les enfants allaient / étaient sur le point de / venaient d’avoir le droit de sortir.

Enfin, cette modalité Modi, est marquée et non inférée (paramètre M). C’est pourquoi elle n’est pas annulable :

(28)  ?? Les enfants ont le droit de sortir, mais cela ne leur est pas permis.

Or toute modalité déontique porte normalement un dictum décrivant une situation qui est simplement possible (il ne paraît pas discursivement pertinent de présenter comme obligatoires, interdites ou permises des situation intrinsèquement nécessaires ou impossibles). Il suit que le dictum [les enfants sortir] va être affecté d’une modalité à valeur de possible aléthique, mais cette valeur de possible est seulement inférée sur la base d’un principe général. Voilà pourquoi, à la différence de Modi, elle est annulable en contexte :

(29)  Les enfants ont le droit de sortir depuis ce week end, mais cela leur est impossible à cause des conditions météorologiques.


3.2. Classement conceptuel : catégories et valeurs modales

Ce jeu de paramètres permet de classer les modalités. Nous avons choisi de montrer maintenant comment les combinaisons des différentes valeurs des paramètres conceptuels conduisent à un classement conceptuel des modalités, qui établit des catégories modales (aléthique, épistémique, boulique …) et des valeurs modales pour chacune de ces catégories (nécessaire aléthique, probable épistémique, etc.). Nous présenterons ensuite (au § 3.3.) le classement syntaxique des modalités, qui résulte des valeurs prises par les composantes du paramètre N (le niveau dans la structure syntaxique).

3.2.1. Principes de classement

Les paramètres conceptuels sont au nombre de trois : l’instance de validation (I) , la direction d’ajustement (D) et la force de la validation (F). L’instance de validation peut prendre trois valeurs distinctes : le réel (dans le cas des modalités aléthiques), la subjectivité (par exemple, pour les modalités épistémiques) ou l’institution (entre autres pour les modalités déontiques). Ainsi, dans les énoncés suivants, le contenu du jugement est-il présenté respectivement comme validé par le réel (30a), par une subjectivité (30b) et par une institution (30c) :

(30)  (a) Deux fois par an, si les conditions le permettent, il est possible d’apercevoir le mont Canigou depuis les hauteurs de Marseille. (La Provence, 23/10/2023, Europresse) [possibilité aléthique]

(b) L’enquête a pourtant duré trois années. Mais personne ne sait ce qui est arrivé à cette infirmière de 33 ans. Et il est probable que personne ne connaisse jamais la vérité sur cette affaire. (Marie France, 16/10/2023, Europresse) [probabilité épistémique]

(c) Entre 9 h et 19 h, il est interdit de laisser stationner un véhicule sur ces emplacements pendant une durée supérieure à 30 minutes. (Le Progrès, 28/12/2021, Europresse) [interdiction déontique]

Le concept de direction d’ajustement (D) est emprunté à la pragmatique des actes de langage. Il a été forgé par Searle (éd. 1982) sur la base des réflexions d’Anscombe (éd. 2002) sur le raisonnement pratique chez Aristote. Puis il a été étendu par Searle (éd. 1985) à l’ensemble des états mentaux intentionnels. Deux orientations sont possibles : soit l’énoncé s’ajuste au monde, soit le monde est censé s’ajuster à l’énoncé. Cette distinction est à la base de la classification des actes illocutoires de Searle (voir également Vanderveken1988 : 109-111) . Transposé du domaine pragmatique à celui de la sémantique linguistique, le concept de direction d’ajustement prend une portée toute différente, car il ne s’agit plus de savoir si l’énoncé exerce ou non des contraintes réelles sur le monde, s’il oblige effectivement les sujets à conformer leur pratique aux contraintes qui sont associées à son énonciation, mais – de façon plus abstraite – si le monde est envisagé comme se conformant à l’énoncé ou si c’est l’inverse, quel que soit le pouvoir réel des sujets sur le monde. On retiendra ainsi les deux valeurs fondamentales, descriptive (l’énoncé s’ajuste au monde) et injonctive (le monde s’ajuste à l’énoncé), qui permettent d’opposer les jugements descriptifs aux jugements injonctifs, auxquels s’ajoutent les jugements de valeur, qui, selon l’analyse proposée par Ogien (2003 : 116) et précisée dans Gosselin (2010 : 72-78), ont une direction d’ajustement mixte, prioritairement descriptive et secondairement injonctive, car les énoncés porteurs de jugements de valeurs formulent des descriptions du monde dans le but explicite d’influer sur l’attitude à adopter à son égard (ex. « Ce fruit est délicieux », « Il serait scandaleux d’accepter cette décision »).

Enfin la force de la relation se caractérise à la fois par une polarité (positive ou négative) et un degré. Par exemple, une modalité appréciative pourra avoir une orientation positive et un degré plus ou moins élevé (31a), ou une orientation négative, avec là encore des différences de degré (31b) :

(31)  (a) C’est pas mal / bien / formidable / merveilleux que p.

(b) C’est dommage / malheureux / épouvantable que p.

Les paramètres I (instance de validation) et D (direction d’ajustement) suffisent à définir les catégories modales (aléthique, épistémique, appréciatif, etc.). Le paramètre F (force de la relation) permet de préciser la valeur modale, dans le cadre de chacune de ces catégories (par exemple, pour le déontique : l’obligatoire, le permis, le facultatif et l’interdit ; pour l’épistémique : le certain, le probable, le contestable (ou improbable) et l’exclu, etc.).

Les catégories modales définies au moyen des paramètres I et D correspondent aux différents types de jugements. Le tableau 2 synthétise l’ensemble.

Tableau 2 : catégories modales et types de jugements

Catégorie modale Instance de validation Direction d'ajustement Type de jugement
aléthique réel descriptive jugement de réalité présenté comme objectif
épistémique subjectivité descriptive jugement de réalité subjectif
appréciative subjectivité mixte jugement de valeur subjectif: désirable / indésirable
axiologiue institution mixte jugement de valeur institutionnel: louable / blâmable
boulique subjectivité injonctive jugement injonctif subjectif: expression
d'une volonté, d'une aversion
déontique institution injonctive jugement injonctif institutionnel: expression
d'une obligation, permission, dispense, interdiction

La différence fondamentale entre le boulique-déontique d’une part, et l’appréciatif-axiologique de l’autre, tient au fait qu’en vertu de leurs directions d’ajustement injonctive, impliquant la précédence de l’énoncé sur l’état du monde censé s’y conformer, ces modalités bouliques-déontiques ne peuvent concerner que des situations situées dans l’avenir , alors que les modalités appréciatives-axiologiques peuvent aussi bien concerner le présent et le passé. On observe ainsi le contraste entre (32a) / (33a), et (32b) / (33b) :

(32)  (a) ?*Je veux qu’il soit venu hier (boulique)
(b) Je suis content qu’il soit venu hier (appréciatif)

(33)  (a) ?*Il doit / est dans l’obligation d’être venu hier (déontique)
(b) C’est bien / remarquable qu’il soit venu hier (axiologique).

Nous détaillons maintenant chacune des catégories modales ainsi définies, en précisant les différentes valeurs qu’elles peuvent subsumer.

3.2.2. Les modalités aléthiques

La modalité aléthique (de aletheia : la vérité) est celle de la « vérité objective », celle de jugements descriptifs qui renvoient à une réalité existant en soi, indépendamment des jugements qui sont portés sur elle. On utilise aussi parfois, de façon équivalente, les termes de « modalités ontiques » (cf. Gardies 1979) ou de « modalités objectives » (Williamson 2016).

La catégorie modale aléthique se trouve définie négativement, comme n’impliquant nulle subjectivité :

Objective modalities are non-epistemic, non-psychological, non-intentional. (Williamson 2016 : 454)

L’exemple (34) illustre les modalités aléthiques extrinsèques à valeur de possibilité et d’impossibilité, marquées par des périphrases verbales (respectivement « avoir la capacité de Vinf » et « ne pas pouvoir Vinf ») :

(34)  Sur une côte meuble, le trait de côte a la capacité de se reconstruire de manière naturelle, avec le mouvement du sable ou grâce à des moyens de gestion déployés par l’Homme. Sur une falaise rocheuse, le trait va reculer systématiquement puisqu’il ne peut pas se reconstruire. (La Tribune, 31/08/2022, Europresse)

Lorsqu’elle est intrinsèquement associée aux lexèmes (voir § 1.1.4. et § 3.3.2.) la modalité aléthique est identifiable grâce à l’incompatibilité de ces lexèmes avec l’expression je trouve que, qui indique le caractère subjectif individuel du jugement exprimé (Ducrot et al. 1980, Gosselin 2018a) :

(35)  (a) La salle est rectangulaire, plongée dans le noir et entièrement insonorisée. (La Lettre de l’Audiovisuel, 18/07/2022, Europresse)

(b) ?*Je trouve que la salle est rectangulaire…

On oppose classiquement (depuis Aristote, cf. supra, § 1.2.1.) quatre valeurs modales aléthiques :

Le Nécessaire : ce qui ne peut être autrement (vrai exclusivement)
Le Possible (strict ) : ce qui peut être (ni vrai ni faux ; De l’Interprétation 9, 19a 39-19b 4)
Le Contingent : ce qui peut être autrement (tantôt vrai tantôt faux ; De l’Interprétation 7, 17b 31)
L’Impossible : ce qui ne peut être (faux exclusivement).

Or on doit distinguer, dans le champ des modalités aléthiques, non seulement plusieurs valeurs, mais aussi plusieurs systèmes d’oppositions entre valeurs, qui ont été longuement débattus dans la tradition logico-philosophique. Les différents systèmes n’étant pas exclusifs les uns des autres, leurs relations seront précisées dans le tableau 5, ci-dessous. Soit les principaux sous-systèmes de modalités aléthiques (que nous allons détailler à la suite de la figure 2) :

a) Les modalités logiques sont indépendantes du temps et du monde. Les valeurs modales y sont déterminées uniquement par le contenu intensionnel des énoncés.

b) Les modalités physiques dépendent du temps et du monde (Reichenbach 1947, § 60). Parmi ces modalités physiques, on distingue :

b1) les modalités génériques, qui elles-mêmes peuvent impliquer soit la généricité temporelle (le parcours du temps), soit la généricité référentielle (le parcours d’une classe d’individus) ;

b2) les modalités non génériques, qui concernent des individus particuliers et sont ancrées dans le temps. Ces modalités non génériques se divisent à leur tour (cf. von Wright 1984 : 96-103) en :

b2i) modalités synchroniques (la modalité et le contenu propositionnel partagent le même indice temporel) : Modti ptj, ti = tj

b2j) modalités diachroniques (la modalité et le contenu sont affectés d’indices temporels différents) : Modti ptj, ti ≠ tj.

Ces dernières se répartissent entre

b2j1) modalités prospectives (la modalité porte sur un procès ultérieur) : Modti ptj, ti < tj

b2j2) modalités rétrospectives (la modalité porte sur un procès antérieur) : Modti ptj, ti > tj.

La figure 2 résume l’ensemble des sous-systèmes de valeurs aléthiques.

Figure 2 : sous-systèmes aléthiques

Dans le système des modalités logiques, le nécessaire correspond aux jugements analytiques, l’impossible aux jugements contradictoires et le possible aux jugements synthétiques (i.e. ni tautologiques, ni contradictoires). Ces valeurs modales sont déterminées a priori (i.e. indépendamment de toute expérience). Un jugement analytique est vrai a priori, un jugement contradictoire est faux a priori, tandis que s’il est envisagé de façon purement a priori, un jugement synthétique n’est ni vrai ni faux (il est simplement possible). Le contingent n’a pas de statut dans ce cadre.

Tableau 3 : modalités logiques

Valeurs Définitions
Nécessaire jugement analytique (tautologique)
Impossible jugement contradictoire
Possible jugement synthétique

Soit trois exemples qui illustrent respectivement les valeurs de nécessaire, d’impossible et de possible dans le cadre de ces modalités logiques :

(36)  (a) Dans un triangle rectangle, on a forcément un angle droit (égal à 90°). (Piger-lesmaths.fr, consulté le 17/09/2023)

(b) […] il n’est pas possible qu’un triangle se présente avec trois angles dont l’addition vaut 190°. (Philosophie Magazine, 17/08/2016)

(c) Un losange n’a pas forcément un angle droit. (Nosdevoirs.fr, consulté le 17/09/2023)

Selon le système des modalités physiques génériques – dites aussi « modalités extensionnelles » (Reichenbach 1947, § 23) par opposition aux modalités logiques qui ne dépendent que de l’intension des concepts mis en œuvre – le nécessaire correspond au « toujours vrai », l’impossible au « jamais vrai » (« toujours faux »), et le contingent au « tantôt vrai, tantôt faux » (le possible, en tant que « ni vrai, ni faux » n’a pas sa place dans ce système) .

Tableau 4 : modalités physiques génériques

Valeurs Définitions
Nécessaire toujours vrai (vrai pour tous les individus d'une classe
et/ou pour tous les moments temporels:
nécessité: vérité universelle et sempiternelle)
Impossible toujours faux (faux pour tous les individus d'une classe
et/ou pour tous les moments temporels)
Possible tantôt vrai, tantôt faux (vrai pour certains individus
d'une classe, faux pour d'autres, et/ou vrai à certains
moments et faux à d'autres)

Ce type de nécessité peut être exprimé au moyen de l’adverbe toujours, ou simplement par l’usage du présent générique :

(37)  Il est difficile de prévoir l’économie... Ce n’est pas factuel, comme l’eau qui bout à 100 degrés. (Le Monde, 01/08/2018, Europresse).

Le contingent sera marqué par l’expression il arrive que et un ensemble d’adverbes qui expriment divers degrés de contingence, qu’il s’agisse de contingence référentielle et/ou temporelle (voir supra, § 1.2.1.). Ainsi, dans l’exemple (38) :

(38)  Migraines […]. Chacun ne souffre pas de la même façon, de plus il arrive que les symptômes et zones de douleur évoluent. Fréquemment cependant, la douleur se diffuse sur une partie de la tête. (Féminin Santé, 01/02/2014, Europresse)

il arrive que marque la contingence, à la fois référentielle (la douleur n’affecte pas tous les migraineux de la même façon) et temporelle (la douleur n’affecte pas toujours chacun de la même façon). L’adverbe fréquemment exprime un degré de contingence plus élevé.

À l’intérieur du système des modalités physiques non génériques, les modalités synchroniques concernent les relations entre une modalité et un contenu qui sont simultanés, et donc affectés d’indices temporels qui coïncident : Modti ptj, ti = tj. Elles opposent deux valeurs modales : le nécessaire et l’impossible. Le nécessaire correspond à l’assertorique, au « simplement vrai », en vertu du principe scolastique selon lequel « omne quod est quando est necesse est esse » (Ockham) (tout ce qui est est nécessaire pendant qu’il est ; cf. von Wright, 1984 : 72 sq.), c’est-à-dire que tout ce qui est vrai ne saurait être faux tant qu’il est vrai (il est exclusivement vrai, donc nécessaire). Le même principe s’applique mutatis mutandis au faux et à l’impossible.

Quant aux modalités diachroniques, elles sont caractérisées par la différence d’indice temporel entre la modalité et le contenu propositionnel : Modti ptj, ti ≠ tj. Elles sont rétrospectives quand tj précède ti (tj < ti), et prospectives dans le cas contraire (ti < tj). Les modalités rétrospectives opposent, comme les modalités synchroniques, le nécessaire, qui correspond cette fois à l’irrévocabilité des événements et situations passés, à l’impossible (qui caractérise les événements et situations qui n’ont pas eu lieu, non moins irrévocablement). En revanche, parmi les modalités prospectives, on distingue le nécessaire (ce qui arrivera inéluctablement ; ex. « Samedi prochain, on sera le 25 novembre »), le possible (ce qui peut arriver ou non, car le futur est globalement « ouvert », actuellement indéterminé), et l’impossible (l’irréalisable dans l’avenir).

Cette conception asymétrique du temps, définie par Aristote (voir supra, § 1.2.1.) est aujourd’hui modélisée sous la forme du temps ramifié (branching time) (cf. Martin 1983, Thomasson 1984). (voir les notices sur le conditionnel  Notice  et sur le futur  Notice  , ainsi que Gosselin (2021 : 203-242) pour une présentation des liens complexes entre modalité, temps et aspect, dans ce cadre). La figure 3 en donne une illustration.

Figure 3 : l’asymétrie modale du temps sous la forme du temps ramifié

Un événement antérieur au point de référence (R) est irrévocable (au sens où il ne peut plus en être autrement : nécessité rétrospective, dite aussi « nécessité historique »). Un événement simultané relève d’une modalité synchronique à valeur assertorique. Un événement ultérieur est simplement possible s’il est situé sur une des branches possibles du temps (possibilité prospective). Un événement qui apparaît sur toutes les branches possibles de l’ultériorité est inéluctable (nécessité prospective). Un événement qui n’apparaît sur aucune des branches possibles de l’ultériorité relève de l’impossibilité prospective.

Soit pour illustrer la nécessité prospective (inéluctabilité) :

(39)  Les dinosaures étaient voués à disparaître. […] la disparition des dinosaures était programmée avant l’arrivée de la fameuse météorite. En effet, même si cette dernière n’avait pas bousculé la planète Bleue il y a 65 millions d’années, les dinosaures allaient dans tous les cas disparaître au vu de la situation dans laquelle ils se trouvaient. (sixactualités.fr, consulté le 04/11/2023, https://sixactualites.fr/high-tech/dinosaures-disparition-programmee-meteorite/6318/)

Les expressions « être voués à Vinf », « être programmé », « aller dans tous les cas Vinf », expriment, dans ce contexte, le fait que la disparition des dinosaures était inscrite sur toutes les branches possibles (dans tous les cas) de l’avenir à partir d’un certain moment pris comme moment de référence (la situation dans laquelle ils se trouvaient).

Dans le même type de contexte, la possibilité prospective peut être exprimée au moyen de l’expression « être susceptible de Vinf » :

(40)  Ces restaurations redonnent une fonctionnalité au réseau des mares, mais, surtout, leur ramènent de la vie. Une grande partie d’entre elles était susceptible de disparaître, à court et long terme. (Ouest-France, 21/10/2020, Europresse).

On comprend, dans cet exemple, que la possibilité en question ne s’est finalement pas réalisée, autrement dit que ce qui était une possibilité prospective à un moment de référence antérieur (R), n’est plus, au moment de l’énonciation, qu’une impossibilité rétrospective (un événement qui n’a pas eu lieu). L’expression de la capacité, à laquelle on attribue parfois une catégorie modale spécifique (celles des modalités dynamiques ou capacitives) ne constitue qu’un cas particulier de possibilité prospective (qui se réalise ou non dans l’ultériorité) :

(41)  « C’est une grosse déception parce qu’on avait la capacité de le gagner ce match, c’est ce qui est frustrant », regrettait après coup la coach sarthoise. (Ouest-France, 01/11/2021, Europresse)

La négation de la possibilité prospective produit l’impossibilité prospective, dont l’incapacité constitue, là encore, un cas particulier :

(42)  Ce week-end, les ONG se sont retrouvées dans l’incapacité de coordonner l’action humanitaire dans la bande de Gaza. (Sud-Ouest, 30/10/2023, Europresse)

Quant à la nécessité rétrospective (irrévocable), elle ne nécessite pas d’autre marqueur que l’utilisation de temps du passé exprimant une visée aspectuelle perfective, ou de présent accompli ou résultatif (i.e. indiquant dans chaque cas que la borne finale du procès a été atteinte) :

(43)  Le marché de Noël de Beaucaire a été inauguré en fanfare. Un millier de moutons ont traversé la ville. Une soixantaine de chalets sont installés. (Midi Libre, 11/12/2021, Europresse)

Mais avec une visée aspectuelle imperfective (inaccomplie), le début du procès est placé avant R, tandis que la fin se trouve située après (voir la  Notice  sur l’aspect verbal), de sorte que le début du procès est irrévocable, alors que sa fin est simplement possible. C’est là l’explication du « paradoxe imperfectif » (Dowty 1979 : 151, Vet 1981). De (44a), on peut déduire (44b), mais pas (44c), car la fin du procès (traverser la place de Pyramides), qui n’était qu’une possibilité prospective, ne s’est finalement pas réalisée.

(44)  (a) Tard dans la nuit, à une date lointaine […], je traversais la place des Pyramides vers la Concorde quand une voiture a surgi de l’ombre. (Modiano, Accident nocturne)

(b) j’avais commencé à traverser la place des Pyramides

(c) j’ai achevé de traverser la place des Pyramides.

Ce type de situation d’un procès passé présenté sous une visée aspectuelle inccomplie (imperfective) est représenté par la figure 4 :

Figure 4 : procès passé avec visée inaccomplie (paradoxe imperfectif)

Les valeurs modales des différents sous-systèmes structurés selon le diagramme de la figure 2 entretiennent entre elles des relations d’implication. Par exemple, une nécessité logique implique une nécessité physique générique (ce qui est vrai par définition est toujours vrai), mais la réciproque est fausse. De même, une nécessité physique générique entraîne une nécessité synchronique, une nécessité prospective et une nécessité rétrospective : si une situation est toujours vraie, elle sera nécessairement vraie au moment où elle a lieu, irrévocable après avoir eu lieu, et inéluctable avant d’avoir lieu. Mais la réciproque ne vaut pas : un événement peut être irrévocable (nécessité rétrospective), bien qu’il n’ait pas été inéluctable (possibilité prospective), et qu’il ne soit pas toujours vrai (contingence). Par ailleurs, un événement qui a été prospectivement impossible, ne pourra devenir que synchroniquement et rétrospectivement impossible, etc. Ces relations se laissent représenter comme suit :

Tableau 5 : relations entre les sous-systèmes aléthiques

Remarquons que l’on appelle aussi contingent, en logique modale, ce qui est vrai (nécessité synchronique et rétrospective), sans avoir été inéluctable. Autrement dit, ce qui est vrai, mais aurait pu être autrement. Cette valeur, qui concerne les modalités physiques non génériques, résulte de la comparaison entre des valeurs appartenant à différents systèmes : la valeur « tantôt vrai, tantôt faux » s’applique, cette fois, au parcours des sous-systèmes (et non plus au parcours générique des individus ou des moments).

Cette classification permet à la fois de définir une typologie des jugements de fait, et une ontologie (par le biais d’un classement modal des propriétés des objets et des situations). Du point de vue linguistique, l’étude des modalités aléthiques est le plus souvent négligée, ou limitée à la seule expression des lois de la nature (Cozma 2021 : 5), et même parfois tenue pour illégitime (Palmer 1986 : 11, Nuyts 2001 : 28) au prétexte que l’énonciation étant le fait d’un locuteur, elle ne saurait prétendre à l’objectivité. Rappelons (cf. supra, § 1.1.4.) qu’au plan sémantique, la question n’est pas de savoir si l’énoncé peut être réellement objectif, mais uniquement de rendre compte du fait que le locuteur présente le contenu de son énoncé comme objectif (cf. également Kronning 1996, Barbet 2012, et la  Notice  sur les verbes modaux). On s’aperçoit alors que cette modalité est omniprésente dans les discours où son utilisation, qui consiste à parler au nom de « l’univers référentiel » (Berrendonner 1981 : 61), participe des stratégies d’effacement énonciatif (Vion 2001, Rabatel 2004), au moyen desquelles le locuteur donne l’impression « qu’il se retire de l’énonciation, qu’il “objectivise” son discours en “gommant” non seulement les marques les plus manifestes de sa présence (les embrayeurs) mais également le marquage de toute source énonciative identifiable » (Vion 2001 : 334, cité et commenté par Rabatel 2004 : 3). Les marques de modalité aléthique relèvent alors de ce que Rabatel (2004) appelle «  l’appareil formel de l’effacement énonciatif », concept forgé sur le modèle de « l’appareil formel de l’énonciation » de Benveniste (1970).

Il va sans dire que cette catégorie modale est difficilement compatible avec les définitions de la modalité en termes de non-factualité ou de non-réalité (cf. Declerck 2011, Portner 2019):

Modality can be defined as the phenomenon that a situation is located in a nonfactual world. (Declerck 2011 : 27)

I am not too comfortable trying to define modality, but a definition provides a useful place to start: modality is the linguistic phenomenon whereby grammar allows one to say things about, or on the basis of, situations which need not be real. (Portner 2019 : 1)

3.2.3. Les modalités épistémiques

La modalité épistémique (de épistémè : le savoir) est celle de la vérité subjective. Elle caractérise des jugements descriptifs (et non des jugements de valeur) qui sont validés par des individus ou des collectivités, c’est-à-dire qu’ils ne renvoient pas à une réalité indépendante des sujets qui la considèrent, mais à l’évaluation subjective de cette réalité.

Ainsi l’adverbe épistémique certainement dans l’exemple :

(45)  Certainement que Pierre est venu

exprime une évaluation subjective extrinsèque portant sur la validation (intrinsèquement objective) du contenu propositionnel « Pierre est venu ». On évitera soigneusement de confondre, dans les tours de ce type, la modalité épistémique extrinsèque (marquée par certainement) avec les modalités intrinsèques qui peuvent être aléthiques (comme en 45), épistémiques, appréciatives ou axiologiques, comme en (46) :

(46)  Certainement que Pierre est grand / beau / courageux.

De même, l’adjectif petit dans l’énoncé

(47)  Cette pièce est petite

sera considéré comme marquant de façon intrinsèque une évaluation subjective. Le jugement est subjectif dans la mesure où il suppose une norme d’évaluation, qui reste implicite et qui dépend du point de vue du locuteur. Cette évaluation peut s’accompagner, en fonction des environnements discursifs, de jugements de valeur (positifs ou négatifs), mais ceux-ci ne sont pas linguistiquement marqués. Le caractère subjectif de cette modalité intrinsèque au lexème petit est vérifiable au moyen du test de compatibilité avec je trouve que :

(48)  Je trouve que cette pièce est petite.

Mais il faut encore distinguer différents types de subjectivité. Car la subjectivité peut être individuelle (ce qui est vrai pour un individu) ou collective (ce qui est vrai pour un groupe social, et appartient à une doxa) ; elle peut renvoyer à l’opinion du locuteur ou non. De là le classement suivant :

a) subjectivité individuelle du locuteur (marqueurs : pour moi, selon moi, d’après moi p ; je pense / crois / suis certain que p)

b) subjectivité d’un individu différent du locuteur (pour elle, selon elle, d’après elle p ; elle pense / croit / est certaine que p)

c) subjectivité collective intégrant le point de vue du locuteur (on sait que, tout le monde sait que p)

d) subjectivité collective différant du point de vue du locuteur (les gens croient que p ; les hommes du Moyen-Âge pensaient que p)

Précisons que par défaut, des marqueurs comme certainement, sans doute, peut-être que p expriment la subjectivité collective intégrant le point de vue du locuteur. Cette subjectivité peut cependant se trouver restreinte par des éléments du contexte (ex. : pour lui, certainement que p).

Lenepveu (2022, 2024) ajoute une distinction supplémentaire en introduisant le concept de subjectivité impersonnelle, pour rendre compte de la valeur modale de constructions impersonnelles du type :

(49)  Il est évident / visible / manifeste / flagrant / patent / notoire / avéré /établi /attesté que p

Cette subjectivité impersonnelle se situe entre la subjectivité individuelle ou collective (ce qui est vrai pour un ou des sujets) et l’objectivité (ce qui est vrai indépendamment de tout sujet), car elle correspond à ce qui est « vrai pour n’importe quel sujet » (dès lors qu’il est doué de raison). Cette distinction s’appuie sur des tests sémantiques :

a) un marqueur de subjectivité individuelle ou collective n’est pas implicatif (sauf s’il est factif, voir infra) : « certainement / probablement que p » n’implique pas p ;

b) les marqueurs de subjectivité impersonnelle, comme les marqueurs d’objectivité (i.e. aléthiques) sont implicatifs : « il est évident / visible / manifeste que p » et « il est objectivement vrai que p » impliquent p, sans pour autant présupposer p, car « il n’est pas évident / établi que p » n’implique pas p ;

c) l’implication est réversible pour les marqueurs d’objectivité, mais pas pour les marqueurs de subjectivité impersonnelle : « p » implique « il est objectivement vrai que p », mais n’implique pas « il est évident / visible / manifeste / établi que p ». Ainsi, dans l’exemple (50) :

(50)  Cela fait plusieurs mois que nous travaillons la nuit sur les quais et les voies, mais personne ne s’en aperçoit. (20 minutes.fr, 30/06/2015, Europresse)

l’énoncé de la première proposition (p : «  Cela fait plusieurs mois que nous travaillons la nuit sur les quais et les voies ») implique « il est objectivement vrai que p », mais la suite montre qu’il n’implique nullement « il est évident / visible / manifeste / patent / notoire / établi que p ».

Les différentes valeurs de la modalité épistémique entrent en correspondance avec celles de l’aléthique (Slakta 1983 : 12-13) :

Certain : ce qui ne peut être autrement, pour un sujet
Probable : ce qui peut être, pour un sujet
Contestable (improbable) : ce qui peut être autrement, pour un sujet
Exclu : ce qui ne peut être, pour un sujet

En fait, plutôt que de quatre valeurs discrètes, il s’agit de portions disposées sur un continuum (« l’échelle épistémique » de Nuyts 2001 : 22, 55) que l’on peut représenter au moyen de la figure 5 :

Figure 5 : le continuum des valeurs épistémiques

Ce continuum correspond aux différents degrés de croyance relativement à un contenu propositionnel.

Les modalités épistémiques extrinsèques peuvent être marquées, tout particulièrement par des adverbes (ex. certainement, probablement, peut-être, ; cf. Sueur 1976, Rossari 2018, De Cesare 2022), des adjectifs (certain, vraisemblable), des coverbes (devoir et pouvoir) et des verbes modaux (comme sous-classe des verbes d’attitude propositionnelle : savoir / croire / douter que). Ces marqueurs permettent de baliser le continuum des valeurs épistémiques. Les différences de fonctionnement des adjectifs épistémiques correspondant aux adverbes (probablement / probable, certainement / certain, vraisemblable / vraisemblablement…) seront précisées au § 3.3.1. Soit, sous forme de tableau :

Tableau 6 : adverbes et verbes modaux épistémiques

Valeur épistémique Adverbes Adjectifs, coverbes et verbes
Certain incontestablement,
indiscutablement,
assurément
Je sais que P
Probabilité forte (très) probablement,
sans (aucun) doute,
(tès) vraisemblablement,
(très) certainement
Je suis (absolument) sûr /
certain / persuadé / convaincu que
P
devoir épistémique
Probabilité faible peut-être, éventuellement Je crois / pense que P
pouvoir épistémique
Contestable (improbable) faible peut-être, éventuellement non P Je doute que P
Je crois / pense que non P
Contestable (improbable) fort (très) probablement,
sans (aucun) doute,
(tès) vraisemblablement,
(très) certainement
non P
Je suis (absolument) sûr /
certain / persuadé / convaincu que
non P
Exclu incontestablement,
indiscutablement,
assurément
non P
Je sais que non P

Les verbes modaux indiqués ne se différencient pas seulement par le degré de croyance exprimé, mais aussi par leur propriété de factivité. Un verbe d’attitude propositionnelle est dit factif quand il présuppose la vérité du contenu de la complétive ( Kiparsky & Kiparsky 1971, Karttunen 1973 ). Il est non factif dans le cas contraire. Ainsi savoir que est factif parce que « X sait que p » présuppose p, tandis que croire que est non factif parce « X croit que p » ne présuppose pas p. La présupposition est vérifiable au fait que l’implication se maintient sous la négation (Ducrot 1972). Ainsi, de (51a) et de (51b) on infèrera (51c), alors que cette inférence n’est pas valide à partir de (52a) et (52b) :

(51)  (a) Pierre sait que Marie est venue
(b) Pierre ne sait pas que Marie est venue
(c) Marie est venue

(52)  (a) Pierre croit que Marie est venue
(b) Pierre ne croit pas que Marie est / soit venue

De cette propriété de factivité, on peut tirer tout un ensemble de prédictions (cf. Martin 1987, Gosselin 2014), comme, par exemple, l’impossibilité d’énoncer (53a), sauf s’il s’agit d’un présent historique qui permet au locuteur de se dissocier de l’énonciateur, comme en (53b) :

(53)  (a) ?? Je ne sais pas que Marie est venue

(b) J’ai dix-sept ans. Je ne sais pas que je n’aurai plus jamais dix-sept ans, je ne sais pas que la jeunesse, ça ne dure pas, que ça n’est qu’un instant, que ça disparaît et quand on s’en rend compte il est trop tard […] je suis un idiot, un idiot insouciant. (P. Besson, Arrête avec tes mensonges, 2017)

En effet si savoir que est factif, (53a) présuppose (51c), or le locuteur ne peut à la fois présupposer la venue de Marie et dire qu’il ne sait pas qu’elle est venue.

Parmi les verbes épistémiques factifs, on trouve savoir / se douter / ignorer que, tandis que croire / être {certain / convaincu / persuadé} / douter que sont non factifs. Quant à s’imaginer / se figurer que, ils sont contrefactifs (Meinunger, 2007 : 161) au sens où ils présupposent la fausseté du contenu de la complétive. Par exemple (54) présuppose la fausseté de (51c) :

(54)  Il s’imagine / se figure que Marie est venue.

Il convient toutefois de préciser deux points, qui peuvent prêter à confusion :

a) Contrairement à ce que le terme de factivité pourrait laisser penser, la complétive d’un verbe factif ne renvoie pas nécessairement à un fait objectif (i.e. porteur d’une modalité aléthique intrinsèque). Autrement dit, la factivité n’implique pas la factualité, car, comme le remarque Brunot (1922 : 528)  :

Les subordonnées qui suivent [savoir que] contiennent soit une certitude, soit une possibilité, une incertitude, un doute, une improbabilité : je sais […] que la maladie était grave, qu’elle serait sans doute devenue mortelle. (Brunot, 1922 : 528)

b) Les verbes factifs, ou contrefactifs ne présentent leur valeur de factivité que dans certaines constructions. Par exemple, « savoir / ignorer si p » ne sont pas factifs. De même, « s’imaginer que / se figurer que p » perdent leur contrefactivité quand on les met à l’impératif (« figure-toi que je viens de gagner au loto ») .

Du point de vue de l’analyse modale, le phénomène de la factivité met en évidence la nécessité de distinguer entre le degré de croyance et le degré de prise en charge du contenu propositionnel (deux caractéristiques qui sont parfois confondues). Dans la Théorie Modulaire des Modalités (Gosselin 2010), le degré de croyance correspond au paramètre F (force de la validation) de la modalité épistémique extrinsèque, tandis que le degré de prise en charge est représenté par la valeur du paramètre E (engagement du locuteur) de la modalité sur laquelle porte la modalité épistémique extrinsèque. Cette modalité peut être intrinsèque au contenu. C’est ainsi que, dans l’exemple (54), l’expression s’imaginer que indique à la fois que la force (F) de la modalité épistémique extrinsèque est positive, et que le locuteur refuse de prendre en charge (paramètre E) la modalité aléthique intrinsèque au dictum [Marie est venue].

De façon générale, le degré de croyance est relatif à l’instance de validation (ou sujet modal), alors que le degré de prise en charge renvoie au locuteur. Ainsi dans (55) :

(55)  Pierre est persuadé que Marie est sa sœur.

l’instance de validation est constituée de la subjectivité individuelle de Pierre, le degré de croyance correspond à la forte probabilité, mais le locuteur ne prend pas en charge la modalité aléthique intrinsèque au dictum [Marie est sa sœur] – sans pour autant la rejeter explicitement comme en (54) – du fait du caractère non factif de l’expression être persuadé que.

Lorsque deux verbes épistémiques se suivent comme dans l’exemple (56a), auquel on associe la structure modale (56b) :

(56)  (a) N’ayez pas peur, monseigneur. Je crois que vous savez que tous mes biens sont en Sicile. (Koltès, Le Conte d’hiver [trad.], 1988, Frantext)

(b) Modi Modj Modk (être (tous mes biens, en Sicile))

où Modi est une modalité épistémique extrinsèque marquée par je crois que
Modj est une modalité épistémique extrinsèque marquée par vous savez que
Modk est une modalité aléthique intrinsèque au contenu propositionnel

le caractère factif ou non du premier verbe concerne la modalité épistémique sur laquelle il porte (en l’occurrence Modj), tandis que le caractère factif ou non du second verbe affecte la prise en charge de la modalité intrinsèque au contenu (Modk). On comprend donc ici que le locuteur prend en charge la validité du contenu (tous mes biens sont en Sicile) qui est dans la portée du verbe savoir, mais pas la modalité épistémique (Mj) marquée par ce même verbe savoir, qui est dans la portée du verbe croire.

Comme la croyance est généralement fondée sur des raisons de croire, qui peuvent s’appuyer sur des inférences à partir d’indices, les modalités épistémiques entretiennent des relations étroites avec l’évidentialité (voir la  Notice  sur les marqueurs évidentiels), et il est parfois difficile de savoir si les marqueurs de vérité subjectives relèvent de la modalité épistémique ou de l’évidentialité, ou des deux à la fois. C’est particulièrement vrai des expressions qui paraissent contraindre le type d’indices sur lesquels s’appuient les inférences conduisant à la croyance, comme apparemment, « sembler / paraître / avoir l’air de Vinf » (cf. Hennemann 2021) .

Signalons enfin un type particulier de modalité épistémique, qui paraît jouer un rôle important dans la sémantique de certains énoncés. Il s’agit des énoncés qui présentent des informations comme conformes ou, au contraire, non conformes aux attentes du locuteur (voir, entre autres, les études de S. Deloor 2023 sur les expressions « Dire que p ! » et « Comme quoi p ! »). La locution « comme de bien entendu », par exemple, indique que le contenu propositionnel est conforme à ce à quoi le locuteur (et plus généralement l’opinion collective) pouvait s’attendre :

(57)  Donc le tram déjà plein comme un œuf s’est arrêté Porte de Bourgogne où des dizaines de piétons attendaient pour grimper et traverser le pont de pierre pépère. Comme de bien entendu, des gens sont descendus et la foule a tenté de monter. Comme de bien-entendu, tous ne pouvaient pas rentrer, malgré un entassement déjà optimal. (Sud-Ouest, 11/07/2012, Europresse)

Or cette notion d’attente correspond précisément à une modalité épistémique (de probabilité) affectée d’un indice temporel antérieur et d’un aspect prospectif (valeur du paramètre T), car il s’agit d’une probabilité passée orientée vers l’ultérieur. À la lecture de l’exemple (57), le lecteur comprend qu’on s’attendait à ce que des gens descendent du tram, c’est-à-dire qu’on considérait comme probable à un moment ti que les gens descendent du tram en tj, tel que ti < tj. Cette probabilité épistémique peut elle-même s’appuyer sur des raisons (paramètre R) d’ordre épistémique ou déontique (cf. Crespo et al. 2018, Fleury 2021 : 120 sq.).

La notion corollaire d’étonnement (correspondant à la non-conformité aux attentes) relève du même type d’analyse modale impliquant des modalités épistémiques prospectives, affectées d’un indice temporel antérieur à celui du procès considéré. Ainsi l’expression « c’est incroyable que p » marque l’étonnement du locuteur devant une situation contraire à ses attentes (probabilités prospectives), elles-mêmes fondées sur des raisons de nature épistémique (58a : plus il y a de balles tirées plus il est vraisemblable que la victime soit tuée) ou déontiques (58b : les profits doivent être partagés et redistribués aux salariés) :

(58)  (a) « Ils voulaient me tuer, c’était leur mission. Avec toutes les balles tirées, c’est incroyable que je sois encore en vie », témoigne la victime à la barre […]. (La Dépêche du Midi, 14/12/2022, Europresse)

(b) « Total fait des superprofits depuis des mois, c’est incroyable que tout cet argent parte aux actionnaires », a affirmé la députée EELV. (Boursier.com, 12/10/2022, Europresse)

L’expression de l’étonnement résulte ici de la mise en œuvre d’une modalité épistémique de force négative (avec valeur d’exclu) exprimée au moyen d’un tour factif. La contradiction qu’il y aurait à dire qu’on ne croit pas que p tout en présupposant la vérité de p est évitée grâce au déplacement vers le passé de l’indice temporel de la modalité, qui prend une valeur prospective et exprime de ce fait une attente qui se trouve contrariée.

3.2.4. Les modalités appréciatives

Les modalités appréciatives correspondent à des jugements de valeur, c’est-à-dire à des jugements qui consistent à dire du bien ou du mal d’une situation, d’un individu, d’une action, etc. Plus précisément, ces modalités appréciatives indiquent le caractère désirable ou indésirable des éléments sur lesquels elles portent. À ce titre, elles articulent une instance de validation subjective avec une direction d’ajustement mixte, au sens où elles expriment des jugements descriptifs, mais dont le but est d’influer sur l’attitude que l’on adopte vis-à-vis des éléments décrits. Ainsi, dans l’exemple (59) :

(59)  « Je trouve dommage que l’Escrime Rodez Aveyron ne puisse toujours pas disposer d’une nouvelle salle d’armes. Pour un club de ce niveau, il n’est pas gâté... » Le constat du président de la fédération […] est partagé par nombre de licenciés et bénévoles […]. Le message est passé. (La Dépêche du Midi, 11/11/2021, Europresse)

les propos rapportés sont introduits par un marqueur de modalité appréciative extrinsèque, à orientation négative et renvoyant à la subjectivité individuelle (je trouve dommage que). Ce dispositif permet à l’énonciateur du discours rapporté de présenter la situation décrite comme indésirable, selon son opinion personnelle, et d’inciter ses interlocuteurs à chercher des moyens d’y remédier. Cette double valeur, descriptive et incitative, de l’énoncé est soulignée par le commentaire du journaliste, qui parle à la fois de constat et de message passé aux autorités.

Ces modalités apparaissent également sous forme de modalités intrinsèquement associées aux lexèmes : ce sont les termes dits péjoratifs ou mélioratifs, qui sont la marque de jugements de valeurs subjectifs (Brunot 1922, Kerbrat-Orecchioni 1980).

Les modalités sentimentales [i.e. appréciatives] déterminent très souvent le choix des mots […] De là un tableau ou une croûte […] un nectar et de la bibine. (Brunot, 1922 : 541)

Ainsi, le fait de présenter une maison comme une masure dans l’exemple (60), permet au journaliste de la ranger parmi les nuisances qu’ont à subir les riverains et de justifier les travaux à venir :

(60)  Les riverains de l’impasse des Grillons subissent des nuisances sonores nocturnes dues au dépôt nocturne de containers pour une entreprise voisine. Ou cette masure en arrêté de péril qui menace de s’effondrer à côté de l’épicerie sociale. « Nous ferons réaliser les travaux et on enverra la facture », prévient le maire. (Charente Libre, 31/08/2022, Europresse).

Les valeurs appréciatives se répartissent sur un continuum qui va de l’extrêmement indésirable à l’extrêmement désirable, en passant par des degrés intermédiaires. La comparaison entre deux degrés sur ce continuum sert de fondement à la notion, fondamentale en rhétorique, de préférable [≈ plus désirable] (cf. Aristote : Topiques et Réthorique , Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958 ).

Les différents types de subjectivités distingués à propos des modalités épistémiques se retrouvent avec les modalités appréciatives. On opposera, par exemple, (61a) à (61b), (61c) et (61d) :

(61)  (a) Je suis heureux que Marie soit venue [subjectivité individuelle du locuteur]

(b) Luc est heureux que Marie soit venue [subjectivité d’un individu différent du locuteur]

(c) Heureusement que Marie est venue [subjectivité collective intégrant le locuteur]

(d) Certains sont heureux que Marie soit venue [subjectivité collective n’intégrant pas le locuteur].

Par défaut, les adverbiaux heureusement / malheureusement, par chance / malchance, par bonheur / malheur, dommage que… renvoient à la subjectivité collective intégrant le locuteur, sauf précision contraire (ex. heureusement pour lui). à l’inverse, les locutions être heureux / malheureux que/de, avoir le bonheur / malheur de, avoir la peine / joie de, avoir (de) la chance / malchance que/de… expriment la subjectivité individuelle de l’actant en position de sujet. Celui-ci peut correspondre au locuteur (je suis heureux que/de) ou non (elle est heureuse que/de). On verra, au § 3.3.1.1., que ces deux types de marqueurs expriment des modalités appréciatives qui ont des statuts fonctionnels différents, les premières étant de dicto (ou extra-prédicatives), tandis que les secondes sont de re (intra-prédicatives).

Il faut ajouter un cas particulier qu’on appellera la subjectivité empathique : le locuteur partage la satisfaction ou l’insatisfaction de l’un des actant. Cette subjectivité empathique est explicite dans (62) :

(62)  « Je suis heureux pour lui que les Havrais lui aient manifesté une très large confiance », a simplement commenté Gérard Larcher […]. (Paris-Normandie, 05/07/2020, Europresse)

Dans cet exemple, le locuteur (Gérard Larcher) se présente comme partageant la satisfaction de l’ancien Premier Ministre, Édouard Philippe. L’instance de validation du jugement appréciatif est donc individuelle, mais partagée. Cette subjectivité empathique peut aussi rester implicite (non marquée), comme dans l’exemple (63a), que l’on opposera à (63b) :

(63)  (a) Après avoir quitté son axe de circulation, le conducteur a achevé sa course contre un arbre. Par chance, l’homme n’a été que légèrement blessé. (Courier Picard, 13/11/2021, Europresse)

(b) Le plus âgé des deux interpellés vendredi à Marseillan avait cherché à se procurer des armes pour frapper durant la grande fête sétoise, en août dernier. Par chance, il n’a pu trouver ce qu’il voulait. (Midi Libre, 12/02/2017, Europresse)

Cette notion de subjectivité empathique et de partage des évaluations appréciatives permet de rendre compte, entre autres, de l’attitude du narrateur vis-à-vis de ses personnages dans les textes de fiction (cf. Le Querler 1997).

Enfin, il paraît nécessaire de distinguer, conformément à la tradition philosophique et rhétorique, ce qui est (in)désirable en soi (ce qui provoque un (dé)plaisir) et ce dont seules les conséquences sont (in)désirables. Aristote (Topiques III, 1, 116a 30) oppose ainsi « être en bonne santé » (désirable en soi) à « faire de la gymnastique » (activité dont les conséquences attendues sont désirables). Gosselin (2010 : 336) parle de « désirable absolu » dans le premier cas, et de « désirable relatif » (i.e. relatif aux conséquences), dans le second. L’indésirable absolu peut être illustré au moyen de l’exemple (64a), l’indésirable relatif par (64b) :

(64)  (a) Renée a eu la douleur de perdre son époux Pierre en 1979. (L’Est Républicain, 26/05/2023, Europresse)

(b) […] j’ai averti mes joueurs à la mi-temps que le terrain était en train de se dégrader et on a eu la stupidité de vouloir continuer à jouer et on s’est fait punir. (Sud-Ouest,02/11/2019, Europresse)

Dans (64b), ce sont les conséquences du procès sur lequel porte la modalité appréciative (« vouloir continuer à jouer »), et non le procès lui-même, qui sont indésirables, comme l’indique la suite (« on s’est fait punir »).

Si les périphrases verbales « avoir {le plaisir / la joie / la douleur / la peine…} de Vinf » indiquent le désirable et l’indésirable absolus, les locutions « avoir {l’intelligence / la présence d’esprit / la clairvoyance / l’astuce…} de Vinf » servent à exprimer le désirable relatif, tandis que les périphrases « avoir {la bêtise / la stupidité / l’imprudence / la naïveté…} de Vinf » marquent l’indésirable relatif (Gosselin 2023). En revanche, la locution avoir de la chance de/que peut exprimer aussi bien le désirable absolu (65a) que le désirable relatif (65b) :

(65)  (a) Le concours pour la place de piccolo solo à l’Orchestre de Bordeaux s’est ouvert lors de ma deuxième année. […] je n’avais pas envie d’un autre poste que Piccolo solo. J’ai eu de la chance de réussir le concours en février 2010. (Le Télégramme, 30/12/2016, Europresse)

(b) Il [Bouyges] souhaitait, à l’époque, se diversifier dans l’énergie et avait tenté d’entrer dans le capital du fabricant de chaudières nucléaires Areva. […] Il a eu bien de la chance d’échouer dans son projet. à la place, il a récupéré de l’argent de la vente à General Electric, 1 milliard d’euros […]. (Le Monde, 12/05/2018, Europresse)

3.2.5. Les modalités axiologiques

Les modalités axiologiques correspondent également à des jugements de valeur, mais qui portent, cette fois, sur le caractère louable ou blâmable des situations, des comportements ou des individus décrits. Elles se manifestent aussi bien au niveau des modalités extrinsèques (ex. « Il est {scandaleux / immoral / inadmissible…} que p », « avoir {l’ignominie / la méchanceté / gentillesse…} de Vinf », ex. 66a,b) qu’à celui des modalités intrinsèques aux lexèmes constitutifs du dictum (ex. infamie, bonté, ex. 66c) :

(66)  (a) En ce qui concerne la médecine de ville, il est anormal que les spécialités les moins contraignantes soient les mieux rémunérées. (L’Humanité, 31/10/2023, Europresse)

(b) Extrêmement inquiets, certains ont alors cru pouvoir s’en prendre à leur employeur, d’une manière gravement diffamatoire. Ainsi, ont-ils eu la malhonnêteté de tenter de faire croire que leur employeur aurait commis un vol au détriment de la société ! (Sud-Ouest, 05/08/1987, Europresse).

(c) Ce procès est une infamie, selon Éric Dupond-Moretti. (L’Est-éclair, 07/11/23, Europresse)

Bien qu’elles soient souvent confondues, les modalités axiologiques et appréciatives nous semblent devoir être distinguées sur la base d’une propriété formelle : l’auto-valorisation. Tout jugement axiologique, qu’il soit positif ou négatif, se présente lui-même comme louable, tandis qu’un jugement appréciatif n’est pas nécessairement tenu lui-même pour désirable. Par exemple, un sujet considérant qu’il est blâmable de voler tiendra nécessairement pour louable d’admettre qu’il est blâmable de voler . à l’inverse, un sujet qui déteste avoir les pieds mouillés ne considèrera pas nécessairement qu’il est désirable de tenir pour indésirable d’avoir les pieds mouillés. Cette distinction formelle peut être mise en relation avec les instances de validation dont relèvent ces deux types de jugements : les jugements appréciatifs renvoient à la subjectivité, individuelle ou collective, alors que les jugements axiologiques dépendent d’institutions (comme systèmes de conventions). Or la spécificité des institutions est de porter des évaluations non seulement sur les situations et comportements des individus, mais aussi sur les jugements : une institution dit à ses sujets comment ils doivent se comporter, mais également comment ils doivent juger les comportements. De là l’auto-valorisation des jugements axiologiques, qui sont les jugements valorisés par l’institution même dont ils procèdent.

Il est néanmoins souvent difficile de distinguer entre l’appréciatif et l’axiologique dans les énoncés. Cette indétermination provient de deux principes distincts :

a) Le principe de bienveillance (Hutcheson 1728) conduit à considérer qu’il est blâmable (axiologique) de faire souffrir (appréciatif) et louable de faire plaisir ; il suit qu’un comportement décrit comme cruel sera d’autant plus blâmable qu’il sera indésirable pour ses détrimentaires :

(67)  La jeune femme de 38 ans […] fut guillotinée le 3 mai 1794, sous les yeux de ses enfants (âgés de 4 à 13 ans), que des patriotes avaient eu la cruauté de placer à la fenêtre. (Ouest-France, 30/09/2015, Europresse).

b) Un « bon sujet » pour une institution doit tenir pour désirable ce que l’institution pose comme louable, et prendre en aversion ce qu’elle pose pour blâmable ; c’est pourquoi le sujet d’une institution souffre de constater ce qu’il tient pour un mal et se réjouit de ce qu’il considère comme louable. Des adjectifs comme épouvantable, affreux, horrible, dégueulasse, dégoûtant peuvent ainsi servir non seulement à exprimer, au moyen de modalités intrinsèques, des jugements purement appréciatifs (« une tapisserie affreuse »), mais aussi des jugements appréciatifs fondés sur des jugements axiologiques négatifs à l’égard de comportements ou d’individus (« un comportement affreux ») :

(68)  En effet, [elle] est loin de correspondre à l’image de la femme affectueuse et responsable qu’elle renvoie. D’ailleurs, c’est son propre mari qui la prendra en flagrant délit et révèlera son comportement affreux aux autorités. (Santé+ Magazine, 16/04/2019, Europresse).

Dans cet exemple, en qualifiant d’affreux le comportement d’une nourrice qui maltraite les enfants, le locuteur énonce un jugement appréciatif négatif, fondé sur un jugement axiologique négatif (c’est à cause de ce jugement axiologique que le comportement en question peut être dénoncé aux autorités), qui est lui-même fondé, via le principe de bienveillance, sur un jugement appréciatif négatif (la souffrance des enfants). La question n’est donc pas de savoir si affreux renvoie à une modalité appréciative ou axiologique, mais de montrer qu’il renvoie à une structure modale complexe impliquant les deux types de modalités.

3.2.6. Les modalités déontiques

Les modalités déontiques sont, comme les modalités bouliques, des modalités à direction d’ajustement injonctive qui impliquent la précédence de l’énoncé sur l’état du monde censé s’y conformer, et ne peuvent, de ce fait, concerner que des situations situées dans l’ultériorité (voir cependant infra).

À la différence des modalités bouliques, elles prennent, comme les modalités axiologiques, des institutions pour instances de validation. Elles expriment donc des injonctions d’ordre institutionnel : des obligations (69a), permissions (69b), dispenses (69c), interdictions (69d) (cf. Lyons 1977 : 832 sq.) :

(69)  (a) Monsieur le Maire, en tant que garant de la tranquillité publique, vous avez le devoir de les protéger ! (Le Progrès, 29/01/2022, Europresse)

(b) Si vous constatez que la clôture de votre voisin empiète sur votre terrain, vous êtes en droit de faire valoir vos droits. (Maison & Travaux, 13/02/2023, Europresse)

(c) Si la décision concerne le pôle social du tribunal judiciaire, vous disposez d’un mois pour faire appel et n’êtes pas obligé de recourir à un avocat. (Le Progrès, 22/04/2023, Europresse)

(d) Sur les plages, il vous est interdit de ramasser du sable. Le Code de l’environnement « considère son prélèvement comme une atteinte au domaine public maritime, fragilisant les littoraux », indique l’administration française. (Ouest-France, 21/07/2023, Europresse)

On distingue classiquement quatre valeurs modales déontiques, qui correspondent à celles de l’aléthique et de l’épistémique :

Obligatoire : ce qui ne peut être autrement, pour une institution
Permis : ce qui peut être, pour une institution
Facultatif  : ce qui peut être autrement, pour une institution
Interdit : ce qui ne peut être, pour une institution

Il est d’usage (depuis Cajetan, cf. Horn 1989 : 11-12) de représenter les relations entre ces quatre valeurs en termes de contraires et de contradictoires, disposés selon le carré modal (qui s’applique particulièrement bien aux valeurs modales déontiques et à leurs marqueurs linguistiques). Les contraires (l’obligatoire et l’interdit) constituent les deux pôles extrêmes de l’opposition, alors que les contradictoires se définissent négativement par rapport à chacun des extrêmes (le permis correspond au non interdit, le facultatif au non obligatoire).

Figure 6 : le carré modal déontique

Ce carré modal permet l’interdéfinition des valeurs modales (i.e. la définition de chaque valeur modale au moyen de chacune des autres) grâce aux principes suivants :

a) on obtient le contraire, et le subcontraire, d’une formule modus-dictum en appliquant la négation sur le dictum ;

b) on obtient son contradictoire en appliquant la négation sur le modus.

Ainsi, le contraire de « obligatoire que p » est « obligatoire que non p » (équivalent de « interdit que p »), tandis que le contradictoire de « obligatoire que p » sera « non obligatoire que p » (qui équivaut à « facultatif que p »). De même, le contradictoire de « permis que p » est « non permis que p » (soit « interdit que p »), alors que son (sub)contraire est « permis que non p » (soit « facultatif que p »). De sorte que si avoir le droit de exprime la valeur de permis, ne pas avoir le droit de indique l’interdit, tandis que avoir le droit de ne pas marque le facultatif, et que ne pas avoir le droit de ne pas, en tant que contraire du contradictoire, correspond à l’obligatoire.

Soit le carré modal déontique reformulé au moyen des équivalences déduites des principes présentés ci-dessus :

Figure 7 : l’interdéfinition des valeurs déontiques

Il apparaît donc que le carré modal ainsi reformulé rend compte des relations d’antonymie et de synonymie entre expressions modales déontiques. Ainsi, au lieu de (70a)

(70)  (a) On n’a pas le droit de ne pas tout faire pour réduire le risque climatique. (Le Bien Public, 12/05/2012, Europresse) [non permis que non p]

le locuteur aurait pu énoncer :

(70)  (b) On a le devoir de tout faire pour réduire le risque climatique [obligatoire que p]

(c) Il nous est interdit de ne pas tout faire pour réduire le risque climatique [interdit que non p]

(d) Nous ne pouvons nous dispenser de tout faire pour réduire le risque climatique [non facultatif que p]

De même, l’énoncé (71a), autorise-t-il, conformément à ce que prévoit le carré modal, les paraphrases (71b,c,d) :

(71)  (a) […] le maire n’est pas dans l’obligation de faire voter une délibération pour ces opérations inscrites dans le budget voté par l’ensemble des élus. (Ouest-France, 18/12/2021, Europresse) [non obligatoire que p]

(b) Le maire peut se dispenser de faire voter une délibération pour ces opérations… [facultatif que p]

(c) Le maire a le droit de ne pas faire voter une délibération pour ces opérations… [permis que non p]

(d) Il n’est pas interdit au maire de ne pas faire voter une délibération pour ces opérations… [non interdit que non p].

Les seules expressions qui paraissent faire exception à ce fonctionnement régulier sont celles qui autorisent le phénomène qui a été décrit en Grammaire Générative en termes de « montée de la négation » (Neg-raising), comme devoir et falloir. Si « il faut Vinf » exprime l’obligation, on s’attendrait à ce que « il ne faut pas Vinf » marque le facultatif (i.e. le non obligatoire), or, du fait de la montée de la négation, cette formule équivaut le plus souvent à « il faut ne pas Vinf » (obligatoire que non p), et exprime donc l’interdit :

(72)  (a) Les organisateurs rappellent que les animaux seront tenus d’être attachés et qu’il ne faut pas traverser la route pendant la course. (Ouest-France, 20/09/2014, Europresse) [il ne faut pas » il faut ne pas : obligatoire que non p = interdit que p]

(b) Pour rappel, pour donner, il faut ne pas venir à jeun, être âgé de 18 à 70 ans, être en bonne santé, peser 50 kg minimum et se munir d’une pièce d’identité. (Le Télégramme, 24/10/2022, Europresse) [obligatoire que non p = interdit que p]

Comme les sujets sont soumis à des institutions diverses (droit, morales, religions, idéologies, règlements…), qui émettent parfois des injonctions contradictoires, ils se trouvent souvent confrontés, au moment d’agir ou de porter un jugement, à des conflits d’obligations. Un même comportement peut ainsi être présenté comme obligatoire, permis, facultatif ou interdit en fonction des institutions qui servent d’instances de validation aux modalités déontiques, comme dans cet exemple :

(73)  […] la revanche entre Alain Juppé et Vincent Feltesse se disputera au niveau de la présidence de la Communauté urbaine. Si celle-ci reste à gauche, Feltesse […] compte bien garder son fauteuil de président. Ce qui, selon Juppé, serait « légalement autorisé mais moralement interdit. » (Sud-Ouest, 13/02/2014, Europresse)

Signalons enfin deux types d’énoncés pour lesquels l’analyse des modalités déontiques qui vient d’être proposée paraît faire difficulté. Il s’agit, d’une part, des énoncés qui présentent des obligations qui n’on aucun caractère institutionnel (74a,b), et, d’autre part, de ceux qui expriment bien des obligations, autorisations, dispenses ou interdictions de nature institutionnelle, mais qui portent sur des événements situés dans le passé (75a,b). Les premiers contreviennent à la valeur du paramètre I (l’instance de validation n’est pas une institution), les seconds à celle du paramètre D (la direction d’ajustement ne peut être injonctive si la modalité porte sur des événements passés).

(74)  (a) Il a surpris une poignée d’automobilistes, cet arbre couché sur la chaussée […]. « Mon fils est interne à Bazin, je devais l’amener à la gare pour qu’il prenne le train de 7 h 47 mais on a été obligés de faire demi-tour » soupire une habitante. (L’Union, 13/10/2023, Europresse)

(b) Pour le chauffage, pas de secret, estime-t-il, il faut passer par une meilleure isolation : « Votre chaleur, il faut la bloquer pour l’hiver. » (Libération, 06/10/2022, Europresse)

(75)  (a) Pour rentrer dans ce cinéma, tu dois avoir acheté les billets. (Mari 2011 : 58)

(b) On pratiquera la politique tarifaire mise en place dans nos 24 autres parcs relais : pour pouvoir se garer, il faut avoir acheté un ticket de bus et l’avoir utilisé pour au moins parcourir un trajet entre deux stations », explique Bernard Rivalta. (Le Progrès, 03/12/2014, Europresse)

(c) Inscriptions à l’école publique pour l’année 2016-2017. […] Pour les enfants nés en 2014, il faut qu’ils soient nés avant le 1er septembre. (Le Progrès, 19/01/2016, Europresse).

Pour rendre compte des exemples (74a,b), deux solutions sont envisageables :

a) étendre la catégorie du déontique de façon à englober ce type d’obligation, dite obligation « matérielle » (1929 : 201-202), « pratique » (Kronning 1996 : 111-112, Rocci 2017 : 244) ou « téléologique » (von Fintel 2006, Williamson 2016), ce qui conduit à distinguer le déontique stricto sensu (de nature institutionnelle), du déontique lato sensu (cf. la  Notice  sur les verbes modaux) ;

b) considérer que toutes les obligations ne relèvent pas de la catégorie modale du déontique, et qu’il s’agit, dans les énoncés (74a,b) de contraintes de nature aléthique (i.e. validées par le réel ) concernant l’obtention d’un résultat, explicite (74a : mettre le fils au train de 7h47) ou implicite (74b : faire des économies de chauffage), qui fait lui-même l’objet d’une modalité boulique généralement implicite (cf. infra, § 3.2.7.).

Un argument qui peut faire pencher en faveur de la seconde hypothèse tient au fait que l’obligation, dans ce type d’exemple, ne s’oppose ni au permis, ni à l’interdit, mais au possible et à l’impossible (qui sont des valeurs aléthiques). Dans l’exemple (74a), l’expression « on a été obligés de faire demi-tour » prend pour contraires (76a,b) et non (76c,d), comme ce serait le cas dans un contexte proprement déontique :

(76)  (a) mais on n’a pas eu la possibilité de faire demi-tour

(b) mais il nous a été impossible de faire demi-tour

(c) mais il ne nous a pas été permis de faire demi-tour

(d) mais il nous a été interdit de faire demi-tour.

Mari (2011), prenant appui sur des exemples du type (75a), prône l’abandon de la contrainte selon laquelle les obligations ne pourraient pas porter sur des événements et des procès passés. Il nous paraît qu’en fait, les obligations exprimées par devoir déontique en (75a) et falloir en (75b) portent non pas directement sur un procès antérieur (acheter les billets), mais, par le biais de l’aspect accompli, sur la phase résultante (voir la  Notice  sur l’aspect verbal) de ce procès (être en possession des billets). C’est ce que montre le fait que ces obligations ne sont pas considérées comme satisfaites si les billets ont été perdus entretemps (i.e. si l’état résultant du procès n’a plus cours au moment où l’obligation s’impose).

Le cas de l’exemple (75c) est différent. Il s’agit d’une modalité déontique de dicto (extraprédicative, cf. infra, § 3.3.1.1.) : l’obligation concerne non plus la personne désignée par le sujet de l’énoncé, mais les représentants de l’institution responsables de la situation. Elle porte, dans cet exemple, non sur le fait pour les enfants de naître avant le 1er septembre 2014, mais sur le fait pour l’école publique d’accueillir ou non les élèves, en fonction de leur âge, au moment des inscriptions de 2016-2017. Le même type de lecture de dicto est fréquent avec devoir déontique :

(77)    Fait nouveau depuis 2009, le producteur peut indiquer la mention du millésime et d’un cépage sur l’étiquette. Seule contrainte : 85 % des raisins de la cuvée doivent avoir été cueillis pendant l’année mentionnée et être issus de ce cépage. (Le Parisien Magazine, 08/09/2017, Europresse)

La contrainte porte ici sur les viticulteurs et non sur les raisins ; elle concerne la situation en cours au moment où elle s’exerce (au moment où le producteur appose l’étiquette) et pas directement des événements passés. Signalons que ces phénomènes ont été analysés par Kronning (1996 : 117) et Rocci (2017 : 346-350) en termes de modalités anankastiques (concept repris à von Wright 1963).

Au total, il nous paraît donc légitime de continuer à considérer que les modalités déontiques ne peuvent concerner directement des événements antérieurs au moment de référence.

3.2.7. Les modalités bouliques

Les modalités bouliques (dites aussi volitives ou désidératives) sont les modalités du désir, du souhait, de la volonté, ou de l’aversion. Ce sont, sans aucun doute, les modalités les moins étudiées dans le champ linguistique. Elles peuvent être explicitement marquées au moyen de verbes et locutions verbales (78a,b) ou d’adverbes (79a,b) :

(78)    (a) Mon index mourait d’envie d’appuyer sur la détente mais une voix en moi disait : « Ne fais pas ça, Benny! » (Le JDD, 17/11/2012, Europresse)

(b) « Je n’ai absolument pas voulu appuyer sur la détente », a répété l’accusé […]. (Le Berry Républicain, 02/06/2011, Europresse)

(79)    (a) « Il s’est volontairement alcoolisé et il a volontairement appuyé sur la détente », s’est emporté le substitut Thibault Druon […]. (La Voix du Nord, 14/12/2021, Europresse)

(b) Pour raconter cette histoire, j’ai délibérément conçu le film comme un trip hallucinogène. (Libération, 26/11/2022, Europresse)

mais elles sont aussi implicitement associées aux procès intentionnels. Ainsi l’énoncé (80) implique-t-il, par défaut, la présence d’une modalité boulique implicite correspondant au fait que l’agent de l’action a voulu l’accomplir :

(80)    Il est entré dans le lycée et a appuyé sur la détente […]. (Le Figaro, 03/12/2021, Europresse)

À la différence des modalités explicites de (78) et (79), cette modalité inférée par défaut est contextuellement annulable :

(81)    Selon lui, son client a bel et bien appuyé sur la détente d’une arme de calibre.22 qui lui appartenait, mais il ne l’a pas fait exprès. (La Tribune, 02/04/2010, Europresse)

Les modalités bouliques ont une instance de validation subjective et une direction d’ajustement injonctive. Elles sont proches des modalités appréciatives (modalités du désirable), mais s’en distinguent par le fait que, du fait de leur direction d’ajustement, elles ne peuvent porter que sur des procès ultérieurs au moment de référence (cf. supra, § 3.2.1.). Cette différence de direction d’ajustement est le reflet de la distinction entre le désir (boulique) et le désirable (appréciatif).

Comme pour les modalités épistémiques et appréciatives, la subjectivité peut être individuelle ou collective, elle peut intégrer ou non le locuteur. Soit un exemple de modalité boulique renvoyant à une subjectivité collective dont le locuteur se dissocie :

(82)    « Beaucoup de gens voudraient venir mais on ne peut pas les accueillir », poursuit Alain Foret. (Le Courrier de l’Ouest, 16/10/2022, Europresse)

Lorsque le sujet occupe une position institutionnelle, il devient très difficile de distinguer le boulique du déontique, l’instance de validation étant à la fois individuelle et institutionnelle :

(83)    Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics, dévoile son plan pour « renforcer » les contrôles et sanctions. […] « Et je veux qu’on mette un coup d’arrêt aux schémas de fraudes développées avec les sociétés éphémères, qui organisent à dessein leur insolvabilité pour échapper à l’Urssaf. » (Aujourd’hui en France, 30/05/2023, Europresse).

Les valeurs modales bouliques vont de l’aversion extrême au désir le plus fort. La comparaison entre deux degrés de volition donne lieu à des relations de préférence (« préférer p plutôt que q »). Cette relation de préférence fonde la procédure de choix préférentiel, qui joue un rôle décisif dans la procédure de délibération en vue de l’action intentionnelle (Aristote, Éthique à Nicomaque III, 4).

Les marqueurs de modalité boulique se distinguent entre eux en fonction de caractéristiques différentielles que nous présentons rapidement :

a) La polarité peut être :

- positive : vouloir, avoir envie de, être tenté de, volontairement, intentionnellement

- négative : répugner à, rechigner à, refuser de, se refuser à

b) Le degré (pour une polarité donnée) s’échelonne, dans le cas d’une polarité positive, d’une valeur minimale (incliner à) jusqu’à une valeur maximale (mourir d’envie de, brûler de), en passant par toute une série de valeurs intermédiaires (être tenté de, avoir un peu / très envie de, tenir à…). À mi-chemin entre le dégré maximal de polarité positive et le degré maximal de polarité négative, se trouve la valeur neutre, qui correspond à l’indifférence (ça m’est égal de…).

c) L’implicativité au passé composé oppose les marqueurs qui impliquent la réalisation du procès sur lequel porte la modalité boulique (faire exprès de, prendre le parti de, céder à la tentation de, volontairement, délibérément, intentionnellement, involontairement…) à ceux qui n’impliquent pas la réalisation du procès (vouloir, avoir envie de, être tenté de, désirer…), et à ceux qui impliquent sa non réalisation (renoncer à, renoncer à la tentation de…) :

(84)    (a) On a fait exprès de venir vers 10h30 pour qu’il y ait moins de monde. (Le Figaro, 22/12.2021, Europresse) [ => on est venus vers 10h30]

(b) On est venus volontairement / involontairement vers 10h30. [ => on est venus vers 10h30]

(c) On a voulu / eu envie de venir vers 10h30. [ ≠> on est venus vers 10h30]

(d) On a renoncé à venir vers 10h30. [ => on n’est pas venus vers 10h30]

d) L’implicativité de la possibilité aléthique prospective du procès concerne les marqueurs qui n’impliquent pas la réalisation du procès. Certains de ces marqueurs impliquent la possibilité prospective du procès (tenir à, avoir à cœur de, se résoudre à, décider de…), alors que d’autres n’impliquent pas cette possibilité (rêver de), et que d’autres encore peuvent perdre cette implicativité de la possibilité prospective du procès sous certaines conditions (vouloir, souhaiter, avoir envie de… au conditionnel, voir l’ex. 82 supra). Si l’on prend, par exemple, « être une petite souris » comme procès dont la réalisation est aléthiquement impossible pour un humain (sauf interprétation métaphorique), on observe qu’il se combine parfaitement avec rêver de, aussi bien au passé qu’au présent :

(85)    (a) On a tous rêvé un jour d’être une petite souris pour voir ce qu’il se passe chez les autres. (Le Journal du Centre, 16/10/2023, Europresse)

(b) L’endroit où vous rêvez d’être, là tout de suite ?

Ce ne sera pas pour tout de suite, mais je rêve d’être une petite souris pour pouvoir assister au quotidien de mes deux enfants dans leur classe. (Moustique, 25/08/2021, Europresse)

alors qu’il est incompatible avec tenir à, avoir à cœur de, décider de ou se résoudre à, et qu’il ne tolère vouloir, souhaiter ou avoir envie de qu’au conditionnel (86a), ou, à la rigueur, à un temps du passé, mais jamais au présent (86b,c) :

(86)    (a) Qui n’a jamais pensé « Je voudrais être une petite souris pour voir comment ça se passe à l’école » ? (Sud Ouest, 06/10/2012, Europresse)

(b) La finale avait été tout aussi difficile : « Pendant les deux premiers sets, j’avais envie d’être une petite souris. Et puis, au troisième set... » (L’Équipe, 05/06/2013, Europresse)

(c) Quel parent n’a jamais souhaité être une petite souris pour observer ce qu’il se passe à l’heure du repas dans la cantine scolaire de son enfant ? (L’Est Républicain, 27/01/2022, Europresse)

e) Certains marqueurs bouliques positifs induisent conjointement une modalité appréciative positive (avoir à cœur de, tenir à, être tenté de, avoir la tentation de…), alors que d’autres n’impliquent pas cette modalité appréciative. Par exemple, en énonçant :

(87)    Avec le contexte Covid aussi, j’avais à cœur de rentrer, de me rapprocher de la famille, des amis. (La Voix des Sports, 27/12/2021, Europresse)

le locuteur présente le fait de rentrer et de se rapprocher de sa famille et de ses amis comme désirable (modalité appréciative positive). Ce n’est évidemment pas le cas avec des expressions comme « avoir envie de vomir / éternuer / pisser … » (cf. Bertin 2022). Il en est encore d’autres (se résigner à, se résoudre à) qui expriment également une modalité boulique positive, mais associée à une modalité appréciative plus ou moins négative :

(88)    Il n’y a plus de festivités, le monde associatif est à l’arrêt, les cafés et hôtels-restaurants sont fermés, je me suis résigné à fermer ou du moins à réduire notre activité. (Sud Ouest, 11/12/2020, Europresse)

f) Il est enfin des marqueurs qui signalent que la valeur modale boulique résulte d’une délibération (se résoudre à, avoir résolu / décidé de, se résigner à, renoncer à…), alors que d’autres indiquent qu’elles sont préalables à toute délibération et sont donc provisoires (incliner à, être tenté de, avoir la tentation de, il est tentant de…). À la lecture de l’exemple (89) :

(89)    Alors que Laurent Wauquiez avait renoncé à se mettre sur les rangs, Bruno Retailleau avait été tenté de le faire, mais avait renoncé, laissant se dérouler le match Barnier-Bertrand-Ciotti-Juvin-Pécresse. (Le Figaro, 03/09/2022, Europresse)

le lecteur comprend ainsi que deux processus de délibération sont évoqués, qui aboutissent tous deux à un renoncement, c’est-à-dire à une modalité boulique de polarité positive, à valeur implicative de la non-réalisation du procès (on comprend qu’aucun des deux personnages politiques dont il est question ne s’est mis sur les rangs), associée à une modalité appréciative négative (ces renoncements sont indésirables pour leurs auteurs). En revanche, l’expression « avait été tenté de le faire » marque une modalité boulique positive, associée à une modalité appréciative positive, mais non implicative, et n’ayant qu’une valeur provisoire au sein du scénario modal (voir infra, § 3.3.2.) de la délibération.


3.3. Classement fonctionnel

Les modalités se laissent également classer en fonction non plus de la catégorie et de la valeur modale qu’elles expriment, mais selon le fonctionnement syntaxique qu’elles adoptent dans la phrase (paramètre N). Nous avons vu (au § 1.1.4.) qu’une première grande distinction oppose les modalités intrinsèques aux lexèmes qui constituent le dictum, à celles qui lui sont extrinsèques, et qui appartiennent au modus. Ainsi dans (90) :

(90)    [Mais cela suppose également qu’on ne transforme pas ces élections européennes en tour de chauffe de l’élection présidentielle ou des élections législatives.] Je crois que c’est une bêtise. (La Croix, 30/04/1999, Europresse).

le substantif bêtise est porteur d’une modalité intrinsèque, appréciative négative. En l’occurrence, il s’agit d’appréciatif relatif (cf. supra, § 3.2.4.) : la situation précédemment décrite est présentée comme susceptible d’avoir des conséquences indésirables. Et cette modalité intrinsèque se trouve dans la portée d’une modalité épistémique extrinsèque, marquée par je crois que.

Nous allons maintenant distinguer différents types de modalités extrinsèques et de modalités intrinsèques.

3.3.1. Les modalités extrinsèques

Les modalités extrinsèques (qui appartiennent au modus) peuvent être classées selon deux critères syntactico-sémantiques : a) ce sur quoi elles portent, et b) ce qui peut porter sur elles.

Le premier critère permet d’opposer les modalités de re (ou intraprédicatives) aux modalités de dicto (ou extraprédicatives), le second les modalités véridicibles aux modalités non véridicibles. Le croisement des deux critères débouche sur un classement en quatre types de modalités extrinsèques.

3.3.1.1. L’opposition de re / de dicto

Une modalité extrinsèque peut affecter la relation entre le prédicat et son sujet à l’intérieur du contenu propositionnel, comme la modalité à valeur déontique du permis de l’exemple (91) :

(91)    Est-ce que mon voisin a le droit de rentrer dans mon jardin ? (Le Figaro, 12/10/2022, Europresse)

ou bien concerner le contenu propositionnel envisagé de façon globale, comme les modalités axiologiques négatives de l’exemple (92) :

(92)    Il est inacceptable que la Commission européenne ait pu renouveler cette substance potentiellement cancérigène, comme il est inacceptable que depuis quatre ans, le travail d’études sur le Glyphosate ne soit pas terminé. (L’Indépendant, 17/11/2022, Europresse)

Dans le premier cas, on parle de modalité de re ( Von Wright 1951 : 6-35, Prior 1962 : 209-215, Quine 1966 : chap. 15) ou intra-prédicative ( Guimier 1989, Le Querler 1996). Ces modalités sont « orientées vers l’agent » (agent-oriented, cf. Bybee et al. 1994 :176 sq.). D ans le second cas, il s’agit de modalité de dicto, ou extra-prédicative.

Les exemples suivants présentent respectivement la modalité déontique du permis réalisée de façon de re (93a) et de dicto (93b) :

(93)    (a) Un élève a la permission de sortir

(b) Il est permis qu’un élève sorte.

En (93a), un élève, que la lecture soit spécifique ou générique, se voit attribuer la permission de sortir (la modalité est dans le champ du quantificateur, elle porte sur la relation entre le prédicat sortir et son sujet). En (93b), la modalité de permission porte sur la situation dénotée par le contenu propositionnel pris globalement : le fait qu’un élève quelconque sorte est permis (voir également, supra, les exemples de permission de dicto : 21 ; et d’obligation de dicto : 75c et 77).

3.3.1.2. Modalités véridicibles versus non véridicibles

On doit à Kronning (1996, 2013a,b) la distinction entre les modalités véridicibles, qui peuvent être niées ou interrogées, et les modalités non véridicibles, qui échappent à la portée de la négation et de l’interrogation . Cette distinction, qui répond au critère b, supra (concernant ce qui peut porter sur la modalité) conduit à opposer les exemples (94) et (95) :

(94)    (a) Ce triangle a nécessairement deux angles égaux [modalité aléthique véridicible]

(b) Ce triangle n’a pas nécessairement deux angles égaux

(c) Ce triangle a-t-il nécessairement deux angles égaux ?

(95)    (a) Cet étudiant est certainement malade (mod. épistémique non véridicible)

(b) ?* Cet étudiant n’est pas certainement malade

(c) ?*Cet étudiant est-il certainement malade ?

Il est certes possible d’énoncer :

(96)    (a) Cet étudiant n’est certainement pas malade

mais la négation ne porte alors plus sur la forte probabilité épistémique marquée par certainement ; elle affecte directement le dictum.

Il en va de même pour les très rares exemples attestés où le forclusif précède immédiatement l’adverbe modal, comme :

(96)    (b) Quant à la défense, cela a été une opération porte ouverte au centre du terrain. Les interrogations demeurent donc, les maladresses et l’indiscipline (4 cartons) également. Une semaine de travail pour remédier à ces graves lacunes ne sera pas certainement [» certainement pas] suffisante pour préparer au mieux ce court déplacement à Elne. (L’Indépendant, 10/10/2021, Europresse)

Une même valeur modale (en l’occurrence la probabilité épistémique) peut se trouver exprimée selon les deux modes de fonctionnement, véridicible en (97), non véridicible en (98) (cf. Vet 1997 : 406, Nuyts 2001 : 57-59) :

(97)    (a) Il est probable que Luc est dans son bureau [modalité de dicto, véridicible]

(b) Il n’est pas probable que Luc soit dans son bureau

(c) Est-il probable que Luc soit dans son bureau ?

(98)    (a) Luc est probablement dans son bureau [modalité de dicto, non véridicible]

(b) ?*Luc n’est pas probablement dans son bureau

(c) ?*Est-ce que Luc est probablement dans son bureau ?

Contrairement à ce qui est souvent implicitement admis (par exemple avec l’opposition courante entre modalités radicales et modalités épistémiques), ces deux critères de distinction ne se recouvrent pas. Les énoncés (97) et (98) montrent qu’une même modalité épistémique de dicto peut être véridicible ou non.

Dès lors quatre combinaisons sont possibles, qui vont définir quatre types de modalités extrinsèques.

3.3.1.3. Quatre types de modalités extrinsèques

Alors que la tradition logique oppose, dans le cadre d’un débat déjà ancien (cf. Blanché 1968 : 84-87, Granger 1976 : 178), les tenants d’une analyse des modalités comme opérateurs propositionnels (logique modale propositionnelle) ou comme opérateurs de prédicat (logique modale quantifiée) à ceux qui les traitent comme des prédicats modaux , la description linguistique conduit, sur la base des principe d’opposition que nous venons d’évoquer, à les traiter tantôt comme des (méta)prédicats, tantôt comme des opérateurs propositionnels, ou bien encore comme des opérateurs de prédicat de deux types différents. Soit les quatre types de modalités extrinsèques distingués.

a) Les métaprédicats sont de dicto et véridicibles. Il s’agit de prédicats modaux qui prennent la proposition pour argument. De ce fait, ils portent sur l’ensemble du contenu propositionnel (ils sont de dicto), et ils peuvent être niés ou interrogés (ils sont véridicibles). Selon les cas, les métaprédicats prennent uniquement la proposition pour argument (métaprédicat monovalent, ex. 97 et 99), ou à la fois la proposition et un autre argument, qui sert d’instance de validation à la modalité exprimée (métaprédicat bivalent, ex. 100).

(99)    (a) Il est obligatoire que la personne intéressée s’inscrive en mairie pour réserver son trajet avant le samedi 12 h, pour la semaine suivante. (Ouest-France, 12/11/2021, Europresse) [mod. déontique, à statut de métaprédicat monovalent : de dicto, véridicible]

(b) Il n’est pas obligatoire que la personne intéressée s’inscrive en mairie

(c) Est-il obligatoire que la personne intéressée s’inscrive en mairie  ?

(100)  (a) La présidente est heureuse que se perpétue la tradition bien ancrée de la participation des Berracais à la mise en valeur de leur église. (La Dépêche du Midi, 28/11/2021, Europresse) [mod. appréciative, à statut de métaprédicat bivalent : de dicto, véridicible]

(b) La présidente n’est pas heureuse que se perpétue la tradition

(c) La présidente est-elle heureuse que se perpétue la tradition  ?

Les métaprédicats modaux monovalents sont généralement exprimés au moyen de constructions impersonnelles : « il est nécessaire / certain / vraisemblable / heureux / anormal / monstrueux / permisque/de », « c’est possible / incroyable / formidable / bête / obligatoire… que/de ».

Les métaprédicats modaux bivalents correspondent aux verbes d’attitude propositionnelle (croire, estimer, craindre, être certain / convaincu / persuadé… que/de) et à certains verbes illocutoires (obliger, permettre, interdire que/de… cf. infra, § 3.4.1.1.). L’énoncé (101) présente deux métaprédicats modaux intégrés dans une structure modale telle que le métaprédicat épistémique bivalent porte sur le métaprédicat aléthique monovalent qui porte lui-même sur la proposition :

(101)  Je suis convaincu qu’il est possible de réduire le nombre d’accidents . (Le Temps, 04/12/2021, Europresse).

b) Les opérateurs propositionnels sont de dicto et non véridicibles. Ils sont principalement marqués par les adverbes épistémiques (voir les ex.95 et 98 supra) et appréciatifs :

(102)  (a) Paul a fort heureusement trouvé un toit, dans un studio, à Hennebont […]. (Maville, 26/10/2023, Europresse) [mod. appréciative, à statut d’opérateur propositionnel : de dicto, non véridicible]

(b) ?? Paul n’a pas fort heureusement trouvé un toit [la négation ne peut porter sur la modalité apréciative]

(c) ?? Paul a-t-il fort heureusement trouvé un toit  ? [l’interrogation ne peut affecter la modalité apréciative]

c) Les opérateurs de prédicat sont de re et véridicibles. Ils peuvent être exprimés par des locutions à valeur de semi-auxiliaires modaux : « être capable / tenté / en état / en droit de Vinf », « avoir le droit / la force / la tentation de Vinf ». Ils portent sur la relation du prédicat (Vinf) au sujet, et sont véridicibles :

(103)  (a) D’abord le Mali, où le gouvernement est tenté de recourir aux services de la société russe de mercenaires Wagner. (Le Monde, 15/11/2021, Europresse) [mod. boulique, à statut d’opérateur de prédicat : de re, véridicible]

(b)       Le gouvernement n’est pas tenté de recourir aux services […]

(c)       Le gouvernement est-il tenté de recourir aux services […] ?

d) Les opérateurs de prédicat transparents sont de re, mais non véridicibles. Ce fonctionnement, relativement marginal, ne concerne que les locutions semi-auxiliaires à valeur appréciative ou axiologique, qui relèvent de la construction : « [avoir le/la N de] Vinf » : « avoir le plaisir / la joie / le bonheur / le malheur / la douleur de Vinf » ; « avoir l’infamie / l’ignominie / la bonté / l’honnêteté / la gentillesse de Vinf » (Gosselin 2023). On parle d’opérateurs transparents dans la mesure où, lorsqu’ils sont affectés de la négation où de l’interrogation, la négation et l’interrogation portent directement sur le contenu propositionnel et non sur la modalité exprimée par l’opérateur de prédicat. Ainsi, dans l’exemple (104)

(104)  L’attitude de Gravelaine est inadmissible. Il n’a pas eu l’honnêteté de prendre contact avec moi et il essaie de débaucher le joueur en passant par son agent. (L’Équipe, 16/07/2007, Europresse) [mod. axiologique, à statut d’opérateur de prédicat transparent : de re, non véridicible]

la négation porte directement sur le prédicat (prendre contact avec moi) et non sur la modalité axiologique. On comprend qu’il n’a pas pris contact, et que prendre contact aurait été honnête. Ce fonctionnement est tout différent de celui d’avoir l’obligation de, par exemple. En énonçant

(105)  Il n’a pas eu l’obligation de prendre contact avec moi [mod. déontique, à statut d’opérateur de prédicat : de re, véridicible]

le locuteur fait porter la négation sur la modalité déontique, qui prend de ce fait la valeur de facultatif (en tant que contradictoire de l’obligatoire). Ce contraste se retrouve également avec l’interrogation :

(106)  A-t-il eu l’honnêteté de prendre contact avec moi ? [l’interrogation porte sur le prédicat : modalité non véridicible]

(107)  A-t-il eu l’obligation de prendre contact avec moi ? [l’interrogation porte sur la modalité : modalité véridicible].

Il est toutefois possible d’exprimer les mêmes valeurs appréciatives ou axiologiques au moyen d’opérateurs de prédicat véridicibles, fondés sur des constructions un peu différentes. Par exemple, si avoir le plaisir de marque un opérateur de prédicat transparent, avoir du plaisir à est un opérateur de prédicat véridicible :

(108)  (a) Les enfants du centre ont eu le plaisir de fabriquer des déguisements et d’en porter tout au long de ces deux semaines de vacances. (Ouest-France, 20/02/2016, Europresse) [mod. appréciative, à statut d’opérateur de prédicat transparent : de re, non véridicible]

(b) Les enfants du centre n’ont pas eu le plaisir de fabriquer des déguisements [la négation ne porte pas sur la modalité appréciative : modalité non véridicible]

(c) Les enfants du centre ont-ils eu le plaisir de fabriquer des déguisements ? [l’interrogation n’affecte pas la modalité appréciative]

(109)  (a) Les enfants ont eu du plaisir à évoluer dans la cour. (Le Télégramme, 07/10/2021, Europresse) [mod. appréciative, à statut d’opérateur de prédicat : de re, véridicible]

(b) Les enfants n’ont pas eu de plaisir à évoluer dans la cour. [la négation porte sur la modalité appréciative : modalité véridicible]

(c) Les enfants ont-ils eu du plaisir à évoluer dans la cour ? [l’interrogation affecte la modalité appréciative]

La figure 8 synthétise les propriétés des quatre types de modalités extrinsèques :

Figure 8 : les quatre types de modalités extrinsèques

3.3.2. Les modalités intrinsèques

Les modalités intrinsèques sont les modalités marquées par les lexèmes constitutifs du dictum. On admet que tout lexème marque au moins une modalité intrinsèque. Quatre types de situations doivent être distingués :

1) Le lexème dénote une valeur modale. Exemples :

(110) C’est un plaisir (axiologique positif) / une certitude (épistémique) / une possibilité (aléthique ou épistémique) / un devoir (déontique) / une infamie (axiologique) / une volonté délibérée (boulique)…

Remarquons que certaines constructions ont pour rôle d’intégrer ces lexèmes porteurs de modalités intrinsèques à des expressions qui marquent des modalités extrinsèques. C’est, entre autres, le cas de la construction déjà évoquée [avoir le N de Vinf] (ex. : « avoir le droit / le plaisir / la certitude / la possibilité / le devoir / l’infamie / la volonté de Vinf ») (Gosselin 2023).

2) Une modalité, au moins, est associée au lexème. Par exemple, professeur est porteur d’une modalité aléthique, car « X est un professeur » exprime un jugement de réalité objectif ; à salaud et idiot sont respectivement associées des modalités axiologique et appréciative négatives (d’où leur emploi comme insultes), etc. Certains lexèmes sont porteurs de plusieurs modalités associées. Ainsi voleur, menteur, violeur, ou assassin présentent à la fois la description objective d’un comportement (un menteur est un individu qui dissimule volontairement la vérité, un assassin est cause de la mort de quelqu’un) et un jugement axiologique négatif sur ce comportement. à ces substantifs sont donc associées une modalité aléthique et une modalité axiolologique négative, de sorte que quelqu’un qui cache la vérité par humanité (par exemple, en n’avouant pas à un enfant qu’il a été abandonné par ses parents) ne sera pas considéré comme un menteur. Car l’emploi de ce terme impliquerait un jugement axiologique négatif. De même, un médecin qui a mis fin à la vie de certains de ses patients pour abréger leurs souffrances peut n’être pas pris pour un assassin. Ainsi lors du procès du docteur Bonnemaison, « accusé d’avoir empoisonné sept patients en fin de vie », le député et médecin Jean Léonetti a pu déclarer :

(111)  Par confraternité, c’est une souffrance de voir là un médecin qui, j’en suis sûr, en toute bonne foi, a fait ce qu’il pensait devoir faire. […] J’ai le sentiment que le docteur Bonnemaison n’est pas un assassin. (Le Figaro, 18/06/2014, Europresse)

Ces lexèmes porteurs d’une double modalité, renvoyant à la fois à un jugement de réalité (aléthique) et à un jugement de valeur (axiologique) ont été traités en termes de « valeurs modales épaisses » par Galatanu (2021), qui emprunte ce terme à Putnam (2002).

Il faut encore ajouter une distinction supplémentaire, car il est parfois utile de dissocier les modalités qui sont associées au niveau lexical de celles qui sont associées au niveau sublexical, i.e. aux sous-prédicats qui entrent dans la définition du lexème. Par exemple, le substantif rhumatisme est porteur, au niveau lexical, d’une modalité associée de type aléthique. Il s’agit d’un terme médical, qui fait l’objet d’une définition explicite et objective :

(112)  Affection douloureuse, aiguë ou chronique des articulations, des muscles et d’autres tissus. (Le Grand Robert)

Or dans cette définition, apparaissent les termes affection et douloureuse, qui sont eux-mêmes porteurs de modalités appréciatives à orientation négative. C’est la présence, au niveau sublexical, de modalités appréciatives négatives associées au lexème rhumatisme, qui explique, entre autres, qu’il entre naturellement dans les constructions « risque de N », « être atteint de N », et « souffrir de N » :

(113)  Le vieil homme à la longue barbe blanche et à la houppelande rouge doit beaucoup souffrir de rhumatisme, car c’est bien par la grande porte de la salle qu’il est arrivé, avec les nombreux cadeaux qu’il portait dans sa grande hotte. (Midi Libre, 30/12/2010, Europresse)

Des batteries de tests syntaxiques et sémantiques ont été proposées, par Gosselin (2018b) et Ladhari (2022), pour classer les lexèmes correspondant à des noms d’humains en fonction des modalités qui leurs sont intrinsèquement associées, aux niveaux lexical et sublexical.

Signalons enfin que la prise en compte des modalités dénotées et des modalités associées a permis à Legallois & Vajnovszki (2022) de proposer une classification des noms dits « sous-spécifiés » (i.e. des noms abstraits, qui sont informationnellement incomplets, et qui se trouvent complétés par la construction dans laquelle ils apparaissent). Ainsi dans cet exemple cité par Legallois & Vajnovszki (2022 ) :

(114)  Le courage c’est aussi de rénover enfin notre modèle social (E. Philippe, 2017)

le lexème courage est un N sous-spécifié qui est intrinsèquement porteur d’une modalité axiologique positive.

3) Le lexème ou le grammème assigne une modalité, au moins, à un ou plusieurs éléments qu’il régit. Par exemple « échapper à » et « risque de » assignent une modalité appréciative négative à leur complément, tout comme « ramassis de », qui assigne une modalité axiologique négative au substantif qu’il régit, même si celui-ci n’en est pas intrinsèquement porteur :

(115)  ramassis de fonctionnaires internationaux (F. Nourissier, Lettre à mon chien, 1975 : 150) / athées (E. Sue, Le juif errant, 1845 : 668) / paysans, manœuvres (E. About, Le nez d’un notaire, 1862 : 8) / juifs, laquais (A. Glatigny, Le fer rouge, 1870 : 29) / chanteurs, échotiers de journaux (J.-K. Huysmans, Marthe : histoire d’une fille, 1876 : 92), etc. (exemples recueillis dans Frantext).

De même, les constructions « espèce de N1 ! » ou « ce N1 de N2 » assignent des modalités intrinsèques appréciatives ou axiologiques négatives au N1, même si elles ne lui sont pas intrinsèquement associées :

(116)  Au contraire, le sommeil paradoxal se caractérise plutôt par des relations sociales agressives, qui débouchent sur des insultes (exemple : « T’es un connard ! », […], « Ta gueule ! », « Menteur ! » […]. Parmi ces « insultes », chacun appréciera le « espèce de fonctionnaire ! »... (Sciences et Avenir, 19/01/2018, Europresse)

C’est encore le cas de la locution prépositive grâce à, qui assigne une modalité appréciative positive au N qui la suit, même s’il n’en est pas intrinsèquement porteur, comme dans cet exemple :

(117)  Grâce à la fermeture automatique des stores, on peut espérer une baisse de 10 à 30 % de la consommation d’énergie. (Le Parisien, 12/10/2023, Europresse)

4) Le lexème suppose un scénario modal (Gosselin 2015, Taleb 2020, Rabatel 2022, Legallois 2024), i.e. un enchaînement stéréotypique d’actions et de situations dont la seule caractéristique pertinente n’est nullement d’ordre référentiel, mais consiste dans le fait de se voir attribuer une ou plusieurs modalité(s) particulière(s). Par exemple, le substantif amélioration suppose le passage d’une situation quelconque à une autre situation qui lui est préférable (plus désirable que la première) selon un certain point de vue (subjectif). De même, le substantif vengeance et le verbe se venger impliquent un enchaînement d’actions indésirables pour leurs bénéficiaires (typiquement, X a commis une action indésirable pour Y, qui est conduit à son tour à commettre, en retour, une action indésirable pour X), quelle que soit la nature référentielle de ces actions : Y peut aussi bien se venger en refusant de saluer X qu’en égorgeant toute sa famille. C’est encore le cas du substantif punition, qui suppose un scénario modal dans lequel un individu X commet une action axiologiquement blâmable, et vis-à-vis duquel le représentant de l’institution (Y) accompli en retour une action indésirable pour X . Le scénario modal de la délibération, évoqué supra au § 3.2.7., suppose, au moins, une volonté (envie, tentation) initiale, suivie d’une évaluation appréciative et axiologique des conséquences de la satisfaction de cette volonté, puis d’une évaluation épistémique des moyens pour satisfaire cette volonté, d’une évaluation appréciative et axiologique de ces moyens et de leurs conséquences, puis d’une prise de décision et d’une action finale (ou d’un refus d’agir). Une expression boulique comme « être tenté de Vinf » sélectionne la phase initiale d’un tel scénario, tandis que « renoncer à Vinf » met en profil la phase finale (le résultat de la décision).

Les modalités constitutives du scénario modal convoqué par le lexème seront dites d’arrière-plan.


3.4. Les marqueurs modaux

Même si la perspective adoptée dans cette notice est clairement onomasiologique, il n’est pas inutile d’esquisser une typologie des marqueurs modaux, telle qu’elle apparaît au terme de ce parcours.

Par commodité, on distinguera d’abord, d’une part, les grammèmes et les lexèmes inclus dans le modus, et d’autre part, les lexèmes constitutifs du dictum et porteurs de modalités intrinsèques.

3.4.1. Les grammèmes et les lexèmes inclus dans le modus

Parmi ces marqueurs, on oppose ceux qui déclenchent la construction d’une modalité extrinsèque et assignent des valeurs à certains de ses paramètres (marqueurs créateurs), de ceux qui n’ont pour rôle que de fixer la valeur de certains paramètres d’une modalité crée par ailleurs (marqueurs assignateurs), mais aussi de ceux qui déclenchent la construction d’une modalité et fixent simultanément la valeur de certains paramètres de modalités construites par ailleurs (marqueurs créateurs-assignateurs).

3.4.1.1. Les éléments créateurs de modalités

Pour exemple de marqueur créateur, prenons le cas de l’adverbe épistémique probablement. Il déclenche la construction d’une modalité épistémique extrinsèque, dont il détermine l’instance de validation (la subjectivité), la direction d’ajustement (descriptive), la force de validation (degré de croyance : probable), le niveau dans la hiérarchie syntaxique (opérateur propositionnel : de dicto, non véridicible).

Lorsqu’une même séquence contient deux marqueurs créateurs de modalités consécutifs, il en résulte normalement une structure modale contenant deux modalités, dont l’une porte sur l’autre. Soit pour exemple :

(117)  Avec ses riches terres agricoles, l’Ukraine sera probablement en mesure de nourrir sa population dans le besoin. (Courrier International, 06/05/2022, Europresse)

Modi Modj (nourrir (l’Ukraine, sa population))

Modi : modalité épistémique à valeur de probable, et à statut d’opérateur propositionnel

Modj : modalité aléthique à valeur de possible, et à statut d’opérateur de prédicat

L’adverbe probablement déclenche la construction d’une modalité épistémique (Modi) qui porte sur une modalité aléthique à valeur de possible (Modj) dont la création résulte de la présence de la locution être en mesure de.

Mais lorsque les deux marqueurs créateurs donnent l’instruction de construire une modalité de même catégorie, avec une valeur de même polarité, peut se produire un phénomène de convergence entre instructions, qui débouche sur la création d’une seule modalité dont les valeurs des différents paramètres se trouvent déterminées par l’un et/ou l’autre des deux marqueurs. L’exemple (118a) illustre une convergence entre marqueurs épistémiques, (118b) entre marqueurs bouliques :

(118)  (a) J’ai l’impression qu’il est probablement mort de cause naturelle […]. (Le Soleil, 19/03/2016, Europresse)

(b) Or, le chef de l’Etat a délibérément choisi de faire du dossier des retraites une démonstration de force […]. (Le Monde, 04/10/2022, Europresse)

Si certains de ces marqueurs créateurs sont monosémiques (ex. probablement, délibérément), nombre d’autres sont polysémiques, au sens, où, selon les contextes, ils peuvent conduire à créer des modalités différentes (voir la  Notice  sur les verbes modaux). C’est précisément du fait de cette polysémie contextuelle que nous avons dû illustrer nos analyses avec de nombreux exemples contenant des éléments de contexte. Même une périphrase dont le sens modal paraît relativement transparent comme « être capable de Vinf » peut, en contexte, exprimer la capacité (comme variante de la possibilité aléthique, ex. 119a) ou bien la contingence temporelle avec assignation d’une valeur axiologique négative au dictum (ex. 119b, et commentaire infra, § 3.4.1.3.) :

(119)  (a) Le chien est capable de [» a la capacité de] détecter les odeurs jusqu’à huit jours après le début de l’incendie. (Le Journal de Saône et Loire, 23/11/2021, Europresse)

(b) Faute de stratégie, Erdogan s’est imposé comme un expert en tactiques lui permettant de l’aider à rester à son poste. […] Il est capable de [» il lui arrive de] se contredire, de changer de position à l’égard de Washington ou de Moscou, de vouloir entrer dans l’Europe tout en s’en écartant, de se montrer un jour islamiste, un jour nationaliste, un jour eurasianiste pourvu que cela serve ses intérêts. (Le Figaro, 16/11/2021, Europresse)

D’autres sont des marqueurs créateurs mixtes, qui déclenchent la construction de plusieurs modalités simultanément (voir les « modalités complexes » de Pottier 1992 : 217, évoquées supra). C’est, par exemple, le cas des verbes craindre et espérer, qui expriment à la fois une modalité épistémique et une modalité boulique (cf. les « mixed modalities » de Von Wright 1951, les « apprehensional-epistemic modalities » de Lichtenberk 1995) . Le verbe espérer marque la croyance (modalité épistémique) et le souhait (modalité boulique), tandis que craindre exprime la croyance et l’aversion (cf. Kerbrat-Orecchioni éd. 2002 : 115, Gosselin 2010 : 397-398). C’est pourquoi la négation (« ne pas craindre que p ») peut concerner la modalité épistémique (p est présentée comme improbable, ex. 120a) ou la modalité boulique (p n’est pas tenue pour objet d’aversion, ex. 120b) :

(120)  (a) Le président Zelensky l’a dit lui-même : il ne craint pas que le soutien des États-Unis disparaisse. (Radio France Internationale, 18/10/2023, Europresse)

(b) Pierre Python ne craint pas que la formule soit reprise par d’autres organisateurs. « Certains ont essayé mais n’ont jamais obtenu le même résultat. » (L’Est Républicain, 05/08/2014, Europresse)

Il en est encore qui sont hybrides, dans la mesure où ils déclenchent la construction d’une modalité, mais déterminent simultanément une autre opération sémantique (voir les « modalités intégrées » de Pottier 1998). Ce double fonctionnement peut être illustré par les périphrases menacer de (voir la  Notice  sur les périphrases aspectuelles) et promettre de :

(121)  (a) Il allait à travers une obscurité profonde, sous un ciel bas dont les nuages menaçaient de se résoudre en neige […]. (J. Verne, Un drame en Livonie, 1904)

(b) L’affaire Lodding promettait d’être bientôt élucidée […]. (A. Upfield, Les vieux garçons de Broken Hill, trad. M. Valencia, 2002)

Ces deux périphrases expriment à la fois la sélection de la phase pré-processuelle (valeur aspectuelle) et une modalité appréciative positive (promettre de) ou négative (menacer de).

Enfin, parmi ces marqueurs hybrides (qui ne sont que partiellement modaux), les verbes illocutoires dénotent un acte de langage et expriment conjointement une modalité. Par exemple, ordonner et permettre marquent des modalités déontiques, déplorer et se plaindre des modalités appréciatives, demander une modalité boulique, etc.

3.4.1.2. Les éléments assignateurs

Les marqueurs qui sont simplement assignateurs, déterminent la valeur de paramètres de modalités construites par ailleurs, qui sont soit extrinsèques, soit intrinsèques au dictum. Par exemple, l’expression je trouve que sert à préciser la valeur de l’instance de validation, en la ramenant à la subjectivité individuelle (Gosselin 2018a). Cette opération porte sur une modalité appréciative positive, extrinsèque dans l’exemple (122a) et intrinsèque au dictum en (122b) :

(122)  (a) C’est un animal exceptionnel. Je trouve que c’est merveilleux que l’on puisse avoir des chiens comme ça. (Le Progrès, 10/08/2003, Europresse)

(b) Et quand je sors de l’hôpital, je trouve que c’est merveilleux dehors, que ça sent bon. (La Presse+, 26/04/2015, Europresse)

Nous avons vu, au § 3.1. que la locution « avoir beau Vinf » et les constructions hypothétiques pouvaient également être considérées comme des marqueurs assignateurs, dans la mesure où elles déterminent la valeur du paramètre R d’une modalité, extrinsèque ou intrinsèque, construite par ailleurs.

En tant que lexème porteur d’une modalité appréciative intrinsèque, le substantif amélioration peut être accompagné d’adjectifs à valeurs de « modificateurs réalisants » (une forte amélioration) ou « déréalisants » (une légère / faible amélioration), qui servent à renforcer, atténuer ou inverser l’orientation argumentative de l’énoncé (Ducrot 1995, Lenepveu 2007). On considérera que ces modificateurs ont une valeur modale d’éléments assignateurs dans la mesure où ils modifient la valeur du paramètre de la force de validation (F) d’une modalité appréciative construite par ailleurs (associée au substantif).

Il en va encore de même pour les morphèmes de temps et d’aspect, qui contribuent à déterminer, outre les valeurs du paramètre T (temporalité), celle de la force modale (F) au moins dans le cas des modalités aléthiques synchroniques et diachroniques (cf. supra, § 3.2.2.).

3.4.1.3. Les éléments créateurs-assignateurs

Enfin, il existe des marqueurs modaux qui sont à la fois créateurs et assignateurs de valeurs à des paramètres de modalités dont ils ne déclenchent pas eux-mêmes la construction. C’est typiquement le cas des verbes épistémiques factifs ou contrefactifs (cf. supra, § 3.2.3.). Ainsi savoir que exprime une modalité épistémique (dont il fixe la valeur de l’instance de validation, de la direction d’ajustement et du niveau syntaxique), mais il détermine également la valeur de l’engagement du locuteur (la prise en charge) de la modalité extrinsèque (ex. 123a) ou intrinsèque (ex. 123b) sur laquelle il porte :

(123)  (a) Je sais qu’il croit que le cinéma est un art, qui se consomme collectivement, et dans le noir. (Télérama, 11/08/2012, Europresse)

(b) Je sais qu’il est combatif, il en a vu d’autres. (Ouest-France, 22/10.2022, Europresse)

C’est également le cas de la locution être capable de dans l’emploi illustré par l’exemple (119b) supra, puisqu’elle crée une modalité aléthique à valeur de contingence temporelle (paraphrasable par il arrive que), et que, dans le même temps, elle assigne une valeur modale axiologique négative aux lexèmes constitutifs du dictum sur lesquels elle porte ( se contredire, changer de position à l’égard de Washington ou de Moscou, vouloir entrer dans l’Europe tout en s’en écartant, se montrer un jour islamiste, un jour nationaliste, un jour eurasianiste) .

3.4.2. Les marqueurs de modalités intrinsèques

Parmi les marqueurs de modalité intrinsèques au dictum, on distinguera ceux qui sont essentiellement modaux, de ceux qui ne le sont que partiellement. Les marqueurs essentiellement modaux sont les lexèmes qui n’ont d’autre rôle que d’exprimer une modalité : ce sont les lexèmes qui dénotent une valeur modale (possibilité, permission, volonté... cf. supra, § 3.3.2.). Les autres marqueurs de modalités intrinsèques, qu’elles soient associées, assignées ou d’arrière-plan, cf. supra), ne sont que partiellement modaux dans la mesure où la valeur modale qu’ils codent s’ajoute à leur valeur référentielle (dans le cas des modalités associées et des modalités d’arrière-plan), ou à leur valeur grammaticale (valeur de préposition causale pour grâce à, cf. ex. 117, supra, ou de quantifieur pour ramassis de, cf. ex. 115).

3.4.3. Les constructions à valeur modale

La classe des marqueurs modaux, même si l’on s’en tient aux éléments créateurs de modalités extrinsèques, est une classe ouverte, ne serait-ce que parce que les locutions à valeur modales constituent elles-mêmes une sous-classe ouverte. L’utilisation du concept de construction (voir la  Notice  sur la notion de Construction) permet cependant de formuler des généralisations sur la formation et l’interprétation de ces locutions. La caractéristique principale de ce type de construction est d’opérer la conversion d’une modalité intrinsèque en modalité extrinsèque. Prenons, à titre d’illustration, le cas, déjà évoqué au § 3.3.1.3., de la construction [avoir le/la N de Vinf] qui accueille des N sous-spécifiés porteurs d’une modalité intrinsèque. Cette construction produit des locutions auxiliaires modales qui expriment des modalités extrinsèques qui, de façon générale (cf. Gosselin 2023), héritent de la catégorie et de la valeur de la modalité intrinsèque au N sous-spécifié. Soit quelques exemples :

Tableau 7 : formation et valeur des locutions modales

N sous-spécifiés catégorie et valeur modales locutions
possibilité /capacité aléthique possible avoir la possibilité / capacité de Vinf
obligation / devoir déontique obligatoire avoir l'obligation / le devoir de Vinf
plaisir / joie appréciatif désirable avoir le plaisir / la joie de Vinf
mérite / honnêteté axiologique louable avoir le mérite / l'honnêteté de Vinf
tentation boulique positif avoir la tentation de Vinf

Or si le N est porteur d’une modalité appréciative ou axiologique (i.e. d’une modalité dont la direction d’ajustement est mixte), la locution produite au moyen de la construction en question aura le statut syntaxique d’opérateur de prédicat transparent (de re, non véridicible). Dans tous les autres cas, elle fonctionne comme opérateur de prédicat véridicible (voir les ex. 104-108, supra, § 3.3.1.3.).



4. Bilan.


Les études sur les modalités relèvent soit d’une conception étroite, héritée de la tradition logique, restreinte à l’expression de la nécessité et de la possibilité (avec leurs variantes épistémique et déontique) et centrée sur les coverbes modaux, soit d’une conception large, principalement issue de la tradition grammaticale, qui intègre tous les modes de validation des contenus représentés. Les premières offrent l’incontestable avantage de porter sur un domaine relativement bien circonscrit et de disposer de modèles formels prédéfinis (les logiques modales). Les secondes, qui restent souvent implicites dans les grammaires du français et dans les recherches sur les procédés de modalisation en discours, couvrent un champ beaucoup plus vaste et ont à prendre en compte des marqueurs très divers et hétérogènes. Nous avons essayé de montrer qu’il était néanmoins possible de proposer une analyse rigoureuse, fondée sur des critères explicites, de la notion de modalité prise dans cette acception large.

Résumons au moyen de tableaux les classifications obtenues. Nous présentons successivement le classement conceptuel, puis le classement fonctionnel des modalités, et enfin celui des marqueurs de modalité.

Tableau 8 : classement conceptuel

Catégories modales Valeurs modales
Aléthïque nécessaire, possible, contingent, impossible
Epistémique certain, probable, contestable (improbable), exclu
Appréciative désirable (absolu / relatif), indésirable (absolu / relatif)
Axiologique louable, blâmable
Déontique obligatoire, permis, facultatif, interdit
Boulique volonté, aversion

Tableau 9 : classement fonctionnel

Modalités extrinsèques métaprédicat: de dicto, véridicible
opérateur propositionnel: de dicto, non véridicible
opérateur de prédicat: de re, véridicible
opérateur de prédicat transparent: de re, non véridicible
Modalités intrinsèques dénotées 
associées au niveau lexical
au niveau sublexical
assignées
d'arrière-plan

Tableau 10 : marqueurs de modalité

grammème et lexèmes
inclus dans le modus
créateurs de modalités extrinsèques monosémiques
polysémiques
mixtes
hybrides
assignateurs  
créateurs-assignateurs
marqueurs de
modalités intrinsèques
essentiellement modaux modalités intrinsèques dénotées
partiellement modaux  modalités intrinsèques associées
modalités intrinsèques assignées
modalités intrinsèques d'arrière plan
constructions modales

Observons, pour conclure que s’il existe de très nombreuses études sur les coverbes modaux, il reste, dans le cadre d’une conception large, des pans entiers de marqueurs modaux (comme, entre autres, les périphrases verbales à valeur modale) qui demanderaient des analyses plus poussées. Nous n’en avons donné ici qu’un rapide aperçu. De plus, l’interaction des différents types de marqueurs modaux dans les énoncés peut s’avérer redoutablement complexe, et constitue un champ de recherche à peine défriché. Une analyse approfondie de ces phénomènes serait utile non seulement du point de vue de la description grammaticale, mais aussi dans une perspective d’analyse des discours et des stratégies de modalisation.



5. Annexe: liste des références citées.


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De Villèle bouillait. Il trouvait avec raison qu’on perdait du temps, mais puisqu’on lui demandait son avis, il allait le donner : « Chéri-Bibi ne se défendra pas probablement, il se défendra sûrement. » (G. Leroux, Les Cages flottantes)

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